ordonnance prise sur le fondement des b, c, d et e du 2° du I de l’article 11 de la loi d’urgence
Afin de s’adapter aux enjeux sanitaires et d’éviter les contacts physiques, mais aussi aux contraintes du confinement et des plans de continuation d’activité réduite des services, cette ordonnance suspend les délais de prescription de l’action publique et d’exécution des peines à compter du 12 mars 2020.
Elle
assouplit les conditions de saisine des juridictions et allège leur
fonctionnement, en autorisant plus largement des audiences dématérialisées et
en élargissant les formations à juge unique.
Par
ailleurs, l’ordonnance assouplit les règles de procédure pénale applicables aux
personnes gardées à vue détenues à titre provisoire ou assignées à résidence.
Elle permet à un avocat, avec son accord ou à sa demande, d’assister à distance
une personne gardée à vue grâce à un moyen de télécommunication. Elle prolonge
les délais maximums de placement en détention provisoire et d’assignation à
résidence durant l’instruction et pour l’audiencement. Elle allonge les délais
de traitement des demandes de mise en liberté des personnes détenues à titre
provisoire.
Enfin,
l’ordonnance assouplit les conditions de fin de peine, en prévoyant notamment
des réductions de peine de deux mois liées aux circonstances exceptionnelles.
Gardes
à vue :
Il convient
de s’assurer que l’intervention à distance de l’avocat prévu par l’article 5 de
l’ordonnance ne puisse être envisagée qu’à titre subsidiaire et qu’à la
condition expresse que l’avocat y ait explicitement consenti. Aussi, il faut
que des moyens de protection soient garantis à tous dans les commissariats et
gendarmeries.
Il est
inadmissible qu’un justiciable voit sa privation de liberté prolongée sans
qu’elle puisse être présentée devant le magistrat compétent pour en apprécier
l’opportunité, faute de quoi le principe constitutionnel selon lequel « l’autorité
judiciaire est gardienne de la liberté individuelle » serait
profondément atteint. Il faut que cette mesure soit appliquée pour des
situations exceptionnelles et ne doit pas être appliquée à la garde à vue d’un
mineur de 18 ans.
Principe
de la collégialité en matière pénale :
Si le Code
de procédure pénale a récemment ouvert les cas dans lesquels un justiciable
peut voir son affaire examinée par un seul juge, la crise sanitaire ne devrait
justifier le renversement du principe de collégialité. Aussi, les audiences
pénales devraient se tenir dans les conditions prescrites par le Code de
procédure pénale ou, à défaut de magistrats disponibles, être renvoyées à une
date ultérieure.
Visio-conférences :
La loi
d’habilitation ouvre dangereusement la porte à la généralisation de la
visio-conférence en matière pénale. Il faut être vigilant par rapport à une
éventuelle utilisation abusive qui pourrait altérer l’action de juger et d’être
jugé.
Principe
du contradictoire :
Le texte
adopté évoque sans précision l’aménagement des modalités d’organisation du
contradictoire devant les juridictions pénales. Une décision de justice est
avant toute chose le résultat d’un échange d’arguments entre parties. Le débat
oral et contradictoire constitue une étape essentielle à l’élaboration d’un
jugement pénal ; il appartient aux autorités de préserver, en toutes
circonstances, cette idée et de prendre les mesures sanitaires appropriées pour
la rendre durablement possible.
Détentions
provisoires et délais d’audiencement :
L’article 16
autorise d’inédites prolongations de détention provisoire : « sont
prolongés plein droit de 2 mois lorsque la peine d’emprisonnement encourue est
inférieure ou égale à 5 ans et de 3 mois dans les autres cas […] Ce
délai est porté à 6 mois en matière criminelle et, en matière correctionnelle,
pour l’audiencement des affaires devant la cour d’appel. Les prolongations
prévues à l’alinéa précédent sont applicables aux mineurs âgés de plus de 16
ans, en matière criminelle ou s’ils encourent une peine d’au moins 7 ans
d’emprisonnement. ».
Cette mesure
pose un grave problème. Rien ne justifie que l’on puisse prolonger au-delà des
délais actuels, déjà suffisamment longs, le placement en détention provisoire
de personnes incarcérées bénéficiant de la présomption d’innocence.
L’incarcération est inscrite dans le Code de procédure pénale comme étant une
mesure exceptionnelle et pourtant nos prisons sont pleines de personnes en
détention provisoire. Cette mesure apparaît d’autant plus problématique qu’en
raison de la promiscuité bien connue dans nos établissements pénitentiaires du
fait du manque de places, les règles de confinement sont absolument intenables
et la situation sanitaire pourrait ainsi se dégrader rapidement.
Juge
des Libertés :
L’article 18
aggrave encore la situation. « Les délais impartis à la chambre de
l’instruction ou à une juridiction de jugement par les dispositions du code de
procédure pénale pour statuer sur une demande de mise en liberté sur l’appel
d’une ordonnance de refus de mise en liberté, ou sur tout autre recours en
matière de détention provisoire et d’assignation à résidence avec surveillance
électronique ou de contrôle judiciaire, sont augmentés d’un mois. Les délais
impartis au juge des libertés et de la détention pour statuer sur une demande
de mise en liberté sont portés à six jours ouvrés. »
Si les
audiences devant le juge des libertés et de la détention ou les juridictions de
jugement ne peuvent se tenir dans les délais prévus par les textes, il
appartient à l’institution judiciaire d’en tirer les conséquences légales et
d’ordonner la mise en liberté des personnes détenues. Cette position s’impose
avec d’autant plus de force que les établissements pénitentiaires connaissent
aujourd’hui des taux de saturation élevés, exposant les personnes détenues à
des risques de contamination inégalés à l’extérieur.
Exécution
des peines :
La rédaction
de l’ordonnance concernant la situation des personnes détenues (articles 21 à
29) est particulièrement floue. Or, le droit positif offre un certain nombre de
possibilités aux juridictions pour favoriser la limitation de la propagation du
virus en détention et la protection des droits des personnes détenues.
Peut-être
peut-il être envisagé le prononcé de grâces individuelles pour les personnes
exécutant des courtes peines ou ayant un faible reliquat de peine ? Une
loi d’amnistie pourrait également être envisagée.
Des
mesures exceptionnelles contestées :
De vives
réactions se sont manifestées, notamment du côté du Syndicat de la magistrature
qui a annoncé dans un communiqué publié le 26 mars contester les ordonnances au
regard de leurs conséquences sur les droits des personnes.
Il alerte
sur le fait que de longs mois d’application de ces dispositions risquent
d’avoir un effet de contamination sur le droit commun, et refuse que ces textes
soient le prétexte à de nouveaux errements de la chancellerie, au travers d’une
invitation plus ou moins appuyée ou subliminale que l’on peut résumer
ainsi : « nous avons vidé les tribunaux des parties, vous pouvez
revenir travailler ! »
Pour le
Syndicat des avocats de France (SAF), la vigilance est le maître-mot :
« Parce que nous savons que les lois d’exception servent
d’expérimentation pour les gouvernements, nous serons particulièrement
vigilants quant à l’inscription de l’ensemble de ces mesures dans la durée »
écrivait-il dans une lettre ouverte à la Garde des Sceaux.
Une
coincidence surprenante
Les craintes
du syndicat de la magistrature et du syndicat des avocats de France, sur le
fait que tout ceci ne serve de prétexte pour « sortir » avocats et
juges du palais, me paraissent d’autant plus justifiées qu’il faut mettre en
regard le fait que cette ordonnance arrive au même moment où le dispositif
DATAJUST entre en application : https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000041763205&categorieLien=id&fbclid=IwAR1PARs4QGnubLBZFFilJZo7iHHEsSoKFJaEsOtOtW53nTG9-H2BN5Qslxg
Ce dispositif
a pour objet de recueillir un grand nombre de décisions de justice afin de
développer un algorithme permettant d’élaborer un référentiel d’indemnisation
des préjudices corporels. Les dispositions analysées vont donc conduire à la
création d’un référentiel d’indemnisation pour les victimes de dommages
corporels : assurément la matière pour laquelle la mise en œuvre de la
justice prédictive s’annonce la plus aisée.
A l’heure
actuelle, il n’existe pas un, mais des référentiels : celui de l’ONIAM, le référentiel
MORNET, le référentiel « indicatif » des cours d’appel édité par l’ENM. Offrir
une visibilité sur le sens des décisions intervenues présente alors certains
avantages. L’harmonisation des pratiques entre le juge judiciaire et le juge
administratif – souvent moins généreux pour indemniser les victimes avec des
deniers publics – peut également s’avérer salutaire.
Reste que
l’élaboration automatisée de ce référentiel, et, surtout les utilisations qui
en seront faites prêtent le flanc à la critique.
En premier
lieu, la transparence induite doit permettre de « favoriser le
règlement amiable » des contentieux et ainsi éviter des procès. Le
Conseil Constitutionnel rappelant qu’il est parfois nécessaire d’écarter les
justiciables des prétoires. Ainsi, selon lui « réduire le nombre des
litiges soumis au juge » poursuit « l’objectif de valeur
constitutionnelle de bonne administration de la justice ». (CC, 21
mars 2019, n°2019-778 DC).
L’objectif
affiché de « raisonner» les parties en leur fournissant des
informations objectives peut-il se traduire par une baisse des demandes
extravagantes ? La grande diffusion des informations juridiques – par le
biais d’internet notamment – ne décourage que rarement les justiciables à agir
au motif qu’ils auraient constaté que l’action envisagée était infondée…
En deuxième
lieu, les risques inhérents à la mise en œuvre du dispositif évoqué seraient
que les juridictions s’y réfèrent hors éléments de contextes et au détriment de
la subjectivité nécessaire au jugement de chaque affaire. Quelle attention
portera le juge à la spécificité du dossier dès lors qu’un barème « objectif»
sera mis à sa disposition ?
La tendance
à l’adoption de solutions déconnectées des situations réelles sera d’autant
plus présente dans un contexte général peu propice à l’étude des dossiers au
cas par cas : Raréfaction de l’oralité dans les débats judiciaires,
surcharge de travail des magistrats, allongements des délais entre la
plaidoirie et le délibéré… Voilà autant d’éléments qui incitent les magistrats
à se référer à une solution « clé en main ». On mesure ici comme dans
la santé les conséquences néfastes des choix budgétaires austéritaires des 15
dernières années.
En troisième
lieu, se pose la question du contrôle des décision qui
« nourrissent » cet algorithme. Comment s’assurer que la base de
données créée est neutre comment corriger les « biais » de
l’algorithme ? L’absence de « neutralité technicienne » pose
nécessairement problème. Elle s’avère d’autant plus dangereuse lorsqu’elle
concerne la justice.