Ce lundi 20 septembre 2021, les Canadiens étaient appelés aux urnes pour élire les 338 députés qui les représenteront à la Chambre des Communes, deux ans à peine après la dernière élection générale.
Les raisons de la dissolution du Parlement par le premier ministre libéral Justin Trudeau étaient assez obscures. Sa relativement bonne gestion de l’épidémie du coivd-19, mise en perspective par la gestion catastrophique de la pandémie dans les provinces dont le gouvernement régional est conservateur, l’auront probablement poussé à vouloir prendre de court les partis d’opposition, conservateurs en tête, afin de retrouver la majorité absolue perdue aux élections de 2019.
Des élections fédérales pour quoi faire ?
Monsieur Trudeau avait insisté sur la nécessité d’organiser des élections en temps de Covid, afin d’illustrer la continuité démocratique en période de crise. Il aura ainsi fait mieux que le gouvernement français, dont l’incurie en matière d’organisation électorale depuis deux ans est délétère.
Il semble toutefois que la crise sanitaire inédite que nous vivons depuis ces deux dernières années n’ait pas modifié le paysage politique canadien. Ainsi, à ce stade du dépouillement déjà très avancé, les libéraux gagnent un député, passant de 157 à 158 sièges, ratant le pari de recouvrer la majorité absolue. Les conservateurs d’Erin O’Toole en perdent deux, de 121 à 119. Les indépendantistes du Bloc Québécois, menés par Yves-François Blanchet, gagnent deux députés et passent de 32 à 34 sièges. Les néo-démocrates, formation de gauche dirigée par Jagmeet Singh, gagnent un député et obtiennent 25 sièges. Enfin, les écologistes perdent un de leurs trois sièges, et la seule député indépendante ne s’étant pas représentée, il n’y a plus de député en dehors des cinq partis majeurs de la politique canadienne.
Cette quasi-identité entre l’ancien et le nouveau Parlement masque quelques évolutions au sein de la carte électorale, mais elles sont minimes. Le parti conservateur, qui s’est recentré sur les questions de société, notamment sur l’avortement et l’obligation vaccinale, a gagné quelques circonscriptions dans les provinces maritimes de la côte est ainsi qu’en Ontario, plus progressistes que l’Ouest canadien. Toutefois, ce recentrage a permis le développement, sur sa droite, du Parti Populaire du Canada, qui a réalisé des scores assez élevé dans l’Ouest canadien, très conservateur. Dans les circonscriptions urbaines de Calgary, Edmonton et Vancouver, cette division de la droite a permis aux libéraux ou aux néo-démocrates de réaliser quelques gains, compensés par la poussée conservatrice à l’est.
Les écologistes ont en revanche connu une franche défaite, alors même que le Canada a traversé une grave crise climatique cet été. Au-delà de la perte d’un siège sur trois, ils réalisent un score trois fois inférieur à celui de 2019. Leur stratégie électorale, consistant à parler moins d’environnement et plus de sujets de société, avec une approche différencialiste de l’antiracisme, a échoué. Ils perdent deux des trois circonscriptions gagnées en 2019, et n’en gagnent une dans l’Ontario qu’à la faveur de l’abandon à la dernière minute du candidat libéral, mis en cause dans un scandale de harcèlement sexuel.
Les indépendantistes québécois, eux, sortent renforcés de cette élection. Certes, ils ne parviennent pas à leur objectif de 40 sièges (jugé très ambitieux par les journalistes canadiens et par certains indépendantistes eux-mêmes), ni à arriver en tête des suffrages au Québec, ils sont, avec 32% des voix, devancés de moins d’un point par les libéraux. Ils ont cependant réussi à confirmer leur retour en force de 2019, lorsqu’ils avaient triplé leur représentation, deviennent le premier parti du Québec en nombre de députés, devançant d’un siège les libéraux, et confirment leur domination dans l’électorat francophone.
La tâche n’était pourtant pas aisée.
Une forme d’arrogance anglophone a, à nouveau, relativement profité au Bloc Québécois
Le système politique québécois repose sur un double système de partis politiques, les uns pour les élections au Parlement fédéral canadien, les autres pour les élections au Parlement provincial québécois. Au niveau provincial, les indépendantistes du Parti Québécois traversent la pire crise de leur histoire, et jamais l’indépendantisme n’a paru aussi faible depuis les années soixante. Au niveau fédéral en revanche, ils progressent et semblent en dynamique.
Le Bloc Québécois a en réalité réussi à capter une partie de l’élan politique nationaliste du Premier Ministre du Québec François Legault. Ancien indépendantiste, il a fondé un parti nationaliste non souverainiste, économiquement libéral et plus conservateur sur les questions de société que le Parti Québécois. Il a toutefois pu mener des réformes attendues depuis longtemps par le peuple québécois : extension de la loi de protection de la langue française, et instauration de la laïcité au Québec, loi prohibant notamment le port de signes religieux distinctifs pour les fonctionnaires provinciaux.
Ces deux lois reçoivent un appui massif au Québec, à proportion égale du rejet qu’il suscite dans le Canada anglophone. Le modèle de société anglo-saxon, communautariste, ne distinguant pas émancipation et extension infinie des choix individuels, et admettant le droit à la différence pour toute communauté réelle ou fantasmée à l’exception des Québécois, est entré en collision frontale avec le modèle de société voulu par ces derniers.
Se sont alors réveillés les vieux travers des Canadiens anglophones: le mépris des francophones. Ainsi, la cheffe du parti vert, Madame Annamie Paul, a jugé que les positions du chef indépendantiste Yves-François Blanchet étaient dues à un « manque d’éducation sur les questions de racisme systémique ». Comment peut-il y avoir de débat, de délibération collective, et donc de démocratie, si l’on objecte à son contradicteur un manque d’éducation comme seule racine de la pensée ? On notera par ailleurs que Madame Paul, qui a tout le long du débat prononcé Blanchet « Blanchette », ne s’est pas vue signifier son manque d’éducation sur la prononciation du français.
Cette impasse démocratique, apanage du prétendu progressisme forcené anglo-saxon, a ainsi propulsé le Bloc Québécois comme seul défenseur des intérêts francophones. Lors du même débat, l’animatrice est sortie de la neutralité pour demander pourquoi à monsieur Blanchet pourquoi soutenait des mesures « discriminatoires » comme la laïcité ou la défense du français. Ces propos ont généré un tel scandale au Québec que les appels à demi-mot de monsieur Legault à soutenir les conservateurs n’ont pas été suivis par son électorat.
La nécessité d’un parti politique distinct pour défendre les intérêts du peuple québécois au sein de la fédération canadienne est donc apparue aux électeurs francophones du Québec. Les résultats d’hier le démontrent. Ils se vivent comme une Nation distincte, maîtresse chez elle, pour reprendre la formule classique des indépendantistes. Membres à part entière du peuple québécois, les immigrants au Québec devraient y apprendre le français, langue nationale, et tous les fonctionnaires devraient se plier à la loi sur la laïcité.
La société anglo-saxonne, elle, semble avoir une approche différente. Elle ne considère les Québécois que comme une communauté parmi d’autres. Elle serait ainsi non pas constitutive de la Nation québécoise, mais majoritaire au sein de la province du Québec. De là, la volonté d’assimilation et de laïcisation est perçue comme une ingérence d’une communauté majoritaire sur des communautés minoritaires, et ainsi jugée comme oppressive. Pour les Québécois, il y a plutôt ingérence du « Rest of Canada » (ROC) dans les affaires québécoises.
Pour l’instant, monsieur Legault semble avoir convaincu les Québécois de la possibilité de se vivre en Nation distincte sans besoin de déclarer l’indépendance. Pour combien de temps ? Déjà en 2019, toute la campagne électorale avait tourné, au Québec, autour de la question de la laïcité et de la légitimité de cette loi.
En tous les cas, la proximité linguistique et dans les aspirations d’organisation de la société autour de la laïcité entre la France et le Québec doivent nous conduire à renforcer la coopération entre nos deux Nations.