Alors que la Première Ministre Elisabeth Borne prononçait hier après-midi devant l’Assemblée nationale son (très) long discours de politique générale, on ne peut que ressortir de l’exercice non pas déçus (nous n’en attendions à dire vrai pas grand-chose de bien) mais attristés. Attristés pour la démocratie républicaine, attristés pour la situation des Françaises et des Français, attristés pour la France.
En effet, Elisabeth Borne, et avec elle le Président de la République dont elle dépend entièrement, a bel et bien donné l’impression que le message électoral des Français n’avait pas été entendu à l’Elysée et à Matignon. Ne tenant aucun compte du fait que, les 12 et 19 juin, les électeurs aient catégoriquement refusé une majorité parlementaire à Emmanuel Macron, sa première ministre a égrainé les mesures les plus marquantes du Président de la République dans la case bilan comme dans la case perspective, toutes plus antisociales et régressives les unes que les autres : de l’explosion du service public ferroviaire à la casse de l’assurance chômage pour le passif à la volonté de retarder encore l’âge de départ à la retraite, Elisabeth Borne a clairement démontré une volonté de marbre d’avancer coûte de que coûte pour réaliser un projet présidentiel que nos concitoyens n’ont jamais soutenu. La comparaison avec les précédents de 1958 et 1988 sont tout autant osés (gonflés) dans la bouche de la locataire de Matignon qu’incongrus : en 1958, les Gaullistes n’avaient certes pas la majorité à l’Assemblée Nationale mais bénéficiaient d’une forme d’union nationale au moment de porter sur les fonds baptismaux la Vème République ; en 1988, François Mitterrand et Michel Rocard pouvaient compter sur une trentaine de députés de plus que ceux dont disposent Macron et Borne… La fragilité politique du macronisme est d’un autre niveau et sa prolongation est due avant tout à la réélection d’Emmanuel Macron par défaut. L’exécutif a ainsi confirmé qu’il n’a pas l’intention de faire vivre une interprétation plus parlementaire et délibérative d’un régime institutionnel pourtant à bout de souffle.
Par ailleurs, alors que chacun partage le constat sur les difficultés sociales et de pouvoir d’achat auxquels sont confrontés les Françaises et les Français, on aurait pu attendre d’une cheffe du gouvernement à la hauteur de l’enjeu un ton plus offensif pour répondre à l’angoisse de nos concitoyens face à l’envolée des prix, qui atteint désormais 5,8 %, à la flambée des tarifs de l’énergie et notamment du carburant automobile, ou face au ralentissement perceptible de la reprise de l’activité économique. Aucune négociation générale sur les salaires dans le privé, une réaffirmation de l’augmentation du point d’indice des fonctionnaires de 3,5 % – très largement sous l’inflation après 11 ans de gel –, une action contenue aux chèques énergie et alimentaires dont chacun connaît les limite, aucune volonté de bloquer les prix de l’énergie ou d’agir pour leur baisse… les Français doivent s’attendre dans ses conditions à passer un hiver des plus frais et à enfiler leurs pulls, ce que font déjà au demeurant des centaines de milliers de nos concitoyens depuis quelques années. Quel contraste entre un Emmanuel Macron qui pourfend en marge des sommets européens les « profiteurs de crise » et le silence absolu de sa Première Ministre sur le sujet hier après-midi : la communication politique européenne prend dans le macronisme toujours le pas sur l’action réelle de la puissance publique. Que dire enfin de l’état de notre système santé publique, qui n’a mérité qu’un énième hommage sans portée pratique aux soignants, alors que Mme Borne nomme comme ministre de la santé, le référent hôpital du candidat Macron à la présidentielle, qui propose de fermer les Urgences la nuit pour l’été 2022… Nous ne pouvons de même que nous inquiéter de l’absence de ligne directrice affirmée en matière de politique industrielle et de réindustrialisation. Nos PME vont rapidement être confrontées à la fin des mesures de soutien mises en place pendant la crise sanitaire, sans s’en être totalement remises, pour faire face à une crise économique d’un autre type avec pénurie de ressources et énergie chère. Rien ne semble prévu de concret non plus pour impulser des relocalisations durables alors même que les délocalisations et les opérations de prédation industrielle se poursuivent sans réaction sérieuse de l’exécutif : confronté à la perspective d’un renchérissement de l’argent, le gouvernement a déjà décidé que le temps du « quoi qu’il en coûte » était terminé, les Français le paieront avec l’austérité.
Enfin, que dire de l’intervention de la Première ministre sur la politique européenne et internationale de la France !? Elisabeth Borne s’est contentée d’enfiler les lieux communs et les principes généraux sur le terrorisme ou la guerre en Ukraine, mais on serait bien à mal de comprendre quelle sera la politique conduite après son intervention d’hier après-midi. On devine même au détour de l’annonce de la renationalisation complète d’EDF – que nous accueillons avec satisfaction – que les silences sur l’environnement politique et économique du fleuron français cachent probablement de futures capitulations. La puissance publique dispose aujourd’hui de 84 % du capital de l’entreprise publique, ses difficultés reposent donc moins sur l’importance de son contrôle par l’État que sur l’absence de stratégie offensive de la France dans les dossiers internationaux et énergétiques : Que vaudra un EDF à 100 % public si le projet Hercule nous est resservi par la petite porte avec une vente de certaines filiales par appartement à la demande de la Commission Européenne ? Comment compte-t-on opérer une transition énergétique digne de ce nom si la France ne tape pas du point sur la table pour que ce soit enfin engagée une réforme du marché européen de l’énergie et qu’on en finisse avec l’absurdité d’ériger le gaz comme « énergie de transition » ce que qui a été confirmé par le vote de Parlement européen ce matin-même ?
Elisabeth Borne avait parfaitement le droit de ne pas se soumettre à un vote de confiance après sa déclaration de politique générale… cela était d’ailleurs incontournable car elle n’a ni la confiance de l’Assemblée Nationale ni celle des Français et ne tient sa légitimité que par celle que lui confère un président par défaut. La Première Ministre et le Président de la République ont fait la démonstration ce mercredi 6 juillet qu’ils ne comptaient en rien composer avec le Parlement : ils useront aussi longtemps qu’ils le pourront des ressources institutionnelles que leur offrent la constitution de la Vème République pour gouverner sans majorité. Ce régime est donc en train d’atteindre un sommet d’absurdité démocratique. Le macronisme en est la phase terminale. Nous appelons de nos vœux une autre politique que celle proposée par l’exécutif, cela ne sera possible que par le retour aux urnes de nos concitoyens. La France et les Français méritent d’autres solutions que celles qui sont matraquées par les 50 nuances de droite : la Gauche Républicaine et Socialiste continuera à défendre le projet qu’elle a adopté le 26 septembre 2021 à Marseille (ci-dessous) et à dialoguer avec les autres forces de gauche pour construire un véritable programme commun cohérent.