ZFE : la charrue avant les bœufs ?

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Depuis quelques semaines, un nombre croissant de Français « découvrent » qu’ils sont ou seront dans les mois et années à venir – en tout cas dans un futur extrêmement proche – dans l’incapacité d’utiliser leur véhicule automobile actuel pour aller travailler ou simplement sortir de chez eux, car ils habitent dans une zone de faibles émissions mobilité (ZFE) ou doivent en traverser une pour rejoindre leur lieu de travail ou d’achat.

C’est alors passé relativement inaperçu – et entre temps, la Crise Sanitaire et ses conséquences économiques et sociales ont écrasé toute autre considération – mais la loi d’orientation des mobilités (votée définitivement par la majorité LREM de l’Assemblée nationale le 19 novembre 2019 puis promulguée le 24 décembre 2019) a rendu obligatoire l’instauration d’une Zone à faibles émissions mobilité dans les collectivités et intercommunalités ne respectant pas les normes de qualité de l’air. Cela concerne toutes les villes incluses dans la ZFE métropolitaine d’Île-de-France, délimitée par le périmètre de l’autoroute A86, dont la Ville de Paris, mais également les agglomérations lyonnaise, marseillaise, grenobloise, nancéienne et rouennaise.

Vous trouverez en fin d’article le calendrier des différentes interdictions.

Accélération du calendrier

En lien avec la Ville de Paris, la Métropole du Grand Paris a décidé en décembre 2020 d’accélérer le calendrier d’interdiction des véhicules au sein de la ZFE métropolitaine, avec une interdiction des véhicules à vignette Crit’Air 4 à partir du 1er juin 2021 : sont donc désormais interdits à la circulation à l’intérieur du périphérique de l’Île-de-France les véhicules automobiles dits « Non classés », « Crit’Air 5 », et Crit’Air 4 ». Cette accélération du calendrier va se poursuivre : ainsi, la Ville de Paris et la Métropole du Grand Paris ont introduit dans leur plan climat-air-énergie respectif des objectifs aux horizons 2022, 2024 et 2030 : la restriction de circulation aux véhicules Crit’air 3 au 1er juillet 2022 ; la restriction de circulation aux véhicules Crit’air 2 (c’est-à-dire notamment aux véhicules diesel) au 1er janvier 2024 et plus aucun Parisien exposé à des dépassements des valeurs limites européennes ; 100% de véhicules propres d’ici 2030 et le respect des valeurs guides de l’OMS pour tous les polluants.

Les débats sur les graves insuffisances du projet de loi Climat-Résilience et la « trahison » de la « parole donnée » à la Convention Citoyenne vont bon train à l’occasion de l’examen du texte au Parlement et des manifestations qui continuent d’avoir lieu. Ce contexte et « l’exemple francilien » pourraient encourager plusieurs agglomérations à elles-aussi accélérer le processus.

Logique de santé publique…

Il ne fait aucun doute que la nécessité de réduire la pollution atmosphérique dans ces agglomérations et dans notre pays en général est indéniable. Selon une étude de Santé publique France publiée en avril dernier, près de 40.000 décès sont liés chaque année à une trop forte exposition aux particules fines et 7.000 au dioxyde d’azote. La précédente étude de ce type (2016) arrivait à une estimation de 48.000 décès anticipés chaque année.

Ceux qui voudraient arguer qu’il y a là une baisse passerait à côté du sujet car à ces échelles elle n’est en rien significative. La perte d’espérance de vie moyenne pour les personnes concernées atteint 8 mois. La lutte contre la pollution de l’air et notamment la pollution aux particules fines doit absolument être perçue comme une priorité de santé publique.

La France est régulièrement taclée par l’Union Européenne pour les niveaux de pollution dans ses grandes villes, et en réponse le gouvernement a décidé de généraliser le principe de ces zones à circulation restreinte avec le projet de loi climat-résilience dont nous parlions plus haut.

Cependant, pour améliorer la qualité de l’air, il ne faut pas se limiter à la mobilité. L’approche doit être systémique et concerner d’autres leviers d’actions : le chauffage domestique est par exemple responsable respectivement de 49% et 33% des émissions de particules fines PM10 et PM2,5 ; ce n’est pas un hasard si les collectivités financent le renouvellement des appareils de chauffage au bois. Et d’autres secteurs responsables (bâtiment, agriculture) dont la réduction des émissions est plus lente doivent être ciblés.

mais pas de logique sociale

Comme l’âge des véhicules n’est pas sans conséquence sur les émissions, les restrictions ont pour effet de rendre la ville inaccessible aux véhicules plus anciens. Or, les véhicules dédiés à la logistique se caractérisent par un âge plus élevé que la moyenne. La ZFE induit donc un rajeunissement « forcé » de ce parc de véhicules. Or les entreprises de logistique sont de taille très diverse et n’ont pas la même capacité pour s’adapter. Les plus petites (souvent des indépendants) qui possèdent aussi les vieux véhicules sont plus vulnérables pour répondre à l’obligation de changer de véhicule ou de payer une taxe pour circuler. Le risque d’une diminution de 15 à 30% du nombre d’entreprises dédiées à la logistique urbaine circulant en ville est réel et s’appuie sur d’autres expériences européennes. Pour ne pas faire de la ZFE un instrument portant atteinte au tissu économique le plus vulnérable, l’enjeu de la transition et de l’accompagnement est donc essentiel. Le raisonnement pourrait s’appliquer d’ailleurs à des professions indépendantes aussi diverses que des artisans ou des infirmières libérales.

Quel sera donc l’impact d’une ZFE sur le déplacement des personnes. Sur ce sujet, les études sont plus rares. Évidemment, et c’est l’objectif recherché, le dispositif agit sur le renouvellement du parc automobile et la réduction du nombre de véhicules en circulation à moyen et long termes … avec des conséquences différentes suivant les ménages. Comme pour les entreprises, ils sont incités à changer de véhicules pour en acheter un autorisé … ou se reporter vers d’autres modes de transport (vélo, transports en commun, etc.). Sinon, les automobilistes peuvent prendre le risque de payer une amende. Pour les poids lourds, bus et autocars, 135 euros d’amende. Et pour les autres véhicules, 68 euros forfaitaires ; mais elle peut monter jusqu’à 450€. Ce n’est donc évidemment pas une solution durable.

Cette marche accélérée au renouvellement des véhicules impose de fait entendu un surcoût avec des impacts différenciés : la nécessité est plus forte pour les ménages utilisant souvent l’automobile pour se déplacer (en particulier pour le travail). Ainsi, si dans les communes denses et sur de courtes distances, la part de l’automobile est plus faible qu’ailleurs (grâce à la présence de transports en commun, au développement des modes actifs tels que le vélo, la marche à pied), la situation est différente dans les communes populaires et périphériques des métropoles. Or, ce sont les ménages les plus modestes qui habitent dans ces communes. La difficulté de renouvellement va donc avoir pour conséquence de plonger nombre de nos concitoyens à braver les infractions, puis à renoncer à des déplacements et à des possibilités de formation, d’emploi ou de loisir. Cet effet sur les inégalités socio-économiques n’est pas tenable.

D’après l’association « 40 millions d’automobilistes », les restrictions de circulation toucheront à terme 68% des automobilistes, si on s’appuie sur les chiffres publiés par le ministère de la Transition écologique. D’après le ministère, les vignettes Crit’Air 3, 4 et 5 représentent 16,3 millions de voitures, alors que les Crit’Air 2, interdites en 2024, touchent presque 10 millions de voitures.

Le nécessité contrainte de renouvellement n’a pas pris en compte la capacité des catégories populaires et moyennes à y faire face. Une petite twingo mise en circulation en 2010 est aujourd’hui cotée à 3000 ou 4000€, mais elle ne pourra plus circuler dans l’agglomération parisienne dès janvier 2024. Pour pouvoir circuler entre 2024 et 2030, il faudrait compter pour un véhicule comparable mais immatriculé à partir de 2011, dans les 4000 ou 5000€. La twingo est un petit véhicule qui ne peut satisfaire une famille relativement nombreuse. Et encore ces prix ne concernent que des voitures d’occasion à motorisation essence… pour une taille comparable la Zoé électrique de Renault atteint des prix autour de 30 000 €, qu’on pourrait baisser théoriquement à 15 000 € à condition d’additionner toutes les aides possibles.

Pourquoi orienter les Français vers l’électrique ? Parce que, dès 2030, seuls les véhicules tout électrique ou tout hydrogène resteront autorisés, on ne pourra même plus rouler en hybride (qui sont les stars actuelles des publicités automobiles) ou en véhicules au gaz.

Défi social et industriel

Ainsi près de 68 % des automobilistes vont devoir changer de voitures d’ici 2024, on imagine aisément les difficultés auxquelles vont être confrontées nos concitoyens. On se souvient que l’augmentation de la taxe sur l’essence avait été l’élément déclencheur du mouvement social inédit des « Gilets Jaunes ». Il y a de nombreuses raisons de penser que cette marche non préparée vers la voiture électrique généralisée pourrait conduit à des « Gilets rouges de colère ».

Nous avons subi une crise sanitaire qui – sauf pour les catégories sociales déjà favorisées – a fortement diminué les revenus de nombre de nos concitoyens, qu’ils aient perdu leur emploi, qu’ils aient conservé le leur avec le chômage partiel mais avec une perte de revenus de 20 %… dans de nombreuses familles, les petits bas de laine (quand il y en avait) qui auraient pu servir pour acheter un nouveau véhicule ont disparu avec les 15 derniers mois. Ne comptons pas sur l’épargne des Français pour affronter cette transition : elle est concentrée surtout dans les classes moyennes supérieures et au-delà. Or l’accès à un véhicule autorisé va devenir une condition pour pouvoir continuer à travailler ou pour trouver un emploi, sauf à ce que nous vivions d’ici là une révolution qui augmente magistralement les réseaux de transports en commun efficient dans les agglomérations concernées, dans celles qui vont mettre en place une ZFE, et surtout entre elles et leur périphéries … et ce dans un temps record !

Les annonces des dernières semaines et leur mise en application dès juin 2021 pourraient par ailleurs peser fortement sur la campagne de l’élection présidentielle et sur le scrutin lui-même.

Mais le défi n’est pas que social … il est aussi industriel. Car à ce stade il n’est pas dit que la France ou même l’Europe disposent des capacités industrielles pour produire les véhicules électriques (ou hydrogène) nécessaires pour remplacer le parc actuel. La mutation des chaînes de montage en France est urgente … sauf si nous voulons importer nos voitures, détruire notre industrie et faire exploser leur coût carbone.

Production des véhicules … et production de l’énergie ! La France s’enorgueillit d’une électricité abondante et relativement peu chère (même si c’est de moins en moins vrai), mais c’est sans compter une massification des véhicules électriques. La programmation pluriannuelle de l’énergie a parfaitement sous estimé l’enjeu. En 2017, RTE avait enquêté sur l’impact d’une électrification massive du parc automobile, mise à jour en 2019 ; l’entreprise présentait plusieurs scénarii pour 2035, avec deux évolutions du parc aujourd’hui constitué d’environ 40 millions de voitures :

  • Médian : 11,7 millions de voitures rechargeables (30% du total), dont 4,7 millions d’hybrides rechargeables, plus 112.000 VUL
  • Haut : 15,6 millions de voitures rechargeables, (40% du total), dont 3,4 millions d’hybrides rechargeables, plus 156.000 VUL

La demande en énergie par an serait respectivement de 29 et 40 Twh/an supplémentaire. Mais ça c’était avant la nécessité accélérée de changer de véhicules. Quels seront alors les besoins en production d’énergie, en centrales supplémentaires, en importation d’électricité (produite avec un coût environnemental plus fort) ?

Du côté de l’hydrogène, on sait que sa production coûtera elle-aussi de l’électricité. Des prototypes utilisant l’énergie houlomotrice promettent une production d’hydrogène propre. Mais pour la Direction générale de l’énergie et du climat, au sein du ministère de la Transition écologique, la technologie houlomotrice n’aurait pas atteint sa maturité. Elle n’a pas jugé bon de l’inscrire dans la programmation pluriannuelle de l’Énergie (PEE), qui court de 2028 à 2033. Si elle continue d’être exclue de notre feuille de route pour le développement des énergies renouvelables, l’énergie houlomotrice aura bien du mal à trouver des financements pour se faire un avenir sur notre territoire ; notre pays passerait à nouveau à côté de technologies d’avenir et de la valorisation de notre potentiel d’innovation. Les choix frileux de la haute administration – contredits ensuite par les faits – et l’incapacité des gouvernements à anticiper nous pénalisent trop souvent.

Enfin tout cela ne dit rien des réseaux de distribution…

La charrue n’a-t-elle donc pas été mise avant les bœufs ? Peut-on contraindre toute une société à changer en moins de 9 ans tout le parc automobile sans avoir regardé la question du pouvoir d’achat, de la production industrielle et de l’énergie ? On voit ici tous les dégâts de l’idéologie néolibérale qui a colonisé haute administration, état-majors politiques et chefs d’entreprise (mais aussi une partie des cadres des partis dits écologistes) : l’écologie, la transition écologique relève de la responsabilité individuelle. Si les individus ne sont pas responsables, parce qu’ils sont trop pauvres, on les sanctionnera. Taxer et infliger des amendes aux ménages modestes sera rentable ils sont nombreux, ça évite de demander des efforts aux plus riches et aux grandes entreprises.

La planification écologique paraît plus urgente que jamais : nous ne relèverons pas les défis sans transformer notre organisation de fond en comble et frustrer quelques intérêts privés, et sans passer du mythe de la responsabilité individuelles des ménages à la responsabilité collective et des grosses entités (entreprises et pouvoirs publics). Pour faire une analogie sur un autre sujet écologique, il faut arrêter de dire qu’on résoudra le problème de l’eau en coupant le robinet quand on se brosse les dents et agir enfin pour des régies publiques de l’eau.

Le quoi qu’il en coûte doit désormais s’appliquer pour des aides massives à l’achat de nouveaux véhicules durables par les ménages modestes et pour une planification de la production industrielle et d’énergie.

DatesZFE concernéesVéhicules interdits de circulation 
Juin 2021ZFE Grand Paris et Paris ZFE Grand NancyCrit’Air 4 et plus Crit’Air 4 et plus de 6h à 20h*
Juillet 2021ZFE Rouen NormandieVUL et PL Crit’Air 4 et plus**
Janvier 2022ZFE LyonCrit’Air 5 et plus
Juillet 2022ZFE Grand Paris et Paris ZFE GrenobleCrit’Air 3 et plus VUL et PL Crit’Air 3 et plus
Janvier 2023ZFE LyonCrit’Air 4 et plus
Janvier 2024ZFE Grand Paris et ParisCrit’Air 2 et plus
Juillet 2025ZFE GrenobleVUL et PL Crit’Air 2 et plus
2026ZFE LyonCrit’Air 2 et plus
2030ZFE Grand Paris et ParisCrit’Air 1 et plus***
* Cette interdiction ne s’applique qu’à partir du 3eme jour de pic de pollution ; ** VUL = Véhicule utilitaire léger ; PL = Poids lourds ; *** En 2023, à Paris et dans le Grand Paris, seuls les véhicules propres pourront circuler

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