entretien publié le mercredi 8 octobre 2025 dans Marianne – propos recueillis par Martin Bot
La Commission européenne adopte une approche protectionniste pour préserver sa filière sidérurgique, gravement menacée, notamment par l’afflux d’acier chinois à prix cassé. Mais une politique vraiment ambitieuse de réindustrialisation n’est pas pour autant à l’ordre du jour à Bruxelles, selon le député Gauche républicaine et socialiste Emmanuel Maurel.
La Commission européenne s’apprête à doubler les droits de douane sur l’acier, selon le quotidien britannique The Financial Times : 18,3 millions de tonnes d’acier seront toujours exemptées de taxes, soit moitié moins qu’auparavant. Au-delà de ce quota, l’acier sera imposé à 50 %, contre 25 % jusqu’ici.
« Le marché européen de l’acier devient un marché domestique », défend Stéphane Séjourné, commissaire européen à la stratégie industrielle. Avec ce plan, Bruxelles répond aux inquiétudes des producteurs d’acier en Europe, qui alertent depuis de longs mois sur la situation catastrophique du secteur. « Il s’agit de la première véritable mesure visant à soutenir notre secteur et à soutenir des emplois de qualité en Europe. Mais il faut aller plus loin ! », a déclaré Axel Eggert, directeur général d’Eurofer, l’association européenne de l’acier.
Le plan doit encore être voté par le Parlement européen et ratifié par les États membres. Il s’applique aux importations d’acier, mais cible en particulier la Chine, qui depuis la fermeture du marché américain redirige sa production vers l’Europe. Député Gauche républicaine et socialiste (GRS) Emmanuel Maurel, réagit à ces mesures auprès de Marianne.
Marianne : L’Union européenne dévoile son plan pour protéger le marché européen de l’acier chinois. C’est un tournant protectionniste majeur ?
Ce n’est pas du tout un tournant protectionniste majeur. Ursula von der Leyen vient de négocier avec Donald Trump un accord commercial qui est d’une veine tout sauf protectionniste. C’est un accord déséquilibré et inégalitaire pour l’Europe. La Commission européenne communie dans la religion transatlantique, mais ça porte atteinte aux intérêts fondamentaux de l’Europe. Ils épousent le récit américain sur la Chine. Ce faisant, ils n’ont pas tort sur tout, la Chine s’adonne en effet à une politique de prix cassés. Mais les États-Unis sont eux aussi agressifs sur plusieurs points, et cela ne doit pas être oublié.
Il y a eu aussi le Mercosur. Pour la sidérurgie européenne, il y a un sursaut, parce que c’est une question de survie pure et simple. On est à un point où les signaux d’alerte ont été dépassés. La menace pèse sur une branche qui représente 25 000 salariés en France. ArcelorMittal et ThyssenKrupp, les deux géants du secteur en Europe, sont dans une situation très problématique. De nouvelles fermetures d’usines porteraient un coup fatal à notre développement économique et à notre souveraineté. En ciblant l’acier, la Commission européenne s’est contentée de parer au plus pressé. L’industrie a été frappée de plein fouet par une trop grande ouverture des marchés européens, l’augmentation des droits de douane américains et les surcapacités chinoises, qui inondent le marché de produits à prix cassés.
Cela sera-t-il suffisant pour sauver l’acier européen ?
Non, c’est loin d’être suffisant. Il faut réformer le Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF). Il faut créer un label acier vert européen et réformer le fonctionnement des marchés publics européens pour favoriser l’acier produit en Europe. Ensuite, on ne fera pas l’économie d’investissements colossaux dans ce secteur. L’industrie sidérurgique est clé pour tous les secteurs, en particulier celui de l’automobile, qui connaît une rétraction violente à travers l’Europe. Il faudra aussi agir sur les prix de l’énergie, puisqu’avec les matières premières, elle représente une très grande part du coût de production de l’acier. Le marché européen de l’énergie n’est pas calibré comme il faudrait. Tous ces éléments font qu’on est encore loin d’une politique donnant réellement la priorité à la réindustrialisation de l’Europe. Il y a un petit bougé, alors qu’il faut une grosse inflexion.
Des industriels du secteur textile se sont plaints également des surcapacités chinoises. L’approche souverainiste pourrait-elle être appliquée à d’autres secteurs ?
Pour l’instant, le textile n’est pas une priorité européenne. Pas plus que française d’ailleurs. Ce qui explique la relative mansuétude à l’égard des enseignes de fast fashion, je pense à Shein, à Temu et aux autres. Je pense qu’il y a des opportunités pour relancer le secteur textile français. Nous pourrions développer une offre performante et écologique, mais il faudrait des investissements et des mécanismes de protection commerciale pour la soutenir. Sur d’autres secteurs, comme l’agriculture, la Commission européenne ne fait pas non plus le choix de la souveraineté. L’Union européenne, comme d’habitude, aveuglée par son idéologie, est sourde aux alertes qu’on exprime depuis plus de dix ans. Quand la crise arrive, ils comprennent enfin qu’il faut infléchir. Je suis évidemment pour, mais ça vient très tard ! Il y a des sacrés dégâts, il faut redoubler d’effort pour construire reconstruire un tissu industriel puissant.
Je pense que la mobilisation pour la sidérurgie française devrait être transpartisane. L’enjeu de décarbonation des hauts fourneaux est colossal, le montant des investissements nécessaires est immense. C’est une question de mois avant qu’il soit trop tard. Or, on ne peut pas accepter que la France se retrouve dépourvue d’industrie sidérurgique. Quels que soient les blocages au niveau politique, il faut être capable de construire une stratégie d’investissement de long terme dans ce domaine. Il faut arrêter d’être dogmatique sur les règles du libre marché, dans un monde où les règles ne sont pas respectées par les autres.