80 ans après, notre responsabilité face à l’avenir

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Le 27 janvier 1945, voici 80 ans jour pour jour, le camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau était découvert. La réalité de l’univers concentrationnaire et exterminateur nazi ne faisait plus de doute depuis longtemps ; le 22 juillet 1944, déjà des unités soviétiques avaient découvert le camp de concentration et d’extermination de Majdanek, situé à l’ouest de la ville de Lublin. À l’ouest de septembre 1944 à jusqu’au printemps suivant, les Anglo-américains et les Français découvrirent également l’horreur des camps de concentration : les renseignements britanniques avaient acquis dès 1942 la certitude de l’organisation de la mise à mort des Juifs d’Europe par le IIIème Reich à l’est du continent.

Le 27 janvier 1945, des unités de l’Armée rouge atteignirent Auschwitz-Birkenau, situé au sud de la ville de Cracovie. Elles secoururent les quelques 7 000 malades et mourants qui y avaient été abandonnés. Nombre d’entre eux succombèrent, à bout de forces, quelques heures ou jours plus tard. Dans son récit sur les derniers jours à Auschwitz, l’écrivain italien Primo Levi décrit la situation qui régnait à l’arrivée des libérateurs en ces termes : « Nous nous trouvions dans un monde de morts et de larves. Autour de nous et en nous, toute trace de civilisation, si minime soit-elle, avait disparu. L’œuvre de transformation des humains en simples animaux initiée par les Allemands triomphants avait été accomplie par les Allemands vaincus ». Une dizaine de jours auparavant, dès le 17 janvier 1945, les quelque 60 000 détenus encore aptes à marcher furent emmenés vers l’Ouest.

Rappeler les faits : une industrie de la mort

À l’occasion des cérémonies qui auront lieu, il faut sans cesse rappeler les chiffres : Le Museum Holocaust de Washington indique que les victimes juives furent plus de 5 860 000. Quoiqu’il en soit, le chiffre d’environ 6 millions de personnes est avancé et accepté par la plupart des autorités compétentes sur la question. Bien plus que les victimes elles-mêmes, c’est une part de l’histoire et de l’identité culturelle de l’Europe qui a été ainsi irrémédiablement détruite. Il faut y ajouter plus de 200 000 à 500 000 Tsiganes voués également à l’extinction par les Nazis, plusieurs milliers d’homosexuels, 30 à 40 000 prisonniers de guerre non soviétiques, Environ 3,3 millions prisonniers de guerre soviétiques, 1,8 million de Polonais (non juifs), plus de 310 000 Serbes, 300 000 personnes handicapées dont au moins 10 000 enfants, plusieurs dizaines de milliers d’opposants politiques et dissidents allemands et plusieurs milliers de déportés politiques ou résistants issus d’autres pays d’Europe occupée.

Le caractère insoutenable, inimaginable et insupportable de ces chiffres démontre à lui-seul l’énormité du crime, le niveau de préméditation, de conception, d’organisation d’un effort industriel pour mettre à mort des millions d’êtres humains et d’en promettre plusieurs millions d’autres à la mort sur la base de la pensée raciste, complotiste et paranoïaque qu’était le national-socialisme conçu par Hitler et ses milliers de complices immédiats. Cela dit aussi la mobilisation des centaines de milliers de complicité dans tous les rouages de la société allemande nazifiée, mais bien au-delà dans toutes les sociétés des pays européens alliés du IIIème Reich ou occupés par les puissances de l’Axe.

Négationnisme

80 ans plus tard, nous n’osons pas concevoir qu’une telle chose puisse à nouveau se reproduire. Pourtant pendant des décennies, la parole des déportés survivants a été peu entendue ; elle dérangeait. Il a fallu attendre les années 1970 pour que le devoir de mémoire prenne l’ampleur qui était nécessaire et qu’on ne limite pas l’univers concentrationnaire au but de répression des opposants politiques et des actions de résistance nationale. On ne niait pas la réalité du génocide des Juifs d’Europe et des Tsiganes, mais elle ne faisait pas le cœur du message. Pourtant, là-aussi, dès les années 1980, le négationnisme trouva des porte-voix et des supports pour répandre le message de haine qu’il colporte intrinsèquement. Si des Faurisson et des Garaudy n’auraient jamais dû sortir du caniveau de marginalité que leurs idées méritaient, la montée électorale de l’extrême droite a permis d’apporter une résonance médiatique supplémentaire : les provocations ignobles de Jean-Marie Le Pen sur le « point de détail de l’histoire de la seconde guerre mondiale » ou sur « Monsieur Durafour crématoire » n’avaient pas d’autres buts ; que le fondateur du FN devenu RN ait été condamné pour ces incitations évidentes à la haine raciale et la négation de crimes contre l’humanité n’y change rien, le mal était fait.

« Il est encore fécond le ventre de la bête immonde« 

Aujourd’hui encore, on a vu nombre de candidats du RN lors des campagnes des législatives de 2022 et 2024 tenir des propos qui montrent que ce parti, fer de lance de l’extrême droite en France, n’a pas besoin de « Reconquête ! » et d’Éric Zemmour pour colporter un antisémitisme radical. En ce moment même en Allemagne, le principal parti d’opposition en plein campagne électorale, Alternative für Deutschland (AfD), développe ouvertement parmi ses cadres une nostalgie du régime nazi et de ses solutions : ses propositions et ses messages visuels codés ne peuvent laisser de doutes. Invités par deux fois à s’exprimer devant les militants et les sympathisants de l’AfD, Elon Musk (qui s’est illustré entre autre chose par un salut nazi à la foule MAGA pour fêter l’investiture de Donald Trump comme président des États-Unis d’Amérique) a clairement relativisé ce 25 janvier la portée des crimes du IIIème Reich pour autoriser ses héritiers politiques à promouvoir leurs solutions : « Il est bon d’être fier de la culture allemande, des valeurs allemandes et de ne pas les perdre dans une sorte de multiculturalisme qui dilue tout » avant de poursuivre en disant que « les enfants ne devraient pas être coupables des péchés de leurs parents, et encore moins de leurs arrière-grands-parents. […] L’accent est trop mis sur la culpabilité du passé, et nous devons aller au-delà de cela. »

Disons un mot des deux principales propositions liées de l’AfD : combattre le « grand remplacement » par un projet de « remigration »… l’un et l’autre résonnent avec l’antisémitisme et une violence de masse. Pour les promoteurs de la thèse du « grand remplacement » (Renaud Camus arrivant même à inspirer avec ce thème des tueurs de masse jusqu’en Nouvelle Zélande), il y a un opérateur à ce projet fantasmé de mixité démographique et de remplacement des ethnies européennes par des immigrants arabo-musulmans ou africains : les Juifs… encore et toujours la même obsession délirante et morbide ! Quant à la « remigration », c’est le terme poli pour présenter un programme de déportation de masse de personnes dont les attaches et les racines sont en Europe depuis plusieurs générations. Interrogé sur Radio Courtoisie, un des leaders de Génération identitaire expliquait par ailleurs que « d’un point de vue identitaire, la remigration ça veut dire pour les Juifs également ».

Notre tâche

Que faire alors que les témoins disparaissent les uns après les autres ? La presse insiste à raison sur l’engagement exemplaire de Mme Ginette Kolinka (99 ans), rescapée d’Auschwitz-Birkenau, qui continue (avec d’autres) malgré son grand âge à faire le tour des établissements scolaires. Faire reculer le négationnisme, l’antisémitisme, le racisme et la haine qui conduisent toujours à la mort ne pourra pas se faire (en tout cas pas uniquement) avec de grandes déclarations médiatiques moralisatrices ; il faut faire œuvre d’éducation auprès de nos enfants, auprès des élèves, dans toutes les couches de la société, dans tous les territoires, en France comme partout ailleurs en Europe. Il faut faire œuvre d’éducation populaire en prenant le temps de parler et d’expliquer à tous les publics. C’est à nous aujourd’hui de prendre le relais, de porter le flambeau.

Nous avons une autre responsabilité : mettre un terme à la surenchère identitaire qui domine le débat public, proposer un horizon à nos concitoyens qui remettent au cœur de nos sociétés ce qui nous fait vivre ensemble, proposer un avenir de mieux être quand tous parlent de déclin.

Frédéric Faravel

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