Gérard Larcher, président du Sénat et troisième personnage de l’État, pouvait dormir tranquille depuis quelques semaines. Lui qui avait repris la présidence de la Haute Assemblée en octobre 2014 sera vraissemblablement réélu au « Plateau » sans aucune difficulté dans quelques jours pour trois années supplémentaires.
En effet, les 87 000 membres du collège électoral appelés à désigner les 172 sénatrices et sénateurs de la série 21 sont à 95% des délégués des conseils municipaux. Ces élections sénatoriales étant les premières depuis les élections municipales des 15 mars et 28 juin 2020 – et rien n’ayant bousculé les équilibres politiques depuis –, il était logique que les résultats d’hier proposent un résultat assez fidèle à l’équilibre des forces issus des élections municipales.
La droite dans un fauteuil, le macronisme partiellement sanctionné
Or cet équilibre – contrairement au récit né de l’emballement médiatique sur le second tour des élections municipales – n’a pas réellement évolué entre 2014 et 2020 : dans les communes de plus de 9 000 habitants, la droite continue de diriger 65% des villes, ce qui explique la reconquête du Sénat par la droite en 2014 et son maintien logique jusqu’ici.
Ainsi au dernier pointage, le groupe « Les Républicains » passerait de 143 à 153 sénatrices et sénateurs ; le groupe « Union Centriste », composé en grande majorité de parlementaires membres de l’UDI, passerait de 51 à 47 sénatrices et sénateurs.
C’est par ailleurs au centre de l’hémicycle sénatorial que les évolutions semblent les plus importantes, malgré la faible taille des groupes :
- le groupe « Les Indépendants » (droite Macron-compatible), dirigé par le très caricatural anti-communiste Claude Malhuret (Allier), passerait de 14 à 10 sièges ;
- le groupe de La République en Marche, qui renouvelait 10 sièges, perd logiquement des plumes (mais en limitant la casse) en passant de 23 à 19 parlementaires. Ce résultat est à la fois la marque de son manque d’implantation locale – LREM étant un parti hors sol et créé de toutes pièces pour l’élection d’Emmanuel Macron (et sa future candidature à l’élection présidentielle). Il n’était composé sur la série 2 que de transfuges d’autres partis politiques, présents dès l’origine de « l’aventure macroniste » (pour la partie « gauche ») ou recrutés plus tard pour le gouvernement (pour la partie « droite ») : les « grands électeurs » de gauche ont parfois sanctionné des élus dont ils n’approuvaient pas le ralliement à Emmanuel Macron et qui n’avaient pas d’élus locaux LREM pour les soutenir ; certains « grands électeurs » de droite ont sans doute fait pareil. Si LREM limite donc la casse, c’est grâce à la personnalité de certains de ses candidats, comme François Patriat en Côte-d’Or (président du groupe LREM), ou Jean-Baptiste Lemoyne dans l’Yonne et Sébastien Lecornu dans l’Eure, qui diposaient chacun d’une implantation ancienne, de réseaux locaux et d’une aura dépassant les clivages politiques dans des territoires en partie ruraux ;
- c’est le plus ancien groupe du Sénat, le RDSE (Rassemblement Démocratique et Social Européen), ancienne émanation du vieux Parti radical puis du PRG, qui a passé une très mauvaise soirée. Depuis septembre 2017, il était composé à la fois de Radicaux de droite qui avaient quitté le groupe « Union Centriste », des Radicaux de gauche et de quelques élus en délicatesse avec leurs groupes originels (Henri Cabanel ou Éric Jeansannetas) ou sentant le souffre (Jean-Noël Guérini). Le tout dans une ambiance majoritairement Macron-compatible. 13 de ses 23 parlementaires étaient renouvelables mettant le groupe sous la menace d’une disparition en cas de départs de transfuges. Au regard des résultats d’hier soir, il resterait 12 sénateurs RDSE ; il semblerait que la fusion entre radicaux de droite et de gauche ait finalement beaucoup coûté au groupe. Des pièces importantes du dispositif radical, comme Jean-Marc Gabouty, vice président du Sénat (Mouvement radical, Haute-Vienne), ou François Laborde (PRG, Haute-Garonne), ont ainsi mordu la poussière. Certains se maintiennent grâce à leurs réseaux locaux (Jean-Noël Guérini, Bouches-du-Rhône) ou un ancrage à gauche et de terrain (Henri Cabanel, ex PS dans l’Hérault qui résiste à la volonté de la fédération socialiste locale de l’éjecter). D’une certaine manière, la Macron-compatibilité du RDSE l’a porté au bord de la catastrophe.
Gauche qui sourit, Gauche qui se demande si elle doit pleurer
La photographie de la partie gauche de l’hémicycle est plus floue.
Globalement la gauche sénatoriale passe de 87 sièges à 94 sièges. C’est en tout cas le principal axe de communication développé depuis hier soir par le groupe « socialiste & républicain » pour masquer de nombreuses déconvenues (il renouvelait 35 sièges) : ce groupe passerait ainsi de 71 à 65 sièges (trois divers gauche pourraient compléter mais ils seront aussi sûrement fortement sollicités par le RDSE).
L’explication de cette chute relative du second groupe de la Haute Assemblée tient à plusieurs éléments :
- la montée du nombre d’élus locaux écologistes dans quelques villes en nombre limitées (nous y reviendrons) ;
- des choix stratégiques et de candidats parfois mal avisés. Exemple : alors que le PS avait dans le Finistère enregistré un bon cru lors des élections municipales (conservant Brest et regagnant Morlaix et Quimper), il n’a pas transformé l’essai, perdant un siège de sénatrice. Le choix des candidats et la présence de Jean-Jacques Urvoas en délicatesse avec la justice explique sûrement cette défaite, alors que le PS pouvait espérer emporter trois sièges ;
- l’insuffisante mise en œuvre locale de la stratégie d’union claironnée nationalement (dans le Doubs, en Haute-Saône, dans le Cher, en Côte-d’Or, dans le Gard ou en Seine-Maritime).
Le groupe CRCE (composé de 12 PCF, 2 GRS, 2 écologistes) n’était concerné que par 3 circonscriptions. Céline Brulin a été réelue en Seine-Maritime ; Gérard Lahellec a été élu dans les Côtes-d’Armor, succédant à Christine Prunaud ; Pierre-Yves Collombat (GRS) ne se représentait pas dans le Var, la défaite et division de la gauche empêchant toute succession à gauche. Jérémy Bacchi (34 ans) conduisait la liste de gauche dans les Bouches-du-Rhône, l’union de la gauche obtenant ainsi trois des huit sièges (PCF, PS, EELV). Enfin, Marie-Claude Varaillas a été élue au second tour en Dordogne. Ainsi le PCF renforce sa représentation au Sénat, compensant presque au sein du groupe CRCE la fin du mandat de P.-Y. Collombat et le départ annoncé des deux sénateurs écologistes vers un nouveau groupe. Le CRCE ne peut sincèrement regarder qu’avec amertume cette fuite des deux écologistes vers d’autres cieux, alors que le groupe a été pendant 3 ans bien plus que d’autres la voix de l’écologie au Sénat.
La principale nouveauté qui pourrait émerger des élections sénatoriales du 27 septembre 2020 serait donc la recréation d’un groupe écologiste, qui avait existé entre 2011 et 2016-2017. Cinq sénateurs non soumis à renouvellement étaient partant pour entrer dans un groupe écologiste si les résultats d’hier le permettaient : les deux écologistes du groupe RDSE – Ronand Dantec, Loire-Atlantique, et Joël Labbé, Morbihan –, les deux élus écologistes du groupe CRCE – Esther Benbassa, Paris, et Guillaume Gontard, Isère (mais élu sur une liste initiée par le PCF) – et enfin Sophie Taillé-Polian, sénatrice Génération•s du Val-de-Marne (mais élue PS sur une liste d’union conduite par le PCF). Dans la foulée des gains écologistes en alliance ou en autonomie dans quelques métropoles, six écologistes ont été élus hier (un siège dans le Bas-Rhin dans une liste soutenue par le PS ; un siège en Ille-et-Vilaine et un siège en Gironde dans des listes autonomes ; deux sièges sur trois dans une liste de rassemblement de la gauche dans le Rhône face à une droite extrêmement divisée ; et la 3ème place dans les Bouches-du-Rhône sur la liste de rassemblement de la gauche). À noter que la division de la gauche et l’abstention de fait des élus écologistes a empêché dans le Doubs l’élection comme sénatrice à quelques voix près de Barbara Romagnan (Génération•s) qui aurait sans doute rejoint le groupe écologiste, puisque son parti et EELV sont en phase de rapprochement intensif. À noter également : emporter une grande ville comme Poitiers avec une liste autonome ne permet pas ensuite d’affronter une élection sénatoriales à l’échelle de la Vienne, quand EELV est absent de tout le reste du territoire et incapable de nouer des alliances. Enfin, le sénateur régionaliste nouvellement élu, Paul Toussaint Parigi, de Haute-Corse pourrait également s’affilier à ce groupe.
Ce sera donc, s’il voit le jour, un groupe écologiste très divers, avec des ambitions internes acérées, où pourrait se reproduire ce qu’avait connu le précédent groupe, à savoir une vie politique très agitée menaçant régulièrement son existence même.
Un Sénat qui doit à nouveau prouver son utilité
C’est donc un peu d’évolution pour énormément de stabilité. Gérard Larcher sera réélu président pour trois ans, même si certains dans son camp piaffent d’impatience pour lui succéder en 2023. Il a tôt fait d’annoncer que le Sénat sera comme depuis 2017 le contre-pouvoir. Contre-pouvoir qui s’est illustré par plusieurs nécessaires commissions d’enquête (Benalla, privatisation des autoroutes, Lubrizol, crise sanitaire, pollution industrielle des sols) et en empêchant la réalisation de la réforme constitutionnelle voulue par le Président de la République pour abaisser le Parlement, alors que les gouvernement Macron avait fait preuve d’une surdité absolue à l’égard des Français, des corps intermédiaires et des élus locaux.
La question pour nous n’est pas que le Sénat reste dans une forme de contre-pouvoir poli, parfois un peu plus tendu, entre droite libérale et droite conservatrice. Le Sénat, s’il est par sa définition même une chambre de travail et de modération relative par rapport aux basculements parfois brutaux de l’Assemblée nationale, ne peut rester une chambre où l’alternance politique est structurellement impossible, où la voix des catégories sociales les plus défavorisées ne peut s’exprimer, où la vie quotidienne réelle des Français est parfois étouffée par le velours des moquettes et des rideaux.
Le mode de scrutin (sur 172 parlementaires, 113 seulement étaient élus hier à la proportionnelle) et la sur-représentation des départements ruraux favorisent mécaniquement l’élection de sénateurs conservateurs. La réforme souhaitée par Emmanuel Macron aurait, en diminuant le nombre de parlementaires, d’ailleurs aggravé cette logique tout en diminuant massivement la capacité de femmes à être élues dans la haute assemblée. La gauche peut décider de continuer à se lamenter en taxant le Sénat d’anomalie démocratique, mais la réalité est que le Sénat a montré dans les trois dernières années malgré son orientation politique une capacité forte à équilibrer le débat et le travail parlementaire et à protéger fortement nos libertés individuelles et collectives. La gauche doit donc dans les années qui viennent agir sur trois fronts :
- en finir avec les pudeurs qui amènent certains de ses membres à considérer qu’ils n’arrivent à être élus qu’à condition d’être accommodant avec la droite, le scrutin d’hier démontre le contraire ;
- trouver le chemin du rassemblement pour éviter de perdre bêtement des sièges et surtout pour en conquérir de nouveaux ;
- promouvoir une réforme du mode de scrutin (en augmentant la part des communes de plus de 9 000 habitants dans le collèges électoral) et un rééquilibrage au profit des départements urbains et rurbains.
1Le Sénat compte 348 parlementaires ; la chambre haute est renouvelée par moitié tous les trois ans. La circonscription électorale est le département. Le collège électoral se compose des députés et sénateurs de la circonscription, des conseillers régionaux de la section départementale correspondant au département, des conseillers départementaux et des délégués des conseils municipaux, ces derniers représentant 95 % des électeurs des sénateurs. La série 1 (en gris sur la carte) a été élue le 24 septembre 2017. La série 2 (qui comporte les départements colorés) concernait 172 parlementaires. Dans les départements comptant 3 sièges sénatoriaux ou plus, le mode de scrutin est proportionnel (en bleu sur la carte) ; dans les autres le mode de scrutin est majoritaire, uninominal à deux tours (en violet ou magenta sur la carte). Les sièges de 6 des 12 sénateurs représentant les Français établis hors de France et élus par un collège spécifique composé des députés et des sénateurs représentant les Français établis hors de France, des conseillers consulaires et des délégués consulaires, feront ultérieurement l’objet d’une élection complémentaire.