L’Humanité, lundi 28 juillet 2025
David Cayla, maître de conférences en économie à l’Université d’Angers, analyse pour nous l’accord signé entre Donald Trump et l’Union européenne, qui prévoit des droits de douane de 15 % sur les produits européens. Pour lui, l’UE a laissé passer une chance historique d’affirmer son indépendance.
Quelle lecture faites-vous de l’accord signé ce 27 juillet ?
Je ne vous apprendrai rien en vous disant qu’il est déséquilibré ! La question est de savoir pourquoi l’Union européenne (UE) parvient à un accord finalement moins favorable que ce qu’a obtenu le Royaume-Uni qui négociait tout seul de son côté. Ce dernier a en effet obtenu des droits de douane de 10% ainsi que quelques concessions sur des marchés libres de taxes.
L’UE, en revanche, c’est 15% de droits de douane (sur les produits européens exportés vers les États-Unis, N.D.L.R.), avec en plus l’obligation d’acheter du pétrole et du gaz américain, sans compter l’armement. Enfin, les Européens ont promis d’investir 600 milliards de dollars sur le sol américain, ce qui va à rebours de toutes les promesses formulées dans l’UE au cours des dernières semaines, selon lesquelles l’épargne européenne devait être mobilisée pour financer la croissance et l’industrie européenne.
Pourquoi un accord aussi asymétrique ?
Tout simplement parce que les pays membres sont divisés, en raison de structures économiques différentes : entre les pays désireux de protéger leurs industries exportatrices, comme l’Allemagne et d’autres favorables à des positions plus fermes (comme la France), aucun terrain d’entente n’a été trouvé. Et ce sont finalement les logiques exportatrices qui se sont imposées : il n’y a qu’à voir le soupir de soulagement poussé par les industriels allemands, heureux d’échapper à des taxes de 30%.
À l’arrivée, c’est surtout un échec politique de l’UE : on nous vend depuis des années l’idée selon laquelle, avec l’Union, les pays seraient plus puissants pour négocier des accords commerciaux avantageux. Et on se retrouve avec un accord plus mauvais que des pays hors UE. Si l’Union européenne, qui nous impose par ailleurs de multiples contraintes, ne nous protège même pas en cas de guerre commerciale, à quoi sert-elle ? À ce titre, cet accord va renforcer les discours eurosceptiques.
Quelles pourraient être les conséquences pour l’économie française ? Seuls quelques secteurs sont particulièrement exposés (aéronautique, spiritueux, médicaments), et il semblerait qu’ils ont été épargnés par l’accord…
Les choses ne sont pas aussi claires ce stade. L’aéronautique semble épargnée, en effet, mais il manque encore les détails sur les modalités concrètes de cette exemption. Pour ce qui est des spiritueux et de la pharmacie, il y a fort à parier que des taxes s’appliquent.
Ce qui semble évident, de toute façon, c’est qu’il y aura des destructions d’emplois en France : des entreprises exportatrices vont voir leurs carnets de commandes diminuer et réduire leur volume d’emplois. Dans un environnement déjà récessif en raison de l’impact du budget présenté par François Bayrou, la hausse des droits de douane ne va pas contribuer à améliorer l’économie française.
À plus long terme, d’autres choses sont préoccupantes. D’abord, la France (et l’Europe) vont accroître leur dépendance au numérique américain : à chaque fois que vous achetez un logiciel Microsoft ou que vous avez recours à Netflix, par exemple, vous payez pour ces services, sous forme de redevances ou d’abonnements. Tout cela commence à peser lourd dans la balance des paiements des pays européens.
Ensuite, il est probable que les entreprises européennes préféreront construire des usines aux États-Unis pour échapper aux droits de douane. Cela peut être le cas des labos pharmaceutiques, comme Sanofi, ou des groupes d’automobile. Il ne faut pas oublier que l’objectif de Trump est de pousser ses partenaires commerciaux à investir chez lui plutôt qu’en Europe.
Qu’aurait dû faire l’Union européenne ? Accepter pleinement la logique du bras de fer, comme l’a fait la Chine ?
Les différences économiques sont telles qu’il n’est pas évident de se comparer avec la Chine. Mais il aurait fallu, en tout cas, porter nos propres revendications, c’est-à-dire la conquête de l’autonomie stratégique européenne, en matière d’énergie, de défense et sur le numérique.
Cela impliquait de fixer des lignes rouges. Et de dire par exemple aux Américains que s’ils poursuivaient dans cette voie, nous irions taxer leurs géants du numérique et exclure certaines de leurs entreprises de nos appels d’offres. Je vous renvoie au rapport de Mario Draghi (publié par l’ancien président de la Banque centrale européenne en septembre 2024, N.D.L.R.), qui appelait à davantage de souveraineté européenne : c’est le contraire, que cet accord sur les droits de douane entérine.
en complément à cet entretien accordé à L’Humanité, nous ajoutons ci-dessous les éléments d’analyses que David Cayla a confié le même jour à France 24
« À l’origine, le projet européen est une union douanière de pays qui se coordonnent pour influencer le commerce international à leur profit. Alors que l’UE était là pour nous protéger, le Royaume-Uni s’en sort mieux que nous. Les Britanniques ont vu leurs droits de douane doubler alors qu’ils ont triplé pour l’UE qui paye ici l’hétérogénéité de son économie avec des États membres qui ont des intérêts contradictoires ». […]
« L’Allemagne et l’Italie ont extrêmement peur des droits de douane de 30%. Donc ils se contentent de 15%. La France, qui est moins dépendante des exportations vers Washington, adopte une ligne beaucoup plus dure », note David Cayla, selon qui l’accord vient contrarier les dynamiques que Paris voulait insuffler au sein de l’UE. Selon les annonces de Donald Trump, l’Union européenne s’engage à des achats massifs de matériel militaire aux États-Unis alors qu’Emmanuel Macron plaide en faveur d’une « autonomie stratégique » et d’une « Europe de la défense ».
« La France voulait également que l’on se passe du gaz au maximum au profit de la production d’électricité avec un projet de relance du nucléaire. Une nouvelle fois, comme sur le Mercosur, on s’aperçoit que la ligne de la France n’est jamais celle qui gagne ».
Or, si l’UE a refusé le combat face à Donald Trump, elle avait pourtant de sérieux atouts dans sa manche. Au-delà d’imposer des taxes réciproques sur les biens américains, l’UE aurait pu brandir la menace d’une taxe sur les revenus publicitaires des géants du numérique. Bruxelles avait évoqué en avril cette possibilité en cas d’échec des négociations avec Washington. « On pouvait aussi répliquer en organisant une taxation plus élevée des entreprises américaines. On aurait également pu interdire à certaines sociétés de postuler à des appels d’offres en Europe. Par ailleurs, les États-Unis sont très dépendants de l’épargne européenne qui finance en partie l’investissement américain. Même si on ne peut pas empêcher les mouvements de capitaux, on aurait pu réfléchir à des mécanismes pour conserver cette épargne dans l’UE ». […]
« Cet accord crée aussi une incertitude autour du projet européen et de ses ambitions écologiques et de réglementation du numérique. Avant Trump, il y avait une stratégie européenne, mais elle est en train de se disloquer sous nos yeux. On admet que les États-Unis sont plus forts, ce qui est en soi un problème ».