Le « Monde« , 12 avril 2021
La candidature de Jean-Luc Mélenchon et, plus récemment, celle de Xavier Bertrand démontrent que les formations politiques ne semblent plus structurer le processus de désignation des candidats voire s’apparentent à des outils au service d’ambitions personnelles, analyse le politiste dans une tribune au « Monde ».
Tribune. Xavier Bertrand a donc déclaré, mercredi 24 mars, sa candidature pour l’élection présidentielle sans attendre les élections régionales ni l’hypothétique primaire d’un parti (Les Républicains, LR) dont il n’est de toute façon plus membre. Les partis politiques semblent avoir perdu la maîtrise du jeu présidentiel ou sont des instruments au service d’ambitions personnelles. Sous la Ve République, un des rôles des partis était de fabriquer des présidentiables et de les départager à travers diverses méthodes (cooptation, sondages, primaires fermées ou ouvertes…). Jusqu’en 2012, l’élection présidentielle arbitre la lutte de personnalités s’appuyant sur des organisations partisanes même si les primaires ouvrent le processus à des non-adhérents. Lors de l’élection présidentielle de 2017, Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon s’autoproclament candidats en s’appuyant sur des partis-mouvements – La République en marche (LRM) et La France insoumise (LFI) −, créés ad hoc pour appuyer leur ambition personnelle. Le parti ne produit plus le candidat en le légitimant au préalable, c’est le candidat qui crée le parti pour porter sa campagne. La personnalité du candidat devient l’aspect central de l’offre politique (l’organisation n’est qu’un arrière-plan). L’investiture partisane n’est plus un préalable puisque le parti n’est, en quelque sorte, que le moyen, le support et la conséquence d’une candidature personnelle. « Investiture populaire » En novembre 2020, Jean-Luc Mélenchon s’est déclaré pour la troisième fois candidat à l’élection présidentielle. Le député a inventé alors de nouvelles règles pour se représenter et se réinventer. S’il « propose » à nouveau sa candidature, il la conditionne à une « investiture populaire » (le parrainage de 150 000 citoyens). Il ne présente donc pas sa candidature comme procédant de LFI, tout en précisant que « c’est le programme qui est investi, pas un homme ». Une nouvelle plate-forme est créée pour récolter les parrainages : noussommespour.fr. Ce n’est significativement pas sur la plate-forme de LFI que les soutiens sont recueillis. Les militants LFI n’ont été que consultés un peu plus tôt, par e-mail, tout comme les députés lors d’une réunion informelle. Le seuil de 150 000 parrains est franchi en quelques jours : plus de 2 millions d’abonnés sur Twitter suivent le leader de LFI qui revendique 500 000 adhérents. La candidature résulte donc d’une forme d’autodésignation mais celle-ci est sanctionnée par un plébiscite populaire aux résultats largement prévisibles. Emmanuel Macron, quant à lui, s’apprête à présenter sa candidature hors de toute symbolique partisane au nom d’un nouveau « dépassement ». Elle est naturalisée par son statut de président sortant et son emprise totale sur LRM. Au journal Libération, le 11 mars 2021, le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, confie qu’« Emmanuel Macron ne sera pas le candidat LRM à la présidentielle » et le délégué général de ce mouvement, Stanislas Guerini, précise : « Je n’envisage évidemment pas Macron comme le candidat d’un parti politique, ce sera le candidat du dépassement. » Dans la perspective de 2022, ce processus d’autonomisation des candidats semble affecter aussi les organisations dites traditionnelles, ceux de l’ancien duopole Les Républicains-Parti socialiste. Prendre ses distances avec les partis devient une figure imposée pour tout prétendant au trophée présidentiel. Le cas de Xavier Bertrand est exemplaire. Après l’élection présidentielle, l’ancien secrétaire général de l’UMP (de 2008 à 2010) s’émancipe de son parti et annonce son départ de LR. En août 2020, il annonce qu’il se « prépare » à l’élection présidentielle de 2022. Multipliant les critiques contre les appareils, il exclut de se soumettre à une primaire de la droite, estimant que sa primaire « sera le scrutin régional des Hauts-de-France » de 2020. Financement Xavier Bertrand a créé un mini-parti, La Manufacture, structure personnelle dont il développe l’implantation à mesure qu’approche l’élection présidentielle. Pour prendre de vitesse ses concurrents de droite, il décide finalement de se lancer avant un scrutin régional dont l’organisation est compromise par la crise sanitaire. Sa stratégie est indirectement partisane : se rendre incontournable auprès de son ancien parti en s’installant dans l’opinion et les sondages pour obtenir de lui, au final, la ratification de sa candidature. La stratégie de Valérie Pécresse, elle aussi présidente de conseil régional (Ile-de-France), présente des similitudes structurelles. Elle a quitté LR en juin 2019, a créé son propre (micro) parti, Libres !, en juillet 2017, et se prépare à une possible candidature pour 2022. Article réservé à nos abonnés Lire aussi « Les maux de la Ve République diagnostiqués depuis longtemps, à force de s’aggraver, érodent la vitalité de la démocratie » Cette stratégie est aussi mobilisée à gauche, comme le démontre le positionnement d’Arnaud Montebourg. Candidat aux primaires de son parti en 2011 et 2017, il prend ses distances avec le PS et la politique officielle du « sérail », et cultive une image d’entrepreneur. Mais il reste présent dans les médias et travaille à l’hypothèse d’une candidature à l’élection de 2022, hors du PS, en espérant finalement son soutien. Le Parti socialiste aura-t-il un candidat au final ? Anne Hidalgo, la maire de Paris, teste l’hypothèse de sa candidature mais ne s’inscrit guère dans une symbolique partisane. Elle a créé une « plate-forme d’idées » numérique autonome de son parti, tout comme le député européen Yannick Jadot, qui voudrait faire l’économie de la primaire organisée par EELV en septembre, qu’il trouve trop enfermante… On observe ainsi une forme d’individualisation du capital politique. Pour les prétendants à l’élection présidentielle disposant d’un capital politique personnel, s’appuyer clairement sur son parti apparaît une stratégie moins porteuse que s’en démarquer. Mais ces changements sont aussi trompeurs. L’élection présidentielle ne s’est pas totalement « départinisée ». Elle suppose toujours des moyens collectifs (de financement notamment). C’est LRM et LFI qui financeront respectivement la campagne d’Emmanuel Macron et de Jean-Luc Mélenchon. Xavier Bertrand, Anne Hidalgo ou Yannick Jadot auront besoin des moyens d’organisations dont ils ne peuvent s’aliéner totalement le soutien. Rémi Lefebvre est professeur de sciences politiques à l’université de Lille.