Carnet de campagne, retour sur une semaine de marche

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C’est entendu, la marche est à la mode. Je ne parle pas là de politique : les essais et autres témoignages fleurissent sur l’art de se déplacer à pieds, éloges d’une mobilité non polluante, non violente et parfaitement accessible (il suffit de savoir « mettre un pied devant l’autre »).

A Givry

Les sceptiques et les blasés y verront un plaisir d’urbains en manque de chlorophylle et d’air pur. Mais les bienveillants, les convertis et les pratiquants savent que la marche à pied est un exercice intellectuel (osons écrire spirituel) autant qu’un effort physique. Pas seulement parce que, du cerveau oxygéné, elle mobilise des parties peu sollicitées. Mais surtout, elle implique une attention accrue à l’environnement immédiat (odeurs, bruits, végétation, faune), quand elle ne verse pas dans la contemplation pure et simple.

Marcher, c’est éprouver charnellement le « sentiment géographique » du pays. C’est aussi, en accompagnant l’avènement chaotique du printemps (en l’occurrence souvent pluvieux et venteux), reprendre le dialogue avec la nature, mais en ressentant plus intensément sa pulsation et sa prodigalité. 
Il n’y a pas de honte a s’émerveiller devant le spectacle qu’elle offre. Nulle mièvrerie dans l’émotion qui étreint celui qui est sensible à la senteur de la terre après la pluie, ou à celle, presque écoeurante, de la glycine gorgée de rosée au moment où elle se réchauffe au soleil. Nulle sensiblerie dans l’exaltation qui naît de l’irrépressible poussée de la sève. Pour moi, c’est le plaisir simple d’identifier et d’énumérer à haute voix toutes ces fleurs des sous-bois et des haies qui éclaboussent de couleur le sol d’avril : orchidées sauvages, coucous, muguet, jacinthes des bois, anémones, ail des ours, pervenches, primevères, jonquilles, stellaires, véroniques des champs, etc…

Mais le choix de la marche à pieds est aussi politique. La lenteur, dans une société de l’accélération, est aussi « disruptive » que la notion de « gratuité » dans une économie de marché. En ce sens, la marche porte en elle une forme de résistance. 

À première vue, elle peut cependant paraître inadaptée à une campagne électorale moderne, à fortiori organisée sur tout le territoire national. Et, de fait, elle ne saurait se substituer à la présence numérique (réseaux sociaux), aux émissions audiovisuelles, aux grands meetings publics. En revanche, elle se marie parfaitement au militantisme traditionnel, et tout aussi indispensable : porte à porte, café-débat, tractage, collage.

Et elle a aussi le mérite de créer la surprise : voir débarquer dans un village relativement isolé un eurodéputé candidat à sa réélection,  une fois passée l’incrédulité (la tenue de randonneur y est pour beaucoup, surtout après l’averse), parfois teintée de sarcasme (« un Insoumis En Marche », « un candidat qui se mouille ») suscite l’intérêt pour un scrutin qu’on dit, à tort, éloigné des préoccupations quotidiennes. 

La discussion s’engage, à bâtons rompus, révélant le goût politique de cette France qu’on qualifie parfois de “périphérique” ou “d’en bas”, parce que ceux qui s’enorgueillissent d’être “d’en haut” ont fait mine d’ignorer la centralité de ses préoccupations. 

De ce point de vue, cette marche à travers la région Bourgogne Franche Comté, certes en temps et en espace réduits (180 kilomètres, 8 jours), aura été l’occasion d’en revenir aux fondamentaux. Mais aussi de raffermir la foi dans notre grande et belle nation. Chaque campagne électorale, qui implique de sillonner un territoire en long et en large, une occasion supplémentaire d’aimer son pays. Cela peut faire sourire, mais je n’ai pas le patriotisme honteux. Sur les chemins, dans les villes et villages façonnés par une histoire riche et tumultueuse, je sentais mon cœur plein de l’amour pour la France et son peuple. 

Des nombreuses rencontres, inopinées ou organisées, qui ont marqué cette mémorable semaine, il est possible de retracer rapidement l’esprit. 

Comment s’en étonner? La question des services publics occupe l’essentiel des conversations. On y parle de la Poste qui a fermé, du centre des impôts qui a déménagé, de la gare menacée. Mais c’est l’hôpital qui, dans les trois départements visités (Jura, Saône et Loire, Nièvre), cristallise inquiétudes et aspirations. Les personnels soignants rencontrés parlent de la difficulté d’assurer un service de qualité dans un contexte d’austérité budgétaire. Les usagers évoquent les services d’urgence démantelés, les maternités délocalisées (la Nièvre est particulièrement touchée) et la réalité de ce “désert médical” que les opportunes “maisons de santé départementales” ne sauraient combler. Quels que soient nos interlocuteurs, et quelles que soient leurs options politiques, c’est cette fracture sociale et territoriale qui suscite la plus vive réprobation. 

Défendre les Biens Communs, en promouvoir l’extension dans la sphère économique, voilà une des tâches militantes du moment.

D’où l’espoir d’une reprise en main de l’Etat. D’où, aussi le refus des privatisations dont chacun sait depuis longtemps déjà qu’elles ne se traduisent jamais par une amélioration de la qualité de service ou par une baisse des prix. C’est ce que nous avons voulu démontrer en nous rendant sur le barrage hydroélectrique de Panneciere, dans le Morvan, pour alerter sur les dangers de l’ouverture à la concurrence préconisée par la Commission Européenne. De tels équipements, financés sur fonds publics, seraient livrés au marché en vertu du bon vieux principe de la “socialisation des pertes et de la privatisation des profits”? C’est d’autant plus insupportable que dans le cas d’espèce, l’eau et l’énergie constituent d’incontestables Biens Communs. On sait ce que ce concept fécond recouvre. Défendre les Bien Communs, en promouvoir l’extension dans la sphère économique, voilà une des tâches militantes du moment. Pour celles et ceux qui seront demain les représentants de “Maintenant le Peuple” au Parlement Européen, la feuille de route est claire. 

 

Au barrage de Pannecière

Elle l’est tout autant sur les sujets industriels et commerciaux. On savait que la mondialisation ne faisait pas rêver. On constate que le libre-échange, véritable religion officielle de l’Union Européenne, suscite plus de circonspection et d’inquiétude que d’espoir. En réalité, chacun mesure l’absurdité de l’intensification des échanges commerciaux, notamment avec des pays très éloignés de notre continent, et les conséquences désastreuses pour l’environnement comme pour notre modèle social.

Pas besoin de grande démonstration pour faire le lien avec l’ampleur des délocalisations qui ont frappé notre pays, notamment dans le Nord et l’Est.

La région Bourgogne Franche Comté a payé un lourd tribut dans ce domaine. Raison de plus pour saluer les industriels qui continuent à faire le pari du “Fabriqué en France”.  À Autun (Saône et Loire), un exemple encourageant de revitalisation nous a été donné par l’entreprise Tolix, productrice de meubles design, à la qualité parfaite, prisés partout en Europe et même au-delà. Rescapée d’une liquidation en 2004, Tolix a renouvelé sa production en s’appuyant sur l’innovation et en écoutant les ouvriers, qui ont participé eux-mêmes à la rénovation de leur outil de travail. Reste que dans un environnement hyper concurrentiel, la pérennité de l’entreprise est menacée par la contrefaçon chinoise de qualité médiocre et à prix cassés. Une Europe au service des peuples et des États membres qui la composent ne saurait accepter ces pratiques indignes qui plagient notre créativité , volent nos savoir-faire et coûtent chaque années plusieurs milliards d’euros à un pays comme la France. 

Visite de l’usine Tolix à Autun

Relocalisation. Partout, le mot fait mouche. Autant par patriotisme économique que par lucidité devant les effets du « grand déménagement du monde ».

Protéger nos industries d’une concurrence déloyale. Recourir, en cas de besoin, à des aides d’Etat et à une réforme de la commande publique pour favoriser les entreprises nationales et européennes. Créer un environnement favorable à la relocalisation des productions. C’est là tout le sens du « protectionnisme solidaire » que la liste conduite par Manon Aubry ne cesse de promouvoir. 

Relocalisation. Partout, le mot fait mouche. Autant par patriotisme économique que par lucidité devant les effets du « grand déménagement du monde ». 

Et s’il y a bien un domaine où la dé-mondialisation s’avère nécessaire, c’est évidemment celui de l’agriculture. Dans chacun des départements traversés, nous avons visité des exploitations ayant anticipé la transition écologique. 

À Nance, une entreprise d’insertion a révélé le potentiel de création d’emplois des circuits courts : spécialisée dans la production locale de fruits et légumes de saison (également mis en conserves et transformés en succulentes confitures), elle ne cesse de se développer depuis sa création. 

à Nance chez Elan insertion

Les paniers bio d’Ouroux

Au domaine de la Monette à Mercurey

à Givry

Au Bletterans

Au centre de recherche de Bibracte à Glux-en-Glenne

A Ouroux-sur-Saône, un couple de maraîchers met en évidence la crédibilité d’une trajectoire de conversion à l’agriculture biologique, en termes de qualité des produits comme en termes de qualité de vie des paysans. 

Sur le domaine de Mercurey enfin, un viticulteur néerlandais chaleureux et savant,  engagé dans la lutte contre les pesticides en général et le glyphosate en particulier réalise un vin bio apprécié et reconnu. 

De nos longues discussions, à la fois techniques et politiques, émaillées de savoureuses anecdotes et riches en découvertes (me voilà initié aux mystère de la «  cramaillotte », fade gelée de fleurs de pissenlits), je ressors conforté sur la pertinence de notre programme en matière de transition écologique : bien-fondé de la fructueuse « règle verte », urgence d’une révolution agricole fondée sur la saisonnalité et la proximité, nécessité de la planification écologique. Il serait déplacé de conclure péremptoirement que tous ces échanges confirment nos thèses et nos propositions. Mais ils entrent en résonance avec nos convictions profondes. Dans ce vieux pays qu’est la France, la passion de l’égalité est intacte, tout comme l’est cet attachement ambivalent à l’Etat que nombre de commentateurs font mine de déplorer. Culturellement, les Français sont plutôt hostiles au libéralisme, et largement favorables à l’intervention de la puissance publique dans la vie économique. Je ne m’en plaindrais pas. 
Mais contrairement aux fadaises qu’on lit parfois ici ou là, cela n’empêche en rien que les initiatives individuelles ou collectives fleurissent. Dans cette portion de France qui se sent parfois délaissée, je suis rasséréné d’avoir rencontré autant de compatriotes entreprenants, tenaces, dévoués. 

Ici, dans un village (Givry),  c’est une poignée de passionnés, emmenés par un flûtiste aussi fantasque que brillant, qui crée, à partir de rien, un festival de musique internationalement reconnu (Musicaves). Là, à Chalon-sur-Saône, c’est une web télé associative, innovante et engagée.

Et puis il y a tous ces élus locaux, rencontrés au fil des étapes, qui, dans un contexte de défiance générale, et de baisse drastique des dotations aux collectivités, ne se contentent pas de gérer le quotidien, mais inventent, anticipent, se battent.  Leur dévouement force l’admiration. Et j’apprends à leur contact autant que dans les livres. A Bletterans, en sus de l’incontournable interrogation sur l’avenir de la gauche, ce sont d’âpres débats sur l’art des charpentes, sur l’architecture contemporaine, mais aussi le quotidien des paysans du Haut-Jura qui, en hiver, se transforment en lunetiers, en horlogers, en lapidaires. A Château-Chinon, un dîner joyeux pendant lequel, parmi mille et autres sujets, l’on évoque l’avenir de la forêt morvandelle et l’épineuse question de l’invasion des résineux. A Glux-en-Glenne, le maire raconte le lent cheminement du bois de chauffage qui, jeté en bûches libres au “Port des Lamberts”, est assemblé en radeaux à Clamecy pour être finalement acheminé, via l’Yonne, à Paris. René Blanchot, retraité de la SNCF, n’ a pas son pareil pour décrire le “suintement des eaux” qui, au printemps, voit les sentiers envahis par de minuscules sources qui vont grossir les ruisseaux, puis les rivières.

C’est d’ailleurs à cet élu cordial et engagé que je dois une des plus belles rencontres du périple. Invités à visiter le site de Bibracte, auquel sont consacrés, en contrebas, un musée magnifique et un centre de recherches de renommée mondiale (un des “grands travaux” du président Mitterrand, qui fit appel au grand architecte Faloci), nous nous laissons guider par le directeur de l’établissement public, Vincent Guichard, qui a la modestie et l’aménité des vrais savants. De la vieille cité des Eduens, dont César vante l’opulence dans la Guerre des Gaules, l’archéologue n’ignore rien. Mais c’est aussi l’occasion pour nous de revenir sur la vieille notion des “ancêtres” et le débat sur “l’idole des origines”, que l’historien Sylvain Venaire retrace magistralement dans un essai qui a fait date. (Note : Les origines de la France, quand les historiens racontaient la nation, Seuil, 2013). Jean-Luc Mélenchon, qui, avec ses camarades de lutte, s’est maintes fois rendu à l’oppidum de Bibracte, avait prononcé, sur site, un discours richement informé sur la question.

 

C’est Gabriel Amard, familier des lieux, avec qui nous empruntons le raidillon qui mène au Mont Beuvray, qui me le rappelle. Car tout au long de cette marche, j’ai eu la chance d’être rejoint par des colistiers et nombre de militants. Catherine Coutard, elle aussi, a fait l’ascension jusqu’au sommet du tertre où Vercingetorix aurait, pour un temps très court, réunifié les tribus gauloises.

En Bresse, c’est Laurence Lyonnais, accompagnée de la désormais mythique vachette en peluche répondant au doux prénom de Marguerite, qui nous emboîte le pas.

Avec l’ami Anthony Gratacos, nous faisons la route entre Saint Léger et Château-Chinon, où il est difficile de ne pas croire aux forces de l’esprit. Et puis il y a bien sûr les camardes Insoumis, celles et ceux de la GRS (Gauche Républicaine et Socialiste) qui nous ouvrent la voie. Je ne saurais les citer tous. 

Qu’il me soit permis cependant de remercier Bastien Faudot, conseiller départemental de Belfort, qui a illuminé de sa bonne humeur notre première journée. Et d’exprimer ma gratitude à Denis Lamard, conseiller régional, et aux amis bressans, qui ont largement contribué au succès de cette semaine.

Le premier mai, à Nevers, il faisait beau et la foule rassemblée, pacifique, majoritairement rouge et jaune, faisait plaisir à voir. J’y voyais comme un signe : il faut faire confiance au printemps qui advient. 

avec Laurence Lyonnais

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