Les défis de l’inflation : relocalisation et partage de la valeur ajoutée (illustration dans l’agro-alimentaire)

À l’heure où les marges et profits des multinationales de l’agro-alimentaire font couler de l’encre, il est opportun de s’attarder quelques instants sur les mécaniques de l’inflation qui amènent à de tels dérèglements de la répartition de la valeur ajoutée et de manière plus général du profit. En effet, malgré un taux d’inflation à 5,9% en France et une grande partie des ménages en difficultés pour, simplement, faire leurs courses alimentaires, l’on voit parallèlement toute une frange de la société : actionnaires, patrons de grandes entreprises notamment – et de manière d’autant plus dérangeante dans l’agroalimentaire – qui voit leurs primes annuelles et bénéfices croître plus vite que l’inflation. « L’inflation, impôt pour les pauvres, prime pour les riches », disait François Mitterrand, mais pourquoi ? Quelle mécanique derrière ce biais ? Et quelle conclusions devons nous en tirer pour à la fois vivre mieux en période d’inflation et à la fois lutter contre celle-ci pour ne pas qu’elle devienne démesurée ?

Article de décryptage « En Europe, l’inflation frappe davantage les plus pauvres  » dans Les Échos, 19/11/2022

Tout d’abord, revenons-en aux définitions : l’inflation est la hausse généralisée de tous les prix à la consommation. Cette hausse est à long terme neutre en terme de pouvoir d’achat à l’intérieur d’un même pays, c’est à dire en économie fermée. En revanche, l’inflation érode la valeur d’une monnaie (ex. l’euro) par rapport à une autre monnaie (ex. le dollar) ce qui nous amène à moins pouvoir acheter à l’étranger. Avec l’inflation, il nous est donc plus difficile d’importer. Mais à l’intérieur d’un même pays, en situation d’économie fermée, il n’en est pas de même…

Prenons l’exemple d’un poulet qui me coûtait avant 8 euros avec un salaire horaire de 15 euros, si ce poulet me coûte désormais 10 euros avec un salaire horaire de 17 euros, il n’y a pas d’impact sur le pouvoir d’achat : le poulet comme mon salaire ont augmentés tous deux de deux euros. Pourtant on le constate tous les jours, auprès de nos amis, collègues, familles : une partie d’entre nous avons moins de pouvoir d’achat qu’auparavant. Quels sont donc les mécanismes qui appauvrissent les peuples si l’inflation, en soit, n’en est pas la cause ?

En vérité l’illustration que nous venons de faire avec le prix d’un poulet montre exactement les deux phénomènes altérant notre pouvoir d’achat :

  • la dépendance à l’offre extérieure (c’est à dire les biens que nous pouvons acheter en provenance de l’étranger c’est-à-dire dans une devise étrangère) ;
  • l’inégalité entre le taux d’inflation et la hausse de salaire.

La dépendance à l’offre extérieure en situation d’inflation

Le premier mécanisme d’appauvrissement du pouvoir d’achat lié à l’inflation provient de la dépendance d’un pays à l’offre extérieure, c’est à dire à l’importation.

Les économies actuelles ne sont pas des économies fermées (type Corée du Nord, coupée du reste du monde), la France vend des biens à l’étranger (exportation) et en achète également (importation). Ces échanges ne sont souvent qu’une étape dans le processus de production d’un produit : nous n’achetons pas à l’étranger uniquement des biens pour la consommation directe, beaucoup sont destinés à être réintroduits dans un processus de production, ce qui va donc avoir un impact sur le prix final du produit. En effet plus le produit intermédiaire aura coûté cher, plus le bien final le sera également.

Les chaînes d’approvisionnement sont les flux à partir de l’achat de matière première jusqu’à la livraison client au cours desquels un processus est déployé, faisant interagir un réseau de différents acteurs pour élaborer et acheminer un produit jusqu’au client final, c’est aussi ce que l’on appelle les Supply Chain. Or l’interdépendance des chaînes d’approvisionnement telle qu’elle l’est encore actuellement – et ce malgré les enseignements que nous aurions pu tirer de la crise du COVID – oblige à devoir constamment acheter des biens importés de l’étranger pour concevoir et terminer l’élaboration des produits fabriqués sur le sol français. La composante d’érosion de la valeur de la monnaie – ici l’euro – vis-à-vis des biens importés appauvrira donc mécaniquement notre pouvoir d’achat et s’aggravera inévitablement d’une hausse des prix à la consommation en bout de “supply chain”.

À cet aspect du problème, il existe heureusement un remède : ré-industrialiser la France en recréant des chaînes d’approvisionnement sur le sol français ; rapatrier des savoir-faire en soutenant la “re-localisation” ; relancer l’investissement en stimulant le carnet de commandes des entreprises notamment dans les secteurs de la transition énergétique ; créer des chaînes de production les plus locales possibles – y compris dans le secteur agricole – pour diminuer les temps de transport et gagner en performance sur les coûts logistiques.

Le mirage de la balance commerciale déficitaire

Certains experts se focalisent sur le problème de la balance commerciale. La France a en effet une balance commerciale structurellement déficitaire, c’est-à-dire que la France importe plus de biens qu’elle n’en exporte. Mais lutter purement et simplement contre cette structure c’est ne pas avoir cerné le problème. Une balance commerciale déficitaire n’est pas, en soit, fondamentalement problématique; d’ailleurs si des pays peuvent être excédentaires, c’est bien parce qu’il y en a d’autres qui sont déficitaires et vouloir un ex aequo partout serait illusoire. Le problème est une balance commerciale déficitaire avec une inflation qui augmente le prix des biens importés et creuse le déficit commercial en valeur nominale (en volume, le déficit n’a pas changé). Cette analyse amène à une différence significative quant à la manière de résoudre la perte de pouvoir d’achat à l’importation. Pour une partie des experts, augmenter le nombre de biens exportés suffirait à résoudre le problème : la balance se rééquilibrerait intuitivement comme si nous mettions à nouveau un peu plus d’orange du côté où la balance est trop légère. Ils ont tort ! N’apporter que cette réponse au problème c’est oublier la moitié de l’équation. Remettre des oranges dans la balance c’est nous appauvrir en orange, car chaque orange vaudra en conversion euro/monnaie étrangère moins qu’avant. Autrement dit, pour rééquilibrer les échanges et surtout être moins sujets aux aléas de l’inflation, la France ne doit pas plus exporter mais moins importer, c’est à dire produire local pour consommer local.

Reprenons l’exemple de la volaille pour illustrer ce phénomène. La France importe du poulet, du Brésil notamment. La France exporte également du poulet, par exemple vers l’Allemagne. Mais la France produit également du poulet qu’elle consomme sur place, celui-ci n’est ni importé ni exporté. Augmenter le nombre de poulets exportés vers l’Allemagne pour rétablir un équilibre dans la balance commerciale n’améliorerait en rien le pouvoir d’achat des français, cela ne nous aiderait pas à acheter moins cher des poulets brésiliens. Alors qu’augmenter la production locale pour ne plus avoir besoin d’acheter des poulets brésiliens, qui deviennent de plus en plus cher en euro à cause de l’inflation (car l’euro perd de la valeur face à la monnaie brésilienne ou face au dollar ) aiderait le pouvoir d’achat des français. Pour certains secteurs comme ici, il “suffit” de mettre en élevage plus de volailles; pour des composants industriels, c’est toute la chaîne d’approvisionnement qu’il faudra réinventer, d’où la nécessité d’une réelle politique industrielle à l’échelle nationale.

L’inégalité entre le taux d’inflation et la hausse des salaires

Le deuxième mécanisme d’appauvrissement du pouvoir d’achat lié aux conséquences de l’inflation provient de l’inégalité entre le taux d’inflation et la hausse des salaires. Cette inégalité ne doit pas être regardée à un instant t telle une photographie, non, c’est une inégalité qui s’inscrit et se décline dans le temps.

En effet, l’inflation n’apparaît pas du jour au lendemain, elle est constituée d’une succession de hausses de prix qui s’inscrivent dans le temps, généralement sur plusieurs mois, avant que tous les secteurs ne soient concernés.

Les premiers acteurs à avoir augmenté leurs prix sont les grands gagnants de cette inflation tandis que les derniers à voir leur prix augmenter sont les perdants car ils ont perdu en pouvoir d’achat tout le temps où leurs propres prix n’avaient pas augmenté. C’est très souvent le cas des salaires : le patronat décide d’augmenter les prix de leur biens/services et seulement une fois que les prix les plus élevés se sont répercutés partout, dans l’ensemble de l’appareil productif et dans tous les secteurs, une fois que les employés n’arrivent plus à joindre les deux bouts, alors les syndicats organisent des réunions de renégociation salariale avec le patronat et s’accordent sur une hausse de salaire pour rattraper l’inflation.

Les patrons ont donc profité de prix et de revenus élevés alors que les salariés ont dû attendre bien plus de temps avant que leurs salaires ne soient remis à niveau. Les gagnants de l’inflation sont donc les personnes ayant perçu une marge nette plus élevée que d’habitude.

Extrait de l’étude Agile Buyer auprès de 900 acheteurs, janvier 2023.

Bien souvent celle-ci vient grossir les poches des actionnaires ou s’accumule dans les réserves de l’entreprise au lieu de servir à l’investissement ou d’être redistribuée en partie aux employés. Dans ces cas-ci, les petites entreprises sont biens souvent au même régime que les salariés, n’ayant pas un pouvoir de négociation affirmé envers leurs fournisseur et leurs clients, ces entreprises suivent tant bien que mal l’inflation en bout de chaîne et sont souvent les perdantes au même titre que les salariés.

A ce stade néanmoins le problème reste limité dans le sens où, certes les prix sont plus élevés, mais les coûts le sont également, la marge nette n’a donc pas tellement augmenté. Les gains des entreprises liés à l’inflation sont également à nuancer selon la composition du prix final : l’inflation profite davantage aux entreprises ayant une forte part de valeur ajoutée dans leurs prix finaux qu’aux entreprises ayant une petite part de valeur ajoutée (et donc une grande part de coûts intermédiaires).

L’inflation anticipée

Le problème s’aggrave sensiblement lorsque les acteurs commencent à tabler sur ce que l’on appelle l’inflation anticipée. C’est-à-dire qu’à la prochaine hausse des prix, le patronat ne va plus seulement prendre en compte l’inflation additionnée d’une petite marge mais va déterminer ses prix en misant sur une inflation constatée à laquelle il va ajouter l’inflation anticipée : de manière générale, les acteurs craignent des taux d’inflations supérieurs aux taux réels constatés et préfèrent se protéger en tablant sur une très forte inflation. En faisant cela ils créent eux-même une plus forte inflation puisqu’ils déterminent des prix bien plus élevés que nécessaires. C’est avec l’inflation anticipée que le cercle vicieux d’une inflation qui s’auto-entretient apparaît. C’est également avec l’inflation anticipée que les prix décollent véritablement et que les inégalités s’accroissent.

En effet, si l’inflation réelle est inférieure à l’inflation anticipée, les prix très élevés génèrent des marges très importantes qui seront à nouveau versées au capital plutôt qu’aux travailleurs, creusant ainsi les inégalités et créant un appauvrissement de la grande majorité des ménages.

C’est exactement ce que l’on constate actuellement dans le secteur de l’agro-alimentaire. Le coût des matières premières a sensiblement augmenté en 2021/2022 entre la hausse du prix du carburant post-COVID et celui des céréales lors du début de la guerre en Ukraine, si bien que les acteurs ont anticipé une très forte inflation et ont dispensé des prix anormalement élevés pendant des mois avant d’envisager de réajuster les salaires à la hausse. Entre le moment t1 de la hausse des prix et le moment t2 de la hausse des salaires, le partage de la valeur ajoutée, gonflée par des prix élevés, n’a absolument pas été répartie entre les acteurs et n’a servi que le capital.

Le remède ? Indexer le taux d’inflation sur les salaires. Si les “faiseurs de prix” de l’agroalimentaire avaient été contraints, dans leur calculs de prix d’augmenter les salaires d’autant qu’ils augmentaient leur coefficient d’inflation anticipée, ils n’auraient probablement pas misé aussi gros. Et les salaires auraient suivi de facto, ramenant tout de suite à l’égalité du taux d’inflation avec celui de la hausse des salaires, c’est à dire en obligeant l’inflation à n’être qu’une érosion de la valeur de la monnaie et non celle du pouvoir d’achat. En attendant et puisque le cercle vicieux est déjà bien amorcé il aurait été opportun et judicieux de taxer les marges extraordinaires que parviennent à faire certaines entreprises qui disposent d’un pouvoir de marché exorbitant, premièrement pour redistribuer les profits et deuxièmement pour induire aux “faiseurs de prix” que toute hausse de prix démesurée n’est pas sans conséquence.

En conclusion ces deux mécanismes : la diminution de la dépendance à l’offre extérieur et l’égalité entre taux d’inflation et hausse de salaires ne vont pas l’un sans l’autre. Indexer les salaires sur l’inflation sera d’autant plus pertinent et efficace que l’on importera moins de l’étranger et que l’on consommera davantage local. Ainsi nous diminuerons les effets de l’inflation, et en les diminuant cette dernière finira par revenir d’elle-même dans proportions raisonnables.

Les Jeudis de Corbera – Réussite pour tous : en finir avec la ségrégation scolaire ! – 20 avril 2023

Jeudi 20 avril 2023, à 19h, se déroulait la deuxième session des Jeudis de Corbera.

La mixité sociale concoure à la réussite scolaire du plus grand nombre. Comment peut on la faire progresser ? Bon nombre d’établissements scolaires privés sont particulièrement homogènes socialement et bénéficient de financement public. Comment changer ces mécanismes de ségrégation ?

C’est le sujet sur lequel la Gauche Républicaine et Socialiste a invité Pierre Ouzoulias, sénateur PCF des Hauts-de-Seine, et Damien Vandembroucq, coordinateur GRS Paris, à débattre et échanger, dans une session animée par Carole Condat.

Planification écologique : Macron “prend l’eau”

Face à la récurrence des sécheresses qui frappe notre pays, le temps n’est plus aux vagues intentions ni aux actions au coup par coup ! Il faut une planification de la gestion de l’eau, qui englobe les modifications de pratiques et de consommation et conduit à une nouvelle organisation des interventions, pour un vrai service public de l’eau !

Le « plan d’eau » annoncé par le président Macron le 30 mars dernier à Savines-le-Lac, n’est ni suffisant, ni suffisamment structurant pour permettre à notre pays de s’adapter aux effets prévisibles du manque d’eau.

Il ne tire pas les leçons des erreurs et manquements que nous avons pu observer durant la sécheresse de l’an dernier. Pourtant un récent rapport du ministère de la transition écologique pointe ces insuffisances dans certains département, la situation est déjà critique.

Les chiffres de l’an dernier parlent d’eux même : 1 200 cours d’eau asséchés, 93 départements touchés par les restrictions d’eau, une production agricole en baisse de 10 à 30%, plus d’un millier de communes ravitaillées en eau par camions ou bouteilles. Or au 1er avril de cette année 75% des nappes phréatiques ont un niveau bas ou très bas et 47 départements de métropole sont d’ores et déjà placés en état de vigilance dont une quinzaine en alerte renforcée ou en crise sur l’arc méditerranéen et la vallée du Rhône…

L’impératif d’une gestion publique de l’eau et d’une planification écologique opérationnelle

Pour la GRS, l’eau est un bien commun. A ce titre, il doit être géré dans l’intérêt général avec le souci d’équilibrer l’exploitation de la ressource et la préservation du milieu.

Une politique publique avec une vision globale s’impose. Car ces enjeux recouvrent des intérêts variés, parfois contradictoires, et cela suppose des arbitrages démocratiques, éclairés, inscrits dans la durée. C’est ce qu’on appelle la planification. Nous en sommes très loin !

Les mesures annoncées par Emmanuel Macron non seulement ne cassent pas trois pattes à un canard mais se contentent de vagues intentions, parfois même en retrait par rapport aux engagements des assises de l’eau 2019 !

Ainsi y était prévue une réduction des prélèvements d’eau de 10% pour 2024 avec une seconde étape de -25% en 2034. Là, Emmanuel Macron se contente de -10% et pour 2030. C’est un très net recul.

Cet exemple témoigne d’une grave dérive dans l’organisation des politiques publiques ! C’est la méthode Macron On prend des engagements – plus ou moins réalistes –, on communique beaucoup mais on ne déploie ni les moyens, ni les actions qui permettraient de garantir que les promesses seront tenues… et encore moins dans les délais prévus ! Ceci est déjà grave en soi mais d’autant plus dangereux que cela renforce le sentiment d’impuissance collective qui délégitime l’État, l’action publique et entretient le doute démocratique.

Il faut radicalement changer de méthode et systématiquement voter non seulement des objectifs mais également les financements nécessaire pour se contraindre à ces objectifs. Il faut des lois pluriannuelles de programmation, adossées à la planification écologique.

La planification ce n’est pas des objectifs, des cadres imprécis, dans des tableaux de bord affichés pour habiller l’absence d’action concrète, mais la mobilisation effective des acteurs autour de plans d’actions permettant d’atteindre des objectifs communs avec un suivi régulier sur la tenue véritable de la feuille de route !

Aussi, les annonces d’Emmanuel Macron ne rompent pas avec ces discours répétés à l’envie qui ne régleront rien ou pas grand-chose.

L’impensé ou l’occultation des financements indispensables

Certes, on peut se réjouir qu’il fasse la liste du champ des interventions nécessaires pour la sobriété, comme la lutte contre les fuites d’eau. La GRS milite depuis longtemps en faveur de cette exigence car c’est 20% de l’eau potable ainsi gaspillée. Mais le Président envisage tout bonnement 180 millions d’euros supplémentaires par an, là où les experts estiment à 1,5 milliards d’euros l’investissement financier nécessaire ! L’écart est démesuré.

La gestion écologique de l’eau va exiger des sommes considérables et plus encore si l’on n’aborde pas seulement la question de la sobriété mais aussi celle de la restauration du bon état écologique de l’eau qu’elle soit terrestre ou souterraine ! De ce point de vue, la France est loin des objectifs de la directive cadre européenne sur l’eau ! Nous avons pris du retard et il faudra aussi investir dans les réseaux d’eaux usées ou pluviales, dans la généralisation de leur découplage et dans les stations d’épurations. Aucune simulation financière globale n’a été réalisée et on fait l’autruche imaginant que l’argent va tomber miraculeusement du Ciel !

Le non-dit du financement des 53 mesures d’Emmanuel Macron et de l’augmentation des factures d’eau !!

Le président de la République à Savines-le-Lac a annoncé 53 mesures et seulement 475 millions supplémentaires annuels pour les agences de bassin (budget de 2,5 milliards). En fait cette somme, n’est pas vraiment nouvelle, même si elle est bienvenue puisqu’elle vient pour une part de la réduction du prélèvement opéré par l’État sur les ressources des agences. Ces sommes ne suffiront pas et chacun voit bien que le financement va se traduire par une hausse du prix de l’eau !

La tarification progressive (dont la possibilité existe déjà) sera encouragée. Mais pourquoi ne pas la rendre obligatoire ? La GRS milite pour cette mesure écologique et sociale.

Évidemment Emmanuel Macron n’évoque pas la mise à contribution des multinationales de l’eau. Il ne serait pas illégitime de demander une contribution financière à ces multinationales de l’eau, de même qu’à la Compagnie nationale du Rhône, qui continuent à engranger les profits en exploitant nos communs.

Ne pas traiter sérieusement cette question du financement évite de faire des choix clairs sur la participation de chaque secteur (particuliers, agriculteurs, industriels) mais aussi sur le prix et sur les conditions de la gestion de l’eau.

Engager tous les secteurs dans la sobriété et transformer notre modèle agricole

Oui tous les secteurs doivent réduire leur prélèvement en eau et aussi bien les particuliers que l’industrie ou l’agriculture ; cela exigera des changements de pratiques et d’importants investissements.

Le cas de l’agriculture est évidemment crucial et délicat. Elle concerne 58% des prélèvements d’eau annuel en France et se concentre pendant les périodes de tension La transition vers de nouvelles pratiques doit certes être progressive mais, continue et menée avec détermination. Car il s’agit de garantir notre souveraineté alimentaire et poursuivre une politique raisonnée d’exportations. Nous avons observé une chute importante de la production agricole en particulier en 2022 avec la sécheresse, mais nous voyons aussi un recul du made in France dans de nombreux secteurs comme le maraîchage. Tout cela sans compter la hausse des importations de produits étrangers moins chers (pas toujours respectueux des normes environnementale et de bien-être animal).

Or, dans les annonces du plan « eau » d’Emmanuel Macron, n’est envisagée comme aides aux investissements nécessaires à cette transition écologique ! Seuls sont prévus 30 millions d’euros pour favoriser de nouvelles parcelles agricoles économes en eaux. Cela restera de l’expérimental, alors qu’il faut aller vite sans quoi nous risquons une chute massive de la production agricole, nous condamnant à importer de plus en plus de produits de l’étranger.

Faire comme si ces problèmes ne se posaient pas est irresponsable ! Ni les agriculteurs, ni les consommateurs,ne voient clairement notre stratégie nationale pour l’avenir de notre agriculture. Il serait dangereux que s’installe un dialogue de sourd sur ces enjeux. Le double discours du gouvernement, hélas y contribue.

D’un côté le président de la République indique que tous les secteurs devront réduire de 10% leur prélèvement d’eau d’ici 2030.Et de l’autre, au même moment, le ministre de l’Agriculture annonce devant la FNSEA que le prélèvement d’eau par l’agriculture sera maintenu. Donc pas de diminution.

Il faut le dire clairement et à tous, l’expliquer et le faire comprendre. et Montrer comment on atteindra quand même la réduction de 10% en 2030 et en tout cas une chose est certaine nous ne pourrons pas continuer avec la pression actuelle pour l’irrigation (au passage très concentrée sur les grosses cultures type Maïs) !

Associer tous les acteurs mobilisés et les citoyens dans une nouvelle gouvernance de la politique de l’eau

Cette gouvernance doit être totalement revue ! La complémentarité entre l’intervention de l’État et celles de collectivités locales s’impose ; l’unification des documents et des programmations est indispensable mais avec de vraies déclinaisons territoriales, tant la complémentarité et la cohérence des actions menées que l’adaptation à chaque bassin versant et aux activités locales sont la clef de la réussite.

On est actuellement dans une forme de jungle incompréhensible pour le plus grand nombre.

D’abord il faut que chaque territoire dispose obligatoirement d’un schéma d’aménagement et de gestion de l’eau (SAGE) avec pour chaque bassin versant une commission locale de l’eau chargée de la mise en œuvre de ce SAGE. De la même façon, des plans de gestion de l’eau doivent partout décliner, de manière plus opérationnelle encore, les actions à mener et les arbitrages opérés, expliquer pourquoi et le faire comprendre..

Car c’est bien cette articulation entre une planification nationale et des planifications locales généralisées qui peut garantir à la fois l’efficacité et une implication citoyenne indispensable. Elle doit aussi avoir lieu pour l’actualisation des plans de gestion et de protection des zones humides.

Faire prévaloir dès à présent cette méthode et cet état d’esprit dans la mise en œuvre des mesures contre la sécheresse pour ne pas reproduire les erreurs passées

Il faut prévoir et systématiser les réunions sous l’égide du préfet dans chaque département avant la fin de l’hiver pour évaluer et discuter de l’état des nappes phréatiques et engager une véritable stratégie de régénération des ressources sans sous-estimer les contrainte.

Il faut veiller à ce que les arrêtés de restriction soient réellement équitables, compris et acceptable par les citoyens – on a par exemple constaté que dans certains départements, les golfs pouvaient arroser tandis que d’autres activités plus utiles étaient restreintes !

La transparence doit être de rigueur.

Il faut assurer un suivi permanent de la situation hydrique et accélérer notamment dans les départements les plus à risques la mise en place de contrôles en temps réel (compteur télé-relevé) des gros consommateurs. Enfin, mais cela relève du législatif, il sera sans doute nécessaire d’augmenter les sanctions pour les contrevenants pour les rendre plus dissuasives.

Pour conclure, soulignons qu’il est étrange qu’Emmanuel Macron n’ait pas signalé l’impact de la sécheresse à venir sur le transport fluvial. L’été dernier, la sécheresse a contraint  de réduire la charge des barges sur le Rhin  faute de profondeur et a finalement reporté le trafic sur la route et les camions avec un effet écologique et de coût très négatif.

L’Union Européenne doit s’interroger sur le programme européen Naïade III (2023-2027) prévoit ne augmentation  du transport fluvial de 25 % à l’horizon 2030 et de 50 % à l’horizon 2050. Il convient de garantir la cohérence entre les différents enjeux écologiques !

* * * * *

La Gauche Républicaine et Socialiste appelle donc à remettre le travail sur le métier et vite ! Nous ne pouvons plus nous contenter d’annonces spectaculaires, ou faibles mais maquillées par la communication politique, sans portée opérationnelle solide. Il est urgent d’élaborer une véritable loi de programmation et de planification, en faisant participer tous les acteurs : le temps presse !

La sortie de crise passe (aussi) par la sortie de la 5ème

Dans sa majorité, la gauche a tôt fait de dénoncer les fondements voire les dérives monarchiques de la Ve République. La Constitution de 1958, rédigée pour « mettre fin aux errements parlementaires » d’une IVe République adoptée de justesse douze ans plus tôt1 et sévèrement chahutée depuis le début de la guerre d’Algérie, confère, on le sait, un pouvoir excessif au Président de la République. La révision constitutionnelle de 1962, là encore très contestée (elle donna lieu à la seule motion de censure adoptée, contre le gouvernement de Georges Pompidou), fait de son élection l’axe central, incontournable, devenu quasi unique de la vie politique française.

La dérive grandissante de l’exercice du pouvoir présidentiel suscite une défiance de plus en plus accrue. Les révisions constitutionnelles ou les évolutions législatives institutionnelles (notamment sur le quinquennat puis l’inversion du calendrier électoral) ont mis un terme à la fiction du rôle arbitral du Président de la République, alors même que la dérive de la construction européenne (et le manque de volonté politique de nos dirigeants) en fait en réalité une sorte de comptable à l’échelle de l’Union. La décentralisation – et l’émergence des Régions – ont parallèlement conduit à une forme de dilution, voire de confusion, des pouvoirs (une partie des présidents de Région semble même vouloir entrer désormais en concurrence avec le pouvoir central),alors même que la capacité des différentes strates de la puissance publique à agir concrètement sur la vie quotidienne de nos concitoyens est de plus en plus interrogée.

L’accumulation des réformes constitutionnelles de 2002 et 2008 ont ainsi définitivement fait passer le président de la République dans un rôle de chef de l’exécutif – au sens gouvernemental du terme – rabaissant en réalité le rôle du premier ministre au rang de « simple collaborateur » selon le mot de Nicolas Sarkozy, dépendant d’une majorité parlementaire faite à la main du chef de l’État (au moins jusqu’en 2022). Le paradoxe veut que le renforcement théorique des pouvoirs du président de la République se soit inscrit en parallèle d’un affaiblissement de l’autorité de l’État. Cette contradiction n’a jamais été aussi vivante que sous Emmanuel Macron, qui a prétendu plus que tout autre à un exercice jupitérien de sa fonction, sans rediscuter sérieusement la tutelle ordolibérale de l’Union Européenne, sans ancrage local réel de sa majorité parlementaire … pour finir par ne plus bénéficier du tout de majorité parlementaire.

Ne se situant plus au-dessus de la mêlée, la statue du commandeur s’effrite et se dilue au contact des réformes impopulaires et de moins en moins admises par l’opinion publique. Celle-ci entend ces dernières années se réinviter au centre d’une scène politique dont elle était écartée. Cette manifestation brutale et verticale du pouvoir a été particulièrement mise en lumière tout au long de la crise COVID, où les décisions concernant l’ensemble des Français furent prises à huis clos, au sein de Conseils de Défense.

Les gardiens du Temple gaulliste de la Vème République faisaient de l’autorité surplombante du Président de la République l’intérêt constitutif du régime. Or plus rien ne fonctionne selon ce principe Comme le disait Rémi Lefebvre au soir du second tour des élections législatives de 2022, « que le scrutin majoritaire donne une représentation politique qui se rapproche de celle que pourrait produire la proportionnelle est un indice paradoxal de plus de la crise de défiance généralisée, accrue par l’échec pratique du macronisme et la faiblesse de son assise électorale réelle… La prime majoritaire ne peut même plus masquer le déficit de légitimité du système… ». Et avec sa réforme injuste – et illégitime – des retraites, Emmanuel Macron a fait la démonstration qu’il n’avait pas de majorité parlementaire de rechange après son échec de juin 2022 ; et dans le même mouvement, ceux qui voyaient dans l’absence de majorité parlementaire alignée sur le président une opportunité historique de renouer avec un parlementarisme positif ont vite pu constater le caractère illusoire de leur pronostic. Car c’est aujourd’hui tout le système qui est grippé : la crise sociale s’est doublée d’une crise de régime.

La résolution de cette crise ne fera pas l’économie d’une VIe République, (re)mettant la vie parlementaire et l’expression populaire au centre du processus démocratique.

Il existe encore nombre de défenseur de la constitution de Michel Debré. Ils veulent bien concéder que ses équilibres institutionnels représentent une exception en Europe et dans le monde, mais prétendent conserver ce qu’ils jugent être un équilibre parfait entre les aspirations tumultueuses d’un peuple très politique de « gaulois réfractaires » et le bon sens libéral régnant en maître en Europe ; la constitution de la Vème République révisée attribue ainsi à l’exécutif et à l’Union Européenne non pas le monopole du cœur mais celui de la raison, qui ne serait alors plus la chose la mieux partagée. Pérorer ainsi sur des plateaux TV policés, en agitant encore et toujours le spectre de l’instabilité ministérielle caractéristique de la IVe République ou pire la défaite de 1940, c’est pourtant faire fi de l’histoire même des IIIe et IVe Républiques qui toutes deux ont permis de redresser et de reconstruire la France au lendemain des deux plus grands effondrements que la France ait connus, avant il est vrai de tomber sous les coups des événements, de leurs contradictions internes et de la médiocrité d’une partie du personnel politique.

Même le régime bancal de la IVe République avec ses courtes coalitions populaires nous a apporté, le socle économique, social et démocratique pour lequel la GRS se bat aujourd’hui – il est vrai que l’élan avait été donné par le programme « Les Jours Heureux » du Conseil National de la Résistance. Ce socle que nous entendons défendre n’a jamais été aussi menacé par les assauts réguliers, méthodiques, répétés et constants des néolibéraux, dont le projet s’accommode fort bien de l’affaiblissement des processus démocratiques. Tous les aspects de la protection sociale font depuis 35 ans l’objet d’une remise en cause progressive certes, mais systématique : le droit du travail, l’assurance chômage, l’assurance maladie et le système des retraites. Le détricotage social et démocratique, avec le recours brutal à l’article 49.3 et le détournement d’usage d’autres articles de la constitution2, doit céder sa place à une démocratie vivante. Le parlement doit retrouver une place prépondérante : pour cela, il faut limiter les outils du « parlementarisme rationalisé » qui aboutissent à l’affaiblissement spectaculaire de l’Assemblée Nationale. Plus généralement, la revitalisation de la vie démocratique suppose de donner davantage la parole aux citoyens. Le recours accru au référendum, l’institution d’un véritable référendum d’initiative citoyenne, paraissent aujourd’hui indispensables.

Le Parlementarisme est exigeant ; il nécessite débat, dialectique, compromis, autour d’un projet de société social, écologique, et tourné vers l’intérêt général. Le compromis, qui n’est pas la compromission, est synonyme d’une certaine harmonie politique, puisque respectueux des divergences et des singularités qui existe dans la communauté civique en les englobant dans un projet commun et une vision de long terme.

Cette vision socialiste et républicaine, nous l’avons ! Rejoignez-nous pour rebâtir et défendre l’héritage de nos brillants prédécesseurs !

1 Après l’échec d’un premier projet constitutionnel en mai 1946, la constitution de la IVème république est adoptée par référendum le 13 octobre 1946 par 53,2 % des suffrages exprimés et une participation de 67 % seulement.

2 Relire notre analyse du 29 mars dernier « Le Conseil Constitutionnel doit censurer toute la réforme des retraites » : https://g-r-s.fr/le-conseil-constitutionnel-doit-censurer-toute-la-reforme-des-retraites/

Être étudiant(e) à l’heure du Covid-19

Dans cet entretien Manon D. étudiante en économie nous décrit le quotidien des étudiants pendant la crise du Covid-19. C’est un témoignage personnel. Cet entretien a été réalisé voici plusieurs mois, nous choisissons de le publier aujourd’hui car les difficultés révélées par la crise sanitaire et celles qu’elle a provoquées n’ont toujours pas trouvé de réponses de la part des pouvoirs publics.

GRS : Comment en tant qu’étudiante as-tu vécu la crise de la Covid-19, avec les cours à distance, la solitude, les loyers exorbitants à Paris ou encore la nécessité de travailler pour subvenir à tes besoins ?

Manon : C’était difficile, comme pour tous les étudiants et notamment les plus précaires. Moins pour les étudiants biens lotis avec un logement adéquat ou une maison en province à la campagne avec leurs parents. Mais pour moi et mes amis qui étaient dans la même situation, nous nous sommes retrouvés dans un petit appartement de 10 m². Les cours étaient à distance, nous n’étions pas confinés mais avec le couvre-feu, les cafés et bibliothèques fermés c’était comme un confinement. On suivait nos cours à distance et le soir, nous étions confinés. Donc nous étions isolés.

Pendant deux ans, aucune possibilité de rencontrer de nouvelles personnes et de faire de nouvelles expériences relationnelles et professionnelles. C’était dur pour le morale.

Pour les cours, on dépendait de notre connexion Wifi, moi au 7e étage j’avais une mauvaise connexion donc il y avait des cours que je n’ai pas pu suivre, ce qui m’a pénalisé et m’a fait avoir de mauvaises notes. J’ai été prise en Master, mais une amie a redoublé et a décroché à cause de ça. Les professeurs n’ont pas pris en compte les problèmes liés à la connexion internet. Apprendre seul et apprendre avec un professeur, cela n’est pas pareil…

Ce problème d’exclusion, ne pas pouvoir suivre les cours et tout faire dans la même pièce de 10 m² où l’on mange, où l’on dort, où l’on travaille, etc. C’est dur. Mes APL m’ont fait survivre, mais une amie qui travaille dans la restauration et qui avait besoin de travailler n’a pas pu. Donc, elle a eu des problèmes d’argent.

As-tu eu le sentiment d’avoir été soutenue par l’institution universitaire ?

Il y a eu des moyens mis à disposition, on pouvait louer un ordinateur, une box, etc. Mais ça ne marchait pas, ils ne prenaient pas en compte les moyens propre à chacun. Donc des moyens était mis à disposition, certains professeurs mettaient des exercices pédagogiques. Mais je ne pensais pas avoir mon année et personne ne m’écoutait.

Par exemple : un examen en ligne, où je ne pouvais pas passer les questions à cause d’un problème de connexion, j’ai contacté le professeur il n’a rien fait… Je ne me sentais pas entendu. J’ai eu 4 à cet examen ce qui a plombé ma moyenne.

On a beaucoup vu les étudiants devant les banques alimentaires, est-ce quelque chose que tu as vécu ou connais-tu des personnes qui l’ont vécu ?

Personnellement non, grâce à ma bourse, mais une amie déjà concernée avant le Covid oui. Mais elle vivait cela avec du recul. Donc des amis partageaient cette situation : du mal à se nourrir avec des familles qui n’ont pas les moyens d’aider. Donc ils ont eu recours aux paniers alimentaires.

Je vivait en appartement CROUS, il y avait des moyens mis en place. Je n’ai pas connu cette situation, je m’en suis sorti financièrement car comme nous étions confinés il n’y avait pas de sortie, ça fait économiser de l’argent. Mais c’était dur.

Selon les types d’études, il y a eu des inégalités entre les grandes écoles avec plus de moyens et les universités, tu as pu le constater ?

J’ai été mis au courant de cela. En école privée, les étudiants pouvaient aller dans les locaux en petits effectifs. Ils pouvaient se sociabiliser alors que dans les universités nous étions mis à la marge, en détresse, on était les oubliés ; une amie a redoublé sa L2 car elle a fait une dépression. Elle a vu un psy mais avec des sessions d’une demi-heure… Donc dans certaines écoles privées, les étudiants avaient presque une vie normale et nous, à l’université, nous étions seuls.

Cette situation a-t-elle généré des tensions entre différents étudiants selon les possibilités qui leurs étaient offertes ?

C’était de la survie, chacun pour soi. Nous n’avions pas le temps de penser à mal envers autrui, la situation nous échappait donc c’était de la survie propre. Le fait que certain en profitaient, on le voyait de loin.

On a beaucoup parlé des étudiant dans les médias et le monde politique mais rien n’a été fait à part une revalorisation des APL dont on avait retiré 5 euros. On en a parlé, mais dans les faits est-ce que quelque chose a été fait ?

Depuis la crise, la cause étudiante a été mise en avant comme une des préoccupations du mandat d’Emmanuel Macron. Mais je ne cherche pas à voir ce qui a été fait ni à écouter ce qui peut se dire. Je n’ai pas cherché à avoir une augmentation, ma bourse et mes APL me suffisaient.

Le Système d’aide exceptionnelle, j’y ai eu recours à la rentrée dernière avec un dossier et une lettre de motivation. On doit passer devant une commission et parfois ils effectuent un versement selon les besoins.

Il y a eu également des aides avec des assistantes sociales. Il y a aussi des repas à un euro, ça a permis à des étudiant de se nourrir, car parfois le midi je ne mangeais pas, donc le restaurant universitaire et le repas un euro ça m’a changé la vie. On peut manger à moindre coût, mais sinon il y a eu peu de changement pour les logements notamment, etc.

Car je suis boursière échelon 6 avec une mère seule sans père, elle ne peut pas financer un logement à Paris. Je n’ai pas eu de logement Crous à ma rentrée à Paris et sans logement l’assistante sociale a été mis devant le fait accompli et j’ai réussi à l’avoir.

Donc même si il y a des moyens on ne facilite rien. J’aurai pu ne pas avoir de logement. Ma demande Crous n’a pas été renouvelé, j’ai un appartement que je paie plein pot avec certes heureusement les APL. C’est différent d’un logement Crous, donc la situation ne s’est pas améliorée malgré de petites mesures.

Avec une approche plus politique qu’est-ce que l’État aurait pu ou dû faire dans ce cas ?

On a conscience de la précarité étudiante globale mais pas de la diversité. On a l’impression parfois que tous les étudiants faisaient la queue devant les banques alimentaires mais ce n’est pas vrai.

J’ai une amie qui habite à Paris mais qui a besoin de travailler c’est un exemple de précarité économique, on a pas tous les même contacts si on a un problème, on a pas tous le même filet de sécurité.

Ma bourse me suffit si je travaille à côté ; mais si je ne peux pas travailler, on est dans la précarité économique. Il ne faut pas juste prendre en compte une certaine situation, il faut prendre en compte la diversité des situations. Ceux par exemple avec des parents pas assez riches pour aider et financer un logement à Paris, mais trop riches pour avoir une bourse. Ils ne sont jamais pris en compte.

Beaucoup ont besoin d’aide mais ne les voit pas. Les logements étudiants sont des taudis, avec des fenêtres cassées et douches cassées, c’est honteux de se dire que là réside l’avenir de la Nation, ils ne peuvent pas réussir à l’université dans ces situations quand ils habitent là… il faut revoir les conditions d’existence, se nourrir, se loger, etc. On a l’impression de devoir le mériter alors que ce sont des besoin fondamentaux. Il faut faire en sorte que les emplois du temps soient flexibles pour que les étudiants travaillent. Certes il y a les examens terminaux mais ça veut dire qu’un étudiant dépend juste d’une note, c’est une insécurité.

Je sais que le personnel pédagogique n’a pas à se charger de ça mais il ne peuvent rien faire. Donc il faut soulager les cours et les emplois du temps, car deux jours par semaine j’avais cours le midi et je travaillais dans un restaurant, ce n’était pas possible. Ça n’incite pas à travailler mais simplement à se serrer la ceinture.

La prise en compte de la diversité au pluriel est quelque chose de ciblé. Certains habitent loin mais pas suffisamment loin avec effectivement des parents trop riches pour être boursiers et trop pauvres pour payer un loyer à Paris. Ils sont alors obligés de faire 3 heures de transport quotidiennement ce qui est un autre type de difficultés.

Rien à voir avec des étudiants qui vivent dans un 200 m² dand le VIe arrondissement de Paris avec leur parents et aucune tâche ménagère à faire…

C’est le cas pour les études supérieures réservé à une élite. C’est impossible de faire une Prépa si les parents ne suivent pas derrière. Ce n’est pas possible avec des tâches ménagères et sans aide. C’est infaisable. Il y en a beaucoup pour qui ce type d’études d’élite n’est pas possible.

Il y a un plafond de verre, même s’il va à Paris avec une bourse, c’est impossible.

Ce n’est pas inaccessible sur le papier, mais dans les faits… Donc, comment les étudiants se sont-ils organisés avec cette précarité entre écoles privées et les universités, il n’y a pas eu de friction, mais une entraide entre étudiant ?

Oui clairement, avec le confinement et tous les gens chez eux, des initiatives ont permis de faciliter le quotidien. Comme l’association « Copains ». C’est initiative de banque alimentaire pour les jeunes étudiants. C’est plus terre à terre que ce que propose le gouvernement car ils connaissent les étudiants et leur situation.

Alors qu’aujourd’hui quand on demande une aide au CROUS on doit le justifier. Ça tombe dans le misérabilisme le fait de devoir justifier l’état de son compte bancaire ; là ce n’était pas le cas.

J’y suis allée pour des photos, j’ai vu les locaux et le directeur de l’association. Il nous a dit qu’il voit des étudiants dans toute les situations, c’est une initiative étudiante. Ensuite des choses dans les promos ou entre amis ont été faites. J’ai mal vécu cette période et avec mon amie qui a redoublé on se retrouvait, on dormait ensemble, etc. C’est pour cela que l’on a réussi à surmonter cette situation car on a créé du lien, on a créé des interactions dans le réel, une solidarité entre étudiant.

Face au côté macro de Copains, avec mon groupe d’ami de la fac, on s’invitait régulièrement à manger à la maison. On s’aidait avec des webcams pour bosser ensemble. On essayé de trouver des solutions pour rendre ça viable.

Quel rôle ont joué les syndicats étudiants pendant la crise ?

Je suis assez étrangère à ce petit monde, ce petit microcosme, trop proche de la France Insoumise.

Il y a 20 ans dans une situation pareille les syndicats étudiants auraient été incontournables, là ça n’a pas été le cas, ils n’ont pas réussi à s’organiser dans cette situation cela en dit long, non ?

Il se sont organisés à leur échelle. Ça n’est pas aussi important que dans le passé mais ils ont lutté contre le Conseil universitaire pour illustrer le problème de connexion internet ou l’exclusion sociale, car Mme Vidal (Ministre de l’Enseignement Supérieur) donnait des orientations rigides. Ils avaient la volonté de faire quelque chose mais les universités ont bloqué.

Ils ont parlé des modalités des partiels qui étaient injuste. Les étudiants étaient évalués de manière rigide.

Pendant le CPE en 2005 un syndicat comme l’Unef était incontournable, aujourd’hui on a l’impression d’avoir vécu la crise étudiante sans en entendre parler en dehors d’un petit microcosme. Même toi qui est étudiante et engagée…

Les étudiants ne relayaient pas ce qui défendait leur cause malheureusement car nous étions dans une forme d’individualisme.

Entre ceux dans leur résidence secondaire et nous en difficulté, on faisait face à la fatalité, on était désespéré, on ne voyait pas d’évolution possible.

Sans les syndicats et les universitaires qui tiennent le choc, qui était là pour les étudiants dans cette période ?

Je n’ai pas été aidées par des organismes extérieurs. Entre les étudiants eux-mêmes il y a eu une vraie solidarité. Malgré l’aide de secours avec le Crous mais c’est quelque chose d’extérieur d’annexe de froid sans prise de nouvelles ni de suite ni de suivis alors qu’on avait besoin de tuteur.

Je me suis remise en question sur mon orientation, si je dois continuer en économie ou non. J’en suis venue à me demander si je devais me réorienter dans quelque chose de plus accessible.

Il y a eu des talents perdus, des abandons. J’ai eu de la chance de ne pas me perdre : on parle pas des destin gâchés.

Dans le monde professionnel, les formations qui ont eu lieu pendant le Covid et après ont été refaites car ça n’a pas marché. Dans le monde professionnel, il y a un filet de sécurité mais à la faculté ceux qui n’ont pas pu suivre et qui ont dû quitter la fac n’avaient pas de filet de sécurité. Notamment ceux qui ont obtenu le Bac en 2020, il y avait une angoisse d’avoir eu un “sous bac”, ou une “sous licence” ensuite…

Il y a eu beaucoup d’examens à distance et de triche organisée. Et ce n’était pas les meilleurs. Ils ont prit la place en Master de gens qui n’avaient pas triché. Mon ami qui a redoublé ne pouvait pas tricher. Et les professeurs étaient plus stricts dans leur évaluation car ils savaient qu’il y avait des tricheurs et ils ne cherchaient pas à comprendre.

En deuxième année, les tricheurs on eu de bonnes notes et mon amie redoublait sa L2…Souvent ils ne sont pas passionnés par ce qu’ils font, c’est par défaut et ils ont de bonnes notes car de bonnes conditions pour tricher.

La gestion des universités pendant la crise n’a donc pas été adaptée ?

Il y a eu des initiatives de la part des universités. Des initiatives prises comme le tutorat en présentiel une semaine sur deux mais c’était décousu donc sans intérêt. L’équipe pédagogique a aidé les élèves mais pas l’université dans son ensemble.

Je me suis déjà plainte à un chargé de travaux dirigés et c’est lui qui a mis en place un support pédagogique mais pas l’université. C’était au cas par cas.

Le problème de l’université, c’est que les initiatives n’étaient pas adaptées au terrain et à la disparité des étudiants. Moi avec mes problèmes de connexion internet, ils ne m’ont pas prise en compte.

Donc il y avait des moyens à disposition mais des œillères, ils n’ont pas cherché à voir la continuité du problème.

Pourquoi la gauche a-t-elle échoué à s’emparer de cette question de la précarité énorme des étudiants ? Cela n’a pas abouti à une mobilisation des étudiants aux urnes avec une abstention massive, plutôt qu’un vote massif Mélenchon et Nupes… Ensuite, pourquoi le mouvement social n’est pas devenu politique ? Comment la gauche aurait dû s’en s’emparer ?

Le problème de la gauche c’est qu’elle misérabilise les étudiants. Quelqu’un comme Louis Boyard par exemple misérabilise les étudiants qui seraient tous à la rue, etc. Mais ce n’est pas le cas, c’est hétérogène. On accepte cette situation de vivre en tant qu’étudiant, aucun étudiant n’est à l’aise financièrement c’est normal, c’est la période. La gauche s’est décrédibilisé. C’est une chance d’étudier.

On travaille et on m’aime pas être misérabilisé. Ça ne me donne pas envie de considérer ça je ne vois pas ça avec sympathie donc je pense qu’ il faut arrêter avec le misérabilisme et se rende compte de la diversité des situations, il y a des étudiants très pauvres avec des situations terribles mais ils sont accompagnés et c’est très bien.

J’ai une amie avec des problème familiaux et le CROUS a été là, ils l’ont aidée. Les étudiants dans une extrême pauvreté sont aidés. Donc ça ne doit pas être la cible principale pour le politique, le principal problème ce sont les étudiants des classes moyennes rurales pas accompagnées, dans l’ombre, dont on ne parle pas médiatiquement car on les considère normaux.

L’analyse c’est que la gauche doit retrouver le chemin de la majorité, pas des minorités. Il faut parler des étudiants ultra-précaires mais tu ne gagnes pas avec simplement cela. Tu ne gagnes pas avec l’addition de minorités, c’est le biais de l’intersectionnalité.

Il faut parler des étudiants des classes moyennes pour qui c’est plus difficile, des gens dont les parents paient le loyer mais qui doivent se débrouiller avec leur paye pour les charges et la nourriture.

Ils doivent travailler tous les week-ends et moi avec ma bourse, je n’ai pas besoin de travailler… Mon amie paye son essence car elle habite à la campagne. C’est une charge supplémentaire. Les classes moyennes des campagnes souffrent énormément, cantonnées à la ruralité.

Le fait qu’on parle que des pauvres attisent une haine envers eux, une jalousie car ils sont couvert avec les aides sociales et on les misérabilise. C’est contre productif d’avoir de l’empathie pour eux. Arrêter le misérabilisme et prendre en compte la disparité des situation.

Les étudiants précaires qui viennent de villes moyennes et de banlieues, comme le dit Christophe Guilly on une facilité d’accès à la culture et à l’enseignement et les classes moyennes qui viennent de la ruralité n’ont accès à rien.

Les gens veulent se faire respecter de manière général. Les gens n’aiment pas que l’on les misérabilises, ils veulent un travail. La gauche ce n’est pas le paternalisme, la gauche c’est l’émancipation.

La gauche a abandonné le travail.

Les Jeudis de Corbera – Sortir du Marché européen de l’électricité – 30 mars 2023

Les Jeudis de Corbera, c’est le nouveau rendez-vous d’échanges et de débats proposé par la Gauche Républicaine et Socialiste (GRS) à ses adhérents, militants, sympathisants et curieux de notre mouvement, le dernier jeudi soir de chaque mois, au 3 avenue de Corbera à Paris.

C’est deux heures d’échanges avec des acteurs du mouvement social, des intellectuels, des grands témoins pour questionner autrement des enjeux au cœur de l’actualité et de notre programme. C’est renouer avec un rendez-vous convivial et ouvert à tous, avec la possibilité de le suivre, en différé, via une captation vidéo. C’est surtout l’occasion de se retrouver pour renouer avec une « pensée en action », loin des dogmatismes et du prêt à penser médiatique ; pour un débat d’idées au service de l’engagement.

Depuis un an et demi, une envolée inquiétante des prix de l’électricité entraine une crise économique et sociale majeure avec des répercussions multiples sur les entreprises, les territoires, les collectivités et les usagers.

Cette augmentation n’est pas liée à une explosion des coûts de production de l’électricité en France mais au mode de fixation du prix qui relève du marché européen de l’énergie. Marché européen qui aligne le prix de l’électricité sur celui du gaz et met à mal la filière nucléaire française et qui s’avère surtout être est une impasse totale. Depuis plusieurs années, la GRS appelle à en sortir, comme l’Espagne et le Portugal.

Enjeu de pouvoir d’achat, enjeu de souveraineté et enjeu environnemental se recoupent dans ce débat central pour l’avenir de notre pays.

Comprendre comment nous nous retrouvons pris dans le piège de la libéralisation du secteur de l’énergie et tracer des perspectives alternatives, c’est le sujet de ce premier Jeudi de Corbera pour lequel Carole Condat, animatrice du pôle thématique “fonction publique et services publics” de la GRS accueillait :

➡️ Anne Debrégeas, Ingénieure- chercheuse sur le fonctionnement et l’économie du système électrique à EDF et économiste en électricité, Porte-parole du syndicat Sud Énergie.

➡️ Laurent Miermont, membre du pôle idées de la GRS, ancien adjoint au maire du 13ème arrondissement, assistant parlementaire européen.

Sortir du marché européen de l’électricité – Podcast du 1er “Jeudi de Corbera”

Depuis un an et demi, une envolée inquiétante des prix de l’électricité entraine une crise économique et sociale majeure avec des répercussions multiples sur les entreprises, les territoires, les collectivités et les usagers.

Cette augmentation n’est pas liée à une explosion des coûts de production de l’électricité en France mais au mode de fixation du prix qui relève du marché européen de l’énergie.
Marché européen qui aligne le prix de l’électricité sur celui du gaz et met à mal la filière nucléaire française et qui s’avère surtout être est une impasse totale.

Depuis plusieurs années, la Gauche Républicaine et Socialiste appelle à en sortir, comme l’Espagne et le Portugal. Enjeu de pouvoir d’achat, enjeu de souveraineté et enjeu environnemental se recoupent dans ce débat central pour l’avenir de notre pays.

Comprendre comment nous nous retrouvons pris dans le piège de la libéralisation du secteur de l’énergie et tracer des perspectives alternatives, c’est le sujet de ce premier Jeudi de Corbera pour lequel Carole Condat accueillait :
➡️ Anne Debrégeas, Ingénieure- chercheuse sur le fonctionnement et l’économie du système électrique à EDF et économiste en électricité, Porte-parole du syndicat Sud Énergie.
➡️ Laurent Miermont, membre du pôle idées de la GRS, ancien adjoint au maire du 13ème arrondissement, assistant parlementaire européen.

Réforme des retraites : “Le Conseil constitutionnel fera un choix politique” – entretien avec Emmanuel Maurel

entretien accordé par Emmanuel Maurel, député européen et animateur de la Gauche Républicaine et Socialiste, à L’Express, publié le 13 avril 2023 à 5h30 – Propos recueillis par Paul Chaulet

Son verdict est attendu avec impatience par l’exécutif et les oppositions. Le Conseil constitutionnel se prononcera ce vendredi 14 avril sur la réforme des retraites, au lendemain d’une nouvelle journée de mobilisation. La gauche espère que les neuf sages feront tomber le texte, le gouvernement veut croire que sa validation “sera l’aboutissement du cheminement démocratique”. Va-t-elle censurer la réforme ? Seulement une partie ? Et donnera-t-elle son feu vert à la procédure d’un référendum d’initiative partagée (RIP), chère à la gauche ? La vie politique est suspendue aux choix de l’institution, chargée de contrôler la conformité du texte à notre loi fondamentale.

Du droit, rien que du droit : le Conseil constitutionnel se défend de tout jugement politique sur les textes qu’il examine. Mais la frontière entre droit et politique est ténue. Le député européen Emmanuel Maurel (Gauche républicaine et socialiste) évoque le choix à venir des sages. “Le droit n’est jamais objectif ou politiquement neutre”, assure l’élu, qui estime que le Conseil constitutionnel a une “grille de lecture de la société”. Entretien.

L’exécutif et l’opposition ont les yeux rivés vers le Conseil Constitutionnel, qui doit rendre sa décision ce vendredi. Cette institution est-elle devenue l’arbitre du débat politique ?

On sent que pour les acteurs principaux, l’échéance est importante, pour ne pas dire décisive. Et on voit aussi que cela intéresse beaucoup les Français, notamment ceux qui ont participé aux douze journées de mobilisation. Mais il faut être clair : vendredi, même s’il s’appuiera sur des arguments juridiques, le Conseil constitutionnel fera un choix politique. Sa décision va avoir une portée considérable sur la vie de millions de gens. Il y a une forte attente et une indécision car le texte et sa procédure sont contestables juridiquement, et pas seulement politiquement. 

Reste que le Conseil constitutionnel n’est pas un habitué des coups d’éclat. Sa jurisprudence est plutôt prudente, malgré sa célèbre décision de 1971 qui englobe dans son contrôle le préambule de la Constitution de 1946 et la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. Ce n’est pas une institution révolutionnaire – ce qui serait un oxymore. Cette prudence a une raison simple : le Conseil constitutionnel ne saurait se substituer aux décideurs politiques et doit fonder ses décisions en droit, même s’il lui arrive d’introduire des principes novateurs.

Les opposants à la réforme jugent que le véhicule législatif – projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale – n’est pas adapté à une réforme des retraites. Ils contestent le recours à une série d’articles limitant les débats et estiment que les errements du gouvernement sur la retraite minimale à 1200 euros contreviennent au principe de sincérité des débats. Ces arguments ne sont-ils pas eux-mêmes à la lisière du droit et de la politique ?

Oui, mais c’est normal car il n’y a pas de séparation étanche entre le juridique et le politique. La façon d’interpréter le droit contient souvent des présupposés voire des opinions politiques. On a recouru à une loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour faire passer cette réforme, via l’article 47-1 de la Constitution. Elle devrait selon moi produire des effets pour la seule année 2023, or la retraite à 64 ans ne rentre pas dans ce cadre puisqu’il est prévu de passer de 62 à 64 ans en rajoutant un trimestre par an jusqu’en 2030. 

D’autres procédures parlementaires utilisées par le Gouvernement sont aussi sujettes à caution, au vu de l’exigence de clarté et de sincérité des débats. Le gouvernement a menti sur le nombre de bénéficiaires de la pension minimum à 1200 euros, ce qui a induit les parlementaires en erreur. Il a surtout accéléré les débats en abusant des outils à sa disposition. Le législateur n’a pas pu se prononcer en toute connaissance de cause – et l’Assemblée n’a d’ailleurs même pas pu voter le texte…

S’appuyer sur ce seul principe de clarté et de sincérité des débats pour censurer le texte créerait un précédent majeur…

Oui. S’en tenir à ce seul argument serait intéressant mais aurait des implications dont on ne peut pas mesurer aujourd’hui les conséquences. Cela contribuerait toutefois à un rééquilibrage entre l’exécutif et le législatif, dans notre système de parlementarisme très « rationalisé ». Le Conseil constitutionnel aura-t-il cette audace ? Je n’en suis pas sûr. Imaginons qu’il censure la loi au nom du manque de sincérité et de clarté des débats parlementaires. Cela remettrait alors en cause le caractère présidentialiste de notre régime et obligerait l’Exécutif à respecter davantage le Parlement. Je doute qu’il se sente légitime à faire ce choix, même si cela me ravirait !

Cette décision du Conseil constitutionnel fait rejaillir le débat autour du mode de nomination de ses membres. Ils sont désignés par le chef de l’État et les présidents des deux assemblées. Ce système n’affecte-t-il pas la légitimité de l’institution et l’autorité et de ses décisions ?

C’est un vieux débat, notamment à gauche. Au début de la Ve République, les communistes et certains socialistes contestaient ce mode de nomination. Les adversaires des gaullistes parlaient eux-mêmes d’un “chien de garde de l’exécutif”. Paradoxe : c’est le Conseil Constitutionnel nommé par les gaullistes qui a produit la décision de 1971, que n’avaient envisagée ni De Gaulle, ni Debré (le rédacteur de la Constitution de 1958). Des juges nommés par une autorité politique, dont on peut deviner la ligne idéologique, s’émancipent parfois de ceux qui les ont choisis.

Le mode de nomination des juges peut poser problème, mais tout mode de désignation donne matière à contestation. À l’épreuve des années, cette institution s’est quand même révélée protectrice des droits fondamentaux ! C’est d’autant plus observable depuis l’introduction en 2008 de la Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC).

Il y a le mode de désignation des membres, mais aussi leur profil. Certains regrettent le poids excessif de personnalités politiques, au détriment des juristes. N’est-ce pas un problème ?

Certains pays réservent la nomination à des professionnels du droit. Mais cela ne change rien ! Les décisions 100% juridiques n’existent pas. Le droit n’est jamais objectif ou politiquement neutre. Cette vision d’un droit au-dessus de la politique est erronée. Les membres du Conseil constitutionnel ne sont pas dans l’éther, détachés des contingences politiques. Bref, il n’y a pas de système de nomination idéal.

On l’a vu avec la validation “douteuse” des comptes de campagne de Jacques Chirac après la présidentielle de 1995…

Jacques Chirac avait été élu par le peuple Français. Le conflit de légitimité était très fort. Pouvait-on demander à un juge d’annuler une élection présidentielle au prétexte que les comptes de campagne n’étaient pas conformes ? Les conséquences politiques auraient été colossales et on serait rentrés dans le « gouvernement des juges ».

Vous rappelez que le droit n’est jamais “neutre”. À gauche, on juge souvent la jurisprudence du Conseil constitutionnel trop favorable à la “liberté d’entreprendre” et teintée de libéralisme économique. L’économiste Thomas Piketty affirme dans une tribune au Monde qu’il est parfois “complice objectif des possédants”. Vous partagez cette critique ?

Elle est légitime. La jurisprudence du Conseil constitutionnel est économiquement libérale et met fortement en avant le droit de propriété. Son ancien président Jean-Louis Debré estime qu’un certain niveau de taxe relève de la “spoliation”. Cela relève d’une conception du monde qui à mon avis n’est pas fondée juridiquement. Mais on peut remonter plus loin : dès 1982, avec la loi sur les nationalisations. Le Conseil avait contraint le Gouvernement Mauroy à revoir le mode de calcul de l’indemnité préalable des actionnaires des sociétés nationalisées au nom du droit à la propriété (article 17 de la DDHC).

A l’inverse, il existe une critique de droite du Conseil Constitutionnel. Elle juge l’institution trop protectrice des droits individuels face à l’ordre public. Cette critique s’est exprimée en 2018, à l’occasion de la découverte du principe de fraternité. Les juges avaient dégagé ce principe pour justifier la légalité de l’apport d’une aide humanitaire à un étranger en situation irrégulière. Le “délit de solidarité” avait été partiellement censuré.

A cette aune, estimez-vous que le Conseil constitutionnel a une teinte idéologique globale ?

Ses décisions témoignent d’une grille de lecture de la société. Au départ, le Conseil constitutionnel devait uniquement arbitrer entre les compétences des pouvoirs législatif et exécutif. Il est maintenant bien plus que cela, car le juge constitutionnel s’est donné à lui-même un pouvoir d’appréciation et d’interprétation. Cela disqualifie-t-il pour autant cette juridiction ? Je n’en suis pas sûr. 

N’oublions pas que la Cour suprême américaine est bien plus politisée. En témoignent ses débats sur les questions sociétales, comme l’IVG. 

Et puis, la Constitution permet au peuple de trancher certaines orientations, via le référendum. On ne l’utilise pas assez, le peuple est toujours plus clairvoyant que les dirigeants ne l’imaginent. Les sages vont d’ailleurs se prononcer vendredi sur un référendum d’initiative partagée (RIP) au sujet des retraites. Toutes les conditions sont réunies pour que cette proposition de référendum soit soumise à la signature des citoyens.

Au nom de la souveraineté populaire, le principe même du contrôle de constitutionnalité est remis en cause à droite. Vous le comprenez ?

C’était aussi le cas à gauche. Sous la révolution, le contrôle de constitutionnalité n’était pas souhaité. La loi étant l’expression de la volonté générale, elle ne saurait être contestée. Les révolutionnaires n’étaient pourtant ni de “droite”, ni conservateurs.

Cet argument se tient en théorie. Mais le législateur peut voter des textes qui remettent en cause des principes au-dessus de la loi, et qui sont aussi l’expression de la volonté générale. C’est par exemple le cas de la liberté d’association. Le législateur ne peut pas tout faire. Ce n’était pas compréhensible il y a deux siècles, au moment de la Grande Révolution. Mais cela s’avère plutôt efficace aujourd’hui.

25 ans après le Good Friday Agreement, l’Irlande en chemin vers l’unité ?

Le Vendredi 10 avril 1998, jour du « Vendredi-Saint », 26 ans après le terrible Bloody Sunday de Derry, les protagonistes de la crise nord-irlandaise parvenaient en fin d’après-midi à un accord historique pour mettre fin à 30 ans de guerre civile en Irlande du Nord. C’était l’aboutissement de quatre années de négociations plus ou moins secrètes, qui avait suivi deux cessez-le-feu unilatéraux de l’Armée Républicaine Irlandaise (IRA) en 1994 et 1997, la nomination de Tony Blair comme Premier ministre du Royaume Uni en 1997 et l’implication directe du président américain Bill Clinton au travers du sénateur George J. Mitchell. C’était surtout le début d’un processus de paix qui devait permettre le désarmement des groupes paramilitaires, la création d’institutions démocratiques provinciales, l’égalité des droits et la fin des discriminations contre la « communauté irlandaise ».

Vingt-cinq ans après, malgré quelques pics de tension, le visage de l’Irlande du Nord a été totalement transformé, et malgré le Brexit et une crise institutionnelle provinciale depuis 2022, non seulement le retour de la guerre civile est impensable mais la possibilité d’une réunification de l’Irlande sous le couvert de la République peut être sérieusement envisagée, sans que cela ne déclenche ni hilarité ni sourires entendus…

Vue de France, l’histoire en marche en Irlande met en jeu des processus complexes très éloignés de notre culture historique et politique, qu’il paraît nécessaire de redonner des éléments de compréhension pour maîtriser les enjeux actuels. Nous reviendrons donc sur ce qu’est la question d’Irlande, sur l’« Accord du Vendredi-Saint » en lui-même, sa mise en œuvre parfois chaotique et sur les évolutions politiques récentes des Îles britanniques qui ouvrent de nouvelles perspectives.

Après la « question d’Irlande », la question d’Irlande du Nord

La Question d’Irlande, c’est le titre d’un essai historique remarquable de Jean Guiffan, sûrement l’un des ouvrages les plus complets en langue française sur le sujet. Car avant la question d’Irlande du Nord, il y a eu une « question d’Irlande » qui s’étale sur près de 800 ans… Pour ceux qui souhaiteraient s’y référer avant de poursuivre, vous pouvez cliquer ici.

Avant même le traité anglo-irlandais de 1921 et la reconnaissance de l’État libre d’Irlande, la séparation de 6 comtés du nord au sein de la province de l’Ulster était déjà consommée. Dès 1918-1919, les élites locales protestantes par l’intermédiaire des milices des Black and Tans, de la Royal Irish Constabulary et de l’armée britannique engagent une politique de terreur contre les communautés « irlandaises » (en général les catholiques favorables aux Républicains). Le Royaume Uni octroie dans la foulée une autonomie provinciale aux six comtés d’Antrim, Down, Armagh, Londonderry, Tyrone et Fermanagh, sous l’égide de l’Ulster Unionist Party (UUP), le parti de la bourgeoisie protestante conservatrice locale.

Et si l’État Libre d’Irlande (puis la République) s’engage, au sortir de sa propre guerre civile en 1923, dans le chemin de l’isolement et du conservatisme catholique relativement passéiste, c’est un véritable régime ségrégationniste que va mettre en place l’UUP pendant plus de 50 ans. Si théoriquement les institutions provinciales britanniques sont bien démocratiques, la pratique discriminatoire affirmée du pouvoir la rapproche ouvertement de ce qui a cours contre les noirs à la même époque dans les États du sud des USA ou en Afrique du Sud. Il est d’ailleurs probant que des dirigeants de l’apartheid en visite officielle à Belfast dans les années 1960 aient alors fait part devant le congrès de l’UUP de leur admiration pour l’efficacité de son régime politique.

effectifs de la Ulster Special Constabulary à l’entraînement en 1941

Tout est fait pour écarter les Irlandais catholiques des fonctions publiques avec une politique délibérée de gerrymandering pour le découpage des circonscriptions électorales (permettant ainsi de faire élire des députés de l’UUP même des les territoires irlandais, l’attribution de logements sociaux, l’emploi dans le secteur public et la police. Les juges sont tous protestants membres de l’UUP. La police d’Irlande du Nord, la Royal Ulster Constabulary (RUC), était recrutée dans la communauté protestante ; elle n’avait aucune indépendance opérationnelle, répondant aux directives des ministres provinciaux. La RUC et la réserve Ulster Special Constabulary (USC) étaient des forces de police militarisées, sous prétexte de la menace de l’IRA pourtant plus que marginale dès la fin des années 1940. Ces deux structures, par ailleurs liées à des organisations paramilitaires loyalistes et à l’Ordre d’Orange1, avaient à leur disposition la loi sur les pouvoirs spéciaux, une législation radicale qui autorisait les arrestations sans mandat, l’internement sans procès, des pouvoirs de perquisition illimités et des interdictions de réunions et de publications. Rapidement, les communautés irlandaises et britanniques sont entrées dans une logique de ségrégation mutuelle auto-imposée qui renforce les caractères institutionnels du régime ; cette situation apporte politiquement une garantie de stabilité sociale et politique à la bourgeoisie protestante qui dresse aisément les ouvriers britanniques contre la main d’œuvre irlandaise catholique (variable d’ajustement sur-exploitée et sous-payée car maintenue en sous emploi) en faisant jouer tout à la fois la concurrence économique et la détestation confessionnelle et « raciale » réciproque. Le Nationalist Party (NP), héritier du parti qui a porté le combat pour l’autonomie de l’Irlande dans la deuxième moitié du XIXème siècle, finit par lui-même boycotter les institutions provinciales.

une des marches de la Northern Ireland Civil Rights Association

Le mouvement pour les droits civiques en Irlande du Nord apparaît au début des années 1960 pour lutter contre les discriminations dont sont victimes les Irlandais catholiques. Ce mouvement emprunte exactement les mêmes codes (et les mêmes hymnes) que le mouvement des droits civiques pour les afro-américains. Au début des années 1960 apparaissent les premières associations luttant pour l’égalité civique, menées par des libéraux et des travaillistes principalement catholiques mais aussi protestants. Lorsque Terence O’Neill devient Premier ministre UUP d’Irlande du Nord en 1963, un certain espoir de changement naît, rapidement contrarié. La Campaign for Social Justice est fondée en 1964. En 1965, le Labour Party crée au Parlement du Royaume-Uni un groupe de pression, la Campaign for Democracy in Ulster. En novembre 1966 est fondée la Northern Ireland Civil Rights Association (NICRA), soutenue par des nationalistes et des républicains. Elle organise plusieurs marches à partir de 1968, violemment réprimées par la RUC et attaquées par des contre-manifestants loyalistes soutenus par les mouvements paramilitaires protestants. C’est le début de ce qu’on l’a appelé les « Troubles ». L’armée britannique est envoyée dès 1969 pour tenter de s’interposer et de stopper les affrontements (qui sont essentiellement provoqués par les contre-manifestants et groupes paramilitaires loyalistes) ; mais dès l’année suivante, les effectifs de l’armée britannique sont rapidement réduits du fait de la création de l’Ulster Defence Regiment (UDR) au recrutement essentiellement local, donc protestant loyaliste. Bloqué par sa propre majorité unioniste, Terence O’Neill ne réalise pas ses promesses de réformes sociales. Malgré la violence du conflit nord-irlandais, les différents groupes de pression pour les droits civiques continuent leurs actions. En 1972, la NICRA organise une manifestation pacifiste à Derry, le Bloody Sunday, sur laquelle tirent des parachutistes britanniques, faisant 14 morts.

une des victimes des parachutistes britanniques emmenés par des civils qui se servent d’un mouchoir ensanglanté comme drapeau blanc lors du Bloody Sunday de Derry en 1972

C’est ce mouvement et son impact sur la société ainsi que le début des « Troubles » vont bouleverser le paysage politique. En 1970, deux nouveaux partis sont créés :

  • d’abord côté irlandais, le Social democratic and labour party (SDLP) qui rassemble autour de quelques élus catholiques et protestants du parlement provincial, issus du NP, des nationalistes, des républicains et des travaillistes. Lié au parti travailliste britannique, il sera dirigé par Gerry Fitt puis John Hume, il va un temps boycotter les institutions locales puis reprendre part aux élections, représentant rapidement la majorité des électeurs irlandais de la province, tant à Westminster que dans les conseils locaux.
  • ensuite côté unioniste, le Révérend Ian Paisley, leader de l’Église presbytérienne libre, créée après une scission au sein de l’UUP le Democratic Unionist Party (DUP), qui va représenter la fraction la plus intransigeante des Unionistes et progresser rapidement.

Le rassemblement anti-internement de Magilligan, à Derry 1972, avec John Hume parlant à un soldat de l’armée britannique. “Je pensais que j’avais le devoir d’aider ceux qui n’avaient pas autant de chance que moi.” (photo colorisée de Jimmy McCormack)

Le mouvement républicain historique est lui-même atteint par de profonds changements. Sinn Féin ne survit plus qu’à l’état résiduel en Irlande du Nord ; toujours lié à sa branche militaire, l’IRA, il avait évolué en lien avec les autres mouvements de libération nationale à l’échelle globale vers une idéologie marxiste-léniniste. En 1969, alors que l’IRA n’est plus que l’ombre d’elle-même et désarmée de fait, deux lignes s’affrontent et la scission a lieu d’abord en décembre au sein de la branche militaire : d’un côté, les Officials (majoritaires) qui veulent mettre fin à la politique abstentionniste des Républicains pour créer un front de libération nationale avec l’extrême gauche ; de l’autre, les Provisionnals (minoritaires) qui maintiennent une ligne de boycott des institutions politiques et considèrent que la défense « militaire » des communautés irlandaises face aux exactions de milices loyalistes comme l’Ulster Volunteer Force (UVF) reste prioritaire. La scission est acquise sur les mêmes bases au sein de Sinn Féin en janvier 1970. Les Officials abandonneront rapidement la lutte armée et subiront d’autres scissions motivées par la volonté de continuer le combat face aux agressions des milices loyalistes2. Les Provisionnals, qu’ils soient de la branche politique ou militaire, ne vont pas sortir de la marginalité immédiatement ; c’est la tragédie du Bloody Sunday qui va dans toute la province leur apporter le soutien d’une large partie de la communauté irlandaise et déclencher des « vagues » d’adhésion d’une partie des jeunes catholiques à la Provisionnal IRA qui apparaît alors comme la seule organisation ayant pour volonté de protéger les quartiers catholiques.

Tableau historique des différentes scissions de l’Armée Républicaine Irlandaise (IRA) de 1919 à nos jours

La guerre civile bat désormais son plein. Elle fera plus de 3 500 morts, plus de 50 000 blessés, dans les différents camps. De 1969 à 2003, il y a eu plus de 36 900 fusillades et plus de 16 200 attentats à la bombe ou tentatives d’attentats associés aux Troubles. À partir de 1972, au regard de l’aggravation de la situation politique et militaire, le gouvernement britannique va suspendre l’autonomie de la province pour résoudre le conflit. Mais son choix d’y appliquer prioritairement une solution militaire et sécuritaire plutôt que politique le conduit à reproduire les exactions et les discriminations reprochées précédemment au pouvoir unioniste : internements forcés, tortures, suppression du régime de prisonniers politiques, conditions d’internement illégales et dégradantes, répression violente et armées des manifestations pacifiques, erreurs judiciaires monumentales (on pourrait dire que la Grande Bretagne a vécu en 20 ans plusieurs « Affaire Dreyfus »), collaboration régulière et univoque avec les groupes paramilitaires loyalistes3… L’IRA ou l’INLA ne seront en rien des enfants de chœur : en dehors d’opérations de règlement de compte, avec les paramilitaires loyalistes (ou entre elles) dignes de guerres de gangs, et de la défense de quartiers catholiques, ces deux organisations paramilitaires (en lien avec leurs branches politiques, mais pas toujours) vont conduire des opérations terroristes contre des militaires britanniques et l’UDR en Irlande et en Grande Bretagne, mais aussi contre des civils et contre des Pubs en Grande Bretagne. Les opérations les plus marquantes seront évidemment l’assassinat de Lord Mountbatten, l’oncle du Prince Philippe (l’époux de la Reine d’Angleterre), en République d’Irlande ou l’attentat manqué contre Margareth Thatcher lors du congrès conservateur à Brighton en octobre 1984. Outre le fait que les directions républicaines n’ont alors jamais brillé par leur compassion pour les victimes civiles collatérales, elles sont parfois débordées par leurs troupes qui mènent des opérations non contrôlées. L’achat d’armes et d’explosifs des différentes branches militaires républicaines ou loyalistes met celles-ci en contact avec la pègre et une partie de l’internationale terroriste nationaliste et d’extrême gauche, ce qui laissera longtemps des traces. Cependant une évolution politique renforcée de Sinn Féin va être conduite sous la direction de Gerry Adams et de Martin McGuinness (chef de la Provisionnal IRA), notamment dans la foulée de l’élection de Bobby Sands au parlement britannique pour relayer la lutte et la grève de la faim des prisonniers politiques républicains. Sinn Féin (qui ne se considère plus comme Provisionnal) recherchera dès lors systématiquement le soutien électoral de la communauté irlandaise, tout en boycottant les institutions de la province.

tract électoral en faveur de l’élection de Bobby Sands, chef des volontaires de l’IRA internés dans la prison de Haute Sécurité de Long Kesh (dit “H blocks”), au parlement britannique

Des tentatives de négociations et de résolution politique ont bien lieu dans les années 1970 sous le gouvernement travailliste britannique (Accord de Sunningdale) impliquant le gouvernement irlandais, mais la pression du DUP de Ian Paisley sur le premier parti unioniste UUP les conduira à l’échec. Margareth Thatcher empêchera comme Première ministre de Grande Bretagne pendant 12 ans toute résolution du conflit ; son intransigeance conduira à la mort de Bobby Sands le 5 mai 1981, suite à sa grève de la faim, alors même que celui-ci est officiellement devenu membre du parlement britannique. Aucune négociation ne sera engagée sous les gouvernements Thatcher, qui couvriront durant cette période les pires exactions et les pires écarts avec l’État de droit.

funérailles de Bobby Sands le 7 mai 1981, cimetière de Miltown à Belfast

La chute de Thatcher en 1991 va ouvrir une nouvelle période… Après trois ans de contacts indirects, notamment grâce aux Américains et au SDLP de John Hume, l’IRA sous le contrôle de Sinn Féin décrète un cessez-le-feu inconditionnel le 31 août 1994 à minuit. Mais le refus de John Major, premier ministre britannique, de négocier directement avec Sinn Féin aboutira à la reprise de la lutte armée en février 1996. La victoire de Tony Blair en mai 1997 a pour résultat un nouveau cessez-le-feu unilatéral de l’IRA en juillet 1997. Les négociations commencent qui aboutiront aux « Accords du Vendredi-Saint ».

Bertie Ahern, taoiseach de la République d’Irlande, George J. Mitchell, envoyé spécial de Bill Clinton, et Tony Blair, premier ministre britannique, le 10 avril 1998

1 Ordre d’Orange : créé à Loughall en 1795, c’est une société pseudo-maçonnique raciste et sectaire ultra-protestante, dont les objectifs sont de maintenir le pouvoir politique protestant en Irlande.

2 La scission la plus notable au sein du parti d’extrême gauche qu’est devenu l’Official Sinn Féin (OSF) est en 1974 celle de l’Irish Republican Socialist Party et de sa branche armée l’Irish National Liberation Army (INLA) qui va mener des campagnes d’attentats assez importantes, en parallèle à celles de la Provisionnal IRA. Entre 1977 et 1982, OSF va progressivement se transformer en Workers’ Party (parti des travailleurs) ; il connaîtra quelques succès électoraux d’estime en République d’Irlande dans les années 1980. Aujourd’hui, il n’en reste plus grand-chose et c’est devenu un parti d’extrême gauche insignifiant en Irlande, inexistant en Irlande du Nord.

3 Les principaux groupes paramilitaires loyalistes sont l’Ulster Volunteer Force, le Red Hand Commandos, l’Ulster Defence Association, la Loyalist Volunteer Force et les Red Hand Defenders… chacun lié plus ou moins directement à des partis politiques unionistes, dont le DUP de Ian Paisley…

Les Accords du Vendredi-Saint

L’accord a été conclu entre les gouvernements britannique et irlandais et huit partis ou groupements politiques d’Irlande du Nord. Trois représentaient les Unionistes : l’UUP, alors premier parti de la province dirigé par David Trimble, et deux petits partis associés à des groupes paramilitaires loyalistes, le Progressive Unionist Party (PUP) lié à l’UVF et seul parti unioniste sur une ligne de “centre gauche” (avec sa principale base de soutien dans les communautés loyalistes de la classe ouvrière de Belfast) et l’Ulster Democratic Party (UDP – auto-dissous en 2001 –, vitrine politique de l’Ulster Defence Association, UDA). Deux partis représentent les Nationalistes, le SDLP de John Hume et Sinn Féin, dirigé par Gerry Adams. Trois organisations politiques signataires (présentes ou non dans les instances élues) prétendaient être en dehors des traditions communautaires : l’Alliance Party (libéral), la Coalition des Femmes et la Labour Coalition. Les négociations avaient été présidées par George J. Mitchell, ancien chef de la majorité démocrate du Sénat et envoyé spécial de Bill Clinton pour l’Irlande du Nord. Le seul grand parti nord-irlandais à rejeter l’accord était le DUP de Ian Paisley ; d’abord impliqué dans les négociations, le DUP s’était retiré en signe de protestation lorsque Sinn Féin avait été autorisé à y participer alors que l’IRA avait conservé ses armes. Le désarmement étant un des objets de la négociation et les paramilitaires loyalistes n’ayant pas plus désarmé, on mesure le caractère spécieux de son prétexte à rompre les négociations.

Il y a en réalité deux accords : le premier signé entre les gouvernements britanniques et irlandais ; le second entre ces deux gouvernements et les huit organisations politiques citées plus haut.

Le premier texte n’a que quatre articles : c’est ce court texte qui constitue l’accord juridique, mais il incorpore dans ses annexes l’accord entre partis politiques. L’accord reconnaissait : que la majorité des habitants d’Irlande du Nord souhaitaient rester dans le Royaume-Uni ; qu’une partie importante de la population d’Irlande du Nord et la majorité de la population de l’île d’Irlande souhaitaient créer une Irlande unie. Ces deux points de vue étant reconnus comme légitimes. Pour la première fois, le gouvernement irlandais acceptait dans un accord international contraignant que l’Irlande du Nord fasse partie du Royaume-Uni et la constitution de la République fut modifiée en conséquence, sous réserve du consentement à une Irlande unie des majorités de la population des deux parties de l’île.

L’accord définit un cadre pour la création et le nombre d’institutions à travers trois “volets”

Le premier volet traitait des institutions démocratiques d’Irlande du Nord et établissait deux institutions majeures : l’Assemblée et l’exécutif d’Irlande du Nord. L’Assemblée d’Irlande du Nord est une assemblée provinciale avec un vote intercommunautaire obligatoire sur certaines décisions importantes. L’exécutif d’Irlande du Nord est un exécutif fondé sur le partage du pouvoir avec des portefeuilles ministériels à répartir entre les partis selon la méthode D’Hondt. C’est pourquoi l’exécutif nord-irlandais, mis en place par les Accords du Venredi-Saint, a connu plusieurs crises : un première suspension de quelques mois en 2000 ; une suspension de 5 ans de 2002 à 2007 ; une suspension de 2017 à 2020 ; et depuis mai 2022, les élections provinciales n’ont toujours pas permis la constitution d’un nouvel exécutif. Il suffit pour cela que l’un des partis, auxquels la proportionnelle offre institutionnellement des postes de ministres, refusent de participer à l’exécutif pour que celui-ci ne puisse se mettre en place. C’est arrivé à plusieurs reprises : les premières crises découlaient des difficultés de mettre en œuvre le désarmement et la réforme des services de police ; celle de 2017-2020 découlait d’un grave scandale de corruption impliquant les principaux responsables du DUP (devenu premier parti de la province en 2004), les autres partis de l’assemblée provinciale refusant de travailler dans un exécutif sous sa direction tant qu’il n’aurait pas fait le ménage. Les élections provinciales de mai 2022 ont fait de Sinn Féin, le premier parti d’Irlande du Nord avec une large avance : le DUP, qui a pourtant dirigé les exécutifs provinciaux de 2007 à 2022 avec, à chaque fois, un vice premier ministre issu de Sinn Féin, refuse depuis de siéger dans un gouvernement local qui donne légalement la présidence à Sinn Féin.

Martin McGuinness et Ian Paisley

Le deuxième volet traitait des questions « nord-sud » et des institutions à créer entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande : le Conseil Ministériel Nord/Sud ; l’Association interparlementaire Nord/Sud ; le Forum de concertation Nord/Sud. Le Conseil ministériel Nord/Sud est le plus important, composé de ministres de l’exécutif d’Irlande du Nord et du gouvernement irlandais. Il a été créé “pour développer la concertation, la coopération et l’action” dans douze domaines d’intérêt commun. Ceux-ci comprennent six domaines dans lesquels l’exécutif d’Irlande du Nord et le gouvernement irlandais élaborent des politiques communes mais les mettent en œuvre séparément dans chaque juridiction, et six domaines dans lesquels ils élaborent des politiques communes qui sont mises en œuvre par le biais d’institutions communes à toute l’Irlande. Les divers “arrangements institutionnels et constitutionnels” énoncés dans l’Accord sont également déclarés être “imbriqués et interdépendants”.

Le troisième volet institutionnel traitait des enjeux « est-ouest » et des institutions à créer entre l’Irlande et la Grande-Bretagne (ainsi que les dépendances de la Couronne) : la Conférence intergouvernementale anglo-irlandaise ; un Conseil anglo-irlandais (qui intègre l’Écosse, le Pays de Galles, l’île de Man et les îles anglo-normandes pour favoriser la coopération inter-régionales) ; un organe interparlementaire anglo-irlandais élargi. Les décisions doivent y être prises d’un commun accord entre les deux gouvernements et les deux gouvernements ont convenu de faire des efforts déterminés pour résoudre en amont les désaccords entre eux.

Mais l’objectif principal des Accords du Vendredi-Saint vise à transformer la société nord-irlandaise elle-même

Dans le contexte de violence politique de la guerre civile, l’accord engageait les participants à “des moyens exclusivement démocratiques et pacifiques [pour] résoudre les différends sur les questions politiques”. Cela impliquait nécessairement : le déclassement des armes détenues par les groupes paramilitaires ; la normalisation des dispositifs de sécurité en Irlande du Nord.

L’accord multipartite engageait les parties à “user de toute influence qu’elles pourraient avoir “pour provoquer le démantèlement de toutes les armes paramilitaires dans les deux ans suivant les référendums approuvant l’accord. Le processus de normalisation engageait le gouvernement britannique à réduire le nombre et le rôle de ses forces armées en Irlande du Nord “à des niveaux compatibles avec une société pacifique normale”. Cela comprenait la suppression des installations de sécurité et la suppression des pouvoirs d’urgence spéciaux en Irlande du Nord. Cela impliquait également de procéder à un “examen approfondi” de ses délits contre la législation de l’État… donc à engager des enquêtes sur l’ensemble des affaires dans lesquelles les gouvernements britanniques et irlandais auraient enfreints les règles de l’État de droit. Le gouvernement britannique s’est aussi engagé à procéder à un “examen approfondi” du système de justice pénale en Irlande du Nord.

Les Guilford Four passeront 14 ans en prison pour un attentat de l’IRA commis en 1974 dans le Surrey pour lequel ils n’avaient aucune responsabilité ni de près ni de loin…

L’accord prévoyait la création d’une commission indépendante chargée d’examiner l’organisation de la police en Irlande du Nord “y compris [les] moyens d’encourager un large soutien de la communauté” pour ces arrangements. La RUC a été remplacée par le Police Service of Northern Ireland (PSNI), dont le recrutement est pluri-communautaire, qui se trouve contrôlé par des autorités indépendantes du gouvernement provincial… Preuve évidente de la réussite du PSNI, le DUP proteste régulièrement contre le parti pris anti-loyaliste du nouveau service de police, ce dernier ne se faisant plus le complice systématique des partis unionistes ni n’offrant de passe-droit aux anciens paramilitaires, parfois reconvertis dans le crime organisé.

La date de mai 2000 avait été fixée pour le désarmement total de tous les groupes paramilitaires. Le calendrier étant particulièrement ambitieux, cela n’a pu être réalisé, ce qui a conduit aux premières suspensions de l’assemblée provinciale à la suite d’objections des partis unionistes contre les retards dans le désarmement de l’IRA. On voit ici à nouveau la part de prétexte qui visait à limiter autant et aussi longtemps que possible l’association de Sinn Féin au pouvoir, puisque le désarmement des groupes paramilitaires loyalistes n’avait même pas commencé. L’IRA a annoncé en juillet 2005 son désarmement total (sous vérification extérieure) et son renoncement à la lutte armée ; le désarmement de l’UVF a été déclaré en 2009, celui de l’UDA en 2010.

Les gouvernements britannique et irlandais se sont engagés à la libération anticipée des quelques 400 prisonniers purgeant des peines liées aux activités des groupes paramilitaires, à condition que ces groupes continuent de maintenir « un cessez-le-feu complet et sans équivoque ». Chaque cas fut examiné individuellement par la Commission de révision des peines. Les prisonniers de la Continuity IRA et de la Real IRA (deux scissions extrémistes de l’IRA dont les actions ont menacé le processus de paix, avec de nombreux morts comme à Omagh en août 1998, pour lesquelles elles furent rejetées radicalement par la population ce qui mit fin assez rapidement à leurs activités concrètes1), de la Loyalist Volunteer Force et de l’INLA n’étaient pas éligibles à la libération car ces groupes n’avaient pas convenu d’un cessez-le-feu sans équivoque. Il n’y eut aucune amnistie pour les crimes qui n’avaient pas été poursuivis. La loi de 1998 sur l’Irlande du Nord (peines) a reçu la sanction royale le 28 juillet 1998. 167 prisonniers avaient été libérés en octobre 1998. En décembre 1999, 308 prisonniers avaient été libérés. Le dernier groupe de prisonniers a été libéré le 28 juillet 2000, soit un total de 428 prisonniers.

L’accord affirmait enfin un engagement envers “le respect mutuel, les droits civils et les libertés religieuses de chacun dans la communauté”. L’accord multipartite reconnaissait « l’importance du respect, de la compréhension et de la tolérance en matière de diversité linguistique », notamment en ce qui concerne le gaélique, l’Ulster scots et les langues des autres minorités ethniques d’Irlande du Nord, « qui font toutes partie de la richesse culturelle de l’île d’Irlande »2. Le gouvernement britannique s’est engagé à incorporer la Convention européenne des droits de l’Homme dans la législation d’Irlande du Nord3 et à créer une Commission des droits de l’Homme d’Irlande du Nord. L’établissement d’obligations légales pour les autorités publiques d’Irlande du Nord de mener à bien leur travail “en tenant dûment compte de la nécessité de promouvoir l’égalité des chances a été défini comme une priorité particulière”. Le gouvernement irlandais s’est engagé à “[prendre] des mesures pour renforcer la protection des droits de l’homme dans sa juridiction” et à créer une commission irlandaise des droits de l’Homme. Enfin l’accord reconnaissait la complexité des identités nationales en Irlande du Nord donc le choix possible pour chaque citoyen d’Irlande du Nord de se reconnaître de nationalité irlandaise, britannique ou les deux, et que ce choix serait respecté quel que soit l’évolution du statut de l’Île à l’avenir, c’est-à-dire en sous-entendu qu’en cas de réunification de l’Irlande, les citoyens d’Irlande du Nord qui souhaitaient revendiquer leur nationalité britannique pourrait la conserver tout en résidant en Irlande du Nord et en y bénéficiant de la sécurité et de l’égalité des droits avec leurs voisins et concitoyens.

1 Il est plus que probable que les effectifs « loyaux » de l’IRA se soient directement impliqués pour forcer l’arrêt des opérations terroristes de ses différentes scissions et que quelques règlements de compte aient été assez sanglants.

2 Cela représentait une des revendications importantes de Sinn Féin.

3 C’est cette même référence à la Convention européenne des droits de l’Homme que les Brexiters annonçaient lors de la campagne du référendum de 2016 vouloir supprimer de la législation britannique. On comprend donc les conséquences politiquement désastreuses qu’une telle décision aurait pu avoir et qu’en conséquence cela ait participé à un nourrir un vote des Irlandais du Nord en faveur du maintien dans l’UE … et donc en conséquence, une nouvelle distanciation avec la métropole anglaise.

La réussite des accords

Les Accords furent ratifiés par référendums le 22 mai 1998, tenus simultanément en Irlande du Nord et dans la République. Dans cette dernière, la participation fut relativement faible – 56 % – mais avec 94 % de votes favorables. Le véritable enjeu était dans la province britannique : le DUP fit ouvertement campagne contre, mais le résultat ne laissait aucun doute car avec une participation de 81 %, 71 % des citoyens d’Irlande du Nord avaient voté en faveur des Accords, dont 57 % des électeurs membres des communautés protestantes.

Pour avoir permis aux différents protagonistes de se mettre autour de la table et la conclusion de cet accord, John Hume, leader du SDLP, et David Trimble, leader de l’UUP et futur premier ministre d’Irlande du Nord, recevront le prix Nobel de Paix en décembre 1998.

David Trimble (Ulster Unionist Party), Bono et John Hume (Social-democratic and Labour Party) lors du Concert for Yes, qui a eu lieu à Belfast le 18 mai 1998 devant environ 2 000 écoliers… trois jours avant le référendum en Irlande du Nord

En définitive, l’Accord du Vendredi-Saint est une réussite à tous points de vue : malgré des tensions relatives à différents moments depuis 25 ans, des attentats ou des assassinats sectaires commis par des individus ou des groupes extrémistes, la guerre civile n’a jamais repris et les Irlandais du Nord vivent en sécurité, avec un niveau de tranquillité publique qui n’est pas fondamentalement différent de celui des autres pays d’Europe occidentale. L’ensemble des groupes paramilitaires d’importance a rendu les armes, celles-ci ont été détruites, et les groupes qui n’ont toujours pas officiellement renoncé à la lutte armée ne représentent plus rien et en tout cas plus un danger pour la paix dans la province. Surtout d’un point de vue politique, l’Accord s’est imposé à ses plus farouches détracteurs : il est ainsi particulièrement marquant que le DUP étant devenu le premier parti de la province depuis 2004, lorsque celui-ci s’est retrouvé en tête de l’élection provinciale de 2007, le Révérend Ian Paisley, qui avait passé sa vie à empêcher toute négociation, tout accord, toute paix, a pris le mandat de Premier ministre de l’exécutif provincial avec pour Vice premier ministre, Martin McGuinness qui était le chef de la Provisionnal IRA pendant près de 20 ans (l’un et l’autre ayant vraisemblablement tenté de faire assassiner leur adversaire dans les années précédentes). Par ailleurs, l’un des facteurs de discrimination marquants du régime de ségrégation d’Irlande du Nord étant ses forces de sécurité, le nouveau service de police – n’en déplaise à ses détracteurs extrémistes membres du DUP – est aujourd’hui un département exemplaire. La paix retrouvé dans la province a permis enfin le retour d’une prospérité économique relative, qui s’est accompagné d’une progression du niveau de vie, progression d’autant plus forte dans la communauté irlandaise que celle-ci n’était plus victime de politiques discriminatoires en matière de logement et d’emploi.

La crise financière et le Brexit, accélérateurs de changements politiques massifs

Dans les 25 ans qui ont suivi les Accords du Vendredi-Saint, la société et la politique irlandaise ont été profondément transformées, tant au sud qu’au nord. Nous examinerons tout d’abord ces fortes transformations dans la République.

25 ans pour sortir du conservatisme irlandais

La paix en Irlande du Nord va être la première pierre d’une évolution politique de l’Île… c’est en tout cas l’analyse qui conduit Sinn Féin à s’impliquer plus fortement dans la vie politique de la République, d’autant que les Accords de 1998 accordent de fait la nationalité irlandaise aux dirigeants de Sinn Féin. La méfiance du corps électoral au sud était vive contre ceux qui étaient encore considérés comme des complices de terroristes qui avaient parfois commis des opérations militaires sur leur sol ou qui l’avaient utilisé comme base arrière avec les ennuis sécuritaires que cela générait. La paix change progressivement le regard sur Sinn Féin, qui envoie son leader mener campagne dans la République sur un programme progressiste prononcé : logement, aide sociale, accès au droit, accès à l’eau, propriété nationale et collective, État de droit… C’est pourquoi c’est Martin McGuinness qui participera aux gouvernements d’Irlande du Nord et non Gerry Adams (celui-ci basculant définitivement dans la République entre 2002 et 2007). Le parti républicain passe de 2,5 % en 1997 à 6,5 % en 2002 ; il va s’installer durablement comme le quatrième parti dans la République, troublant le jeu habituel de l’opposition entre les conservateurs du Fianna Fáil et les libéraux du Fine Gael, qui reçoivent quand c’est possible ou nécessaire le soutien des travaillistes (troisième larron du jeu politique) pour former un gouvernement.

Martina Anderson, Gerry Adams et Martin McGuinness

Les élections de 2007 avaient été un triomphe pour le Fianna Fáil de Bertie Ahern (plus de 41 % des voix), sa gestion catastrophique des conséquences de la crise financière internationale, dans un pays dont la stratégie économique l’a rendu totalement aux transactions financières, l’amène au bord du gouffre en 2011 : il passe en 3e place à 17 % des voix, derrière les travaillistes (19%) et le Fine Gael (36%) ; Sinn Féin frôle les 10 %. Les libéraux et les travaillistes forment une coalition gouvernementale sur un programme relativement progressiste et disruptif pour sortir l’Irlande de la crise financière … programme qui ne sera jamais mise en œuvre, la Commission européenne et l’Eurogroupe rappelant à l’ordre le gouvernement irlandais qui se voit contraint de mener des politiques d’ajustement néolibéral qui frappent violemment les Irlandais. Les travaillistes en sortiront discrédités : les élections suivantes de 2016 sont un rééquilibrage qui rend le Dáil ingouvernable ; les libéraux du Fine Gael descendent à 25 %, les conservateurs du Fianna Fáil remontent à 24 %, Sinn Féin progresse encore à près de 14 %, le labour chute à 6,6 % … le reste du parlement est peuplé de petits partis ancrés au centre gauche ou à l’extrême gauche. Après deux mois de blocage, une alliance inédite intervient entre les deux frères ennemis de la guerre civile de 1922 : ce qui paraît normal en France et en Europe se produit pour la première fois en Irlande, la droite gouverne ensemble, ou plutôt les conservateurs soutiennent un gouvernement libéral.

Mary Lou McDonald, présidente de Sinn Féin, lors de la soirée électorale du 9 février 2020 à Dublin

Les élections suivantes ont lieu en février 2020. Entre temps, le référendum sur le Brexit a abouti à la perspective de retrait de la Grande Bretagne de l’Union Européenne et l’année 2019 a été marquée par l’incapacité de Theresa May de négocier un accord avec l’UE acceptable par le Parlement britannique (nous y reviendrons). Par ailleurs, l’alliance de droite de fait entre libéraux et conservateurs n’a pas convaincu les électeurs irlandais ; Sinn Féin apparaît donc comme l’alternative politique en République, en s’appuyant sur un programme de rupture avec les politiques néolibérales poursuivies par le gouvernement et sa réputation de parti responsable au sein de l’exécutif nord-irlandais. Sinn Féin, désormais dirigé par une femme pugnace Mary Lou McDonald, est le vainqueur du scrutin avec 24,5 % des suffrages, contre 22 % au Fianna Fáil et 21 % au Fine Gael ; les écologistes sont le quatrième parti avec 7 % et les travaillistes poursuivent leur descente aux enfers avec 4,4 %; les petits partis de gauche et d’extrême gauche ont vu leurs scores grignotés par Sinn Féin. Le Fianna Fáil va refuser par principe toute constitution d’un gouvernement qui serait conduit par Sinn Féin, tandis que le Fine Gael voudrait pouvoir retourner dans l’opposition… la pandémie conduit au bout de deux mois les partis de droite à s’entendre avec les écologistes (qui obtiennent sur le papier un plan ambitieux pour l’environnement) pour former un gouvernement de défense anti-Sinn Féin, avec une rotation régulière du poste de premier ministre entre libéraux et conservateurs.

Cette stratégie défensive ne semble cependant pas profiter depuis aux forces gouvernementales, Sinn Féin continuant de progresser en promesse de vote, alors que son score atteignait déjà un tiers des électeurs de 18-35 ans en février 2020… D’autre part, près des deux-tiers des Irlandais étant désormais favorables à une réunification de l’Île, Sinn Féin apparaît à la fois comme le parti de la modernité, du progrès social et de la réunification … un cocktail politique qui pourrait l’amener vers de nouveaux succès dans une société irlandaise qui a prodigieusement changé au regard de ses origines conservatrices catholiques et où en 20 ans ont été légalisés le divorce, l’avortement, le mariage homosexuel (avec moins de réticences qu’en France) et où le chef des libéraux Leo Varadkar, plusieurs fois premier ministre ces dernières années, est un homosexuel qui assume publiquement de vivre avec son mari.

Matthew Barrett et son époux Leo Varadkar, leader du Fine Gael

La paix et la normalisation politique en Irlande du Nord

Le système politique nord-irlandais va évoluer de manière dialectique. La réussite du processus du paix repose d’abord sur la relative loyauté des acteurs de la province à mettre en œuvre les termes de celui-ci pour réussir le désarmement des paramilitaires et la transition vers une société apaisée et démocratique, fondé sur un meilleur partage de la richesse du pays et la fin des discriminations sectaires en matière d’emploi, de logement, de respect des droits et des libertés publiques.

Pourtant, un observateur non averti considérerait avec étonnement le fait que les partis qui vont tirer profit assez rapidement des accords sont les plus « radicaux » et les plus opposés. D’un côté, le SDLP va perdre du terrain au profit des républicains de Sinn Féin dès 2002 et ne regagnera jamais le terrain perdu ; au contraire, il passe de 22 % en 1998 à 17 % en 2003, sa chute constante l’amène à 12 % en 2017 et à moins de 10 % en 2022. Ce parti travailliste de centre-gauche n’est plus en phase avec l’évolution politique : il permettait d’éviter que la situation ne dégénère tant que le pays subissait la guerre civile ; quand il s’agit désormais de défendre des intérêts concrets au quotidien dans l’exécutif provincial, les électeurs irlandais semblent lui préférer un parti plus combatif comme Sinn Féin qui passe de 17,6 % en 1998 à 29 % en 2022. Le SDLP pâtit également du retrait de son leader historique John Hume, figure nationalement et internationalement reconnue et admirée, dès 2001, mais aussi du désamour européen croissant pour les partis social-démocrates. Enfin, face à la montée des ultra-conservateurs unionistes du DUP de Ian Paisley, peut-être vaut-il mieux compter le talent politique de Martin McGuinness qui a su parfaitement troqué son costume de chef militaire pour celui de leader parlementaire et gouvernemental soucieux de l’intérêt général et de la réussite du processus de paix.

Résultats des élections provinciales de 2022 par circonscription. Le mode de scrutin désormais est le même que celui qui a été mis en place dans l’Etat libre puis la République d’Irlande, à savoir un scrutin à vote unique transférable, sorte de scrutin de liste majoritaire à très fort effet proportionnel.

Car, dans le camp unioniste, ce sont les opposants aux Accord du Vendredi-Saint qui prennent le dessus sur le vieux parti traditionnel des protestants l’UUP au même rythme que Sinn Féin surpasse le SDLP : au moment de partager le pouvoir avec la communauté irlandaise, la partie la plus angoissée de la communauté unioniste pense sans doute que ses intérêts seront mieux défendues par l’intransigeance du vieux Révérend acariâtre. En 2003, le DUP récolte 25 % des voix contre 22 % à l’UUP : c’est donc à Ian Paisley que doit revenir dès cette date le poste de premier ministre… c’est trop tôt et il faudra attendre 2007, avec un score de 30 % pour le DUP, pour que Paisley fasse preuve de responsabilité accepte de permettre la constitution d’un exécutif provincial dans lequel son vice premier ministre sera Martin McGuiness ; entre-temps, l’IRA avait été totalement désarmée tandis que le désarmement des paramilitaires protestants était encore en cours. Le DUP va conserver une position dominante autour de 28-30 % jusqu’en 2017, tandis que l’UUP s’effondre autour de 11-12 %.

Les années 2010 vont être aussi une décennie de progression du parti libéral de l’Alliance qui se veut a-communautaire ; stagnant autour de 5-6 % précédemment, sa progression autour de 10 % et même 13 % en 2022 sont l’une preuve de la normalisation politique de la province.

Martin McGuinness en 2016

Début 2017, un coup de tonnerre politique se produit : Martin McGuiness démissionne de l’exécutif provincial ; une dissolution de l’exécutif conduit à des élections anticipées en mars qui sont conduites pour Sinn Féin par Michelle O’Neill – on apprendra par la suite que McGuiness est malade (il décédera le 21 mars 2017). Sinn Féin souhaitait à ce moment rompre avec un DUP, conduit par Arlene Foster qui dirige depuis l’exécutif depuis décembre 2015. Il y a plusieurs raisons à cette rupture : le scandale politico-financier qui implique plusieurs responsables du DUP et entache Foster elle-même ; mais plus largement, le changement que représente le référendum sur le Brexit qui s’est conclu par le fait que 52 % des électeurs britanniques aient soutenu la sortie du Royaume Uni de l’UE. Le DUP en tant que parti ultra-conservateur a soutenu le Leave avec au moins autant d’arguments de bonne foi que Boris Johnson. Or les Irlandais du Nord ont voté pour le Remain à 56 %, l’UE leur apparaissant comme un des garants du processus de paix qui pourrait être mis à mal par le rétablissement de la frontière avec la République d’Irlande ; ce vote en faveur du maintien dans l’UE dépasse la seule communauté irlandaise et une large partie des protestants a donc voté comme leur concitoyens catholiques.

Les résultats du référendum du Brexit par circonscriptions en Irlande du Nord
Boris Johnson et Arlene Foster

Les paradigmes politiques vont commencer à changer : le DUP commence à reculer en mars 2017 et n’a plus que 1000 voix d’écart avec Sinn Féin : la constitution d’un nouvel exécutif est dans l’impasse, d’autant qu’aucun parti ne souhaite collaborer avec le DUP tant que le ménage n’aura pas été fait. Or Arlene Foster et les trois députés du DUP à Westminster vont peser sur le gouvernement de Theresa qui dépend de ces 3 sièges pour avoir une majorité en soutien à son gouvernement : non seulement, ils défendent une vision dure du Brexit impliquant le rétablissement de la frontière avec la République pour éviter une forme de frontière entre l’Irlande du Nord et le reste de la Grande Bretagne, mais ils vont s’assurer une forme d’impunité politico-financière, Theresa May fermant les yeux sur leurs turpitudes. C’est paradoxalement leur allié du Brexit Boris Johnson qui va les plomber ; en renversant Theresa May, en provoquant de nouvelles élections générales, il s’offre une majorité conservatrice écrasante (sur la ligne Get Brexit Done) qui n’a plus besoin des sièges du DUP à Westminster ; d’autre part, pour obtenir un accord acceptable par sa nouvelle majorité, il transige avec l’UE sur le protocole nord-irlandais. Le DUP et Arlene Foster ont donc perdu sur tous les tableaux : il n’y aura pas de frontière entre la République et l’Irlande du Nord, il y aura une forme de frontière entre l’Irlande du Nord et la Grande Bretagne et ils sont obligés de faire des concessions pour que leurs partenaires nord-irlandais acceptent enfin la constitution d’un nouvel exécutif que le gouvernement britannique réclame avec insistance en faisant porter la responsabilité d’un nouvel échec sur le DUP. Arlene Foster redeviendra première ministre d’Irlande du Nord avec Michelle O’Neill comme vice première ministre, qui manie avec art la fermeté et le rapport de force pour ne jamais rien lâcher sur les priorités de Sinn Féin.

Michelle O’Neill, cheffe du Sinn Féin pour l’Irlande du Nord et première ministre putative de la province

De fait, les conséquences de la mise en œuvre du Brexit s’avèrent être une catastrophe économique pour la province, avec des magasins vides, un ralentissement marqué de l’activité et une baisse du pouvoir d’achat. Une partie des jeunes protestants exprimeront d’ailleurs violemment leur colère en avril 2021, qui sera manipulé le temps de quelques émeutes sporadiques par les anciens de l’UVF et de l’UDA qui se servent de la situation pour faire ainsi pression sur le service de police de la province qui a le tort de s’intéresser de trop près au trafic de drogue dans lequel certains d’entre eux se sont recyclés. Nous avons traité ce sujet à l’époque.

En mai 2022, le DUP s’est débarrassé d’Arlene Foster quelques mois plus tôt pour adopter une ligne encore plus conservatrice ; il est affaibli par les affaires, par sa mise en cause des services de police pourtant exemplaires et par les conséquences économiques et sociales de son soutien au Brexit. Lors des élections provinciales, il s’effondre à 21 % alors que Sinn Féin franchit la barre des 29 %. En toute logique, c’est donc Michelle O’Neill qui devrait devenir première ministre, mais le DUP refuse depuis de participer à un exécutif dirigé par Sinn Féin, alors que tous les autres partenaires avait accepté de subir leur leadership depuis 2007. Le DUP est isolé, car tous les autres partis – Alliance, UUP et SDLP – sont prêts eux à jouer les règles du jeu… d’autant que les partis n’étant pas opposés à la réunification sont désormais majoritaires dans l’électorat.

Il se trouve que c’est juste après ces élections provinciales que Boris Johnson, ne reculant devant aucune contradiction, a décidé pour tenter de sauver son poste de premier ministre, atteint par le PartyGate, a remis en cause le protocole nord-irlandais. Rishi Sunak, le nouveau locataire du 10 Downing Street, a trouvé un nouvel accord fin février avec l’UE qui vient d’être validé par les parties concernées : les dispositions prévues réduisent les contrôles douaniers sur les marchandises de Grande-Bretagne arrivant en Irlande du Nord y compris les médicaments. Elles limitent aussi l’application de réglementations commerciales européennes en Irlande du Nord. Seules les marchandises risquant de se retrouver en République d’Irlande, et donc sur le marché unique européen, seront soumises à des contrôles. Une raison en moins pour bloquer un accord ; Sinn Féin s’est donc empressé de saluer la solution trouvée par la Commission Européenne et le gouvernement britannique, afin de rappeler qu’il était temps de donner un gouvernement à la province et donc de faire avancer son agenda…

Tiocfaidh ár lá : 25 ans de paix et la réunification en perspective ?

Le processus de paix engagé le 10 avril 1998 est un succès. Non seulement la paix civile a tenu et s’est renforcée, mais les processus de ségrégation mutuelle sont en train de s’estomper à une vitesse sur laquelle personne n’aurait parié. Les médias européens et français parlent d’un processus de sécularisation de la société nord-irlandaise par méconnaissance du sujet : le conflit irlandais puis nord-irlandais n’a pas grand-chose à voir avec un conflit religieux, il s’agissait d’abord un conflit ethno-communautaire et hautement politique, provoqué par une domination impérialiste de long terme qui a construit pour se perpétuer une vision raciste et inégalitaire de la société.

Les Accords du Vendredi-Saint ont produit sur la société irlandaise des deux côtés de la frontière actuelle des effets qui sont en train de transformer durablement le paysage politique, dans des sociétés qui se modernisent d’autant plus vite qu’elles ont été retenues pendant des décennies dans un conservatisme déjà démodé au moment où il fut mis en place. À ces transformations purement politiques se sont ajoutées les bouleversements économiques et sociaux découlant d’un monde culturellement plus ouvert et plus interpénétré financièrement, pour le pire et le meilleur.

D’un côté, les gouvernements de droite britanniques et irlandais ont démontré leur incapacité à résoudre les problèmes économiques et quotidiens que leurs mauvais choix politiques avaient provoqué, que ce soit une dépendance extrême à la finance internationale ou un Brexit qui fut avant tout le fruit d’ambitions personnelles sans jamais en envisager les conséquences pratiques pour les citoyens qui leur avaient « accordé » leur confiance. De l’autre, il paraît assez illusoire à long terme que la Grande Bretagne reste longtemps une forteresse commerciale qui crée des obstacles à ses échanges avec le reste de l’Europe, alors que cette décision met en péril son unité même.

Aussi paradoxalement, le parti qui propose aux Irlandais à la fois une perspective réaliste de renforcer leur souveraineté nationale tout en s’ouvrant au reste du monde est bien Sinn Féin. Conduit par deux femmes déterminées, ce parti s’appuie sur un programme socialiste et républicain qui propose à tous les Irlandais que ce processus se réalise selon des objectifs de justice sociale et de développement endogène pour garantir un meilleur partage des richesses.

Mary Lou McDonald et Michelle O’Neill en 2018 lors du congrès de Sinn Féin qui les a élues Présidente et Vice Présidente de Sinn Féin, pour succéder à Gerry Adams

Or il se trouve que Sinn Féin est aujourd’hui le premier parti tant en Irlande du Nord que dans la République. Il pourrait prochainement au regard de la conclusion d’un nouvel accord sur le protocole nord-irlandais conduire l’exécutif provincial d’Irlande du Nord, le DUP n’ayant plus de marge de manœuvre politique pour s’y opposer encore. Un entêtement de leur part conduirait sans doute à des élections provinciales anticipées début 2024, dans lesquelles les ultra-conservateurs unionistes pourraient encore perdre des plumes et ne plus pouvoir rien empêcher, ni un exécutif dirigé par Sinn Féin, ni l’ouverture d’un processus de réunification… Dans la République, la droite ne peut plus espérer gouverner sans que les frères ennemis de la politique irlandaise du XXème siècle forment une coalition ; la politique conduite par cette coalition libérale-conservatrice n’est sans doute plus en phase avec une majorité de la population irlandaise. Les politiques menées n’offrent pas de perspectives économiques et d’avenir à la jeunesse (l’Irlande a la particularité de bénéficier comme la France d’une population plus jeune que la plupart des pays d’Europe occidentale). Les raisons qui ont amené Sinn Féin à être soutenu par un tiers des 18-35 ans sont toujours là. Il sera probablement difficile d’empêcher Sinn Féin au minimum de participer au pouvoir après les prochaines élections générales et de mettre à l’ordre du jour une réunification, soutenue par deux-tiers des Irlandais.

Our revenge will be the laughter of our children” : “notre revanche sera le rire de nos enfants”, un des poèmes de Bobby Sands

Il existe des obstacles évidemment, tous fondés sur le pari de la politique du pire. Il est vrai que les dirigeants britanniques nous ont préparés avec Boris Johnson à cette éventualité. Downing Street pourrait s’opposer à un processus de réunification pour ne pas avoir à céder ensuite sur un nouveau référendum d’indépendance en Écosse ; les Européens pourraient alors servir d’avocats de la raison. Les troubles peuvent-ils repartir avec une révolte identitaire d’une partie des Unionistes ? On a vu que les conditions existent pour une solution leur permettant de conserver leur nationalité britannique et les anciens paramilitaires loyalistes semblent avoir d’autres chats à fouetter.

Sans être certaine, la possibilité d’une réunification grandit et se rapproche toujours plus … et nous pourrions y assister en notre temps.

La Laïcité a-t-elle réponse à tout ? – “Ces idées qui gouvernent le monde” sur LCP-AN

La laïcité est de tous les combats politiques, idéologiques, socio-culturels et même religieux. C’est devenu un mot fourre-tout qui traduit d’abord le malaise de la société française. De son école, des services publics et autres producteurs de biens communs, partout où s’exerce des discriminations et des pressions, des comportements très singuliers qui remettent en cause le vivre ensemble. Mais est-ce que le trans-genrisme et la laïcité, font cause commune ? Si tout est laïc, qu’est-ce que la laïcité ? Au début de la laïcité, à sa source, il y a la fameuse loi de 1905 qui établit une liberté de conscience entre croyants et non croyants, la séparation de l’Église et de l’État et le livre exercice des cultes, tout cela dans le respect de l’ordre public. Mais d’interprétation en interprétation et à l’aune d’évènements symboliques et tragiques, on pense bien sûr à la décapitation de l’enseignant Samuel Paty le 16 octobre 2020 ou auparavant à l’affaire du foulard de Creil, la laïcité est devenu une sentinelle démocratique, un bouclier contre l’islamisme radical, le respect de la liberté d’expression, un viatique républicain de l’apprentissage de la liberté, de l’égalité et de la fraternité. Cette extension du domaine de la laïcité renforce t’elle sa prégnance socio-culturelle ou à contrario est-elle le constat de l’affaissement de la politique au profit des communautarismes et de la tenaille identitaire. Émile Malet recevait le 27 mars 2023 sur LCP pour en débattre : – Iannis Roder, professeur d’histoire – Smaïn Laacher, sociologue, professeur des Université – Laetitia Strauch-Bonart, rédactrice en chef et essayiste, l’Express – Emmanuel Maurel, député européen, fondateur de la Gauche Républicaine et Socialiste Notre animateur national a notamment rappelé quelques principes forts. La laïcité n’a pas besoin d’adjectif pour être définie, mais vise à créer les conditions d’une société qui se veut émancipée de tous les clergés. Elle s’est un peu étendue, mais ce qui compte c’est de séparer la politique de la religion. De plus en plus de religieux, pas seulement les fondamentalistes islamistes, mais aussi des Charismatiques, des protestants néo-évangéliques ou des intégristes catholiques, mettent à mal et contestent le principe de la laïcité. Oui il y a bien une offensive politico-religieuse ; le prosélytisme et les provocations existent de la part de courants religieux fondamentaliste et rigoristes, car ils considèrent que toute personne supposée appartenir à ce qu’ils définissent comme “leur” communauté (et on voit ici le caractère pernicieux qui met en cause à la fois la liberté de la personne et qui vise à assigner “à résidence identitaire” certains de nos concitoyens) doit se comporter selon leurs principes. Forcément l’école républicaine est une cible privilégiée de contestation car elle est le creuset d’un projet de société diamétralement opposé. Il nous faut réagir au plus vite car nous défendons la Liberté et l’Égalité, liberté de croire évidemment mais aussi liberté de ne pas croire ou liberté de croire de la façon qui nous convient et non pas comme certains intégristes veulent l’imposer à toute la société. Le problème existe au niveau européen (la laïcité à la française, cela ne va pas de soi dans les autres pays européens) notamment avec des offensives de mouvement conservateurs catholiques d’Europe de l’Est pour qui l’Europe ne peut être que chrétienne ; plus récemment, certaines institutions européennes sous prétexte de “valoriser la diversité” se sont mis à promouvoir le port du hidjab ce qui revient à réduire finalement à une seule possibilité l’image et le comportement “autorisé” de la femme qui se veut musulmane. Un phénomène récent nous inquiète enfin : la contestation sous couvert religieux de la connaissance et de la science. Or il faut rappeler à nos enfants et adolescents que la Foi ne saurait prévaloir sur le Savoir.

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