Renaissance de l’Alliance du Nord en Afghanistan et déménagement de la base logistique de l’OEI-K en Somalie

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Nous publions avec son accord un article d’analyse des mouvements politiques en cours en Asie centrale de David Gaüzère, Docteur en géographie, président du Centre d’observation des sociétés d’Asie centrale (COSAC) et chercheur-associé Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R). L’article a été publié initialement sur le site du centre français de recherche sur le renseignement.

1. Renaissance de l’Alliance du Nord

La (nouvelle) Alliance du Nord a revu le jour le 4 avril 2025 en Afghanistan avec la fusion des forces d’Ahmad Massoud (FNR) et de Yassin Zia (Front Azadi).

Après la chute de Kaboul en août 2021, chacun aurait pu penser que les taliban contrôlaient l’ensemble de l’Afghanistan. C’était sans compter sur la résistance de la vallée du Panchir, à la renommée légendaire, qui aujourd’hui encore échappe en grande partie à la domination talibane. Là, ont apparu deux fronts de résistance, au départ concurrentiels, puis ayant opéré depuis deux ans un rapprochement, ayant abouti le 4 avril 2025 à leur unification dans une nouvelle Alliance du Nord.

Cette unification opérée entre le Front National de la Résistance (FNR), dirigé par Ahmad Massoud (fils du général Ahmed Chah Massoud), et le Front Azadi, dirigé par le général Yassin Zia (ancien chef d’état-major de l’armée nationale afghane), a essentiellement été l’œuvre d’un homme : Amroullah Saleh, l’ancien chef du renseignement afghan, aujourd’hui président par intérim de la République islamique d’Afghanistan et chef de l’organisation « Tendance verte » d’Afghanistan.

Ces trois artisans de la nouvelle Alliance du Nord sont tous d’ethnie tadjike. Pourtant, les oppositions claniques et leur formation militaire ont souvent conduit, par le passé, à de vives rivalités entre eux. Aujourd’hui mises sous le boisseau, leurs anciennes divergences apportent au contraire, d’un point de vue militaire, une certaine complémentarité à la nouvelle alliance : Massoud supervise désormais la guérilla en zone rurale, dans le Pantchir et dans les provinces du nord et de l’ouest de l’Afghanistan (Baghlan, Takhar, Ghor, Parwan, Badakhchan, Badghis, Hérat) et autour de Kaboul, tandis que Zia gère la coordination des opérations urbaines (Kaboul, Koundouz, Mazar-i-Charif…). Massoud est plutôt soutenu par l’Occident, Zia par la Russie[1].

En dessous d’eux, les commandants militaires qui ont été désignés depuis le 4 avril dernier et sont les suivants[2] :

  1. Khalid Amiri
  2. Hasib Qouvvai Markaz
  3. Baryalai Sangin
  4. Wazir Choutoul
  5. Ghani Chomahmoud
  6. Moullah Nazouk Mir
  7. Mounib Amiri
  8. Hamid Saifi
  9. Said Yesin Saddod
  10. Rahmon Khoust.

Parallèlement, quelques mois auparavant, le 7 décembre 2024, un groupe de personnalités politiques afghanes de premier plan avait annoncé la création d’une nouvelle coalition : « l’Assemblée nationale pour le salut de l’Afghanistan », ainsi que l’a rapporté Amu.tv, la chaîne TV d’opposition afghane basée aux États-Unis.

L’objectif déclaré de la nouvelle union politique était de « résoudre la crise actuelle dans le pays et de faire face au régime des taliban ». La nouvelle coalition, présentée lors d’une réunion virtuelle le vendredi 6 décembre, comprenait des personnalités politiques telles qu’Ahmad Massoud, Atta Mohammad Nour, le maréchal Abdoul Rachid Dostom, Karim Khalili, Salahouddin Rabbani, Omar Daoudzai, Rahmatoullah Nabil, Mohammad Mohaqqiq, Abdoul Rab Raosul Sayyaf, Mohammad Ismail Khan, Younous Qanouni, Sarwar Danich, Rahela Dostom, Chah Jahan, Abdul Haq Chafaq, Tadin Khan et Sadeq Madbour. Les membres de la nouvelle coalition ont alors déclaré avoir décidé de « coordonner leurs efforts pour sauver l’Afghanistan de son état actuel de toubles et créer un front uni contre le régime taliban[3] ».

La nouvelle Alliance du Nord ne contrôle pas (encore) la même étendue territoriale que celle pilotée par feu le général Massoud entre 1996 et 2001. Cependant, de mieux en mieux coordonnée dans ses activités et étendant son action à d’autres provinces afghanes en coordination avec d’autres mouvements locaux anti-taliban – mouvements autonomistes des loya djirga[4] pachtoune de Khyber (le 14 octobre 2024), baloutche de Nimzoz, hazara de Bamyan, ouzbèke de Mazar-i-Charif., etc. –, elle pourrait profiter des dissensions internes actuelles au sein des taliban. En effet, depuis le 5 février, ces derniers, disposent de deux directions politique et militaire – dirigées par le ministre de la Justice Sirajouddin Haqqani, à Kaboul, et le chef politico-religieux des taliban Haibatoullah Akhounzada, à Kandahar – qui se regardent en chiens de faïence et en viennent parfois aux mains : les escarmouches entre leurs milices respectives sont hebdomadaires. Les chefs de ces deux factions se déplacent souvent afin de mobiliser leurs partisans et Haqqani, à la recherche opportuniste d’une reconnaissance internationale, modère désormais son discours et approche régulièrement des représentants américains à Kaboul ou à Dubaï[5].

En parallèle, les protagonistes de la nouvelle Alliance du Nord trouvent de plus en plus d’écoute à l’international : le 18 février 2025, la Conférence de Vienne a réuni les principaux dirigeants des groupes politiques et publics afghans opposés au régime taliban. L’événement principal de cette conférence a été la participation des dirigeants des deux principaux groupes de la résistance armée anti-talibane, Massoud et Zia, assis pour la première fois autour d’une même table. La nouvelle administration américaine s’était parallèlement montrée aussi discrète qu’active dans le processus d’unification de l’opposition non-islamiste afghane. En même temps, de hauts responsables des services de renseignement du Pakistan (ISI) se sont récemment rendus à Douchanbé, au Tadjikistan, où ils ont non seulement discuté des perspectives de coopération pakistano-tadjike dans la lutte contre le terrorisme, mais également rencontré des représentants du FNR. Ils ont ainsi permis le retournement de la position d’Islamabad, fin décembre 2024, lassé de ne plus pouvoir contrôler les talibans. La nouvelle Alliance du Nord conserve par ailleurs ses soutiens traditionnels indien et iranien et peut compter sur des relais en Russie et en Chine[6].

2. Confirmation du déménagement de la base logistique et financière de l’OEI-K en Somalie

Le déménagement de la base logistique et financière de l’Organisation État-islamique au Khorasan (OEI-K, héritière désignée de Daech, elle coordonne désormais les autres filiales internationales de l’organisation), en Somalie, envisagé depuis 2023, a été réactivé en mars dernier. Cette base est située au Puntland, une partie pauvre et irrédentiste de la Somalie, non contrôlée par Mogadiscio. Sa localisation précise n’a pas encore été identifiée (près de Bosasso, la « capitale » économique, sous contrôle islamiste, dans le district de Bari ?).

Ce déménagement ne changera en rien aux activités et actions de l’OEI-K dans sa zone afghano-centrasiatique. En prenant pied en Somalie, l’organisation cherche simplement à bénéficier d’une meilleure localisation pour coordonner ses activités dans le monde et renforcer sa visibilité. Son idée est de créer une « capitale », un point d’ancrage central pour ses différentes « filiales » internationales disposant d’une meilleure « accessibilité »

La zone est idéalement située : en face d’Aden au Yémen, en proie aux désordres internes (Houthis, AQPA, OEI-Yémen), et au carrefour de la mer Rouge et de l’océan Indien[7]. Elle est également située à proximité du Somaliland, l’ancienne partie britannique de la Somalie, indépendante de facto mais pas de jure (elle n’est reconnue par aucun État au niveau international), mais prospère grâce aux trafics : cash (grâce à l’hawala[8]), mais aussi trafics d’armes[9] et de qat.

Non loin du Pakistan et des Émirats du golfe Persique, cette base va également servir à mieux redistribuer le cash des différentes filiales internationales de l’organisation et à capter les donations des hommes d’affaires pakistanais et du Golfe, idéologiquement proches d’elle. L’OEI-K projette également d’y installer un « bureau politique informel » composé de représentants des différentes filiales mondiales de l’État islamique.

Cette base ne devrait pas servir à mener des opérations de grande envergure. Après plusieurs combats meurtriers entre eux, l’OEI-Somalie (OEI-S) et les Shabaab (liés à Al-Qaïda) seraient parvenus à un accord de partage territorial : à l’OEI-S, le Puntland, aux Shabaab, la Somalie mogadiscienne (Garoowe, la capitale politique du Puntland reste aux mains d’un gouvernement local laïc et indépendantiste)[10]. La nouvelle base logistique et financière de l’OEI-K ne devrait donc comprendre qu’un personnel réduit et « international », uniquement dévoué à la gestion de la logistique mondiale de l’organisation djihadiste[11].

Face à cette évolution, les États-Unis ont mené le 30 mars 2025 une nouvelle frappe aérienne sur des cibles de l’OEI-S au Puntland, tuant « de multiples combattants » a annoncé le commandement militaire américain pour l’Afrique (AFRICOM). Cette opération coordonnée par l’AFRICOM et le gouvernement fédéral somalien a visé de « multiples cibles de l’EI en Somalie, au sud-est de la ville de Bosasso, dans la région semi-autonome du Puntland », a indiqué cette source dans un communiqué. Cette frappe fait suite à une précédente frappe menée par l’armée américaine dans la même région le 2 février dernier[12].

[1] https://x.com/AfghanAnalyst2/status/1777253591654224063

https://cf2r.org/actualite/les-islamistes-lancent-le-djihad-antichinois-en-asie-centrale

https://ecrats.org/ru/archive/facts_of_terrorism/10532

[2] https://t.me/anserenko/7894

[3] https://amu.tv/141935

https://t.me/anserenko/7588

[4] Grande assemblée de chefs de clans.

[5] https://tribune.com.pk/story/2469224/rising-armed-resistance-in-afghanistan

[6] https://www.viennaprocess.org/4th-vienna-conference-for-a-democratic-afghanistan

https://www.ng.ru/kartblansh/2025-03-03/3_9204_kb.html

[7] https://x.com/GlobPeaceIndex/status/1897240793447883090/photo/1

[8] Réseau informel de transfert de fonds par le biais de courtiers non déclarés (opacité totale, sans aucune base légale, utilisation de cryptomonnaies, blanchiment…).

[9] Les trafics d’armes sont notamment réguliers en lien avec le Joundallah, la filiale baloutche iranienne de l’OEI-K.

[10] Le Somaliland n’est pas impacté, car il est la plaque tournante régionale du blanchiment de l’argent des acteurs en conflit.

[11] https://www.crisisgroup.org/africa/horn-africa/somalia/islamic-state-somalia-responding-evolving-threat

https://www.rfi.fr/fr/afrique/20250113-la-branche-somalienne-de-l-ei-nouveau-maillon-fort-de-l-organisation-jihadiste

[12] https://www.lefigaro.fr/international/les-etats-unis-menent-une-nouvelle-frappe-aerienne-contre-daech-en-somalie-20250330

https://www.lemonde.fr/afrique/article/2025/02/03/en-somalie-les-frappes-americaines-ont-neutralise-des-figures-clefs-de-l-etat-islamique-selon-le-gouvernement-regional_6529150_3212.html

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