Au Venezuela, Maduro contre le chavisme

Alors que le Venezuela est entré dans une nouvelle crise électorale et politique qui effraie l’Amérique du Sud (et accessoirement semble toujours diviser la gauche française), notre camarade Vincent Arpoulet, spécialiste de l’Amérique latine, décrypte la situation politique et présente les enjeux et les intérêts qui s’affrontent.

« Le principe fondamental de la souveraineté populaire doit être respecté par le biais de la vérification impartiale des résultats ». Voilà l’objectif prioritaire établi au sein du communiqué publié par les diplomaties brésilienne, colombienne et mexicaine en vue de trouver une issue pacifique à la crise politique qui fracture actuellement le Venezuela.

Si celle-ci ne cesse de s’aggraver depuis que Nicolas Maduro a succédé, en 2013, à Hugo Chavez à la tête de l’État vénézuélien, elle a récemment été exacerbée par les auto-proclamations successives, au soir du dernier scrutin présidentiel qui s’est tenu le 28 juillet, de Maduro ainsi que de son principal opposant de droite Edmundo Gonzalez, avant même la publication des procès-verbaux de l’intégralité des bureaux de vote par le Conseil National Électoral (CNE). Ce dernier prétend avoir été victime d’un piratage informatique l’empêchant, jusqu’à ce jour, de rendre publics l’ensemble des votes qui sont, au Venezuela, réalisés par voie électronique. Or, cette publication est particulièrement attendue en raison du fossé béant qui sépare les résultats nationaux proclamés par le CNE (selon lesquels le président sortant aurait été réélu dès le premier tour avec 52% des voix) et les premiers sondages de sortie des urnes qui plaçaient l’opposition largement en tête. C’est pourquoi, face à la difficulté de tirer le vrai du faux dans un tel contexte, les différents gouvernements de gauche latino-américains mettent l’accent sur la nécessité d’assurer une médiation entre les différentes forces en présence en vue d’aboutir à un audit public des votes, seule manière à leurs yeux de garantir la souveraineté du peuple vénézuélien. Et au vu de l’empressement d’un certain nombre de grandes puissances à reconnaître la victoire du camp le plus susceptible de sécuriser leurs intérêts stratégiques au sein de cet État pétrolier (à l’image de la Chine et de la Russie favorables à Maduro, mais également des États-Unis partisans de Gonzalez), difficile de leur donner tort.

Ces gouvernements prennent ainsi ouvertement leurs distances vis-à-vis d’un certain nombre de dirigeants conservateurs de la région qui, alignés diplomatiquement sur Washington, ont rapidement apporté leur soutien à Edmundo Gonzalez. C’est notamment le cas du président équatorien Daniel Noboa ou de son homologue argentin Javier Milei, qui ne sont par ailleurs pas particulièrement réputés pour leurs préoccupations démocratiques. Cependant, le Brésil, la Colombie et le Mexique s’éloignent tout autant du président vénézuélien sortant – fait particulièrement notable au vu de la proximité entre les rhétoriques anti-impérialistes de figures telles que le président brésilien Lula et celle du gouvernement maduriste.

Cette prise de position peut notamment s’expliquer par le fait qu’au-delà des suspicions de fraude lors du dépouillement, ce scrutin a été biaisé dès le départ par l’invalidation, sur la base de motifs plus ou moins fondés, de plusieurs candidatures d’opposition. Le cas le plus médiatisé est celui de Maria Corina Machado, figure conservatrice ayant largement remporté les primaires organisées au mois d’octobre 2023 par la Table de l’unité démocratique, principale coalition d’opposition au madurisme. Or, celle-ci est déclarée inéligible par la justice vénézuélienne pour avoir appuyé et tiré profit du gel d’un certain nombre d’actifs nationaux placés dans les institutions bancaires de plusieurs États reconnaissant la légitimité de Juan Guaido, l’un des fers de lance de l’opposition qui s’est autoproclamé président du pays entre 2019 et 2023. Si l’utilisation de ces actifs par un dirigeant dont la légitimité démocratique est plus que contestable s’inscrit effectivement dans une forme d’ingérence n’ayant fait qu’aggraver le délitement de l’économie, ainsi que de la société vénézuélienne, il ne s’agit que d’un argument parmi d’autres utilisés pour marginaliser du scrutin un certain nombre d’autres partis d’opposition bien moins suspects d’être à la botte de velléités impérialistes. C’est le cas des oppositions de gauche au madurisme, comme le démontre notamment le reportage réalisé par la politiste Yoletty Bracho pour la revue de critique communiste Contretemps1. L’un des représentants de la gauche vénézuélienne lui confie notamment : « Il est impressionnant de voir que la droite a pu avoir son candidat, mais que c’est nous à gauche qui n’avons pas le droit d’avoir de candidat. Nous n’avons pas de représentation lors de ces élections »2. Sous-entendu, le madurisme s’est détourné de la gauche du paysage politique. Un virage à droite confirmé par le fait que le Parti Communiste Vénézuélien (PCV) est récemment entré dans l’opposition, dénonçant la crise d’un « modèle de capitalisme dépendant (…) en contradiction avec les intérêts des travailleurs »3.

Alors qu’on présente une confrontation entre Madurisme et extrême droite, c’est la gauche vénézuélienne qui est en réalité écartée du débat politique et des solutions

Ce modèle de capitalisme dépendant repose quasi exclusivement, depuis le début du XXe siècle, sur les revenus générés par les abondantes réserves pétrolières dont dispose le pays. Les données publiées par la Commission économique pour l’Amérique latine (CEPAL) mettent en lumière le quasi-monopole occupé par les ressources pétrolières dans les exportations vénézuéliennes dans la mesure où elles représentent environ 85% des produits vendus par le pays sur la scène internationale4. Si cette structure économique n’est pas fondamentalement remise en cause par l’arrivée au pouvoir d’Hugo Chavez en 1999, celui-ci modifie en revanche radicalement les modalités d’allocation de ces ressources. En réaffirmant la prédominance de la puissance publique dans la gestion de l’intégralité du processus d’exploitation et de commercialisation des ressources pétrolières, il redirige une majorité des revenus issus de ces activités vers l’État qui est alors en mesure de développer un certain nombre de programmes de redistribution sociale. Cela conduit notamment à une diminution significative de l’extrême-pauvreté qui passe de 22,6% à 8,2% de la population entre 2002 et 2012. Cependant, le fait que ce modèle social repose quasi exclusivement sur les revenus générés par les exportations pétrolières le rend particulièrement dépendant aux variations du prix du baril à l’échelle internationale. Et s’il augmente globalement de manière continue au cours des années 2010, il chute subitement de 100 à 80€ entre 2013 et 2014, ce qui expose l’économie vénézuélienne à une dégradation des termes de l’échange. En effet, si la hausse considérable des exportations de ressources pétrolières provoque un afflux massif de devises en dollars, celles-ci doivent être converties en bolivar, la monnaie nationale vénézuélienne. Or, la contrepartie de la spécialisation dans la production pétrolière est que le Venezuela doit importer de nombreux biens manufacturés nécessaires à la satisfaction de la demande interne, de même que l’ensemble des équipements nécessaires à son industrialisation qui ne sont pas produits sur place. Il se trouve que les importateurs doivent directement régler ces importations en dollars, et non en devises nationales. Lorsque les importations deviennent plus importantes que les exportations, la demande de dollars sur le marché des changes devient plus importante, ce qui déprécie le prix de la monnaie nationale en comparaison du dollar. Le prix de toutes les importations augmente alors puisqu’il faut plus de devises nationales pour se procurer un dollar. C’est pour faire face à cette hémorragie de devises que, tout en conservant officiellement une rhétorique radicalement anti-impérialiste, le gouvernement vénézuélien laisse libre cours à la dollarisation officieuse de son économie. Or, la manière dont s’opère cette dollarisation ne fait qu’accroître la précarisation d’une part significative de la population. En effet, si la plupart des emplois restent rémunérés en bolivar – c’est notamment le cas de l’intégralité des travailleurs de la fonction publique –, la majorité des prix se calent désormais sur le cours du dollar. C’est ainsi que le prix moyen d’un déjeuner classique oscille autour de 10 dollars dans un pays dans lequel le salaire minimum équivaut à peine à 50 dollars par mois à l’heure actuelle.

Mettre l’accent sur la part de responsabilité du gouvernement dans cette crise économique ne doit pas pour autant conduire à occulter le poids tout aussi important des différentes sanctions internationales imposées depuis 2013, en particulier par les États-Unis. A titre d’exemple, le gel du paiement des ressources exportées aux États-Unis par l’entreprise pétrolière publique PDVSA en 2019 la prive de 7 milliards de dollars, ce qui ne fait qu’aggraver l’hémorragie de devises qui frappe le pays sud-américain. Ces sanctions ont récemment été allégées à la faveur du conflit russo-ukrainien – un certain nombre de pays étant désireux de diversifier leurs sources d’approvisionnement en ressources pétrolières en vue de faire face à l’arrêt des importations de pétrole russe – mais comme en Iran, comme à Cuba, elles produisent toujours les mêmes effets : elles ne frappent que les populations civiles, tout en renforçant le virage autoritaire du gouvernement (justifié officiellement par la nécessité de lutter contre un impérialisme étasunien dont on peut, tout en condamnant les dérives du madurisme, difficilement nier l’existence).

La mise en scène d’une confrontation entre des protagonistes incompétents qui se détournent des intérêts populaires, à leur profit et celui des États-Unis d’Amérique,
de la Chine et de la Russie

Un impérialisme étasunien par ailleurs ouvertement plébiscité par une opposition officielle qui semble tout autant incapable de répondre aux aspirations démocratiques exprimées par les mobilisations en cours. Sachant que les oppositions de gauche et/ou centristes au madurisme ont été marginalisées en amont du scrutin, le président sortant faisait en effet face à la frange la plus conservatrice lors de ce scrutin. Si Gonzalez semble relativement mesuré sur certains sujets tels que l’éducation publique qu’il affirme vouloir préserver, celui-ci ne cesse de s’afficher en compagnie de Maria Corina Machado qui incarne un courant politique dont l’objectif est de revenir purement et simplement au néolibéralisme radical en vigueur avant l’arrivée au pouvoir d’Hugo Chavez. Thomas Posado, maître de conférences en civilisation latino-américaine, met notamment l’accent sur le fort dogmatisme libéral de Machado qui se traduit par sa volonté affichée, et répétée à de nombreuses reprises, de privatiser PDVSA5. Dans un pays dans lequel cette société est vue comme un joyau de l’État, une telle proposition est particulièrement iconoclaste, y compris au sein de l’opposition au madurisme. Preuve que l’opposition semble à l’heure actuelle noyautée par sa frange la plus radicale. Et ce, d’autant plus que Machado a par ailleurs ouvertement fait appel à de nombreuses reprises à une intervention armée des États-Unis en vue de renverser le chavisme.

En somme, le drame de la situation vénézuélienne, c’est que ni Maduro, ni l’opposition majoritaire ultra conservatrice ne semblent à même de préserver les premiers acquis sociaux du chavisme « première génération » – qui se distingue du madurisme en de nombreux points. Si Chavez inaugure en effet sa première présidence par l’adoption d’une nouvelle Constitution destinée à démocratiser la société vénézuélienne, parallèlement à la réaffirmation de la prédominance du pouvoir politique sur l’armée – le défilé militaire accompagnant traditionnellement la mise en place d’une nouvelle Assemblée constituante n’ayant exceptionnellement pas eu lieu à cette occasion -, son successeur semble à l’inverse assumer de plus en plus ouvertement ses similarités avec les militaires ayant dirigé à plusieurs reprises le pays. En témoigne l’ouverture de centres pénitentiaires de haute sécurité dans lesquels les opposants seront soumis au travail forcé « comme à l’époque »6

Vincent Arpoulet

1 BRACHO Yoletty, «  « Tout le monde sait ce qu’il s’est passé. » Pour une approche de gauche des élections vénézuéliennes », Contretemps. Revue de critique communiste, 6 août 2024 ; https://www.contretemps.eu/gauche-internationaliste-elections-venezuela/

2 Ibid

3 BENOIT Cyril, « Venezuela : les communistes pour une alternative populaire à la crise », PCF, Secteur International ; https://www.pcf.fr/venezuela_les_communistes_pour_une_alternative_populaire_la_crise

4 https://statistics.cepal.org/portal/cepalstat/national-profile.html?theme=2&country=ven&lang=en

5 POSADO Thomas, « Venezuela : Maria Corina Machado, nouvelle figure du radicalisme de droite », France Culture, 26 octobre 2023 ; https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-enjeux-internationaux/venezuela-maria-corina-machado-nouvelle-figure-du-radicalisme-de-droite-7868137

6 BRACHO Yoletty, « « Tout le monde …, op. cit.

Retrouvez le communiqué commun de plusieurs partis de gauche français le 9 août 2024

L’émancipation passe par le sport, pas par l’obscurantisme religieux

Si les Jeux Olympiques de Paris 2024 ont dépassé bien des attentes, que ce soit en termes de médailles françaises, d’ambiance ou d’engouement national, et ce, sans accroc majeur, cela ne doit pas occulter certains points de crispation.

L’un des sujets ayant fait couler beaucoup d’encre est la question de la présence et de l’autorisation ou non des signes religieux ostensibles portés par les sportifs, plus précisément le port du voile islamique ou hijab.

La France est en effet le seul pays à avoir interdit à ses athlètes le port de tout signe religieux, au nom de la laïcité, du refus de « toute forme de prosélytisme, [et de] la neutralité absolue du service public » (ministère des Sports), dans la lignée de la réglementation récente de la FFF, entérinée par le Conseil d’État.

Comme on pouvait s’y attendre, les partisans du communautarisme, assumé ou non, direct ou non, sont montés au créneau. C’est notamment le cas d’un article de Mediapart intitulé « Voile et JO, l’hypocrisie française »1, qui est une mise en cause directe des principes de la République laïque. Edwy Plenel, cofondateur de la plateforme d’information, a ainsi déclaré sur X : « À la cérémonie de clôture des JO Paris 2024, le hijab de la championne néerlandaise Sifan Hassan en joyeuse réponse à l’archaïque interdiction française du voile pour les sportives. »2

Le port du hijab serait donc quelque chose de « joyeux » et la laïcité un « archaïsme ». On marche sur la tête ! Tragique inversion du sens des mots.

Notons d’ailleurs que Sifan Hassan, championne olympique du marathon, a couru sans son voile : preuve que la respiration laïque est possible et nécessaire pour faire son sport correctement. Le porter sur le podium n’est donc pas forcément innocent.

Au-delà des attaques contre le respect des principes républicains demandé aux athlètes français, il est tout simplement reproché aux autorités française l’application de la Charte olympique, qui stipule dans son article 50.2 : « Aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n’est autorisée dans un lieu, site ou autre emplacement olympique. »

Mais le CIO a décidé que le voile relevait du vêtement culturel et non confessionnel. Sans nier l’aspect culturel, le limiter à ce domaine est évidemment un contre-sens et entre en contradiction avec une bonne partie des arguments contre l’interdiction française de son port. Maria Hurtado, porte-parole du Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU, interrogée sur l’interdiction du port du voile pour les Françaises aux Jeux Olympiques de Paris 2024, a déclaré : « De manière générale, le Haut-Commissariat estime que personne ne devrait imposer à une femme ce qu’elle doit porter ou non. » Prise de position hypocrite, car elle se fait contre un pays qui respecte et fait progresser les droits des femmes ; on attend toujours une expression à l’égard d’autres régimes. Qu’en est-il de l’imposition du voile aux sportives de certaines délégations de pays islamistes, notamment iraniennes ? L’Iran avait par ailleurs interdit certaines épreuves, comme la lutte, la boxe, le judo, la gymnastique, la natation ou encore le beach volley, à leurs athlètes féminines. Et qu’en est-il de la « Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes » de l’ONU ? Il s’opère un dangereux retournement de valeurs. Hypocrisie encore lorsque le CIO préfère disqualifier la breakdancer afghane Manizha Talash, participant aux Jeux sous les couleurs de l’équipe olympique des réfugiés, pour avoir porté sur son dos une cape avec l’inscription « Free afghan women » (« Libérez les femmes afghanes »).

Malgré leur incontestable réussite sportive et populaire, les JOP ont donné lieu à des commentaires qui témoigne d’une profonde inversion de sens

C’est aussi le cas de l’argumentation principale développée par Mediapart : cela ostraciserait les femmes de la pratique sportive, ce serait une mesure discriminatoire allant à l’encontre de ses prétentions. Les femmes voilées n’auraient ainsi « pas le droit » de participer. Les promoteurs de l’égalité par le hijab taisent à dessein le poids de l’obscurantisme religieux qui interdit aux femmes, ou qui les pousse à s’interdire à elles-mêmes, de retirer le voile. Des sportives le retirent pour pratiquer leur sport, au même titre que des jeunes filles et jeunes femmes le retirent pour aller à l’école.

Le sport tient depuis longtemps une place importante dans notre République, et il doit donc être le reflet de ses principes. Plus encore, lors de la plus prestigieuse compétition sportive internationale, les Jeux Olympiques, on peut considérer que les sportifs exercent une mission de service public, représentant la France, État laïque. Le port de tout signe religieux ostensible serait donc contradictoire avec la mission qu’ils exercent ainsi et qui les apparentent à des représentants de la puissance publique qui ont une obligation de neutralité.

Et plus généralement, c’est l’idée universaliste derrière le sport qu’il s’agit de défendre : toutes et tous se présentent à égalité, soumis aux mêmes règles.

Ce qui s’inscrit en toile de fond de ce débat, c’est bien la confrontation culturelle entre, d’un côté, l’universalisme laïque hérité des Lumières et de la loi de 1905, et de l’autre, un rassemblement hétéroclite, au pire communautariste, au mieux vidant la laïcité de sa substance, la réduisant à la tolérance, au respect de toutes les religions et à la liberté de les pratiquer, faisant disparaître les principes de neutralité et de liberté de conscience (ou de raison). Il s’agit finalement d’une fausse bienveillance, à l’anglo-saxonne, où la liberté et le respect de l’individu et des différences ne valent qu’à la condition que chacun reste en réalité entre soi et ne franchisse pas les limites de sa communauté supposée ou de sa classe. Derrière le mirage qui accompagne un discours sur la liberté absolue de l’individu, il s’agit de masquer l’aliénation et le poids des cultures rétrogrades et patriarcales de certains courants religieux.

Il est à cet aune assez savoureux de considérer que, parmi les leaders d’opinion qui remettent en cause ouvertement ou implicitement les principes de laïcité, on trouve des athées revendiqués qui se paient le luxe d’expliquer à qui voudra bien les entendre ce que c’est que d’être croyant, ce que les fidèles de telle ou telle confession doivent croire et ce qui devrait les choquer. C’est en réalité une posture de condescendance qui n’a rien à envier aux réflexes coloniaux ou néo-coloniaux, une forme de réactivation du mythe du « bon sauvage ». Ainsi, être une bonne musulmane reviendrait en définitive à porter le voile, niant en pratique tout autre rapport possible à la foi islamique pour les femmes. Edwy Plenel n’agit en réalité pas différemment, et on l’a connu plus pertinent sur bien d’autres sujets : ce naufrage philosophique d’un grand intellectuel ne peut que nous attrister. Mais c’est aussi un registre qui a été emprunté à plusieurs reprises ces dernières années par Jean-Luc Mélenchon quand il a expliqué que, pour un véritable croyant, la loi de Dieu était forcément supérieure à celle de la République, le contraire signifiant qu’on serait un « mécréant », ou plus récemment avec ses critiques sur la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Paris imposant symboliquement aux chrétiens de se rallier aux interprétations les plus réactionnaires de certaines Églises. « L’Église chez elle et l’État chez lui » énonçait le 14 janvier 1850 Victor Hugo à la tribune de l’Assemblée nationale : il serait judicieux qu’Edwy et Jean-Luc l’appliquent à leurs prises de parole.

Il est temps que chacun se rappelle la maxime de Victor Hugo : « L’Église chez elle et l’État chez lui »

Pour autant, les lois laïques sont-elles suffisantes ? Non, la problématique de fond ne pourra pas se résoudre uniquement par des lois, par le haut. L’École pourra aider évidemment, mais in fine, seul un mouvement partant d’en bas, du peuple, dans un élan démocratique et émancipateur pourra résoudre cette contradiction. Contrairement au gloubi-boulga politique qui sourd régulièrement des interventions d’Ersilia Soudais (députée insoumise de Seine-et-Marne), le principe de laïcité ne se limite pas à la loi de 1905, qui contient à la fois un immense élan d’émancipation et de liberté mais aussi des dispositions de contraintes (sur la police des cultes notamment) que les pouvoirs publics oublient trop souvent de mettre en œuvre. Cette mise en œuvre aurait par ailleurs évité un débat autour de la loi « séparatisme » qui a permis une instrumentalisation indigne de la laïcité (retrouvez notre analyse de cette très mauvaise loi ici).

Mais les lois de 1905 ou de 2004 n’en sont pas moins indispensables pour garantir des espaces de neutralité, pour poser des limites à l’imprégnation de l’obscurantisme et de la religion, surtout dans un contexte international qui connaît depuis quarante ans une offensive politique tout azimut des intégrismes religieux. Faire sauter la digue de la laïcité, c’est laisser un boulevard aux intégristes politico-religieux, pour faire leur prosélytisme mais aussi pour exercer plus de pression, en particulier sur les femmes. La chaîne Public Sénat avait organisé le 9 avril dernier un débat intitulé « Laïcité chez les jeunes : pourquoi ça coince ? »3, durant lequel l’argument « tarte à la crème » a évidemment ressurgi : « C’est toujours les mêmes personnes qu’on cible du doigt [sic] quand on parle de laïcité ». Sans nier le fait que certaines forces politiques à l’extrême droite et à l’extrême centre dévoient évidemment nos principes par idéologie ou opportunisme, il est temps de remettre là-aussi la mairie au centre du village. Si les lois de 1905 et 2004 et le principe républicain de laïcité en général sont « moins compris » par les moins de 20 ans, c’est aussi parce qu’ils font volontairement abstraction du contexte international de montée des opérations politiques instrumentalisant le religieux, que ce soit avec les évangéliques, les sionistes-religieux ou évidemment les islamistes – et qu’ils y sont encouragés par divers influenceurs que les générations plus âgées, ne fréquentant pas les mêmes « médias », ne soupçonnent que peu. Et ils sont également dans le déni sur les conséquences nationales de ce contexte international, avec la montée des courants qui remettent ouvertement en cause les principes républicains et démocratiques et qui exercent une pression sociale et politique dans un nombre croissant de quartier. Il n’est pas indifférent de constater que cette offensive et cette pression rencontrent d’autant plus de succès dans les territoires où la promesse sociale et d’égalité de la République n’a fait que reculer depuis quarante ans ou n’a jamais véritablement connu de mise en application.

Bien sûr, l’on pourra toujours arguer que certaines femmes arrêteront leur pratique sportive. Oui, c’est vrai et c’est regrettable, mais ce n’est sûrement pas la laïcité et ses lois qu’il faut blâmer pour cela, sauf à vouloir se mettre à la remorque de l’islamisme. Car, pour finir, si la problématique internationale de l’oppression obscurantiste ne se résoudra pas par des polémiques lancées à l’occasion des Jeux Olympiques ou d’autres évènements grand public (dont le caractère commercial conduit à minorer la liberté d’expression), elle en dit long sur l’offensive politique en cours des intégrismes politico-religieux en France et de leurs alliés, objectifs ou non. Il appartient à la gauche universaliste de faire front face à ces attaques contre les principes républicains, d’où qu’elles viennent.

Julien Zanin, Céline Piot, Frédéric Faravel et Damien Vandembroucq

1https://www.mediapart.fr/journal/france/090824/voile-et-jo-l-hypocrisie-francaise

2https://x.com/edwyplenel/status/1822765041135034486

3https://www.publicsenat.fr/emission/avoir-20-ans/laicite-chez-les-jeunes-pourquoi-ca-coince-e7

Changement constitutionnel en Irlande : la balle est dans le camp du cabinet britannique

Plus de cinq semaines se sont écoulées depuis les élections générales pour la Chambre des Communes. Elles ont offert au Labour Party conduit par Keir Starmer un retour en grâce qui doit bien plus à la déchéance des Tories, aux difficultés internes des nationalistes écossais et à la fin de la séquence du Brexit (qui avait vu le Red Wall passer aux mains des conservateurs grâce à la promesse de Boris Johnson de mettre fin aux atermoiements du parlement) qu’au caractère enthousiasmant du programme du nouveau gouvernement Keir Starmer.

Une victoire travailliste massive mais par défaut

Le nouveau Premier ministre britannique a résolument engagé son parti sur une voie centriste depuis qu’il a battu la dauphine de Jeremy Corbyn en avril 2020 pour le poste de chef du Labour : les 10 promesses sur lesquelles il avait alors fait campagne pour obtenir le « job », et qui marquaient une forme de continuité économique et sociale avec la ligne précédente du parti, ont été prestement effacée du site internet. Son leadership a donc constitué un retour au New Labour de Tony Blair, sans volonté de renégocier les relations avec l’Union Européenne ,et avec une grande modération dans ses critiques concernant la politique migratoire du gouvernement Sunak.

Aussi la victoire des travaillistes s’explique-telle avant tout par la déconfiture des Conservateurs conduits par le Premier ministre sortant Rishi Sunak, qui ont perdu près de 20 points (et 121 sièges) par rapport au scrutin de 2019. L’ancien (et richissime) directeur de société financière a été incapable de compenser les dégâts causés dans l’opinion par les scandales à répétition sous Boris Johnson et le passage catastrophique au 10 Downing street de sa prédécesseure Liz Truss. Il a dû aussi assumer les dégâts provoqués par la violence sociale de la politique économique des Tories et par les promesses non tenues des brexiters (sur le système de santé, le NHS, notamment).

Une politique plus dure sur l’immigration (on retiendra l’accord absurde de re-migration vers le Rwanda, quelle que soit l’origine des migrants) n’a pas non plus permis de contenir l’extrême droite parlementaire, née des ruines d’un UKIP devenu inutile par la concrétisation du Brexit. Bien au contraire, le Reform Party, la nouvelle petite entreprise de Nigel Farage, semble avoir recueilli une forme de légitimation. Il a ainsi réuni 14,3% (+12,3 points) des suffrages (devant les LibDems avec 12,2%, +0,7) mais n’a obtenu que 5 sièges (contre 72 aux LibDems1 qui emportent 61 circonscriptions supplémentaires, bénéficiant d’implantations locales stratégiques en Angleterre et en Écosse).

Le Labour Party a ainsi et avant tout bénéficié de la division de la droite et et d’une baisse de régime du Scottish National Party2 (le Labour a repris une trentaine de sièges au SNP – qui se maintient à 30% dans la région –, rétablissant le caractère stratégique de l’Écosse dans le dispositif majoritaire travailliste). Le scrutin majoritaire à un tour de circonscription a fait le reste.

Qui est Keir Starmer ?

Cependant le nouveau Premier ministre britannique n’est peut-être pas uniquement ce personnage sans charisme et social-libéral décrit (pas forcément à tort) par ses opposants internes et la presse d’Outre-Manche.

Avocat de talent, il s’est fait un nom dans la défense des droits humains, des libertés publiques et des militants politiques écologistes, mais aussi dans la lutte légale sur des causes économiques. Jeune avocat, il fournit en 1990 une aide juridique gratuite aux manifestants arrêtés par la police après les émeutes contre la Poll tax de Margaret Thatcher (1990) ; il s’est également opposé au gouvernement Blair, lui reprochant en particulier la guerre en Irak et l’attaquant en justice lorsque ce dernier refusa d’accorder des prestations aux demandeurs d’asile.

Et c’est bien dans son parcours professionnel que l’on peut trouver aujourd’hui des éléments de nature à nous intéresser, bien qu’il se soit révélé finalement assez malléable sur ces questions à la tête de son parti : ainsi dès le printemps 2020, il a exclu plusieurs membres du cabinet fantôme au prétexte d’avoir voté contre deux projets de loi conservateurs visant à garantir l’impunité aux militaires et aux agents de renseignement s’ils commettaient des actes criminels au cours de leurs opérations.

Avant de devenir député en 2015, il a été Procureur général (« directeur des poursuites pénales publiques », dans le système britannique) du Royaume Uni de 2008 à 2013, mais surtout il a participé entre 2003 et 2008 à l’élaboration des nouveaux services de police en Irlande du Nord, le Police Service of Northern Ireland (PSNI)3, un des nombreux points découlant des Accords du Vendredi-Saint4. Au moment d’aborder la question de l’Irlande du Nord comme Premier Ministre, cette expérience n’est sans doute pas inutile.

Une scène politique totalement différente

Le tableau politique de la province d’Irlande du Nord n’a pas grand-chose à voir avec le reste du Royaume Uni. Pour la troisième élection consécutive entre 2022 et 2024, le Sinn Féin5 est devenu le plus grand parti politique de la province ; il est désormais en tête de manière décisive en termes de représentativité et de suffrages, au sein de l’Assemblée provinciale, du gouvernement local et des députés élus au parlement britannique (où il continue de refuser de siéger car il ne reconnaît pas la souveraineté britannique sur la province malgré son attitude de coopération avec les autorités britanniques en Irlande du Nord depuis les Accords du Vendredi Saint).

Les sept députés du Sinn Féin élus constituent désormais le plus grand groupe de députés de tous les partis du nord, avec une augmentation de 4,2 points6 en termes de suffrages exprimés. 2024 marque donc le renforcement de Sinn Féin dans un contexte plus favorable à l’unité irlandaise : le Democratic Unionist Party (DUP)7 continue son déclin, ne conservant plus que 5 membres du parlement britannique : il a perdu plus de 70 000 voix depuis 20198 (-8,5 points) et trois sièges à Westminster où il dépassait jusqu’ici de peu la représentation théorique des républicains irlandais.

En réalité, le DUP avait perdu sa position stratégique dès les élections générales britanniques de 2019 : jusque-là, ses 10 députés étaient indispensables à la majorité parlementaire de Theresa May, tout en représentant une partie de ses problèmes. Le DUP était un soutien radical du Brexit, apportant de l’eau au moulin de Boris Johnson ; la victoire électorale massive de ce dernier en 2019 rendait le DUP inutile.

Depuis, le parti ultra-conservateur protestant s’est enlisé dans des scandales internes. Les positions de plus en plus caricaturales de certains de ses élus en matière de société et des dissensions sur la ligne politique l’ont conduit à raidir sa position et à refuser pendant près de deux ans (de mai 2022 à février 2024) la constitution d’un gouvernement provincial dirigé par la républicaine Michelle O’Neill qui avait remporté les élections de 2022 avec 29% de voix (contre 21 au DUP). Le parti unioniste a ainsi perdu sur toute la ligne et le scrutin britannique du 4 juillet dernier ne fut qu’une confirmation supplémentaire : le DUP a perdu sur tous les fronts, il cède North-Antrim au parti Traditionnal Unionist Voice (encore plus à droite), South-Antrim à l’Ulster Unionist Party (UUP)9 et Lagan Valley à l’Alliance Party10. La position globale du Sinn Féin en tant que parti le plus important d’Irlande a été consolidée11.

Le cabinet Starmer doit rompre avec la stratégie d’indifférence qui a prévalu depuis 14 ans

La réalité est que le système gouvernemental et parlementaire britannique proprement dit n’a pas pris en compte les intérêts de l’Ulster et de sa population. Cela est illustré par l’héritage des administrations tories successives qui ont abouti à l’austérité, au sous-financement systémique des services publics, à la catastrophe du Brexit et à la plus récente « loi d’amnistie »12. Cela s’est également traduit par le peu d’entrain des gouvernements conservateurs à peser sur le DUP pour qu’il respecte le cadre constitutionnel nord-irlandais découlant des Accords du Vendredi Saint en entrant dans le gouvernement provincial, tout comme Sinn Féin avait accepté de le faire quand le premier ministre nord-irlandais était membre du DUP.

Cependant, l’élection de la nouvelle administration travailliste offre l’occasion de changer fondamentalement la politique du gouvernement britannique à l’égard de l’Irlande et de réinitialiser les relations entre la Grande-Bretagne et l’Irlande. Les évolutions électorales sanctionnées par le scrutin du 4 juillet reflètent une demande populaire en Irlande-du-Nord pour une amélioration réelle de leurs perspectives politiques, ainsi qu’une opinion croissante selon laquelle le progrès économique et social requis pour répondre aux priorités des travailleurs et des familles ne sera possible qu’en dépassant la partition de l’Île ce qui implique un processus de changement constitutionnel.

Dans les jours qui ont suivi les élections, les médias britanniques et internationaux ont largement commenté la façon dont les bons résultats électoraux du Sinn Féin renforçaient la position de toutes celles et tous ceux qui militent en faveur de l’unité irlandaise. Cet élan a été alimenté par le Brexit, l’indifférence des responsables politiques anglais, l’échec économique et politique de la partition et l’impossibilité complète d’un retour en arrière qui rétablirait la frontière entre les deux Irlande à la suite de la mise en œuvre effective de la sortie du Royaume Uni de l’Union Européenne. Nous avons déjà eu l’occasion d’en expliquer les impasses et l’échec des Unionistes radicaux à relancer – au prix d’une compromission avec la pègre – les « troubles » au prétexte de l’établissement d’une frontière économique de fait entre la Grande Bretagne et l’Irlande du Nord13.

L’unité de l’Irlande est de toute façon à l’agenda

La question n’est plus tant de savoir si la réunification irlandaise est inscrite à l’agenda politique mais de quelle manière l’unité irlandaise peut se réaliser et comment la lier indissociablement à un potentiel de prospérité économique accrue, de services publics de meilleure qualité, d’une stabilité politique et d’un règlement constitutionnel fondé sur l’état de droit. Si Sinn Féin a progressé dans les deux parties de l’Île, c’est aussi en grande partie parce qu’il prétend porter la promesse d’une République Sociale irlandaise, débarrassée du sectarisme confessionnel.

L’Accord du Vendredi Saint fournit le mécanisme permettant l’exercice de l’autodétermination par le biais de référendums d’unité simultanés et permettant une transition planifiée vers la réunification. Or jusqu’à présent, les gouvernements britanniques ont refusé de définir les critères selon lesquels la date de convocation de tels référendums pourrait être fixée, même si l’on peut comprendre que les premières années de la paix civile, après 29 ans de conflits, méritaient une prudence attentive.

Aujourd’hui, les changements électoraux, les changements démographiques, les réalignements politiques, les sondages d’opinion au nord et au sud et les énormes travaux de recherche universitaires soulignent tous la nécessité pour ce gouvernement britannique de commencer à penser et à agir différemment sur la question stratégique de l’autodétermination irlandaise.

Le refus persistant de le faire n’est plus tenable.

Consensus irlandais inédit

En revanche, un consensus émerge désormais sur la nécessité de planifier et de préparer un changement constitutionnel au sein de la majorité des partis politiques de l’île d’Irlande (y compris les trois partis gouvernementaux de coalition à Dublin)14. Le mois dernier, un comité multipartite du parlement irlandais (comprenant à la fois l’Assemblée et le Sénat), le Comité mixte sur la mise en œuvre des Accords du Vendredi-Saint, a publié un rapport historique intitulé Perspectives sur le changement constitutionnel : finances et économie. Ce rapport énonce 15 recommandations, dont la nécessité d’adopter une approche pangouvernementale (gouvernement irlandais, exécutif d’Irlande-du-Nord, cabinet britannique) pour planifier et se préparer à l’éventualité d’un changement constitutionnel. Il appelle en outre le gouvernement de Dublin à publier un livre vert définissant une vision pour une Irlande unie. Il recommande notamment qu’un comité parlementaire irlandais soit mandaté, doté de ressources adéquates et dédié à la préparation d’une Irlande unie dès maintenant.

Ce rapport représente une avancée politique majeure car il intègre ainsi la parole des parlementaires républicains de Sinn Féin dans une expression commune des forces politiques irlandaises, alors que le jeu politique des partis qui avaient dominé la vie politique de la République d’Irlande consistait avant tout à marginaliser les Républicains pour tenter (sans succès) de les faire reculer électoralement. Cela signifie qu’un changement constitutionnel est désormais à l’agenda politique de l’ensemble des partis de la République d’Irlande alors qu’il avait en réalité peu ou prou disparu des objectifs du Fine Gael et du Fianna Fáil (ce dernier ayant tenté de maintenir l’illusion sur ses intentions plus longtemps que son « frère ennemi »15). Bien sûr, cela ne signifie pas que l’unification soit irrésistible, mais le large consensus contenu dans le rapport du Comité mixte reflète la profondeur et la force de l’accord politique sur l’unité irlandaise et les processus nécessaires pour y parvenir.

En octobre 2022, Ireland’s Future, l’organisation civique qui milite et défend l’unité irlandaise, a organisé une grande conférence publique à la 3Arena sur les Docks de Dublin. À cette occasion, elle a réussi à réunir dans une même enceinte les dix principaux partis politiques irlandais de tous les horizons politiques nationaux et démocratiques pour discuter de l’unité irlandaise. Il y a deux mois, et peu avant les élections générales britanniques, Ireland’s Future a organisé un événement similaire à l’Odyssey Arena de Belfast. Cette fois, les représentants des mêmes partis politiques ont été rejoints par l’Alliance Party, signifiant le basculement de cette organisation dont nombre de dirigeants sont issus de communautés unionistes vers la perspective de l’unité irlandaise16. La participation de tous les principaux partis organisés à travers l’Irlande, à l’exception des trois principaux partis unionistes17, souligne ainsi la centralité du changement constitutionnel dans le discours national irlandais.

Deux interventions individuelles extrêmement importantes ont été faites lors de la conférence tenue à l’Odyssey, par Jarlath Burns, président de la Gaelic Athletic Association, et par l’ancien Premier ministre irlandais Leo Varadkar (FG). Burns a insisté sur la nécessité de favoriser les discussions sur l’avenir constitutionnel de l’Irlande, tandis que Varadkar a affirmé qu’il était désormais temps pour le gouvernement irlandais de traiter l’unité irlandaise comme un objectif politique, et non plus simplement comme une aspiration, ce qui illustre la transformation complète de posture du centre droit irlandais que nous évoquions plus haut (personne n’est dupe, il s’agit aussi de tenter de couper l’herbe sous les pieds de Sinn Féin).

Des solutions à l’étude

Ireland’s Future et d’autres, dont le professeur Brendan O’Leary18, ont produit des propositions détaillées sur la fixation d’une date pour les référendums sur l’unité d’ici 2030 et sur le type de processus de transition pour parvenir à un nouveau règlement constitutionnel pour l’Irlande. Le débat sur la réunification est également devenu une préoccupation ouverte du mouvement syndical irlandais depuis la conférence biennale des délégués du Congrès irlandais des syndicats en octobre 2021. Des dirigeants syndicaux, dont Owen Reidy, Gerry Murphy et d’autres, ainsi que des personnalités du mouvement syndical basé en Grande-Bretagne et aux États-Unis, comme Mick Lynch et Terry O’Sullivan, ont tous réfléchi aux futurs arrangements politiques de transition en faisant référence aux droits des travailleurs.

Un plus grand nombre de voix alternatives issues de la tradition civique unioniste se font désormais entendre. Ainsi, des personnalités telles que Denzil McDaniels, Claire Mitchell, Karen Sethuraman et Davy Adams ont élargi la portée du débat en soulignant que les valeurs et les identités des Protestants et des syndicalistes doivent faire partie intégrante du processus de changement en cours.

Alors que le peuple irlandais s’est vu refuser son droit à l’autodétermination sur l’ensemble de l’Île depuis plus de 100 ans, cette option démocratique a finalement été reconnue en 1998 grâce à son inclusion dans les Accords du Vendredi-Saint. Plus que jamais aujourd’hui, la réunification irlandaise et un nouveau règlement constitutionnel constituent des objectifs à la fois raisonnables et légitimes.

Starmer devant ses responsabilités

Le jour est venu pour le nouveau gouvernement britannique de s’engager et d’accepter ces réalités. Il peut entrer dans l’histoire en permettant d’écrire un récit positif. Keir Starmer a les atouts en main pour devenir un partenaire dans la gestion du changement progressiste en Irlande et travailler en partenariat avec le gouvernement irlandais et l’opinion démocratique au sens large pour ouvrir la voie à la réunification et à la réconciliation.

Il y a vingt-sept ans, un gouvernement travailliste, récemment parvenu aux affaires, a joué un rôle crucial en contribuant à garantir un accord de paix en Irlande et à ancrer le processus dans la durée. Cela a été une réussite au-delà des espérances les plus folles de l’époque car l’Accord a tenu face à toutes les chausses-trappes et que ces 27 années ont fait évolué comme jamais les mentalités.

Les gouvernements britannique et irlandais sont désormais devant la responsabilité conjointe de planifier et de préparer le changement constitutionnel et de concevoir une transition ordonnée vers de nouveaux arrangements nationaux, démocratiques et constitutionnels en Irlande. Une feuille de route intergouvernementale convenue et dotée de ressources adéquates est nécessaire ; il est pour cela indispensable que des discussions formelles commencent entre les administrations britannique et irlandaise en place. La réponse anti-raciste apportée des deux côtés de la mer d’Irlande aux émeutes suprémacistes qui ont éclaté en Angleterre et à Belfast ces dernières semaines démontre que les sociétés sont prêtes : ne pas saisir le moment serait un gâchis incommensurable.

Keir Starmer doit se hisser à la hauteur de l’histoire.

Frédéric Faravel


1Les Libéraux-démocrates (anglais : Liberal Democrats, abrégé en LibDems) sont un parti politique britannique libéral classé au centre et au centre gauche. Le parti a été fondé en 1988 par une fusion du Parti libéral avec le Parti social-démocrate (SDP, scission du Labour Party) qui formaient depuis 1981 une alliance électorale. Le Parti libéral existait précédemment depuis 129 ans (il est né au milieu du XIXème siècle de la fusion du parti et du groupe parlementaire Whig et d’une partie des Radicals) et a dirigé le Royaume-Uni sous de nombreux Premiers ministres Gladstone, Asquith et Lloyd George notamment, avant d’être progressivement surpassé par le Parti travailliste, traduction de l’accès de la classe ouvrière au droit de vote et de sa conscience de devoir prendre en charge directement la défense de ses intérêts.

2Le Parti national écossais est le principal parti indépendantiste écossais. Fondé en 1934, le parti retrouve de la popularité depuis les années 1970 et suit une ligne politique de centre gauche qualifiée par le parti lui-même de « social-démocrate ». L’élan électoral du nationalisme écossais découle indirectement du rejet de la politique économique et fiscale Margareth Thatcher, une partie des catégories populaires et moyennes écossaises considérant que la défense de leurs intérêts de classe passaient par une réaffirmation de l’Écosse comme Nation. Lors de l’établissement du Parlement écossais en 1999, le SNP devient le plus grand parti d’opposition. Depuis sa victoire lors des élections législatives écossaises de 2007, le Parti national écossais dirige le gouvernement écossais. Le SNP siégeait au Parlement européen au sein du groupe écologiste.

3Le Service de police d’Irlande du Nord a remplacé en 2001 la Royal Ulster Constabulary (RUC), dont la composition héritée du régime unioniste ségrégationniste qui a dirigé la province de 1920 à 1972 empêchait toute utilisation en faveur de la paix civile : son recrutement exclusivement protestant l’a conduit à de très nombreuses reprises à être complices des groupes paramilitaires « loyalistes » et d’exactions multiples contre la population civile. Le PSNI assure un recrutement non sectaire de ses agents ; elle est par son caractère impartial régulièrement l’objet de critique de la part du principal parti unioniste de la province et des groupes politico-maffieux héritiers des paramilitaires loyalistes. La situation politique en Ulster explique l’armement de tous ses personnels assermentés.

4Pour une présentation complète des Accords du Vendredi-Saint (Good Friday Agreement en anglais, GFA), nous vous invitons à lire notre article du 10 avril 2023 : 25 ans après le Good Friday Agreement, l’Irlande en chemin vers l’unité ? https://g-r-s.fr/25-ans-apres-le-good-friday-agreement-lirlande-en-chemin-vers-lunite/

5Sinn Féin : « nous-mêmes » en irlandais. Parti Républicain, dont la forme actuelle est issue de la tendance du parti qui choisit de conserver l’objectif d’émancipation nationale au côté de l’émancipation sociale en 1969-1970.

6En 2017, le Sinn Féin avait fait un meilleur score en voix comme en pourcentage – 238 915 et 29,4% – mais à l’époque le score écrasant des ultra-conservateurs unionistes du DUP, 36% et l’effondrement des autres partis unionistes, nationalistes ou centristes empêchaient toute évolution. La vacance gouvernementale en Irlande du Nord de plus de 2 ans provoquée par les scandales politico-financiers frappant le DUP et le refus de Sinn Féin de constituer dans ces conditions un exécutif provincial (en pleine négociation pour le Brexit) avait été mal perçue par les nord-irlandais qui avaient d’une certaine manière sanctionné les deux principaux partis de la province remettant en selle les autres forces politiques locales – UUP, SDLP et Alliance Party.

7Parti unioniste démocratique : parti ultra-conservateur protestant, fondé en 1971 par le Révérend Ian Paisley et de nombreux dissidents du Unionist Ulster Party, qui dirigeait le gouvernement provincial depuis 1920 et que les fondateurs du DUP trouvaient trop accommodant avec la volonté (pourtant très limitée) de transformation politique et sociale de la province des différents gouvernements britanniques à partir de 1968. L’intransigeance politique et le sectarisme du DUP l’a conduit à avoir des liens étroits avec plusieurs groupes paramilitaires « loyalistes » comme l’Ulster Volunteer Force (UVF) et l’Ulster Defence Association (UDA). Le parti refusa les Accords du Vendredi Saint jusqu’à ce qu’il soit amené à prendre la direction du gouvernement provincial en association avec leurs anciens ennemis du Sinn Féin.

8et 120 000 depuis 2017…

9Le Parti unioniste d’Ulster est l’ancien parti protestant du pouvoir de 1920 à 1971, signataire des Accords du Vendredi Saint en 1998 avec David Trimble, qui a reçu pour cela le Prix Nobel de Paix.

10Créé en 1970 pour défendre un unionisme non confessionnel, le Parti de l’Alliance a progressivement évolué comme un parti libéral, qui prétend dépasser les conflits communautaires. Politiquement, il n’est classé ni chez les Unionistes, ni chez les Nationalistes ; le nombre de ses adhérents en faveur de l’unification de l’Irlande tend à devenir majoritaires.

11Sinn Féin est également présent en République d’Irlande : il a obtenu le meilleur score aux élections générales en février 2020 avec 24,5% des voix et le groupe parlementaire le plus important (37 sièges, à égalité avec les conservateurs du Fianna Fáil. Il est écarté du pouvoir par une coalition (qui était informelle depuis 2016 et qui visait déjà à l’époque à refuser à Sinn Féin de participer à une coalition gouvernementale malgré un score plus modeste) des deux partis ennemis de droite qui alternent au pouvoir depuis 1926.

12Le gouvernement de Rishi Sunak a fait adopter le 12 septembre 2023 une loi interdisant les enquêtes de police et les procès pour les crimes commis durant la période de la guerre civile en Irlande du Nord. L’avancée des enquêtes en ce domaine était de nature à compromettre gravement la réputation des forces de sécurité et des gouvernements britanniques en mettant à jour leur collaboration criminelle avec les groupes paramilitaires « loyalistes ». La République d’Irlande a saisi la Cour Européenne des Droits de l’Homme, le jugeant contraire à la Convention européenne des Droits de l’Homme.

13Irlande du Nord : Le Brexit va-t-il gâcher 23 ans de Paix ? https://g-r-s.fr/irlande-du-nord-le-brexit-va-t-il-gacher-23-ans-de-paix/

14Depuis 4 ans, la coalition gouvernementale irlandaise est composée par le Fine Gael (FG, centre droit, libéral, siégeant aux côtés du PPE), du Fianna Fáil (FF, centre droit, conservateur, siégeant au sein de Renew Europe) – deux partis qui se sont affrontés électoralement de 1926 à 2016 (et les armes à la main en 1922 et 1923) – et le Green Party (écologiste). Depuis avril dernier, c’est Simon Harris (FG) qui est premier ministre en titre (avec Micheál Martin, FF, comme vice premier ministre) après la démission de Leo Varadkar (FG, plusieurs fois premier ministre, dont la période décembre 2022 à avril 2024) ; ce dernier avait lui-même succédé à Micheál Martin, dont il était vice premier ministre, qui avait dirigé le gouvernement de juin 2020 à décembre 2022.

15Fine Gael et Fianna Fáil sont héritiers des deux branches nationalistes qui se sont divisées sur le traité anglo-irlandais de 1921 créant l’État libre d’Irlande, division qui conduisit à une terrible guerre civile au début des années 1920.

16Les partis soutenant une perspective d’unification de l’Irlande au parlement provincial d’Irlande du Nord sont désormais majoritaires dans cette assemblée : Sinn Féin, Alliance Party, Social-Democratic and Labour Party (SDLP, nationalistes et travaillistes), People before Profit Alliance (extrême gauche), 53 sièges sur 90. Cependant, les Accords du Vendredi-Saint imposent que les quatre partis les plus importants de l’assemblée appartiennent à l’exécutif provincial (Sinn Féin, DUP, Alliance Party, UUP) ; le SDLP sert ici d’« opposition officielle ».

17Democratic Unionist Party (DUP), Ulster Unionist Pary (UUP, signataire des Accords du Vendredi-Saint), Traditionnal Unionist Voice (TUV)… Il faudrait ajouter à cette liste le Progressive Unionist Party(PUP), signataire des Accords du Vendredi-Saint et qui représentait « l’aile gauche » socialisante des membres de l’Ulster Volunteer Force (un des principaux groupes paramilitaires « loyalistes ») qui prétendait défendre les intérêts de la classe ouvrière protestante ; ce parti se maintient mais peine à se faire entendre électoralement.

18Politologue irlandais, professeur à l’Université de Pennsylvanie. Il était auparavant professeur à la London School of Economics. En 2009-2010, il a été le deuxième conseiller principal sur le partage du pouvoir au sein de l’équipe de veille de l’unité d’appui à la médiation du Département des affaires politiques des Nations Unies.

Fake news et violence séditieuse : la « nouvelle » stratégie de l’extrême droite anglaise

Une vague d’émeutes racistes secoue actuellement l’Angleterre. Il est important de rappeler le fait divers originel sur lequel elles ont pris appui : un adolescent de 17 ans dérangé psychologiquement, né à Cardiff au Pays de Galles de parents rwandais, chrétien, attaque au couteau un cours de danse et tue trois fillettes de 9 et 10 ans, blessant d’autres et deux adultes. Arrêté, il est rapidement transféré en asile psychiatrique, la police ne relève aucune motivation terroriste. L’extrême droite anglaise a alors répandu la rumeur, depuis le compte X Europe Invasion et le portail Channel 3 Now, selon laquelle les autorités cacheraient la véritable identité du meurtrier ; selon les fake news qu’elle diffuse, l’auteur est un migrant musulman arrivé illégalement par bateau.

Ces fausses informations que la nébuleuse ultra-nationaliste anglaise sait inventées de toute pièce lui servent de prétexte au déclenchement de plusieurs attaques simultanées en différents point de l’Angleterre (Londres, Manchester, Hartlepool, Aldershot) contre tout ce qui ressemble à des migrants ou des musulmans. De nombreux commerces sont pillés par des attroupements répondant à des slogans « suprémacistes blancs » et de l’extrême droite anglaise : « Nous voulons récupérer notre pays ! Anglais jusqu’à la mort ! » La police a empêché le pire au prix de près de 70 blessés dans ses rangs et a procédé jusqu’ici à 378 arrestations. L’état d’urgence est déclaré dans les villes touchées. Il y a des endroits où les militants anti-racistes se défendent physiquement contre des milices racistes pour protéger des commerces pakistanais ou des hôtels d’hébergement pour réfugiés. Dans certains quartiers visés les populations se constituent en milices d’autodéfense déterminées à s’opposer aux attaques racistes.

Le mode opératoire est commun à toute l’extrême droite européenne cherchant par la manipulation de faits divers à déstabiliser les démocraties. Chemnitz en Allemagne en 2018 avait été le théâtre d’un spectacle lamentable tout aussi peu spontané que les violences actuelles. Peu importe qu’en 2018 la victime fut binationale et antifasciste, peu importe qu’en 2024 le fait divers dramatique servant de prétexte ait été perpétré par un non musulman né au Royaume Uni, les calomnies, les rumeurs et les mensonges, répandus y compris par le PDG de X/Twitter1, amplifient ce qui sans l’intervention ferme des forces de l’ordre auraient abouti à de véritables pogroms modernes.

Le choix de déclencher aujourd’hui des affrontements n’est pas anodin : le parti travailliste vient à nouveau d’accéder au pouvoir avec une majorité écrasante qui doit beaucoup à la déréliction des Tories. Il y a quelques semaines un jeune homme a tué toute sa famille à l’arbalète : l’extrême droite n’a pas tenté alors de déclencher des émeutes. L’assassin était blanc mais le procédé de la rumeur ne procède pas de cette manière. Dans la situation présente, la réalité n’a pas empêché l’extrême droite anglaise de dénoncer sans preuve pour déclencher les violences actuelles d’incriminer des réfugiés du Moyen Orient totalement étrangers à l’affaire. Il s’agit en réalité de mettre en cause la capacité du Labour à assurer la tranquillité publique presqu’un mois après son accession au pouvoir (donc maintenant qu’il a tous les leviers en main) : soit en l’accusant de protéger des « assassins étrangers », soit en démontant son incapacité à rétablir l’ordre ou à protéger les « vrais » Anglais.

Il faut inlassablement combattre ceux qui pillent, saccagent, brûlent, pour terroriser ceux qu’ils haïssent par racisme exacerbé. Nous apportons notre soutien aux victimes de ces émeutes et invitons le gouvernement britannique à la plus ferme sévérité contre leurs auteurs. Quand l’extrême-droite française se prétendra le parti de l’ordre, il faudra lui rappeler comment ses amis ont mis à sac des quartiers entiers à travers toute l’Angleterre.

Les limites du modèle communautaire anglo-saxon apparaissent d’autant plus saillantes. Ceux qui, en France, idolâtrent ce mode de fonctionnement, persuadés que d’hypothétiques minorités jouissent supposément de plus de droits, doivent se rendre compte que cela aboutit au conflit de tous contre tous.

C’est aussi 12 années de politique austéritaire des conservateurs qui ont provoqué le divorce d’une partie des classes populaires et des classes moyennes avec le modèle de société libéral démocratique, qui réduit les droits sociaux et syndicaux, maintiens les salaires bas et s’attaque aux services publics. Les migrants servent ici à nouveau de boucs émissaires, instrumentalisés déjà par les conservateurs pour faire voter le Brexit : la droite britannique porte une lourde culpabilité par son irresponsabilité au pouvoir pendant 12 ans.

Nous avertissons enfin les factieux français qui voudraient se livrer à de telles exactions : ils trouveront tous les Républicains sur leur chemin. Nous ne laisserons pas importer les émeutes communautaires et nous protégerons tous les citoyens de ceux qui veulent les exclure de la seule communauté que nous reconnaissons, celle de la République.

La République cependant ne pourra être défendue par les Français qu’à la condition que sa promesse sociale, ancrée dans notre constitution, soit mise en actes. Nous mettons en garde les amis idéologiques des conservateurs britanniques d’importer en France les recettes budgétaires et économiques qui ont créé les conditions sociales de cette crise.

La République sociale se défendra contre tous ses adversaires !

Mathias Weidenberg, Augustin Belloc et Frédéric Faravel

1Elon Musk a twitté « la guerre civile est inévitable » : https://x.com/elonmusk/status/1819933223536742771 ; il y a quelques semaines il avait fait rétablir le compte d’un des militant suprémacistes considéré comme l’instigateur des émeutes actuelles.

Voici pourquoi la cérémonie d’ouverture des JO de Paris n’était pas “woke”

Parce que c’était Français : riche, contradictoire, parfois choquant (et nous ne sommes pas tous choqués par les mêmes choses), parfois léger, le sexe et le désir omniprésent, la colère et la révolte également, hermétique parfois (il n’était pas immédiatement compréhensible que le moment de rock métal rendait aussi hommage au Bataclan), docte et arrogant à d’autres moments (bien sûr on adore Louise Michel), picaresque au sens rabelaisien et beau comme un défilé de toutes les modes.

C’était même à certains moments ridicule, parfois hésitant entre hommage et « blasphème », et menaçant de tomber dans les eaux.

Et c’était extrêmement parisien ! Fluctuat nec mergitur, n’est-ce pas !

Alors Paris s’est célébrée et a presque fait oublier l’objet de sa fête, les athlètes parqués sur des bateaux mouches pour ne pas gêner les chorégraphies, jusqu’à ce moment lumineux, le passage de la torche par des gloires passées – la France hésite toujours entre nostalgie et avenir – l’hommage à un grand ancien – nous sommes existentialistes, nous savons que nous allons tous mourir – et la promesse de la lumière !

C’est en France que commence la conquête du ciel. Cette montgolfière ne rappelle pas que le rêve des deux frères inventeurs. Les toiles de la première montgolfière sont travaillées par les ouvriers du faubourg Saint-Antoine dans les ateliers de l’industriel Réveillon. Celui-ci est un adepte du libre échange, mais confronté à la concurrence déloyale anglaise, il veut “baisser le coût du travail”. L’émeute de ses ouvriers révoltés en avril 1789 sert de répétition à la prise de la Bastille, qui partira du même quartier, trois mois plus tard. C est de ce faubourg qu’a été lancé la marche des femmes parisiennes sur Versailles à l’automne. C’est ce faubourg qui popularise le “Ça ira !” et qui se bat contre l’arbitraire bonapartiste. En 1870, les ouvriers du quartier acclament Gambetta quittant Paris encerclé par les troupes germano-prussiennes pour organiser la résistance nationale. Il s’enfuit … en montgolfière. Et c’est avec les ouvriers de ce quartier que Louise Michel combat pendant la Commune.

Enfin, la lumière de la flamme, illuminant la Ville-Lumière, rappelle que nous sommes la Nation enfantée du « Siècle des Lumières ! » C’est-à-dire : Universaliste !

Il n’y a rien d’Américain dans le spectacle proposé vendredi soir – même les stars nord-américaines invitées ont offert un témoignage de culture française et d’hommage à la France. Et la Marseillaise fut magnifiquement chantée par une enfant de cette histoire contradictoire, née aux Amériques françaises, portant à la fois l’esclavage et son abolition. Rappelons le : la République américaine fit la guerre à la République française parce que celle-ci avait osée avoir des députés noirs au sein de son assemblée, qu’elle avait osé abolir l’esclavage. Notre histoire n’est pas celle des Américains : elle les dépasse et les surpasse. Et c’est pourquoi nous n’avons pas besoin de leurs théories sociales.

Tout dans cette cérémonie était Française. Profondément et contradictoirement Française. Si vous êtes dépassés par votre propre Nation, et bien acceptez de lire pour comprendre enfin ce qu’elle raconte au monde et d’elle-même, ou bien, choisissez-vous une Nation plus simple.

Mathias Weidenberg

Avec le nouveau Front Populaire, la Gauche doit se refonder

La Gauche Républicaine et Socialiste présente avec cet article son analyse des élections législatives de juin et juillet 2024 et de la période qui s’ouvre pour le pays et la gauche.

LE FRONT RÉPUBLICAIN A TENU

Si le pire a été évité au soir du dimanche 7 juillet 2024, c’est que le front républicain a fonctionné à un point qu’on n’imaginait plus. On ne l’imaginait plus car les instituts de sondages et les dirigeants de la droite républicaine avaient fini par nous convaincre qu’une majorité d’électeurs du centre et de la droite refuserait de faire barrage au Rassemblement National en votant pour des candidats de gauche ; on ne l’imaginait plus car le camp présidentiel avait cultivé la confusion et la cacophonie sur les consignes de vote pour le second tour.

La participation électorale (66,7%) retrouve des niveaux qu’elle n’avait pas connus depuis 1997. Le résultat est quant à lui frappant et au-delà des espérances dans une situation politique particulièrement dégradée : le Nouveau Front Populaire arrive en tête, suivi par la coalition des soutiens du président de la République ; le Rassemblement National et ses ralliés atterrissent encore loin de la majorité absolue qui leur semblait promise au soir du 1er tour. Les citoyens français sont décidément plus intelligents que nombre de leurs dirigeants.

Le spectacle donné par la Macronie depuis lundi matin est consternant. Principal responsable de situation d’instabilité politique que connaît le pays, le président de la République continue de fragiliser les institutions et ne cesse de contester la prééminence du Nouveau Front Populaire à l’Assemblée nationale. Jeu dangereux auquel joue Emmanuel Macron car il remet en cause les règles démocratiques de notre République.

La gauche n’a pourtant pas démérité dans cette élection, notamment en constituant une coalition nouvelle sous la forme du Nouveau Front Populaire qui évite les déséquilibres et les ostracismes qui avaient présidé à l’accouchement de la NUPES. Emmanuel Macron avait fait le pari qu’elle serait incapable de s’unir face à la « guerre éclair » qu’il croyait lui imposer : il s’est lourdement trompé. Les partis de gauche et leurs dirigeants ont su mettre de côté les querelles amères, qui avaient conduit au sabordement de la précédente coalition, pour affronter le risque que le locataire de l’Élysée avait fait peser par caprice sur toute la Nation.

Le Nouveau Front Populaire et les députés divers gauche comptent désormais 195 sièges contre un peu plus de 150 dans la précédente assemblée. La gauche a gagné avec la progression de la participation un peu plus de 3 millions de voix au 1er tour.

Des résultats qui légitiment un sentiment de soulagement mais qui invite également à la modestie et au sursaut : la gauche ne fait que se maintenir à flot tandis que le bloc d’extrême droite progresse de plus 5,6 millions voix.

UNE VICTOIRE EN DEMI-TEINTE

Le danger que le Rassemblement National représente pour notre pays reste donc entier. En 2017, le RN comptait 8 députés ; en 2022, 89 ; depuis lundi matin, l’extrême droite en a 143 (dont les 17 députés LR qui ont été élus sur la base d’une alliance indigne conduite par Eric Ciotti, mais qui sont donc passés ouvertement dans le camp de l’extrême droite). Une progression de 54 sièges, le groupe parlementaire le plus important de la nouvelle Assemblée Nationale.

Les résultats successifs des élections européennes et législatives nous obligent à faire preuve d’honnêteté et d’humilité : l’extrême-droite n’est plus le rassemblement de quelques franges aisées de la population et de racistes. Elle concentre désormais autour d’elle une grande partie de la classe ouvrière et des classes moyennes ; une immense part de celles et ceux qui n’ont que leur travail pour vivre.

Bien qu’il ne faille pas négliger le niveau d’abstention qui sévit chez les plus modestes, force est de constater que le parti lepéniste progresse d’une élection à l’autre parmi les ouvriers (57% d’entre eux votent RN en 2024 soit +12 points par rapport à 2022) et les employés (44% d’entre eux en 2024 soit + 19 point par rapport à 2022).

Force est également de constater qu’il représente un recours pour une large part de cette France des oubliés et de la périphérie qui a constitué le cœur des mobilisations des « Gilets jaunes » : le RN fait régulièrement 40% dans les villes de moins de 10 000 habitants, plus de 30% dans celles de 50 000 à 200 000 habitants (contre « seulement » 28% dans les métropoles de plus de 200 000 habitants).

Des territoires entiers basculent dans la France du Nord et de l’Est, dans le pourtours méditerranéen et la vallée de la Garonne. Déjà en 2022 nombre de départements mettaient le RN en tête : l’Aude, la Haute-Marne, la Haute-Saône et les Pyrénées-Orientales ; il faut y ajouter deux ans plus tard les Alpes-de-Haute-Provence, la Côte-d’Or, la Creuse, le Gard, la Meuse, le Tarn-et-Garonne… La Lorraine ouvrière est tombée. Dans le Pas-de-Calais, en Picardie, dans le Languedoc, en Haute-Normandie ou en Provence, les circonscriptions qui échappent à l’extrême droite font l’effet d’îlots urbains (et parfois bourgeois) au milieu d’une marée brune « qui monte » et a l’ambition de tout recouvrir comme s’est plu à le rappeler Marine Le Pen.

Par facilité intellectuelle, quand ce n’est pas par mépris social, certains à gauche se complaisent dans l’idée que le vote des classes populaires et moyennes en faveur du Rassemblement national n’est qu’un vote revanchard et plein de ressentiment. C’est faire insulte à des femmes et des hommes – qui certes ici font le mauvais choix : celui de pointer du doigt la figure de l’autre, de l’étranger comme cause de tous les malheurs – à qui la gauche avait auparavant promis l’amélioration des conditions de vie matérielle et morale.

C’est oublier un peu trop vite la responsabilité d’un camp, le nôtre qui, depuis maintenant quarante ans, s’est converti à la religion du tout marché et de la mondialisation heureuse. Un camp qui, dans son exercice du pouvoir en 2012, a laissé filer nos industries et fermer nos usines ; a cassé le code du travail au nom de l’ouverture internationale ; a dessaisi l’État d’un certains nombres de compétences au profit d’une construction européenne foncièrement libérale et inégalitaire, a troqué la défense de la diversité culturelle hexagonale contre l’uniformité américaine.

OUVRIR UN NOUVEL HORIZON A GAUCHE

Certes, l’idéal propre à la gauche d’une société du partage réel des richesses, des savoirs et des pouvoirs où l’argent n’est plus la mesure de toute chose reste intact. Mais sa réalisation implique désormais un grand moment de refondation.

Une refondation intellectuelle tout d’abord : oui la cause écologique est indéniablement l’un des grands enjeux du XXIe siècle, mais elle ne peut être audible que lorsqu’elle s’articule à une critique radicale de la société du tout marché, du libre-échange généralisé, de la précarisation du monde du travail. Oui la dénonciation des dérives autoritaires, et à bien des égards liberticides, de l’État est légitime mais elle ne peut être entendable que dans un rappel à un ordre juste et républicain. Oui la gauche doit embrasser les nouvelles luttes et les nouvelles revendications qui émergent dans le pays mais toujours en les articulant autour de ce qui fonde son identité et son histoire : la lutte pour l’égalité.

Une refondation sociologique ensuite : la fracture entre le monde du travail – celui des ouvriers agricoles et d’industrie, des employés du secteur privé comme des fonctionnaires, des enseignants mais aussi des soignants – et la gauche est un drame dont nous devons prendre toute la mesure. Rien ne fonde la légitimité de notre camp si celui-ci n’est pas en mesure de répondre aux colères légitimes et aux préoccupations des premiers de corvées, des exploités des oubliés. Rien ne l’autorise à gouverner s’il n’est jamais qu’un conglomérat de métropoles mondialisées qui abandonne les villes moyennes et les villages, qui méprise les sous-préfectures et la ruralité.

Il y a un impératif au sortir de ces élections : retrouver la majorité sociale du pays. Et cet impératif doit pouvoir se matérialiser dans les prochains mois et les prochaines années autour de revendications concrètes et de combats quotidiens : contre la fermeture des postes et des services publics de proximité, contre les déserts médicaux et le renchérissement des prix des médicaments, pour la préservation des petits commerces qui font la fierté des petits bourgs comme de nos quartiers populaires…

Le chemin à parcourir risque d’être douloureux, il n’en est pas moins nécessaire. Tel pourrait être en tout cas le sens d’une gauche qui ne se résigne pas à voir la bataille identitaire fracturer un peu plus le pays.

La Gauche Républicaine et Socialiste pèsera en ce sens en travaillant au sein du Nouveau Front Populaire avec celles et ceux qui partagent le plus fortement ses analyses et en agissant pour que l’union soit maintenue à gauche et dans le respect de chacune de ses composantes.

« Pour une gauche qui défend les intérêts de la France, il faut une gauche qui secoue l’Europe » – tribune dans Marianne

tribune publiée dans Marianne, le jeudi 6 juin 2024 à 20h30

Les promoteurs de la gauche républicaine invitent à voter pour la liste de la Gauche Unie, conduite par le communiste Léon Deffontaines, le 9 juin prochain.

Dans quelques jours, les Françaises et les Français seront appelés aux urnes pour élire leurs députés européens.

Ils feront leur choix, au terme d’une campagne électorale hors sol, dans laquelle leurs préoccupations ont été étouffées par des postures politiciennes et des jeux médiatiques avilissants pour notre démocratie. Avec la liste de Gauche Unie pour le monde du travail, conduite par Léon Deffontaines et soutenue par Fabien Roussel, nous avons œuvré pour renverser cette tendance.

NON À L’EUROPE DE LA COMMISSION VAN DER LEYEN

C’est pourquoi nous avons parlé de l’Europe telle qu’elle est et non pas telle que certains voudraient vous la présenter. Celle où la Commission Van der Leyen multiplie, avec la complicité des gouvernements, les traités de libre-échange avec l’autre bout du monde, ce qui est tout à la fois nuisible pour notre planète, mais aussi pour nos travailleurs et nos agriculteurs, soumis à une concurrence déloyale.

C’est pourquoi nous avons parlé de cette folie qui motive certains à plaider pou

Que dire enfin de la désindustrialisation qui a touché notre pays, au profit de l’Allemagne, de la Chine et des USA ? Perdre son industrie ce n’est pas seulement perdre quelques points de PIB, mais un tissu économique qui fournit des emplois non précaires, de nature collective, à haut niveau de syndicalisation.

Le développement de l’emploi industriel avait permis de faire émerger une classe moyenne nombreuse et de favoriser la conquête de nouveaux droits sociaux. La désindustrialisation a favorisé la précarisation de l’emploi, la stagnation salariale et la perte de certains droits sociaux. Voilà ce que nous devons réparer en ne laissant plus notre pays et nos concitoyens se faire dépouiller pour satisfaire les détenteurs de capitaux.

RÉPARER LES DÉGÂTS DE L’EUROPE NÉOLIBÉRALE

Réparer les dégâts de l’Europe néolibérale, c’est également ne plus se soumettre aux priorités politiques allemandes : Berlin voulait abattre l’avantage français qu’était son parc nucléaire de qualité.

r un nouvel élargissement à l’Est, avec un dumping fiscal et social inimaginable à la clef, mais aussi pour un « saut fédéral », dans lequel notre pays et nos concitoyens perdraient la maîtrise des décisions en matière de diplomatie et de défense. Tout cela en s’alignant toujours plus sur l’OTAN et les États-Unis, sans percevoir que l’instabilité politique américaine pourrait bientôt nous laisser sans protection face aux impérialismes renaissants.

C’est pourquoi nous avons parlé de nos services publics, mis à mal par la concurrence libre et non faussée consacrée dans le droit européen. Aujourd’hui encore, ces règles iniques conduisent au démantèlement du fret ferroviaire, alors que la transition écologique devrait l’imposer comme une évidence.

En alignant le prix de l’électricité sur celui du gaz, nos factures d’énergie ont explosé avant même l’invasion de l’Ukraine par la Russie, qui a révélé au grand jour la dépendance de nos voisins au chantage du Kremlin. En ce sens, avec Emmanuel Maurel au Parlement européen, pendant 10 ans, nous avons combattu avec succès le traité sur la Charte de l’Énergie.

Faire élire de nouveaux députés européens avec la Gauche Unie pour le monde du travail, c’est l’assurance de voir ce travail amplifié. C’est la garantie de disposer de représentants sur qui compter pour défendre notre souveraineté démocratique et promouvoir les principes universalistes et laïques si chers à notre histoire républicaine. C’est la certitude d’envoyer au Parlement des femmes et des hommes qui ont dit NON au traité constitutionnel européen de 2005.

Le 9 juin prochain, soyons au rendez-vous de cette histoire en votant pour la liste de la Gauche Unie !

Signataires :

Emmanuel Maurel député européen et cofondateur de la GRS

Marie-Noëlle Lienemann, ancienne ministre et cofondatrice de la GRS

Brigitte Blang, candidate GRS

Laurent Miermont, candidat GRS, ancien adjoint au Maire du 13e ardt de Paris

Elisabeth Jutel, traductrice, artiste, candidate GRS

Nathalie Moine, conseillère départementale GRS de Seine-et-Marne, conseillère municipale de Saint-Pathus

David Cayla, Maître de conférences en économie et essayiste

Samia Jaber, conseillère départementale du Territoire de Belfort, candidate de L’Engagement

Thierry Cotelle, conseiller régional d’Occitanie, président du MRC

Anthony Gratacos, Porte-parole de la GRS, Conseiller départemental de Seine-et-Marne, Conseiller municipal de Moussy-le-Neuf

Chloé Petat, cheffe de projet, candidate GRS

Céline Piot, conseillère municipale et communautaire de Mont-de-Marsan, candidate GRS

Naïma Sayad, avocate, candidate GRS

Catherine Coutard, médecin urgentiste, vice-présidente du MRC

Christophe Mouton, adjoint MRC au maire de Chatillon

Martine Souvignet, adjointe MRC à la maire du 3e arrondissement de Lyon

Marie Pierre Gleize, adjointe MRC au maire de Ramonville

Denis Durand, maire MRC de Bengy sur Craon

6 juin 1944 / 6 juin 2024 : loin des rituels, pour une véritable lutte contre l’extrême droite

Le 6 juin est le début de la fin pour le nazisme en Europe de l’ouest, mais cela ne dit rien des causes du fascisme et de la lutte contre cette idéologie et ses servants.

Pourquoi ce matin de juin 1944 ce sont des troupes allemandes qui tiennent les hauteurs des falaises normandes ?

Pourquoi la supériorité industrielle américaine allait briser les lignes défense ? Pourquoi les régimes collaborateurs, privés de soutien populaires, allaient s’effondrer ? Pourquoi ce fut trop tard pour sauver les plus de 7 millions de juifs, tsiganes, homosexuels, handicapés et résistants exécutés en masse ou déportés dans les camps de concentration et d’extermination ?

Les causes sont à rechercher bien sûr dans les erreurs du traité de Versailles, de Saint-Germain-en-Laye, du Trianon et Sèvres de 1919-1920 – qui créèrent aussi des situations inextricables au Proche-Orient dont nous ne voyons toujours pas le bout. Mais on ferait bien également de se pencher sur les années 1928-1935. Les causes des crises sociales et culturelles permettant partout en Europe, la montée des pouvoirs fascistes ou autoritaires nationalistes (l’Italie ayant ouvert le chemin), de la Roumanie à la Pologne, de la Yougoslavie au Portugal, de l’Allemagne à l’Espagne, sont connues. On y trouve un cocktail explosif d’ingrédients sociaux :

  • désinformation et manipulations des médias tenus par une poignée de magnats richissimes ;
  • crise économique et financière gérée par l’austérité ;
  • inégalités sociales et économiques abyssales ;
  • absence de redistribution des richesses poussant les classes populaires à divorcer de la démocratie ;
  • mythe de la supériorité des « pouvoirs forts » sur les régimes parlementaires ;
  • riches vivant dans un luxe arrogant ;
  • influenceurs de nouveaux médias, radio et cinéma, ouvrant des libertés sociétales alors que les revendications sociales étaient violemment réprimées ;
  • théorie raciste et antisémite du bouc-émissaire ;
  • dévaluation de la Société des Nations…

Ces ingrédients sont aujourd’hui à nouveau devant nous. En refusant de penser les causes du fascisme à l’aune de sa fin, parce que les autoritaires d’aujourd’hui jouent l’année 1932, et non l’année 1944, bien sûr qu’il n’est pas possible de voir Auschwitz ou les fosses sanglantes de l’été 1939 en Espagne. En 1934-35, le gouvernement de droite français négocie un accord avec Staline pour tenter d’empêcher Hitler de s’étendre en Europe. La Grande Bretagne (qui cherchera un pacte avec Hitler jusqu’en juillet 1939 !) fera fait capoter l’exécution de cet accord. Les libre-échangistes conservateurs préféraient le capitalisme nazi au socialisme et jugeaient archaïque la méfiance française vis-à-vis de l’Allemagne à l’époque d’une Europe pacifiée. l’Europe était la réponse britannique, dans le cadre de relations commerciales heureuses, pour assurer paix et prospérité.

Cela aussi, on a décidé de l’oublier, aveuglé par ce qui arrive beaucoup plus tard, la Grande Bretagne et la France n’ayant sauvé ni l’Espagne républicaine, ni l’Autriche, ni la Tchécoslovaquie, ni Memel1. Sans rien excuser de l’accord scélérat de Staline avec Hitler, il est certain que le dictateur soviétique voulut prévenir un retournement stratégique sous la forme d’un pacte entre les démocraties occidentales et le nazisme contre lui : il doubla les négociations de Halifax avec Göring pour conclure un pacte avec Ribbentrop.

Août 1939 efface dans les mémoires 1935, tout comme la bataille des Ardennes et la défense de Strasbourg en janvier 1945 oblitèrent les politiques budgétaires déflationnistes de 1932. Les meurtres de la « nuit des longs couteaux » ont fait « oublier » la coalition qui rassemblera droite, technocrates, banquiers pour porter au pouvoir le parti nazi en janvier 1933.

Les Résistants français – dont l’action a été indispensable au succès du débarquement du 6 juin 1944 et à la libération du territoire national – n’avaient rien oublié des causes profondes du fascisme et du nazisme lorsqu’ils formèrent le gouvernement provisoire de la République française autour du général de Gaulle, rassemblant communistes, centristes, socialistes et conservateurs, mais tous patriotes donc résistants.

Ils ont décidé, ensemble, que la République serait sociale pour que la déflation salariale ne fasse plus jamais divorcer les classes populaires et la démocratie. L’arche d’alliance de ce nouvel espoir, c’est la sécurité sociale et les retraites. Pour limiter la cupidité du capitalisme, des pans entiers de l’industrie, des banques, des transports, de l’énergie ont alors été nationalisés. La loi a libéré la presse et interdit sa concentration capitalistique tout en encadrant les délits de désinformation et de diffamation.

La plupart des verrous créés par le CNR, conditions des « trente glorieuses », ont sauté avec la vague de « libéralisation » et de privatisations des années 80-90. Depuis lors, l’industrie s’est effondrée dans le PIB, le déficit de la balance commerciale est abyssal, les comptes publics toujours dans le rouge, l’endettement à des niveaux records. La presse est contrôlée par un petit nombre, et se fait déborder par les réseaux sociaux. Les Fake news, les campagnes de diffamation impunies se multiplient. L’antisémitisme et le racisme retrouvent droit de citer pour créer à nouveau des boucs émissaires. La déflation salariale fait divorcer les classes populaires et moyennes de la démocratie.

Le centre droit, partout en Europe, célèbre l’absolutisme de l’exécutif. Le centre droit français célèbre le plébiscite présidentiel et ignore le parlement. L’extrême droite partout en Europe progresse, gouverne même dans plusieurs pays en alliance avec le centre-droit.

« Plus jamais ça » ? La lutte contre le fascisme ne peut pas s’arrêter aux célébration du 6 juin 1944. Elle aurait bien plus de sens si elle se fondait sur une réflexion politique visant à éviter de reproduire les mêmes erreurs que celles qui ont conduit le monde d’eux fois à la catastrophe.

Mathias Weidenberg

1Le 23 mars 1939, Hitler impose a la Lituanie un accord de réunification du Territoire de Memel (aujourd’hui la ville lituanienne de Klaipeda), anciennement rattaché à la Prusse orientale, a l’Allemagne. Ce territoire avait été occupé de 1920 à 1923 par l’armée française ; un référendum non-officiel dans la communauté germanophobe appuyait la revendication d’une « Ville Libre », indépendante de la Lituanie voisine. L’armée lituanienne envahit le territoire en janvier 1923 sans véritable réaction française, notre armée étant alors concentrée sur l’occupation de la Ruhr. L’annexion sera reconnue l’année suivante.

L’Inde votera t-elle pour l’intégrisme hindou ?

« La fin du rêve laïque » (India Times) : dans la plus grande démocratie du monde commence un cauchemar pour les minorités religieuses.

Narendra Modi a compris une règle essentielle du capitalisme post-guerre froide : tant que la politique économique promet libéralisations, privatisations et fiscalité allégée sur les revenus financiers, le capitalisme se désintéresse des libertés publiques et religieuses, des droits des minorités et de la dignité humaine.

C’est sur ce constat que le monde se réorganise depuis le début des années 1990. Partout l’on fait face à une terrifiante montée des intégristes, qui progressent dans toutes les religions et qui sapent toutes les démocraties.

L’Inde, démocratie la plus peuplée de la Terre, est traversée des mêmes débats avec les mêmes mécanismes à l’œuvre.

Par consensus sur l’abandon de l’analyse des rapports de force économiques et la défiance de l’État comme acteur d’un contrat social universel, tant les progressistes néolibéraux que les conservateurs ultra religieux ont crée les cadres d’un retour à des systèmes absolutistes.

Le scrutin pourrait donner à Modi, un intégriste religieux nationaliste, une majorité des deux tiers lui permettant de modifier la constitution pour proclamer l’hindouisme Religion nationale et exclure de la communauté nationale les minorités religieuses, notamment les musulmans, mais aussi les sikhs, les chrétiens, les juifs. Dans cette vision, il n’y a pas de liberté de conversion, ni celle de ne pas croire.

L’individu est réduit à sa communauté, et ceci est la pire des oppressions possibles.

Le parti séculier d’opposition de Rahul Gandhi s’est vu geler ses fonds en février, l’empêchant de faire campagne, et plusieurs dirigeants soumis à des procédures baillons.

Modi est sur un agenda de réformes néolibérales de l’économie qui plaît beaucoup au FMI. Mais il est aussi extrémistes que les intégristes évangéliques trumpistes, ceux soutenant le libertaire nationaliste Milei ou les messianiques ministres de Netanyahu en Israël.

C’est une tendance globale à l’alliance d’agendas économiques anti-État et d’agendas ultra religieux quel que soit la structure de la religion (polythéiste/monothéiste, islam, judaïsme, christianisme, hindouisme, bouddhisme en Malaisie, etc.).

Rappelons que le gouvernement canadien soupçonne le gouvernement indien d’être derrière des tentatives d’assassinat de dirigeants sikhs en exil.

La communauté chrétienne indienne, notamment à Goa, est également dans le collimateur avec des pogroms réguliers, comme en 2008 (38 morts) ou 2015. L’État de Goa, dominé par le BJP, a ainsi hindouisé ses forces de police pour en exclure les chrétiens.

Et en plein mouvement des suicides des paysans indiens, le BJP avait favorisé les structure claniques pour empêcher les paysans sans classe de passer a l’islam, ceux-ci espérant ainsi … échapper à la réincarnation en se suicidant. Depuis, une loi est passée interdisant l’apostasie, c’est-à-dire la conversion à une autre religion que la religion de naissance. Bien évidemment, il n’y a pas de place pour l’athéisme dans l’Inde hindoue de Modi.

Pourtant, tous les sondages des démocraties du monde, en Occident comme en Asie, montrent les mêmes préoccupations des classes nombreuses, et ce n’est ni l’intégrisme religieux, ni l’agenda nationaliste.

62% des électeurs indiens sont inquiets de l’inflation et des difficultés croissantes à trouver un emploi, alors que l’économie croit de 6% en moyenne, mais favorise une classe moyenne urbaine seulement.

Les musulmans, les sans castes et les membres de castes tribales trouvent qu’il est plus difficile de trouver un emploi à 65-67%, les membres des hautes castes brahmaniques s’inquiètent également à 55%.

Si 48% des Indiens estiment que leur situation s’est améliorée, 35% disent qu’elle s’est dégradée et seulement 22% disent qu’ils gagnent assez pour épargner : les préoccupations économiques et sociales sont bien plus importantes que les questions communautaires et sociétales.

Enfin, l’idée que la corruption sous Modi augmente est partagée par 55% des Indiens (contre 40% en 2019). Malgré un paysage médiatique mis au ordres du pouvoir tant dans le secteur public que par la concentration industrielle de magnats proches du pouvoir, les Indiens se rendent compte que ce régime ne favorise qu’une minorité et le népotisme.

L’Inde, témoin d’une évolution globale

L’islamisme intégriste fut fortement favorisé pendant la guerre froide par les services américains et les partis des droites occidentales pour contrecarrer l’influence des partis laïcs et séculiers des pays de religion majoritairement musulmane, car la sécularisation s’accompagnait d’une montée des idées socialistes.

L’islamisme « libéral » fut également instrumentalisé par les puissances économiques, promettant à Erdoğan l’intégration dans l’Union Européenne, s’il mettait au pas le syndicalisme, les lois de protection des travailleurs, et au nom d’un « progressisme » capitulard, les lois laïques et séculières protégeant l’Université et l’enseignement public.

L’histoire de la résurgence des mouvements fondamentalistes évangéliques est inséparable de la victoire du discours néolibéral anti-État en Amérique du Nord. Si les États-Unis d’Amérique n’ont jamais été un pays séculier – Dieu y est omniprésent dans toutes ses variantes possibles –, le Canada devint un champ de luttes multipolaire, entre « progressisme » contre la laïcité, néolibéralisme contre l’État providence, et finalement, libération par la foi contre « l’oppression du public ».

Mais les États-Unis sont aussi la terre de naissance du confusionnisme révisionniste le plus extrême au sein même des « progressistes ». Dans les années 1990 encore identifiés au social-libéralisme du couple Clinton, qui influera sur Tony Blair, Gerhardt Schröder, François Hollande et Manuel Valls, ce progressisme entraîne le divorce des classes populaires et des partis de centre gauche.

Depuis, le progressisme tente de reconquérir les classes populaires, non en tant que classes soumises aux mêmes pressions économiques et sociales quel que soit leur religion ou lieu de vie, mais en tant que communautés de luttes parcellaires. Incapable de repenser le mépris de l’État au cœur des idéologies libertaires, néolibérales, social-libérales, et ultranationalistes religieuses, le néo-progressisme, que ses adversaires appellent « wokisme », refuse trois siècles de critiques du capitalisme et de l’absolutisme, critiques émises au nom de l’universalisme, pour le rendre lui-même complice des systèmes d’oppressions. Ce faisant, il se résout à n’avoir aucun discours économique cohérent, ni aucune perspective de classe, universel.

Quant au Trumpisme, il pose en ce moment même, avec la question de constitutionnalité sur l’immunité du président, la question de l’absolutisme de l’exécutif, transformant la démocratie en un bonapartisme plébiscitaire.

C’était déjà ce que prévoyait – sans la dimension religieuse – le philosophe italien Losurdo dans un essai en 1993 sur les dérives des manipulations du suffrage universel dans les démocraties occidentales1.

En Europe, le véhicule du rejet des politiques migratoires – rendues nécessaires par des compromis politiques et sociaux défavorables à l’enfance et la maternité active dans les pays d’Europe centrale autour de l’Allemagne, mais aussi en Italie et en Espagne – a permis la résurgence des idéologies millénaires de l’extrême droite : antisémitisme, ultra-christianisme, racisme suprémaciste, nationalisme et guerres de frontières (la Yougoslavie est souvent oubliée dans la pensée de l’Europe depuis la chute du communisme, Russie-Géorgie, Russie-Ukraine depuis 2014, Arménie-Azerbaïdjan, Moldavie-Transnistrie-Russie). Cette résurgence est également rendue possible par la pusillanimité des progressistes, néolibéraux et sociaux-libéraux, dans la lutte pour la neutralité religieuse de l’État contre des groupes, salafistes ou autres, soucieux de saper l’universalisme et de faire prévaloir les règles communautaires sur le droit commun.

Les attentats islamistes comme les attentats des néofascistes ont fait des centaines de morts en Europe depuis le début des années 2000, ciblant en premier lieu les classes séculières attachées aux libertés publiques.

En Israël, après l’assassinat du dirigeant travailliste Yitzhak Rabin en 1995, la société se divise de plus en plus entre une minorité séculière attachée à la démocratie laïque du sionisme politique, et les religieux de plus en plus convaincus par une lecture néo-messianique et raciste. Les néolibéraux israéliens se rallieront aux alliances politiques et électorales avec les ultra religieux, notamment sous l’impulsion de Netanyahu, sans doute le pire premier ministre de l’histoire de ce pays. Il a fait voter en 2018 une révision constitutionnelle mettant fin au caractère séculier de l’État, qui reconnaît une religion officielle, le judaïsme.

La répression contre les syndicats et les forces travaillistes est indissociable de la complaisance au Hamas à Gaza, exploitant une main d’œuvre corvéable palestinienne, et la colonisation des territoires occupés.

Après une dure lutte des citoyens israéliens contre la volonté de Netanyahu de renverser l’ordre démocratique en faisant de l’exécutif un absolutisme plébiscitaire, l’attaque terroriste et criminelle du Hamas du 7 octobre 2024 a fait exploser toutes les contradictions au grand jour. La crise existentielle qui en découle condamne les extrémistes religieux et leurs alliés néolibéraux à la fuite en avant criminelle vis-à-vis des populations civiles tant à Gaza que dans les mouvements d’opposition israéliens au gouvernement actuel. Depuis le 7 octobre, 58% des israéliens souhaitent la démission du cabinet Netanyahu et de nouvelles élections.

L’universalisme est la condition pour défendre la démocratie, la laïcité, les libertés publiques et individuelles, et l’État comme intercesseur du contrat social.

Sans cela, nos démocraties se transforment en modèle autoritaire de « bonapartisme plébiscitaire » où l’exécutif s’affranchit des contrôles parlementaires et juridiques, tout en remplaçant l’État par le prophétisme religieux et les intérêts privés, les libertés individuelles par le communautarisme d’enfermement et la solidarité par la concurrence entre groupes, communautés et religions.

La conclusion de cet abandon, dont malheureusement un partie des classes favorables historiquement à la gauche sont également responsables, c’est la guerre civile ou entre Nations, communautés religieuses.

Mathias Weidenberg

1 Democrazia o bonapartismo. Trionfo e decadenza del suffragio universale, Bollati Boringhieri, Turin, 1993, 2001

L’appel de 50 personnalités pour un référendum sur « le tour de vis fédéraliste » de l’Union européenne

tribune collective publiée dans Le Figaro le 23 avril 2024 à 18h35

En novembre 2023, une résolution du Parlement européen a proposé de modifier les traités pour généraliser la règle de la majorité qualifiée, puis une résolution semblable a été adoptée à l’Assemblée nationale. 50 personnalités, dont Arnaud Montebourg et Marcel Gauchet, appellent à organiser un référendum sur ce sujet qui engage la souveraineté de la France. Par la signature de sa co-fondatrice, Marie-Noëlle Lienemann, la Gauche républicaine et Socialiste s’y associe.

L’Union européenne n’en finit plus de dériver vers une supranationalité écrasante. D’année en année, la devise « Unis dans la diversité » a cédé sous une centralisation uniformisatrice effaçant les identités et les souverainetés nationales. Tournant le dos à ce qui la fonde, l’Union devient un carcan normatif où l’État de droit n’est brandi que pour justifier l’extension sans limites d’un système autoritaire. Imaginée comme un espace de prospérité où le « doux commerce » et la coopération renforceraient la paix entre les nations, elle est devenue une « prison des peuples » reposant sur des dogmes aveugles qu’il est interdit d’interroger malgré leurs évidents et dramatiques échecs économiques, sociaux et géopolitiques.

Cette dérive est servie par les deux dynamiques sans frein de l’élargissement et de l’approfondissement, le second étant toujours présenté comme indispensable au premier, lui-même inéluctable.

L’extension illimitée du territoire de l’Union européenne, sans stratégie ni délibération démocratique, semble échapper à la raison et ne plus obéir qu’à un automatisme incontrôlé. Entre 2004 et 2007, l’Union a déjà accueilli des États qui n’adhéraient pas à l’idée d’une autonomie stratégique. Il en est résulté une soumission accrue à l’hégémonie américaine tandis que les travailleurs de l’Ouest étaient livrés à la concurrence de ceux de l’Est. L’entrée irréfléchie, récemment promise, de l’Ukraine et de la Moldavie risque encore de ruiner des pans entiers de l’économie française, sans parler des conflits avec la fédération de Russie ni des distorsions culturelles et sociologiques que l’on feint d’ignorer.

L’approfondissement consiste ensuite, au nom de l’efficacité décisionnelle menacée par les élargissements, à accentuer le tour de vis fédéraliste en confisquant toujours davantage la souveraineté des peuples au profit des institutions supranationales. Cette captation continue passe depuis l’origine par l’interprétation extensive des compétences de l’Union, toujours défendue par la Commission et systématiquement validée et accentuée par la Cour de justice de l’Union européenne qui a imposé brutalement d’elle-même, en marge des traités et même contre leur lettre, la primauté inconditionnelle du droit européen, y compris sur les constitutions nationales. L’augmentation considérable du budget de l’Union, soustrait au contrôle des peuples et même parfois utilisée contre eux pour sanctionner leurs choix électoraux, révèle un déficit démocratique considérable, particulièrement injuste pour les pays contributeurs nets comme la France. Enfin, l’abandon du vote à l’unanimité au Conseil de l’Union, remplacé progressivement par le vote à la majorité qualifiée, a déjà ôté aux États membres leur droit de veto sur des domaines essentiels. Le projet de réforme des traités en préparation propose de généraliser définitivement, en toutes matières, y compris la défense et la politique extérieure commune, la règle de la majorité, actant ainsi officiellement la disparition du droit de veto des États membres et donc de ce qu’il leur reste encore de souveraineté. C’est ainsi la fédéralisation complète d’une Union élargie à trente-sept qui se prépare à l’insu des Français.

L’adoption de cette réforme, qui transférera à l’Union les derniers éléments de ce que le Conseil constitutionnel français appelle les « conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale », réalisera le rêve de quelques-uns d’une Europe fédérale

Depuis des décennies déjà, une grande partie des lois nationales n’est plus que la transposition servile de directives communautaires, tandis que la Cour de justice étend l’empire de sa jurisprudence et de son interprétation abusive des traités. Jusqu’ici, grâce au droit de veto résiduel, chaque pays membre pouvait encore, en théorie, refuser de consentir à une politique qui lui serait préjudiciable. Mais depuis la Conférence « citoyenne » sur l’avenir de l’Europe, organisée en 2022 de façon parfaitement opaque et pseudo-démocratique, la suppression de ce droit est programmée.

En mai 2023, des dirigeants français et allemands élus mais non mandatés pour cela ont déclaré vouloir réformer l’UE dans ce sens. En septembre 2023, des experts franco-allemands ont déposé leur rapport. Le 22 novembre 2023, une résolution du Parlement européen a proposé de modifier les traités pour généraliser la règle de la majorité qualifiée à tous les domaines sans exception et prévoir davantage de sanctions contre les États membres récalcitrants. Le 29 novembre suivant ce fut le tour de l’Assemblée nationale française de voter une résolution en faveur d’un projet de traité reléguant notre souveraineté et prévoyant explicitement que les frontières extérieures, la protection civile, les affaires étrangères, la sécurité commune, la défense, l’industrie et l’éducation deviennent des « compétences partagées » de l’Union européenne, c’est-à-dire que les États n’y disposeront plus que d’une compétence résiduelle.

L’adoption de cette réforme, qui transférera à l’Union les derniers éléments de ce que le Conseil constitutionnel français appelle les « conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale », réalisera le rêve de quelques-uns d’une Europe fédérale, dirigée par une commission portant officiellement le titre d’« Exécutif », coiffé d’un « Président de l’Union européenne ». La fin des souverainetés nationales, et donc de nos démocraties, est ainsi clairement projetée.

Le peuple français presse depuis longtemps cette dépossession. Elle dissout la souveraineté nationale et populaire. Elle sape la République. Il s’est opposé en 2005 à une première tentative de fédéralisation qui scellait sa disparition politique et culturelle, mais ses réticences ont été balayées par des dirigeants convertis à l’idéologie de la « société ouverte ». Le verdict populaire a été bafoué et contourné par la ratification parlementaire du traité de Lisbonne, simple copier-coller du traité rejeté par les Français.

C’est la poursuite de ce processus qui est actuellement à l’œuvre. Nos dirigeants s’apprêtent à prendre, au nom du peuple français, une décision majeure engageant le destin de notre pays, son indépendance et son existence même en tant que nation. Exploitant l’angoisse suscitée par la guerre, ils précipitent la fédéralisation sans jamais la nommer et sans que les populations européennes puissent prendre la mesure de leur dépossession.

Pour ce qui nous concerne, nous refusons cette dérive. Nous pensons, dans le sillage du général de Gaulle, qu’un système fédéral post-démocratique est contraire au génie de l’Europe et de la France et à l’imaginaire collectif qui, depuis mare nostrum, produit du commun à partir de la diversité de ses nations et de leur culture propre. La déconnexion définitive entre les peuples et la machinerie européenne achèvera la déresponsabilisation des dirigeants nationaux et décuplera les réactions nationalistes, au risque de nous conduire au chaos.

Quelle que soit notre vision de la France et de l’Europe, et l’avis que l’on porte sur la réforme et les élargissements en préparation, nous devons exiger qu’un pareil saut qualitatif dans l’inconnu d’un système supranational, qui minore l’identité des peuples, l’existence des nations et l’expérience des États d’Europe, soit soumis au référendum.

Il est urgent d’ouvrir le débat sur ce qui se prépare. Les élections de juin 2024 doivent être l’occasion de se prononcer en connaissance de cause sur le projet de fédéralisation en cours ainsi que sur les élargissements en vue.

Les signataires de cet appel et les citoyens qui s’y associent demandent aux candidats de chaque liste aux élections européennes de prendre clairement position sur ces projets et de s’engager à les faire soumettre à la ratification populaire.

Signataires :

Arnaud Benedetti, rédacteur en chef de la « Revue politique et parlementaire » ;

Stéphane Rozès, politologue ;

Arnaud Montebourg, ancien ministre et entrepreneur ;

Marcel Gauchet, philosophe et historien ;

Michel Onfray, philosophe ;

Jean-Éric Schoettl, ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel ;

Pierre Mazeaud, ancien président du Conseil constitutionnel ;

Marie-Françoise Bechtel, ancienne députée ;

Anne-Marie Le Pourhiet, professeur émérite de droit public ;

Xavier Driencourt, ancien ambassadeur ;

Benjamin Morel, maître de conférences en droit public ;

Pierre-André Taguieff, philosophe et historien des idées, CNRS ;

Éric Anceau, historien ;

Georges Kuzmanovic, Analyste géopolitique, président de République souveraine ;

Julien Aubert, Ancien député ;

Jean-Yves Autexier, Ancien député ;

André Bellon, Ancien président de la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale ;

Florence Bergeaud-Blacker, Docteur en anthropologie, CNRS ;

Marion Bierry, Metteuse en scène ;

Guillaume Bigot, Politologue, éditorialiste ;

Bernard Bourdin, Philosophe du politique et théologien ;

Christophe Boutin, Professeur de droit public ;

Gaël Brustier, Politologue et essayiste ;

David Cayla, Économiste et essayiste ;

François Cocq, Essayiste, auteur de « Alerte à la souveraineté européenne » ;

Denis Collin, Philosophe ;

David Desgouilles, Chroniqueur, romancier ;

Jean Dufourcq, Stratégiste et chercheur en affaires militaires ;

Nicolas Dupont-Aignan, Député ;

Frédéric Farah, Universitaire et économiste ;

Philippe Grégoire, Agriculteur, co-président du SAMU social agricole ;

Michel Guénaire, Avocat et écrivain ;

Philippe Guibert, Ancien directeur du Service d’information du gouvernement ;

Alexandre Jardin, Écrivain ;

Alain Juillet, Ancien directeur du renseignement à la DGSE, Ancien haut responsable chargé de l’intelligence économique auprès du Premier ministre ;

Catherine Kintzler, Philosophe, professeur des Universités honoraire ;

Florence Kuntz, Ancienne députée européenne ;

Maire-Noëlle Lienneman, Ancienne sénatrice ;

Jean-Claude Mailly, Ancien dirigeant syndical ;

Jean-Philippe Mallé, Ancien député ;

Jérôme Maucourant, Economiste ;

Nicolas Meilhan, Entrepreneur ;

Bruno Moysan, Musicologue ;

Joachim Murat, Expert en industrie de défense et sécurité ;

Olivier Petros, Ancien dirigeant dans l’industrie et la banque ;

Céline Pina, Journaliste ;

Bertrand Renouvin, Directeur de la revue Royaliste ;

Jérôme Sainte-Marie, Sondeur et essayiste ;

Jacques Sapir, Économiste ;

Maxime Tandonnet, Essayiste, ancien haut fonctionnaire ;

André Tiran, Professeur de sciences économiques émérite, ancien Président de l’Université Lyon.

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