Nous reproduisons ci-dessous le texte qu’Emmanuel Maurel, député et animateur national de la Gauche Républicaine et Socialiste, a publié avant-hier pour expliquer le vote du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Il ne s’agit pas que d’une prise en compte des contraintes de la situation politique, mais de sanctionner les gains importants obtenus dans le débat parlementaire. Après le rejet du texte par le sénat le 12 décembre, l’Assemblée Nationale aura le dernier mot mardi 16 décembre 2025 ; à elle de dire, si finalement c’est « tout ou rien » ou si elle confirme son vote du 9.
J’envie les collègues parlementaires qui n’ont que des certitudes. C’est toujours inconfortable de voir ses convictions (et les miennes n’ont pas beaucoup varié au fil du temps) percutées par des doutes que font naître les circonstances.
Car les circonstances sont particulières. Une Assemblée Nationale sans majorité, un patronat déchaîné, un « bloc central » qui se délite, un gouvernement minoritaire et sans légitimité populaire, et trop de personnalités qui croient en leur destin et communient dans un présidentialisme que parfois ils font mine de regretter.
Dans le cas de figure exceptionnel que nous vivons, nos réflexes d’hier (par exemple le fameux « quand on est dans l’opposition, on s’oppose » que nos maîtres nous ont répété à l’envi) sont forcément perturbés.
Et c’est le cas au moment du vote du budget de la Sécurité Sociale.
Je passe sur ceux qui considèrent que c’est forcément « tout ou rien ». Quand on est minoritaire, », c’est toujours rien. Or si la gauche est arrivée en tête du deuxième tour des législatives de juillet 2024, elle ne représente qu’un gros tiers de l’Assemblée. C’est malheureux mais c’est ainsi. Et la représentation nationale est à l’image du peuple qui l’a élue : traversée par des contradictions, des aspirations diverses et souvent antagonistes, des colères et de rêves, des conservatismes et des petitesses.
Il faut faire avec. Et donc, souvent, essayer de « voter en conscience », dans un arbitrage constant entre responsabilité et conviction, et avec le seul souci de l’intérêt général.
Alors, en conscience, j’ai regardé le texte du PLFSS (le budget de la Sécu). Le Sénat avait durci un peu plus la copie du gouvernement qui elle-même reprenait beaucoup de celle de Bayrou, la suppression des jours fériés en moins.
Il a fallu revenir sur un certain nombre d’ « horreurs » et nous l’avons fait. Il n’y aura ni gel des pensions, ni gel des prestations sociales, ni doublement des franchises médicales. Il n’y aura pas la taxation des tickets resto ou la diminution du salaire net des apprentis. Il y aura, côté recettes, une légère (et insuffisante) augmentation de la CSG sur le capital. Il y aura, comme la gauche le demande depuis longtemps, le remboursement par l’Etat à la Sécu d’une partie des exonérations de cotisations sociales.
Restait la question épineuse de « l’ONDAM », c’est à dire le niveau des dépenses de santé, et notamment des moyens pour l’hôpital. Elle était de 1,6% dans la version initiale. Puis de 2% à l’issue d’une première étape. Juste avant le vote, nous avons finalement obtenu une augmentation de 3%. Dont 4 milliards de plus pour l’hôpital. On peut juger que c’est insuffisant. Je le pense en effet. Mais c’est bien mieux que ce que les partisans de l’austérité voulaient (c’est d’ailleurs là-dessus que la droite avait concentré ses critiques) nous imposer.
Et puis il y a la fameuse suspension de la réforme (ou décalage) des retraites. Certains ont moqué cette mesure. Je l’ai prise au sérieux et l’ai votée dès la première lecture. Parce qu’elle doit être valorisée comme une première victoire pour la gauche qui a toujours contesté, et avec elle des millions de Français, une réforme brutale et injuste. Nous n’avons pas réparé la blessure démocratique, qui est béante. Mais nous avons mis le pied dans la porte, et il ne faut pas dénigrer ce genre d’avancée. Des centaines de milliers de nos compatriotes partiront plus tôt à la retraite. Ce n’est pas rien.
Alors, bien sûr, ce n’est ni un budget idéal, ni le budget tel que nous voudrions qu’il soit, ni même, un « budget de gauche ». Mais nous avons contrecarré l’offensive de la droite et du patronat qui voulaient imposer à la Sécu une cure d’austérité et qui rêve toujours de la privatiser. Nous avons préservé l’essentiel pour les gens.
Le vote « pour » n’allait pas de soi. Nous sommes dans l’opposition à un gouvernement qui n’existe que par l’intransigeance du président de la République. Valider un compromis, même substantiellement amendé par nous au terme d’un long débat parlementaire, est un choix politique risqué. C’est prêter le flanc aux attaques caricaturales, aux indignations outrées et aux procès en trahison qui ne manqueront pas de fleurir. Mais soyons sérieux : je ne deviens pas macroniste en votant la même chose qu’un macroniste, pas plus qu’on ne devient lepéniste en votant la même chose que le RN. Et je n’ai pas plus envie de « sauver Lecornu » qu’hier Barnier ou Bayrou, contre qui j’ai voté toutes les motions de censure.
Mais il faut bien se poser la question des alternatives. Voter contre, refuser le budget de la sécurité sociale, et puis quoi? Attendre que les adultes du Sénat calment l’impétuosité et l’ardeur des adolescents de l’Assemblée? Parier que la Sécu (et les assurés sociaux qui en bénéficient) ira mieux sans budget qu’avec? Attendre qu’advienne le miracle d’un « bon budget » validé par une majorité alternative qui n’existe pas? Jouer la dissolution en espérant que les élections accoucheront d’une majorité progressiste nette et incontestable?
Toutes ces questions, comme nombre de mes collègues, je me les suis posées pendant ces dernières semaines. Je comprends celles et ceux qui, à gauche, ont opté pour une autre décision. Pour ma part, j’ai conclu qu’il valait mieux voter pour un budget de compromis, en faisant le pari que les électeurs comprendraient les raisons qui me conduisent à ce choix.
Emmanuel Maurel




