La Laïcité a-t-elle réponse à tout ? – “Ces idées qui gouvernent le monde” sur LCP-AN

La laïcité est de tous les combats politiques, idéologiques, socio-culturels et même religieux. C’est devenu un mot fourre-tout qui traduit d’abord le malaise de la société française. De son école, des services publics et autres producteurs de biens communs, partout où s’exerce des discriminations et des pressions, des comportements très singuliers qui remettent en cause le vivre ensemble. Mais est-ce que le trans-genrisme et la laïcité, font cause commune ? Si tout est laïc, qu’est-ce que la laïcité ? Au début de la laïcité, à sa source, il y a la fameuse loi de 1905 qui établit une liberté de conscience entre croyants et non croyants, la séparation de l’Église et de l’État et le livre exercice des cultes, tout cela dans le respect de l’ordre public. Mais d’interprétation en interprétation et à l’aune d’évènements symboliques et tragiques, on pense bien sûr à la décapitation de l’enseignant Samuel Paty le 16 octobre 2020 ou auparavant à l’affaire du foulard de Creil, la laïcité est devenu une sentinelle démocratique, un bouclier contre l’islamisme radical, le respect de la liberté d’expression, un viatique républicain de l’apprentissage de la liberté, de l’égalité et de la fraternité. Cette extension du domaine de la laïcité renforce t’elle sa prégnance socio-culturelle ou à contrario est-elle le constat de l’affaissement de la politique au profit des communautarismes et de la tenaille identitaire. Émile Malet recevait le 27 mars 2023 sur LCP pour en débattre : – Iannis Roder, professeur d’histoire – Smaïn Laacher, sociologue, professeur des Université – Laetitia Strauch-Bonart, rédactrice en chef et essayiste, l’Express – Emmanuel Maurel, député européen, fondateur de la Gauche Républicaine et Socialiste Notre animateur national a notamment rappelé quelques principes forts. La laïcité n’a pas besoin d’adjectif pour être définie, mais vise à créer les conditions d’une société qui se veut émancipée de tous les clergés. Elle s’est un peu étendue, mais ce qui compte c’est de séparer la politique de la religion. De plus en plus de religieux, pas seulement les fondamentalistes islamistes, mais aussi des Charismatiques, des protestants néo-évangéliques ou des intégristes catholiques, mettent à mal et contestent le principe de la laïcité. Oui il y a bien une offensive politico-religieuse ; le prosélytisme et les provocations existent de la part de courants religieux fondamentaliste et rigoristes, car ils considèrent que toute personne supposée appartenir à ce qu’ils définissent comme “leur” communauté (et on voit ici le caractère pernicieux qui met en cause à la fois la liberté de la personne et qui vise à assigner “à résidence identitaire” certains de nos concitoyens) doit se comporter selon leurs principes. Forcément l’école républicaine est une cible privilégiée de contestation car elle est le creuset d’un projet de société diamétralement opposé. Il nous faut réagir au plus vite car nous défendons la Liberté et l’Égalité, liberté de croire évidemment mais aussi liberté de ne pas croire ou liberté de croire de la façon qui nous convient et non pas comme certains intégristes veulent l’imposer à toute la société. Le problème existe au niveau européen (la laïcité à la française, cela ne va pas de soi dans les autres pays européens) notamment avec des offensives de mouvement conservateurs catholiques d’Europe de l’Est pour qui l’Europe ne peut être que chrétienne ; plus récemment, certaines institutions européennes sous prétexte de “valoriser la diversité” se sont mis à promouvoir le port du hidjab ce qui revient à réduire finalement à une seule possibilité l’image et le comportement “autorisé” de la femme qui se veut musulmane. Un phénomène récent nous inquiète enfin : la contestation sous couvert religieux de la connaissance et de la science. Or il faut rappeler à nos enfants et adolescents que la Foi ne saurait prévaloir sur le Savoir.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DOIT CENSURER TOUTE LA RÉFORME DES RETRAITES

Le projet de réforme des retraites d’Emmanuel Macron n’est pas seulement injuste et cruel socialement, inutile financièrement… Il est très probablement anticonstitutionnel ; Le Canard Enchaîné s’était d’ailleurs fait l’écho le 19 janvier dernier du fait que Laurent Fabius, président du Conseil Constitutionnel, avait prévenu le gouvernement que le texte pourrait bien être annulé pour vice de forme – une telle alerte en amont est assez rare. Les sénateurs des trois groupes de gauche de la Haute Assemblée, les députés des groupes de la NUPES, les députés et enfin la Première ministre elle-même ont déposé plusieurs recours1 devant le Conseil Constitutionnel contre le Projet de Loi de Financement Rectificative de la Sécurité Sociale (PLFRSS) pour 2023 qui est censé avoir été adopté suite à l’échec des deux motions de censure qui ont suivi le recours à l’article 49.3 par l’exécutif.

1 https://www.conseil-constitutionnel.fr/decisions/affaires-instances?id=32246

Certes, des esprits avertis expliqueront que les Sages de la Rue de Montpensier jugent souvent avec des considérations politiques plutôt que de s’en tenir uniquement au seul respect de la Constitution. Mais lorsque l’on analyse les décisions du Conseil constitutionnel à travers les années, il ressort qu’il existe des contextes à censure plus ou moins forts. Quand l’Élysée, l’Assemblée, le Sénat et l’opinion publique convergent, il devient très délicat pour les Sages de censurer. Quand, au contraire, il y a division entre les institutions et avec l’opinion, les chances de censure augmentent. Et c’est peu de dire que la mobilisation populaire contre cette réforme a été massive et l’existence d’une majorité parlementaire pour la soutenir est sujette à caution.

Or en miroir, les motifs d’inconstitutionnalité pour des raisons de forme sont particulièrement sérieux. Il paraît donc difficile que le Conseil Constitutionnel ne censure pas la loi, quand bien même Emmanuel Macron pourrait considérer qu’il s’agit d’une espèce de déclaration de guerre envoyée à l’exécutif. On l’a vu cependant ranger dans les tiroirs sa menace de dissolution, tant la situation politique lui paraît défavorable, il n’est pas dit que sa marotte de remettre sur le métier une réforme des institutions – au passage de laquelle il sanctionnerait les Sages – puisse tenir très longtemps. A contrario, la validation de la loi par le Conseil Constitutionnel pourrait aggraver la crise politique – ou même de régime – dans laquelle le « cheminement » du PLFRSS a plongé le pays, car cela serait apporter une onction constitutionnelle à des dérives de l’examen parlementaire rarement atteintes.

Passons donc en revue des arguments en faveur de la censure.

Le recours de l’article 47-1 de la constitution

L’article 47-1 de la constitution permet au gouvernement de faire adopter un Projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) en un temps restreint. En effet, celui-ci dispose que, « si l’Assemblée nationale ne s’est pas prononcée en première lecture dans le délai de vingt jours après le dépôt d’un projet, le gouvernement saisit le Sénat qui doit statuer dans un délai de quinze jours ».

Les délais qui enserrent un PLFSS ont un objectif : permettre l’adoption d’un budget avant la fin de l’année civile. En effet, si aucun n’est adopté avant le 1er janvier, nous pourrions nous retrouver en situation de shutdown (fermeture) à l’américaine. Le constituant en écrivant l’article 47 a donc prévu des délais et, en cas d’échec, une application temporaire par ordonnance ; lorsque les PLFSS ont été créés par la loi organique de 1996, une réforme constitutionnelle a amendé le texte pour copier pour ce nouveau véhicule législative, les dispositions prévues pour un projet de loi de finances (à la différence qu’un PLF bénéficie de 70 jours d’examen et non de 50). Or, ici, pas de limite du 1er janvier, pas d’urgence, sauf à considérer que si la réforme n’avait pas été votée en mars, le régime des retraites serait en faillite… ce que personne n’a dit (même si certains membres du gouvernement ou de la minorité présidentielle ont parfois tenté cette exagération rhétorique).

Première remarque : si dans une décision de 1983, le Conseil Constitutionnel a reconnu que le recours à l’article 47 était autant valable pour les projets de loi de finances rectificative (PLFR) que pour un PLF initial, aucune formulation de ce type n’a jamais été édictée pour un PLFRSS.

Deuxième remarque : la vocation d’un PLFR est de voter des crédits de façon limitative ; l’objectif d’un PLFRSS serait d’adapter en profondeur le texte initial pour assurer l’équilibre financier de la sécurité sociale. Ces adaptations sont en général réalisées lors du PLFSS suivant et il est important de rappeler qu’en deux années de crise sanitaire, aucun PLFRSS n’a été mise en discussion, alors que les équilibres ont été sérieusement bousculés et qu’il y a eu a contrario de nombreux PLFR.

Or il existe une jurisprudence du Conseil Constitutionnel qui pourrait s’appliquer à la situation présente et qui date de 1985 (bien que les PLFSS n’existassent point à l’époque) : dans sa décision n°85-190 DC du 24 juillet 19851, sur la loi de règlement du budget de 1983 (texte financier), le juge a considéré que « les mesures d’ordre financier commandées par la continuité de la vie nationale […] ne se retrouvent pas pour les lois de règlement » ; le recours à l’article 47 était donc invalide, l’ensemble de la loi fut censurée.

L’analogie est ici très forte avec le PLFRSS mis en cause : une réforme des retraites envisagée depuis 2017 par Emmanuel Macron (quelle que soit la forme qu’elle prend) n’a pas besoin d’un examen en urgence, elle ne causera pas plus de difficultés de fonctionnement à la Sécurité Sociale que son examen ait pris 50 jours ou plusieurs mois, pas plus que les délais pour l’examen d’une loi de règlement n’empêcheraient un exécutif de faire exécuter le budget du pays. Les contraintes en matière de délai d’examen du PLFRSS sont d’autant moins fondées que les mesures qu’il contient n’ont pas vocation à être appliquées au lendemain de la promulgation de la loi, mais au plus tôt au 1er septembre 2023, et encore uniquement pour une partie infime d’entre elles, n’ayant donc aucun impact sérieux sur l’équilibre financier de la sécurité sociale en 2023 (voire même pour les années suivantes).

Ainsi, plus largement, c’est le recours au PLFRSS pour porter une réforme des retraites qui pose problème.

Peut-on réformer notre système des retraites au détour d’un PLFSS ou d’un PLFRSS ?

Nous l’avons indiqué plus haut, selon l’alinéa 19 de l’article 34 de la constitution, un PLFSS (et a fortiori un PLFRSS) « déterminent les conditions générales de son équilibre financier et, compte tenu de leurs prévisions de recettes, fixent ses objectifs de dépenses, dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique ».

Il s’agissait ici de permettre au Parlement de mieux exercer ses missions de législation et de contrôle, quand l’emploi de cette méthode législative pour réformer les retraites en 2023 ne vise qu’à accélérer la procédure parlementaire ce qui limitent les capacités des parlementaires à exercer leur mission.

Les décisions du Conseil Constitutionnel de 2008, 2019 et 2022 ont précisé, après la réforme constitutionnelle de 1996, que les dispositions d’une loi de financement de la sécurité sociale devaient avoir un effet ou ne pas être dépourvues d’effet indirect sur les recettes et les dépenses. C’est sur cette qu’une censure partielle avait été appliquée au PLFSS pour 2020, concernant l’application du « bonus malus » pour les cotisations d’assurance-chômage2, le juge considérant que les effets sur les recettes de la sécurité étaient trop indirects et que son impact financier était évalué comme nul pour 2021, 2022 et 2023.

Nous l’avons dit plus haut si le recours à des PLFR est fréquent, celui à des PLFRSS est rare car inadapté en réalité à la situation de la sécurité sociale et à l’exercice des droits des assurés. Un PLFRSS ne doit agir que sur les recettes et les dépenses de l’année concernée, or les conditions d’usage des droits sociaux ne peuvent pas être gérées à court terme. C’est pourquoi les adaptations sont généralement réalisées l’année suivante et non en cours d’exercice.

On est donc face à un détournement complet du texte constitutionnel par le gouvernement à la seule fin d’empêcher un examen serein d’une réforme des retraites qui aurait des effets non immédiats et à moyen et long terme ; les effets sur l’année 2023 de ce PLFRSS sont quasiment inexistant et plus de la moitié des articles du texte soumis au débat parlementaire n’apportaient aucune modification au budget des différentes branches de la sécurité sociale.

Le choix d’un PLFRSS ne vise donc qu’à des objectifs dilatoires : justifier de recourir à l’article 47.1 de la constitution pour limiter le temps des débats ; permettre au gouvernement de trouver un accord en Commission Mixte Paritaire (CMP) pour contourner son absence de majorité à l’Assemblée nationale ; en l’absence de CMP, justifier de légiférer par ordonnance (sachant que le Conseil Constitutionnel a pris en décembre 2020 une décision dangereuse qui rend inutile le vote d’une loi de ratification pour rendre définitives les dispositions contenues dans une ordonnance).

Une validation du PLFRSS « portant réforme des retraites » par le Conseil Constitutionnel serait donc à l’origine d’une nouvelle jurisprudence, permettant à l’avenir de réformer à nouveau les retraites de la sorte, voire d’étendre l’usage du PLFRSS à d’autres réformes sociales d’ampleur en contraignant le parlement sans que la contrainte ne se justifie.

Le principe de clarté et de sincérité des débats parlementaire a-t-il été respecté ?

Le Conseil Constitutionnel a établi en 2009 qu’au regard de l’article 6 de la Déclarations des Droits de l’Homme et du Citoyen les exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire ont une valeur constitutionnelle3. Exigences qui conduisent régulièrement le Conseil à émettre des réserves plus ou moins fortes sur la constitutionnalité des textes soumis à son examen.

Or si le gouvernement puis la majorité sénatoriale ont eu recours à des procédures parfaitement constitutionnelles ou réglementaires, qui prises séparément n’entraîneraient peut-être pas la censure du texte, leur accumulation aboutit à une mise en cause de la clarté des débats, ceux-ci ne pouvant se tenir dans des conditions de sérénité suffisante, les règles du débat parlementaire étant modifiées à plusieurs reprises en cours d’examen.

Ainsi outre le recours à l’article 47.1 de la constitution, dont nous avons détaillé plus haut les effets, le gouvernement a eu recours à l’article 44.2 de la constitution – pour refuser l’examen d’amendements en séance qui n’avaient pu être examinés en commission des affaires sociales et pour lesquels la présidente de la commission refusait une nouvelle réunion – puis l’article 44.3 pour obliger le Sénat à se prononcer par un seul vote sur tout ou partie du texte en discussion en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le Gouvernement (procédure dite du « vote bloqué »), avant d’avoir recours au fameux 49.3.

La majorité sénatoriale a de son côté eu recours à de nombreuses procédures réglementaires visant à empêcher l’opposition de défendre ses amendements. L’article 38 du règlement du Sénat pour clore les débats sur les explications de vote relatives à des amendements a été invoqué 6 fois. Le bureau du Sénat a également eu recours à l’article 42 du règlement du Sénat pour limiter à un orateur par groupe les prises de parole sur article et les explications de vote ; il a déclaré irrecevables des centaines d’amendements et de sous amendements sur la base d’interprétations abusives en invoquant l’article 44 bis du règlement du Sénat : la présidente de la commission a notamment prétexté que les centaines de sous amendements présentés à l’article 7 n’avaient pas de lien avec le texte, après une réunion expresse de la commission pendant une interruption de séance de 50 mn pendant laquelle il était matériellement impossible de tous les examiner.

Surtout, il a été fait usage à quatre reprises de l’article 44.6 du règlement du Sénat pour permettre l’examen en priorité d’amendements de la majorité sénatoriale, rédigés à la seule fin de réécrire certains articles afin de faire tomber plus d’un millier d’amendement issus des rangs de l’opposition : ainsi les amendements de la majorité sénatoriale ont pu être débattus sans que les amendements de l’opposition puissent l’être.

L’usage fait ici des article 44.6 et 44 bis du règlement constituent donc une violation manifeste du droit d’amendement des parlementaires, pourtant garanti par l’article 44.1 de la constitution. Tout ceci accumulé dans un contexte où le temps du parlement était déjà contraint, alors que l’opposition sénatoriale n’a pas tenté d’empêcher l’adoption du texte, marque une défaillance majeure de la clarté et de la sincérité des débats. Pour compléter, en août 2021, le Conseil Constitutionnel avait considéré que si seulement 5 amendements parmi les centaines considérés irrecevables lors d’un examen en commission cela ne portait pas atteinte à la clarté et à la sincérité des débats : là on parle de plusieurs milliers déclarés irrecevables dans des conditions pour le moins rocambolesques.

Bien que cela ne soit évoqué que dans la saisine du groupe du Rassemblement National, en matière de clarté et de sincérité des débats, on peut aussi rappeler que sur la question des 1 200 euros, la « vérité » et les informations données par le gouvernement ont énormément évolué au fil du débat parlementaire, en l’absence de véritable étude d’impact – Olivier Dussopt refusant au demeurant de transmettre à plusieurs reprises la note du Conseil d’État et d’autres documents pourtant de nature publique : on peut donc là-aussi considérer que les exigences de valeur constitutionnelle n’ont pas été respectées, le gouvernement donnant aux parlementaires des informations contredites ensuite par sa propre expression et lui en dissimulant d’autres.

Il est d’autre part assez déroutant de constater les conséquences baroques du 47.1 en matière de procédure parlementaire. Après le vote en première lecture par le Sénat, la CMP a été réunie. Une CMP vise à trouver un compromis entre les deux chambres lorsque celles-ci ont adopté des versions différentes du même texte ; or l’Assemblée nationale n’ayant pas adopté de texte à l’issue des 20 jours qui lui étaient impartis, il n’y avait sur la table qu’un seul texte issu d’une des deux assemblées !? Sur quelle base s’est donc déroulée la négociation pour trouver un texte de compromis en CMP ? Sur la confrontation du texte que le gouvernement avait transmis au Sénat, sans qu’il soit voté par l’Assemblée nationale, et du texte adopté par le Sénat : la CMP a donc discuté du texte du gouvernement et du texte du Sénat, elle a été un lieu d’une négociation entre le gouvernement et les sénateurs, alors qu’elle doit être le lieu d’une négociation entre les députés et les sénateurs.

Cela ne s’arrête pas là : au sortir de la CMP, le texte de compromis a été soumis au Sénat jeudi 16 mars au matin ; le texte n’a été rendu public que 35 mn avant le début de la séance. D’aucuns pourraient considérer que le texte de la CMP était connu – au moins dans les grandes lignes – depuis la fin de l’après-midi du jour précédent… pas de quoi chipoter… Sauf que entre le texte issu de la CMP la veille et celui qui sort du Sénat le 16 mars à 10h42, le gouvernement y a fait ajouter un substantiel amendement financier. Le texte qui est donc arrivé devant l’Assemblée nationale à 15h le même jour n’était plus celui de la CMP et c’est sur ce texte qui n’était plus celui de la CMP que le gouvernement a eu recours au 49.3. Jusqu’au bout, l’examen du projet de réforme des retraites aura été l’objet de chausse-trappes de la part de l’exécutif et de la majorité sénatoriale qui mette en cause la transparence, la clarté et la sincérité du débat parlementaire.

Les « cavaliers sociaux » de la réforme des retraites

Un “cavalier social” est une disposition dont la présence dans une loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) est proscrite par l’article 34 alinéa 20 de la Constitution et l’article 1er de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale, car ne relevant ni du domaine exclusif des LFSS ni de leurs domaines facultatifs. À défaut, les “cavaliers sociaux” inclus dans un projet de loi de finances font systématiquement l’objet d’une censure par le Conseil constitutionnel4.

En choisissant donc le véhicule législatif du PLFSS afin de prétendre recourir à l’article 47.1 de la constitution, l’exécutif s’est en réalité pris lui-même les pieds dans le tapis. En effet, plusieurs dispositions de son projet de réforme qui auraient pu être jugées conformes à la constitution dans un projet de loi ad hoc risquent d’être censurées car elles n’ont pas leur place dans un PLFSS.

C’est le cas de l’index senior (article 2 du PLFRSS) qui n’a en réalité aucun effet sur les recettes et les dépenses de la sécurité sociale, se contentant d’une obligation de publication d’indicateurs. Le « CDI senior » introduit par la droite sénatoriale (nouvel article 3) souffre de la même faiblesse.

Enfin, plusieurs alinéa d’articles (10 et 17) du PLFRSS n’affecteront pas les dépenses et les recettes de la sécurité sociale en 2023… or justement, c’est l’objet d’un tel véhicule législatif.

Conclusion

On le voit les raisons de censurer le projet de réforme des retraites ne manquent pas ; le gouvernement a accumulé les fautes stratégiques graves, pensant qu’il se donnait les moyens d’imposer son texte qu’il dispose ou non d’une majorité parlementaire. Son allié politique – la majorité sénatoriale LR – en a ajouté plusieurs couches.

Une saisine du conseil constitutionnel n’interroge évidemment pas ici le sujet de fond ; nous nous sommes opposés à la réforme des retraites exigées par Emmanuel Macron parce qu’elle était injuste, cruelle et inutile, vous retrouverez ici nos arguments à ce propos5. De ce qui aurait dû être un débat politique et social majeur, toujours susceptible de créer des oppositions farouches et un fort mouvement social, nous sommes passés au bord de la crise de régime car, au-delà du caractère injuste du projet, les méthodes auxquelles l’exécutif a choisi d’avoir recours mettent en réalité gravement en cause la démocratie parlementaire.

Le « parlementarisme rationalisé » de la Vème République est ainsi fait : ce n’est pas la première fois qu’un gouvernement use de procédures pour établir un rapport de force avec les parlementaires, surtout quand il ne dispose pas de majorité absolue. Ce n’est pas la première fois qu’un gouvernement fait adopter un projet de loi avec le 49.3 – qu’il y ait ou non un mouvement social. Ce n’est pas la première fois que le 47.1 est utilisé (il l’est tous les ans pour l’examen du PLFSS)… on pourrait faire l’énumération ainsi sur plusieurs lignes encore. Par contre, c’est la première fois qu’on tente de transformer profondément un des piliers de notre modèle social au détour d’un aménagement de texte budgétaire, là où un débat de société et un débat parlementaire éclairé et patient devrait être nécessaire. Et c’est également la première fois qu’à peu près toutes les procédures de contraintes contre le parlement ont été utilisées pour le même texte – « sauf peut-être l’article 16 » s’est permis d’ironiser le sémiologue Clément Viktorovitch devant Aurore Bergé, le 20 mars dernier sur TF1.

Ce qui est en cause aujourd’hui n’est donc plus seulement la dégradation brutale d’une partie de notre modèle social, mais le fait que les conditions d’examen de cette réforme créent un précédent grave mettant à mal notre conception de la démocratie et de la souveraineté populaire. Si le Conseil Constitutionnel validait (même partiellement) ce texte là, car la majorité de ses membres serait acquise au fond de la réforme, il porterait la grave responsabilité de donner à l’avenir à l’exécutif un blanc seing pour passer n’importe quel texte de loi sans réel débat parlementaire.

Cette pente est dangereuse ; il doit donc absolument déclarer inconstitutionnel l’ensemble du texte.

Frédéric Faravel

1 https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/1985/85190DC.htm

2 https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2019/2019795DC.htm

3 https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2009/2009582DC.htm

4 Par exemple : https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2022/2022845DC.htm

5 https://g-r-s.fr/campagne-retraites/

Halte au feu !

« La garantie des droits de l’Homme et du citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée. » Article 12 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789

« La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration. » Article 15 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789

Ces deux articles à valeur constitutionnelle ne doivent pas être de simples proclamations : ils doivent être au cœur des préoccupations des fonctionnaires de la République, et en particulier des policiers.

Or, d’Amnesty International à Reporters sans frontières, les condamnations pleuvent aujourd’hui sur le comportement de certains policiers, mais aussi plus largement sur le mode d’organisation du maintien de l’ordre dans les manifestations non déclarées qui se sont multipliées en France depuis l’annonce du recours à l’article 49-3 pour faire adopter sans vote le projet de loi sur les retraites.

Plus rare encore, la Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, Dunja Mijatovic, s’est alarmée vendredi 24 mars d’un « usage excessif de la force » envers les manifestants contre la réforme des retraites, appelant la France à respecter le droit de manifester. « Les actes de violence sporadiques de certains manifestants ou d’autres actes répréhensibles commis par d’autres personnes au cours d’une manifestation ne sauraient justifier l’usage excessif de la force par les agents de l’État » a-t-elle précisé.

Au passage, Mme Mijatovic donne tort à Gérald Darmanin qui prétendait il y a une semaine que la participation à une « manifestation non déclarée » constitue un « délit » qui « mérite » une « interpellation ». « Le défaut de déclaration d’une manifestation n’est pas suffisant en soi pour justifier une atteinte au droit à la liberté de réunion pacifique des manifestants, ni une sanction pénale infligée aux participants à une telle manifestation », affirme la Commissaire, ainsi que la Cour de cassation l’avait déjà jugé en 2022. Dunja Mijatovic s’est de ce fait inquiétée de l’interpellation et du placement en garde-à-vue de certains manifestants et de personnes se trouvant aux abords des manifestations, s’interrogeant sur « la nécessité et la proportionnalité des mesures dont elles ont fait l’objet ». Mme Mijatovic a rappelé que « la tâche première des membres des forces de l’ordre consiste à protéger les citoyens et les droits de l’homme ». Elle insiste aussi sur le fait qu’aucune impunité ne doit être admise en matière de violences policières.

Sur ce point, Gérald Darmanin a annoncé par ailleurs vendredi l’ouverture de 11 enquêtes judiciaires, confiées à l’Inspection Générale de la Police Nationale (IGPN), sur des violences policières présumées depuis une semaine dans le cadre de la mobilisation contre la réforme des retraites.

Rappelons qu’en février 2019, Mme Mijatovic avait déjà adressé aux autorités françaises concernant le maintien de l’ordre lors des manifestations des « gilets jaunes ». Elle avait notamment exhorté le gouvernement français à « mieux respecter les droits de l’Homme », à « ne pas apporter de restrictions excessives à la liberté de réunion pacifique » et à « suspendre l’usage du lanceur de balle de défense ». Sur ce dernier point au moins, elle avait été entendue (jusqu’à la manifestation de samedi 25 mars à Sainte-Soline, où les forces de l’ordre ont de nouveau utilisé ce matériel).

La Commissaire aux droits de l’Homme avait alors également pointé des inquiétudes à propos des interpellations et placements en garde à vue de personnes souhaitant se rendre à une manifestation sans qu’aucune infraction ne soit finalement relevée, ni aucune poursuite engagée, à l’issue des gardes à vue. « Ces pratiques constituent de graves ingérences dans l’exercice des libertés d’aller et venir, de réunion et d’expression », avait-elle écrit, estimant qu’elles ne peuvent devenir des outils préventifs du maintien de l’ordre.

Certes, les recommandations du Conseil de l’Europe (qui regroupe aujourd’hui 46 États membres s’engageant à respecter la Convention européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme) n’ont pas de valeur contraignante. Mais elles disent beaucoup sur les efforts à accomplir par notre pays pour réussir à renouer avec la finalité première de la force publique (police et gendarmerie) telle qu’énoncé par la Déclaration de 1789 : la garantie des droits de l’Homme.

La démocratie, c’est trouver un équilibre entre la détestation par Karl Marx du « lumpenproletariat » qui, par ses violences porteuses de désordre, est le meilleur allié de la bourgeoisie et la conviction de l’écrivain Romain Rolland : « Quand l’ordre est injustice, le désordre est déjà un commencement de justice ».

Forte des principes hérités notamment de la Révolution Française, la Gauche Républicaine et Socialiste souhaite que la formation et le recrutement des policiers soient repensés pour donner la priorité aux principes déontologiques. Le contrôle hiérarchique sur le terrain des actions policières de maintien de l’ordre doit être renforcé, avec la même logique.

La GRS propose également que le traitement des enquêtes concernant des violences policières soit confié à une instance indépendante, ce qui n’est pas le cas de l’IGPN.

Enfin, la GRS, dans la logique de l’article de la Déclaration de 1789, est disponible pour participer, avec d’autres forces politiques ou associations, à des opérations d’observation au cours des manifestations revendicatives.

« La société », c’est nous tous !

« Les Français doivent récupérer leur État ! », tribune d’Emmanuel Maurel dans la Revue Commune

La revue Commune interroge intellectuels, créateurs et acteurs de la vie publique sur leur vision de l’État. Cette notion est-elle toujours pertinente ?
Voici la contribution d’Emmanuel Maurel, publiée le samedi 25 mars 2023

Pour traiter un sujet compliqué, partir d’une idée simple : il n’y a pas de France sans État. Et depuis la Révolution française, il n’y a pas d’État sans Nation, ni de Nation sans État, dont la « République française » et sa devise « Liberté, Égalité, Fraternité » sont une expression à la fois idéelle et performative.

Ces vérités historiques conservent leur pertinence et leur force dans l’esprit des Français jusqu’à nos jours. Mais il est un fait, hélas incontestable : parmi nos compatriotes, ceux qui se plaignent le plus de cette persistance, dans laquelle ils voient au mieux une relique, au pire une servitude, ce sont nos élites dirigeantes. Pour elles, souvent (il y a d’heureuses exceptions), l’État, c’est ringard.

La postmodernité travaille non seulement les élites économiques de notre pays, aux prises avec une mondialisation qui rogne leurs parts de marché et exige d’elles toujours plus « d’innovation », mais aussi les élites administratives et politiques qui singent les méthodes du privé en dépit des catastrophes que provoque continument cet habitus McKinsey. Bien des serviteurs de l’État sont devenus ses contempteurs, voire ses destructeurs – les idées (pour ne pas dire les préjugés) et les performances du macronisme en étant l’archétype.

Bien sûr, je simplifie à outrance. Il n’y pas de « complot » ourdi en coulisses contre la conception française de l’État. Il y a une idéologie dominante portée par une organisation économique et sociale qui valorise et exalte le particulier contre le général, l’individu contre le collectif, et qui infuse tout le corps social, de haut en bas, presque à son insu.

L’accélération de la déconstruction capitaliste a sérieusement entaillé un prestigieux héritage. Des siècles qui nous ont précédés, au cours desquels monarques puis représentants du peuple ont construit l’État moderne français, à la fois régulateur social, stratège industriel et planificateur économique, il semble aujourd’hui ne plus rester grand-chose. À défaut de la « fin de l’histoire » chère aux idéologues anglo-saxons (mais que les faits se sont évertués à démentir), c’est la fin de l’État. Mais est-ce la fin de l’oppression ?

Rien n’est moins sûr, car Léviathan a plus d’un tour dans son sac. La « liberté » économique, ou liberté du renard libre dans le poulailler libre, nécessite pour fonctionner une mise en œuvre et des ajustements, sans fin, par… l’État. Plus on veut de milliardaires et de startupeurs, plus on veut de concurrence pure et parfaite, plus on veut démanteler l’État social, et plus il faut… légiférer et réglementer. L’hypertrophie d’une Union européenne (presque) au service exclusif du libéralisme en témoigne.

Dans les domaines où le pouvoir politique veut laisser les agents économiques faire ce qu’ils veulent, l’État est obligé d’empiler toujours plus de lois et règlements. En parallèle, les déséquilibres sociaux engendrés par le libéralisme nécessitent d’accroître… la coercition. D’où l’inflation corrélative de lois répressives et autres mesures autoritaires, voire brutales prises par l’État pour s’assurer que l’inégalité consubstantielle au libéralisme ne provoque pas trop de troubles à l’« ordre » public. La lutte des individus contre l’État se retourne en son contraire. C’est la contradiction insurmontable du néolibéralisme. Lequel, au surplus, fait quelques gagnants et beaucoup de perdants non seulement dans la société, mais entre les nations. Or à ce jeu, la France est clairement en train de perdre. 

Certes, la conjoncture nous fait moins mal qu’à l’Allemagne. Le différentiel d’inflation est actuellement en notre faveur. Notre choix pour le nucléaire, même handicapé par les problèmes de l’EPR et des microfissures découvertes dans plusieurs centrales, nous épargne un désastre énergétique, contrairement à notre voisin, obligé de payer des sommes folles pour son gaz et de mobiliser des budgets énormes pour amortir le choc. Mais force est de constater qu’en tendance, nous décrochons. Notre déficit extérieur abyssal en est la preuve la plus spectaculaire. Même les rentrées d’argent du tourisme ne le compensent plus. Nos statistiques du chômage, falsifiées par les radiations en masse et par le choix contraint, pour des millions de Français, de renoncer au salariat et se lancer dans l’autoentreprise, complètent le tableau.

On ne peut plus continuer comme ça. L’État-Nation doit revenir à la maison. C’est-à-dire être à nouveau le serviteur du peuple détenteur de la souveraineté. Cela passe par une profonde revitalisation démocratique : l’épisode du referendum de 2005 sur la Constitution Européenne, rejetée par les électeurs mais validée par les parlementaires, est une très grave blessure qui n’a toujours pas cicatrisé. Le seul « cercle de la raison » légitime dans notre République, c’est celui du peuple tout entier, et pas seulement des privilégiés. Depuis 2017, et particulièrement maintenant, avec sa contre-réforme des retraites, Macron a poussé cette dérive à l’extrême : il faut inverser la tendance.

Pour recouvrer la légitimité populaire, l’État doit d’abord agir dans le domaine de la production. C’est la base. Or de ce point de vue, la France a touché le fond. En moins de 15 ans, elle est devenue l’un des pays les moins industrialisés d’Europe ! D’après la Banque mondiale, en 2021 le poids de l’industrie représentait 17% du PIB, BTP compris. Hors BTP (qui pèse plus lourd chez nous que chez nos voisins), nous sommes sous les 10% ! Certaines données, interprétées de manière exagérément optimiste, semble indiquer un rebond depuis environ deux ans. Quelques usines rouvrent, c’est vrai. Mais on ne peut pas se satisfaire de cette convalescence longue, pénible et précaire.

Il faut accélérer et pour ce faire, l’État-stratège, pilote d’une politique industrielle tournée vers l’avenir, c’est-à-dire la technologie, la qualité et la haute valeur ajoutée, ne peut se contenter d’être une force d’appoint saupoudrant les subventions, mais doit être une force de propulsion et d’orientation. Des propositions, passées relativement inaperçues dans le débat public, ont été faites et je les reprends à mon compte : muni de la boussole de l’aménagement du territoire, l’État doit se donner les moyens de piloter la réimplantation industrielle, en visant l’ouverture de 500 usines durant la seconde moitié de cette décennie dans les secteurs stratégiques : énergie, transports, santé, communications, numérique, électronique, etc. Et peu importe que cette politique soit jugée incompatible avec les traités européens ou avec des règles de l’OMC que plus personne ne respecte. Pour la France, la réindustrialisation n’est pas une option : c’est une obligation. Nous n’avons pas le choix et nos partenaires européens le comprendront, ou devront s’y faire.

Les moyens financiers nécessaires à ce grand chantier national devront être trouvés, en priorité par la révision et la restructuration des aides publiques aux entreprises. Leur montant est astronomique : 160 milliards par an, hors Covid. C’est de loin le premier budget de l’État. Pour quel résultat ? Il faut d’urgence changer la manière dont l’État dépense cet argent. 

Et il est indispensable que l’État lui-même prenne sa part, en privilégiant le « Made in France » dans la commande publique. Comme les Américains ! Mais pas comme les Européens, qui hélas aussi bien à la Commission qu’au Parlement, ne veulent pas entendre parler d’une telle hérésie « protectionniste ». Étant moi-même un hérétique du néolibéralisme, je n’éprouve aucune gêne à en parler. Instituer un pourcentage minimum de commande publique en « Made in France » (pourquoi pas 25%), ou trouver quelque autre manière que ce soit, mais faire en sorte que l’État – central et décentralisé – donne du travail à nos entreprises et à leurs salariés, est impératif.

Ensuite, les services publics. Qu’on parle d’hôpital ou d’école, de police ou de justice, sans oublier l’armée (qui quoiqu’on pense de la guerre et de la paix, est un facteur d’innovation, de productivité et d’excellence), l’État doit arrêter de rogner constamment son effort budgétaire, faute de quoi au bout d’un moment, on atteint un point de non-retour.

Et ce moment est proche. Il faut soutenir les effectifs et les investissements du service public, dont on oublie ces temps-ci qu’il est un des piliers de notre attractivité. Il faut aussi briser le carcan idéologique et juridique qui étouffe le service public, en le soumettant à une concurrence dont les effets sont souvent le contraire de ce qui était attendu. Le « marché », totalement artificiel, de l’énergie est à cet égard éclairant : les prix ont monté de 60% depuis que l’électricité a été libéralisée ; et EDF est au bord du gouffre. À cet égard, je recommande d’envisager toutes les options, y compris le retour au monopole public.

Il y aurait tant d’autres choses à dire. L’organisation de l’État mériterait à elle seule un long développement. Sur ce point, je dirai une chose : la loi Notre a créé des « régions » qui ne ressemblent à rien (qu’on pense à « Grand-Est », qui va de la Seine-et-Marne à l’Alsace, ou à « Nouvelle Aquitaine », qui va de Biarritz au Limousin : n’importe quoi !), n’a pas réparti les compétences de manière rationnelle, créant même de nouvelles couches et de nouveaux enchevêtrements ; et je crois nécessaire d’en faire le bilan – qui n’est pas bon.

Je suis profondément convaincu qu’en France, il est impossible de traiter la question de l’État comme on la traite ailleurs, notamment chez les anglo-saxons. Bien évidemment, l’État n’est pas la solution à tout et notre histoire montre aussi que les Français ont un rapport ambivalent à l’État, dont ils attendent beaucoup, mais dont ils n’hésitent pas à critiquer vertement les lourdeurs et la bureaucratie… scrupuleuse. Mais nos compatriotes savent au fond d’eux-mêmes que l’État n’est pas un problème mais un atout. Et ils ont raison.

LÉGISLATIVES PARTIELLES – Communiqué

À la suite des annulations par le Conseil Constitutionnel des élections de juin 2022 dans 3 circonscriptions des français résidant hors de France, la Gauche républicaine a décidé de présenter des candidats dans les 2ème et 8ème circonscription et de soutenir Karim BEN CHEIKH, député sortant, dans la 9ème circonscription.

Nous soutenons la candidature d’Hélène LEHMANN et Jean-Alain STEINFELD, suite à l’annulation de l’élection de Meyer HABIB, dans la 8ème circonscription, en raison « d’irrégularités et des manœuvres frauduleuses » ayant « altéré la sincérité du scrutin ». Ils défendent l’importance d’avoir des élus intègres, qui ne font pas de compromis avec la laïcité.

Dans la 2ème circonscription, nous soutenons la candidature de David ABRIAL et Vincent ARPOULET, qui se battent pour des services publics de qualité pour les français résidant hors de France et pour la défense de la francophonie.

Nous apportons notre soutien au candidat Karim BEN CHEIKH, député sortant, dans la 9e circonscription en raison de la qualité de son travail depuis juin dernier.

Au moment où notre pays connaît une très grave crise politique, où la République est abîmée, où le peuple français est ignoré, où nous devons faire face à des problèmes économiques, sociaux et écologiques d’une ampleur inédite, la voix des français de l’étranger doit être portée par des femmes et des hommes ayant l’exigence républicaine chevillée au corps.

Le premier tour des élections législatives partielles se tiendra en ligne du 24 au 29 mars et à l’urne le 1er ou 2 avril 2023.

Nous proposons à nos concitoyens d’élire des députés qui feront vivre la République sociale, qui combattent la réforme des retraites et qui seront se mobiliser pour défendre nos acquis sociaux.

Emmanuel MAUREL, député européen, animateur national de la GRS

Marie-Noëlle LIENEMANN, sénatrice de Paris, Coordinatrice nationale de la GRS

pour nous écrire : contact.ffe@g-r-s.fr

RETRAITES : IL FAUT DONNER LA PAROLE AU PEUPLE FRANÇAIS !

Communiqué de presse

La Gauche Républicaine et Socialiste, aux côtés des syndicats unis et des forces de gauche, s’est pleinement engagée pour le retrait de la réforme des retraites.

Au mépris d’une mobilisation historique et d’un rejet massif de son projet par l’opinion, le Gouvernement s’obstine à vouloir infliger aux Français cette régression sociale aussi cruelle qu’inutile, qui sape notre modèle social et républicain.

La GRS a toujours suivi la ligne prônée par l’intersyndicale, plaidant pour un débat parlementaire qui aille au fond du texte. Mais le Gouvernement, agissant de concert avec Les Républicains, a décidé de bâillonner la représentation nationale en utilisant toutes les procédures dilatoires que lui offre cette 5ème République à bout de souffle.

Les demandes légitimes des organisations syndicales, au premier rang desquelles une vraie négociation avec l’Exécutif, se sont brisées sur le mur du silence d’Emmanuel Macron et sur les mensonges de ses ministres.

Alors que partout des voix s’élèvent contre le report de l’âge de départ à 64 ans, que les salariés se mobilisent et que le peuple exprime son mécontentement dans toutes les villes de France, la seule sortie par le haut est désormais le référendum.

Pour ce faire, nous participerons à la mise en œuvre d’un référendum d’initiative partagée, conformément à l’article 11 de la Constitution. Nous aiderons nos camarades de gauche et, plus largement, les citoyens qui refusent le fait du Prince, à recueillir les signatures des électeurs afin de déclencher le processus qui mènera au vote populaire.

La GRS appelle tous les Français, et particulièrement les salariés de ce pays et leurs proches en âge de voter, à se joindre au mouvement de résistance contre la casse de nos conquis sociaux.



Emmanuel MAUREL, Député européen, Animateur national de la GRS 

Marie-Noëlle LIENEMANN, Sénatrice de Paris, Coordinatrice nationale de la GRS

Sûreté Nucléaire : là où il faut de la confiance, le gouvernement sème la confusion

L’augmentation des besoins en électricité pour décarboner les transports, le chauffage et l’économie apparaît plus que jamais comme une évidence pour espérer lutter au mieux contre le réchauffement climatique. Dans ce cadre, la production d’électricité nucléaire, énergie décarbonée et pilotable, est centrale, aux côtés des ENR (hydraulique, éolien, photovoltaïque…).

Au moment où le débat sur la relance du nucléaire s’engage en France – et au moment où le projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes est en cours d’examen par le parlement1 –, il est fondamental que les Français conservent une confiance éclairée sur la sûreté de nos centrales nucléaires actuelles et à venir et donc qu’ils aient confiance dans un système de contrôle qui garantisse un haut niveau de sécurité de nos installations.

On peut donc s’étonner à ce titre d’une décision brutale, rapide et non concertée visant à regrouper l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) et l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN).

Cela donne l’impression d’une « politique de gribouille ». Alors que le projet de loi a été déposé le 2 novembre 2022, qu’il a été débattu et voté par le Sénat le 24 janvier 2023, il a fallu attendre le 8 février pour que l’exécutif considère subitement nécessaire la fusion de l’ASN et l’IRSN et annonce en avoir pris la décision, sans que cela ne soit concerté avec les acteurs du secteur. Le gouvernement a ainsi déposé en catimini et fait adopter le 6 mars en commission à l’Assemblée Nationale un amendement à son propre texte pour rendre possible cette fusion… À nouveau, l’exécutif semble ne pas avoir de vision de long terme et improviser sur un dossier qui ne peut laisser de place aux brusqueries, à l’incertitude et à la confusion.

Le second risque est de donner à penser à nos concitoyens que le gouvernement est en train de réduire la transparence et l’accès aux informations dans ce secteur sensible. La méthode employée est déjà révélatrice du manque de concertation qui prévaut dans l’exécutif. De nombreux acteurs du secteur considèrent que nous perdons en pluralité et donc en crédibilité en réduisant nos outils à une seule structure pour la sûreté nucléaire ; ils s’émeuvent aujourd’hui d’une forme de passage en force, alors que la diversité d’approche leur paraît nécessaire pour éclairer les arbitrages politiques.

Les deux structures ont par ailleurs des statuts différents : l’ASN est une autorité administrative indépendante ; l’IRSN est un EPIC placée sous la tutelle directe du gouvernement. Or en regroupant toutes les missions dans une seule et unique autorité indépendante, on prive le parlement – donc nos concitoyens – de ses capacités de contrôle et d’information, puisque l’IRSN, qui peut aujourd’hui faire l’objet d’un contrôle parlementaire de l’action du gouvernement et sur l’évaluation des politiques publiques, disparaîtrait. Or le contrôle parlementaire est indispensable sur un sujet aussi sensible : il contribue à éclairer nos concitoyens sur les politiques publiques de développement du nucléaire civil, ce qui est indispensable pour garantir la confiance.

La Gauche Républicaine et Socialiste demande donc au gouvernement d’abandonner la précipitation comme modalité d’action, en retirant du débat parlementaire son amendement au projet de loi nucléaire pour avaliser la fusion entre l’ASN et l’IRSN. S’il existe des des raisons techniques et structurelles plaidant pour un regroupement entre ces deux structures, le gouvernement doit relancer une large concertation. Le travail de l’office parlementaire des choix scientifiques et technologiques (OPECST), qui a d’ailleurs rendu un avis balancé sur cette fusion2 (ci-dessous), pourrait servir de base à cet effet.Dans tous les cas, il faut tout à la fois satisfaire des objectifs d’efficacité mais aussi de transparence et de contrôle parlementaire, nécessaires à la confiance.

1http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl22-100.html

2https://www.vie-publique.fr/en-bref/288456-reforme-de-la-surete-nucleaire-les-recommandations-de-lopecst

Inflation : Les gagnants, les perdants et le manque de réponse à gauche

Avec une hausse des prix annuelle mesurée à plus de 6%, l’année 2022 fut incontestablement celle du retour de l’inflation. Un tel niveau n’avait plus été constaté en France depuis le début des années 1980. Dans une chronique rédigée voici quelques semaines, David Cayla, Maître de Conférences à l’université d’Angers et membre des économistes atterrés, explique les conséquences de ce phénomène et pourquoi il n’est pas toujours pertinent de l’associer systématiquement à une baisse du pouvoir d’achat. Il montre aussi que les partis de gauche mériteraient de développer des réponses plus ambitieuses afin de transformer les rapports de force au sein du monde marchand, voire de privilégier la consommation collective et les services publics plutôt que de se focaliser sur le seul « pouvoir d’achat ».

quels sont les effets de L’INFLATION sur le pouvoir d’achat des français ?

L’inflation, dit-on, érode le pouvoir d’achat des ménages. Eh bien, contrairement aux apparences, ce n’est pas toujours vrai ! Dans une note de conjoncture publiée en octobre dernier, l’INSEE compare l’évolution de l’inflation avec celle du pouvoir d’achat des ménages des principaux pays européens. Les chiffres sont sans ambiguïté : alors que l’inflation est passée d’un niveau moyen de 1,5% en janvier 2021 à environ 5% en janvier 2022, puis à plus de 8% à partir de l’été 2022, le pouvoir d’achat est resté relativement stable. En janvier 2022, il avait progressé de 0,5% par rapport à l’année précédente en Allemagne, de 1,5% en Italie, de 0,5% en France. Il n’y a guère qu’en Espagne il a baissé d’environ 2%. Plus surprenant : alors que l’INSEE mesure une forte baisse du pouvoir d’achat en France au cours du 1er semestre 2022, elle s’attend à un rebond au second semestre en raison des mesures gouvernementales prises après l’élection et cela en dépit d’une hausse prévue de l’inflation.

Le pouvoir d’achat des ménages est globalement peu affecté par l’inflation. La raison de ce mystère est à la fois théorique et pratique. D’un point de vue théorique, les prix, qui sont des coûts pour les acheteurs, sont également des recettes pour les vendeurs. Ainsi, dans une économie fermée, ce que les uns perdent en achetant à des prix plus élevés, d’autres le gagnent en vendant plus cher. En fin de compte, au niveau de l’économie dans son ensemble, l’effet de l’inflation est nul.

Reste que, en pratique, un pays comme la France n’est pas une économie fermée. Le coût des produits pétroliers, très largement importés, ainsi que les prix des produits industriels dont la balance commerciale est déficitaire, pèsent forcément négativement sur le revenu de la nation dans son ensemble. L’inflation devrait donc avoir des effets négatifs sur le pouvoir d’achat moyen. Pourquoi ne retrouve-t-on pas cet effet dans les chiffres ? Cela est dû à la croissance économique et à la poursuite des aides de l’État dont les ménages et les entreprises ont bénéficié. Ainsi, la perte de revenus liée à la hausse des prix des produits importés est compensée d’une part par le maintien d’une dépense publique forte et d’autre part par le rebond de la croissance économique (le PIB est la somme des revenus).

D’après l’INSEE, la situation devrait être à peu près la même en 2023. En dépit d’une hausse de l’inflation, le pouvoir d’achat des ménages français devrait être stable. La croissance prévue de 2,6% (hausse de 2,6% des revenus primaires) serait consommée d’une part par le creusement du déficit commercial et d’autre part par la baisse du déficit public qui devrait passer de 6,4% du PIB en 2021 à environ 5% en 2022/2023.

quelles sont les dynamiques sociales à l’œuvre derrière le phénomène de reprise massive de l’inflation ?

Ces réflexions sur la stabilité du pouvoir d’achat des ménages en période d’inflation élevée ne signifient pas que l’inflation n’est pas un problème. Elle signifie plutôt que si l’inflation est un problème pour certaines catégories de ménages, elle représente une aubaine pour d’autres. Autrement dit, le problème de l’inflation n’est pas qu’elle appauvrit globalement les ménages (sauf pour l’inflation des produits importés) mais qu’elle réorganise brutalement tous les rapports de force au sein de l’économie. Derrière une moyenne qui ne change pas se cachent de nombreuses évolutions sectorielles et des conflits de répartition. Il est donc nécessaire de comprendre qui sont les gagnants et les perdants de l’inflation.

Lorsque l’inflation est nulle ou presque, comme c’était le cas dans les années 2010, les gagnants sont ceux dont les revenus progressent, les perdants ceux dont les revenus régressent. Comme il est très difficile de faire baisser nominalement les salaires et les revenus, les perdants étaient peu nombreux et les gagnants ne pouvaient donc pas beaucoup gagner.

À l’inverse, dans une économie où l’inflation dépasse les 6% par an, comme c’est le cas aujourd’hui, toute progression des revenus inférieure à ce seuil fait des perdants. Ainsi, la hausse du point d’indice de 3,5% pour les fonctionnaires décidée cet été représente en réalité une baisse de leur pouvoir d’achat supérieure à l’époque où le point d’indice était gelé alors que les prix n’augmentaient que de 1% par an. De même, la hausse des pensions du régime général de 4% ou celle de 5,12% des régimes complémentaires constituent en fait une baisse de pouvoir d’achat pour les retraités. Les salariés au SMIC sont protégés du fait de l’obligation légale d’indexer le salaire minimal sur l’inflation. Sur l’ensemble de l’année, ils ont ainsi bénéficié de trois hausses successives depuis le 1er janvier qui ont fait progresser le SMIC de 5,66% en dépit de l’absence de « coup de pouce » de la part du gouvernement. Au premier janvier 2023, le salaire minimum augmentera à nouveau de 1,81%.

qui sont les PERDANTS… ET lES GAGNANTS ?

En fin de compte, les fonctionnaires sont perdants, les retraités sont perdants, la plupart des salariés, sauf les smicards, sont également perdants. Mais puisque, en dépit de ces perdants qui constituent clairement une majorité de la population, le pouvoir d’achat global des ménages est stable, on peut en déduire que d’autres sont gagnants, que ces gains sont concentrés sur une proportion minoritaire de ménages et qu’ils sont donc conséquents.

Qui sont ces gagnants ? Il est difficile de le savoir précisément. Le gouvernement se targue de la disparition de la redevance ; mais il est clair que ce gain de 138 euros pour ceux qui la payaient ne compense pas les pertes liées à l’effritement des revenus de la plupart des gens. Par exemple, un couple de retraités qui touche 2000 euros de pension et qui a perdu 2% de pouvoir d’achat a subi une perte 480 euros de pouvoir d’achat sur l’année, soit un montant bien plus élevé que le gain lié à la fin de la redevance. De même, pour un couple d’enseignants, dont le traitement n’a été revalorisé que de 3,5%, les pertes de revenus cumulés sur l’année sont largement supérieures à 1000 euros. Ce n’est pas la suppression de la redevance qui va changer fondamentalement la situation de ces ménages.

D’autres gains sont un peu plus conséquents. C’est le cas, par exemple, des ménages qui ont souscrits un emprunt à taux fixe, souvent dans le cadre d’un achat immobilier, ainsi que des ménages qui ont investi dans l’immobilier en contractant de lourds emprunts à taux fixe. Le poids des mensualités de remboursement diminue avec la hausse des revenus nominaux, même si cette hausse est inférieure à l’inflation(1). Certains agriculteurs ont pu profiter de la hausse des prix agricoles, notamment les céréaliers et ils font alors partie des gagnants. Des artisans ou sociétés de transport ont pu augmenter leurs tarifs à un niveau supérieur à l’inflation ; enfin, certains salariés dans les métiers en tension ont pu négocier des hausses substantielles.

Mais les plus grands gagnants se trouvent incontestablement parmi les entreprises et leurs propriétaires. Bien que beaucoup aient été affectées par la hausse des prix de l’énergie et la désorganisation des chaines d’approvisionnement, de nombreuses entreprises continuent d’engranger de confortables profits. De fait, d’après l’INSEE, les taux de marge des entreprises ont atteint un niveau record de 34,3% en 2021 et les revenus distribués aux actionnaires sous forme de dividendes ou de rachats d’action ont fortement augmenté.

LA HAUSSE DU POUVOIR D’ACHAT N’EST-elle PAS pourtant, EN SOI, UN PROJET DE GAUCHE ?

Ce que nous apprennent ces chiffres c’est que, d’un point de vue politique, la hausse ou la baisse du pouvoir d’achat des ménages ne signifie rien en elle-même. La question centrale n’est pas de savoir si les ménages peuvent globalement consommer davantage, mais de savoir quels sont les gagnants et les perdants des nouveaux rapports de force économiques engendrés par l’inflation.

À ce titre, et contrairement à ce que disait Keynes, l’inflation ne signifie pas mécaniquement l’euthanasie des rentiers. Ce sont, de fait, ceux qui travaillent qui ont subi les effets négatifs de l’inflation, alors que les propriétaires du capital et les bailleurs se révèlent être les grands gagnants. Car l’inflation, au fond, c’est l’opportunité pour ceux qui disposent d’un rapport de force favorable d’augmenter les prix qui constituent leurs revenus plus fortement que la moyenne, alors que ceux qui sont en situation défavorable voient leurs coûts augmenter plus vite que la moyenne des prix.

Poussons le raisonnement plus loin. Un projet de gauche ne peut se limiter à défendre la hausse généralisée du pouvoir d’achat des ménages. D’un point du vue économique, le revenu de la nation (le PIB) se compose de trois grands ensembles. Le premier correspond aux sommes consacrées à l’investissement, c’est-à-dire au renouvellement et à l’accroissement du capital productif et des infrastructures (routes, bâtiments, industrie…) ; le deuxième est constitué de la consommation individuelle des ménages ; enfin, une partie du revenu national est socialisée via la fiscalité et consacrée à des dépenses d’intérêt général : c’est la consommation collective.

Le cœur d’un projet de la gauche c’est le progrès et l’égalité réelle. L’égalité peut être réalisée de deux manières :

  1. Par la redistribution fiscale et les revenus de transfert (les allocations, les retraites, les aides au logement…), qui constituent une redistribution au sein du deuxième ensemble sans affecter la part de chaque ensemble.
  2. Par les dépenses de consommation collective (le financement de la culture, des écoles, de la santé…), ce qui suppose de baisser la part du PIB consacrée à la consommation individuelle. Les études de l’INSEE montrent qu’en prenant en compte la distribution élargie, c’est-à-dire les effets des services publics sur le niveau de vie des ménages, la réduction des inégalités est deux fois plus importante que si on ne regarde que les revenus de transfert et la fiscalité directe.

Présenté ainsi, on voit bien ce que le thème de la hausse du pouvoir d’achat a de conservateur. Au pire, il signifie une augmentation de la consommation individuelle au détriment de l’investissement ou de la consommation collective ; au mieux, il implique une redistribution entre les ménages favorisés et défavorisés sans dégager de nouveaux moyens pour la consommation collective. Dans les deux cas, augmenter ou réorganiser le pouvoir d’achat suppose de détourner l’action des pouvoirs publics de l’un des objectifs fondamentaux de la gauche : favoriser et développer les services publics.

Pourquoi le débat à gauche a-t-il à ce point délaissé la consommation collective ? L’une des explications est que durant les années 1950 et 1960, la croissance du PIB par habitant était supérieure à 5%. Il était donc possible, à cette époque, de conjuguer à la fois la hausse de consommation individuelle et celle de la consommation collective. Or, depuis 2007, la croissance du PIB par habitant est pratiquement nulle (voir Figure 1). Cette situation pose un vrai problème pour les gouvernements. Alors que les besoins de dépenses collectives ne cessent de croitre en raison du vieillissement de la population et de la hausse du niveau éducatif de la jeunesse, une augmentation des moyens pour les services publics nécessiteraient d’augmenter la fiscalité et donc de diminuer le pouvoir d’achat des ménages.

FIGURE 1 – EVOLUTION DU PIB PAR HABITANT

Cette situation budgétaire est rendue plus difficile du fait d’une stratégie d’attractivité menée depuis 2007 (et renforcée en 2012 et 2017) en faveur des entreprises et du capital. En vertu de cette politique, les gouvernements successifs se sont mis à subventionner massivement le secteur productif par la baisse des impôts et des cotisations sociales. Ainsi, pour préserver le pouvoir d’achat des ménages, le gouvernement en est réduit à financer ses aides publiques aux entreprises en sacrifiant les services publics ou le niveau des retraites. C’est d’ailleurs pour compenser les coûts de sa politique fiscale en faveur des entreprises qu’Emmanuel Macron entend réformer les retraites.

la pOLITIQUE MONÉTAIRE est désormais de la compétence de la bce, quels sont nos marges en matière de POLITIQUE BUDGÉTAIRE ?

Sortir de l’ornière dans laquelle la gauche est tombée en se faisant la défenseuse du pouvoir d’achat, suppose de poser la question de la priorité des combats politiques à mener.

En ce sens, le slogan trouvé pour la marche du 16 octobre « contre la vie chère et l’inaction climatique » à laquelle se sont ralliés les quatre partis de la NUPES ainsi que de nombreuses associations et personnalités (dont la prix Nobel Annie Ernaux) pose question. D’une part, il est curieux d’associer dans un même slogan le combat écologique, qui suppose davantage de sobriété et la décroissance de nos consommations polluantes, avec une demande de hausse du pouvoir de consommer. D’autre part, il est problématique de mettre en avant « la vie chère », ce qui semble privilégier le droit à la consommation individuelle en laissant de côté la question de la consommation collective. De fait, parmi les six revendications mises en avant par l’Appel, aucune ne fait directement allusion aux services publics, et seuls les transports en commun sont mentionnés dans le cadre de la bifurcation écologique.

Mais à trop vouloir lutter contre la vie chère, et donc contre l’inflation, au lieu de mettre l’accent sur les effets de distribution engendrés par la hausse des prix, la gauche risque de nourrir les arguments de ceux pour lesquels la priorité devrait être de lutter contre l’inflation par la politique monétaire. Les banques centrales ont ainsi beau jeu de se présenter comme les garantes de la stabilité des prix. Elles haussent leurs taux directeurs, freinant le crédit et l’économie au risque d’engendrer une récession et une hausse du chômage.

À l’inverse, une politique de gauche devrait reconnaitre que le problème n’est pas l’inflation en elle-même mais le déséquilibre des rapports de forces entre les agents économiques qui profite à certains au détriment des autres. Dès lors, ce n’est pas la politique monétaire qui devrait être activée mais la politique budgétaire. L’objectif ne doit pas être de diminuer l’inflation, mais d’en compenser les coûts pour les ménages les plus fragiles. En ce sens, la taxe sur les « superprofits » est une mesure évidemment nécessaire, tout comme le rétablissement de l’indexation des salaires, des traitements, des pensions et des allocations sur l’évolution des prix.

quelle politique menée pour résoudre ces contradictions ? une partie de la gauche se prononce derrière jean-luc mélenchon pour le BLOCAGE DES PRIX… n’y a-t-il pas des marges de manœuvre en matière de POLITIQUE INDUSTRIELLE ?

Parmi les revendications de la marche du 16 octobre, on trouve l’idée d’un blocage des prix de l’énergie et des produits de première nécessité. En soi, le contrôle des prix est une proposition intéressante, mais elle pose la question de sa mise en œuvre et de son coût dans le cadre actuel d’un système économique ouvert fondé sur la concurrence. En effet, pour agir sur les prix des carburants, le gouvernement a été contraint de prévoir une ristourne pour les distributeurs, ce qui finit par coûter très cher au contribuable et complique l’équation budgétaire. Pour cette raison, la France Insoumise propose un blocage des prix sans compensation. Le problème est qu’une telle mesure serait une atteinte au droit de propriété et à coup sûr sanctionnée à la fois par le Conseil constitutionnel et les autorités européennes.

Plus fondamentalement, la régulation des prix suppose une réflexion approfondie sur la part du marchand et du non marchand dans l’économie. L’essence du marché, c’est d’être un lieu de négociation autonome au sein duquel les agents sont libres d’échanger aux prix qu’ils souhaitent. Bloquer les prix, c’est bloquer cette autonomie. Cela revient à sortir l’énergie et les biens de première nécessité du marché. Or, sortir du marché n’est possible que si un acteur public se charge d’organiser l’approvisionnement de la population. Autrement dit bloquer les prix c’est, fondamentalement, passer d’un système de consommation et de production individuel et privé à un système de production et de distribution collectif et au moins partiellement public. C’est d’ailleurs ce qu’avaient parfaitement compris les gouvernements d’après-guerre qui avaient nationalisé tout le secteur de l’énergie afin d’en contrôler les prix et qui, dans le cadre de la politique agricole, avaient instauré un régime de subvention des agriculteurs fondés sur des prix garantis.

Ainsi, en appeler au blocage des prix ne signifie pas grand-chose s’il n’y a pas derrière ce slogan une véritable stratégie visant à reprendre le contrôle et à réorganiser notre secteur productif. Cela s’appelle une politique industrielle. Et la seule manière de la mener pleinement est de sortir des règles actuelles du marché unique, de la concurrence et du libre-échange. Alors seulement, dans ce nouveau cadre institutionnel, la question de la régulation des prix pourra être posée de manière conséquente.

David Cayla

Références

(1) Imaginons un ménage multi-propriétaire qui rembourse des mensualités de 3000 euros par mois et qui perçoit 4000 euros de loyer. Son revenu mensuel net s’établit à 1000 euros par mois. Grâce à la hausse de 3,6% de l’indice de référence des loyers, il touchera désormais 4144 euros de loyers, soit un revenu net de 1144 euros, supérieur de 14,4% par rapport à celui de l’année précédente !

Halte à la souffrance au travail !

Notre pays est engagé dans un mouvement social massif contre la remise en cause de notre système de retraites, qui va d’abord pénaliser les travailleurs les plus modestes, ceux qui ont commencé à travailler tôt et fait peu d’études. Le projet d’Emmanuel Macron fait par ailleurs comme à chaque fois l’impasse sur la pénibilité et la souffrance au travail. La GRS continuera quant à elle d’insister sur la nécessité de mettre le travail au cœur des propositions prioritaires de la gauche.

Une récente étude de l’IFOP indique désormais qu’une majorité nette des Français considère le travail avant tout comme une contrainte et non comme un moyen de s’épanouir. Atteignant presque 60% des sondés, ce chiffre est en hausse de près de 10 points depuis 2006.

La dialectique du travail n’est pas nouvelle. Dans les sociétés capitalistes libérales, le travail est à la fois un outil d’émancipation individuelle et collective grâce aux richesses qu’il crée, mais également une cause d’aliénation du fait des contraintes physiques et morales qu’il engendre et à la relation de dépendance à l’employeur qui se noue pour les salariés.

Tout le combat socialiste se retrouve dans cette opposition. Depuis le XIXème siècle, notre mouvement politique se bat pour que le travail soit le plus émancipateur possible, via la redistribution des richesses par le salaire et la sécurité sociale. Nous nous battons également pour qu’il soit le moins aliénant possible, via la retraite, le code du travail, la prévention des risques, la médecine du travail.

Cet horizon du travail heureux semble malheureusement, de l’avis même des Français, s’éloigner chaque jour un peu plus. Les causes sont connues. Le travail rapporte de moins en moins, avec des salaires qui stagnent, des emplois détruits par la mondialisation, des CDI de plus en plus rares, une précarisation des jeunes en hausse avec la plateformisation qui les guette. Le travail est également de plus en plus pénible. La pénibilité, sabordée par le gouvernement Macron dès 2017, n’est plus prise en compte. De la loi El-Khomri aux ordonnances Pénicaud, le code du travail est détricoté, au prétexte qu’il ne serait plus adapté au monde du travail d’aujourd’hui. Pour autant, les souffrances au travail liées aux technologies modernes ne sont pas ou mal prises en compte. Les temps de trajet domicile-travail s’allongent et privent toujours plus de temps de vivre. Les perspectives d’amélioration des conditions, surtout, sont absentes. Aucune hausse de salaire n’est envisagée, la réduction du temps de travail n’est plus de mise. Les libéraux n’ont en tête qu’un seul objectif, faire travailler plus, plus longtemps, plus durement.

Il n’est donc pas étonnant que le rapport au travail soit de plus en plus critique et désespéré. Les organisations patronales se plaignent que les Français n’aient plus le goût du travail et ne trouvent plus de travailleurs « motivés ». Les causes sont connues, des solutions existent. Ce n’est pas en allongeant l’âge de départ à la retraite, en faisant stagner les salaires et en précarisant les conditions de travail que les Français y reprendront goût. La souffrance au travail a explosé, il convient d’y mettre un terme.

Nous sommes la gauche du travail. Nous sommes la gauche qui n’a pas renoncé à l’horizon socialiste d’un travail qui émancipe sans aliéner, qui crée des richesses et rend possible le bien-être pour tous, sans pour autant détruire les corps et les esprits.

Augustin Belloc

Suivez les débats sur la réforme des Retraites au Sénat avec Marie-Noëlle Lienemann

La gauche au Sénat a décidé d’engager le débat de fond contre la droite et le gouvernement qui se sont alliés pour faire passer la réforme des retraites d’Emmanuel Macron. Sans excès, sans injures et sans cris, cela porte déjà ses fruits, car les incohérences du projet et les arrière-pensées se dévoilent peu à peu.

Le Mouvement social vient donc enfin de trouver des parlementaires qui relaient son message et sa disciplinaire unitaire.

Vous pouvez retrouver en ligne les débats du sénat :

Retrouvez ci-dessous une partie de ses vidéos

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