Directive « permis de conduire » : l’enfer est pavé de bonnes intentions

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Au moment où l’actualisation de la directive permis de conduire est examinée au Parlement européen et que des amendements extrêmement contraignants sur les conditions sanitaires de conservation du permis de conduire sont soumises à ses délibérations, Emmanuel Maurel, député européen de la Gauche Républicaine et Socialiste, souhaite ramener quelques éléments de rationalité dans le débat des derniers jours. Enfin, au-delà des considérations juridiques qui permettent de reconnaître les différents permis de conduire délivrés par les Etats membres de l’Union européenne dans chacun d’entre eux, il est bon de rappeler que les modalités pratiques et réglementaires devraient être laissées à l’appréciation des Etats et de leurs débats législatifs internes, sachant qu’aucun d’entre eux ne souhaitent augmenter le nombre de tués sur les routes.

1- Nous partageons tous l’objectif de zéro morts sur la route !

Cette directive se fixe pour but de rapprocher l’Union européenne de l’objectif « zéro décès sur la route » qu’elle s’est assignée pour 2050. En 2021, le nombre de morts causées par des accidents de la route s’est élevé à 19.800, en baisse de 61,5% par rapport à 2001. Les mesures prises par les gouvernements successifs durant cette période ont porté leurs fruits, particulièrement la surveillance plus stricte des limitations de vitesse, avec l’implantation des radars, ou les sanctions accrues contre l’abus d’alcool ou l’usage de stupéfiants au volant.

L’idée principale du rapport qui sera soumis au vote des eurodéputés la semaine prochaine est de prévenir les accidents dus à l’état de santé et/ou à l’âge, en instaurant une visite médicale obligatoire et très approfondie, tous les 15 ans pour les particuliers et tous les 5 ans pour les professionnels. Cette visite sera nécessaire pour obtenir un renouvellement du permis de conduire. Le projet de directive met donc un point final au permis à vie.

2- Mais gare à l’inflation normative et à la dépossession des droits des États

Il n’est pas sûr que tous les États-Membres, sans parler de leurs opinions publiques, soient partisans d’une réforme d’une telle ampleur. Si l’Union européenne est légitime à rechercher l’harmonisation des règles dans certains domaines, cela doit se faire conformément aux traités et particulièrement au « principe de subsidiarité », en vertu duquel les décisions doivent être prises au niveau le plus pertinent. En l’espèce, le bon niveau est celui des États, pas de l’Union.

Certes, la libre circulation des personnes (et des marchandises transportées par la route) constitue un motif d’intérêt pour l’Union. Mais cela ne signifie pas qu’elle détient un droit exclusif à légiférer sur des sujets aussi étroitement liées aux traditions nationales que le permis de conduire. Le projet de directive, en imposant beaucoup trop de règles minimales et en ne laissant d’autre latitude aux États que d’en imposer encore plus, méconnaît le principe de subsidiarité. La législation sur le permis de conduire doit demeurer essentiellement du ressort des États-Membres.

3- Cibler les personnes âgées n’offre pas de meilleurs résultats

Il n’est pas rare que la presse fasse état d’accidents graves provoqués par des personnes âgées. Mais leur responsabilité dans l’accidentalité n’est guère significative : il vaut mieux croiser un octogénaire en voiture plutôt qu’une personne âgée de 18 à 24 ans. Selon l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONISR), les plus de 75 ans n’étaient responsables d’accidents mortels que dans 7,9% des cas en 2021, contre 20,1% pour les 18-24 ans.

L’exemple italien est à cet égard illustratif. Alors que l’Italie pratique de longue date le renouvellement du permis après visite médicale – en rapprochant les échéances en fonction de l’âge – le nombre de morts par accidents de la route (54 décès par million d’habitants en 2022) n’y est pas inférieur à la moyenne européenne (46 décès par million d’habitants en 2022) et reste supérieur à celui de la France (50 décès/million).

4- L’accidentalité et la mortalité routières ne sont pas dues à l’âge ou l’état de santé

Rappelons que la mortalité routière est essentiellement due à la vitesse (28% des responsables d’accidents mortels en France en 2022), l’alcool (23%), l’usage de stupéfiants (13%) et l’inattention (13%). Les refus de priorité comptent pour 9% des causes d’accidents mortels et les malaises pour 10%. C’est dans cette dernière catégorie qu’on peut éventuellement identifier des causes directement liées à l’état médical du conducteur, mais toute personne peut être victime d’un malaise au volant (même si certaines affections accroissent ce risque).

Dès lors, généraliser un examen médical obligatoire préalable au renouvellement du permis risque de ne générer aucun résultat vraiment tangible. Différentes études en attestent, et ce quelles que soient les tranches d’âge considérées. D’après l’étude d’impact effectuée par la Commission elle-même, l’application de la nouvelle directive pourrait conduire à une baisse du nombre de morts de 1153 personnes en… 25 ans, soit 46 vies par an dans l’Union européenne et moins de 2 vies par an et par pays.

5- Loin d’une simple visite médicale, la directive instaure une batterie d’examens

Contrairement à ce qui est dit pour justifier l’approbation de ce texte, il ne s’agit pas simplement de tester la vue, l’audition ou les réflexes du conducteur. La directive va beaucoup plus loin et instaure une véritable batterie d’examens.

Le candidat au renouvellement, tous les 15 ans pour les particuliers et tous les 5 ans pour les professionnels, devra non seulement prouver que sa vue et ses réflexes sont corrects, mais aussi qu’il ne souffre pas de certaines pathologies : épilepsie, insuffisance rénale, quantités de maladies cardiaques, addiction à l’alcool, aux drogues, aux médicaments, diabète sucré (pour les professionnels). On touche aux limites à la fois de l’inflation législative et de son efficacité. Dans le cas de l’alcool par exemple, une personne alcoolique, mais qui n’a pas bu avant de conduire, est moins dangereuse sur la route qu’une personne non alcoolique mais qui elle, a bu avant de conduire. Il en va de même pour l’usage des médicaments ayant un effet psychotrope.

6- Le projet de directive instaure des discriminations d’ordre médical injustifiées

Actuellement, les personnes souffrant de certaines pathologies sont soumises à un régime spécifique d’obtention du permis. S’agissant de l’épilepsie par exemple, la personne affectée doit prouver qu’elle prend un traitement et qu’elle n’a pas fait de crise depuis au moins 5 ans. Mais on comprend moins pourquoi les personnes souffrant de diabète sucré ne pourraient plus conduire un véhicule professionnel. Cette affection touche en Europe plusieurs dizaines de millions de personnes, qui suivent un traitement et qui vérifient déjà leur aptitude à conduire.

Priver de ce droit ces personnes, comme celles souffrant d’insuffisance rénale, de maladies cardiaques, d’apnée du sommeil ou se voyant prescrire des médicaments à effets psychotropes (c’est-à-dire de très nombreuses personnes anxieuses et/ou dépressives), n’aurait pas d’effet sur l’accidentalité et la mortalité routière ; et constituerait par là une mesure à la fois discriminatoire et disproportionnée. Vérifier leur aptitude à la conduite est important, mais l’interdire d’emblée est excessif. Il paraît en revanche raisonnable d’interdire de permis les personnes consommant des produits stupéfiants.

7- Le législateur ne semble pas du tout s’être posé la question de la faisabilité

La batterie d’examens imposée pour chaque renouvellement du permis se heurte à des problèmes logistiques. Les charges supplémentaires induites (la directive prévoit par exemple une formation spécifique des personnels médicaux d’une durée d’une semaine) sur le système de soins et sur la médecine de ville, qui seraient d’autant plus lourdes dans les zones en sous-effectif médical, concerneront des cohortes de plusieurs millions de personnes chaque année, dans toute l’Union.

Il convient en outre de poser la question du coût – au regard de l’efficacité. Pour prouver qu’il ne « consomme pas d’alcool » ou de « de médicaments psychotropes », le candidat au renouvellement de son permis devra effectuer des examens médicaux, des prises de sang, etc. Cela pourrait représenter une charge de remboursement importante soit pour la sécurité sociale, soit pour les assurances complémentaires, soit pour les deux. À moins que l’on fasse entièrement peser cette charge sur l’assuré ? Le risque de rupture d’égalité entre les personnes comme entre les territoires est beaucoup trop fort.

8- En matière de conduite, le contrôle n’exclut pas la confiance

De très nombreuses personnes âgées constatent déjà par elles-mêmes que leur état physique n’est plus compatible avec la conduite. 80% des plus de 75 ans qui arrêtent de conduire le font volontairement et beaucoup s’autorégulent : ils ne conduisent pas la nuit, évitent les ronds-points, les trajets compliqués, ou changent de véhicule pour en prendre un plus petit et plus simple à conduire en milieu urbain. L’auto-évaluation est donc un aspect majeur de la responsabilisation des conducteurs.

Quant aux personnes malades, si elles sont plus réticentes à décider d’arrêter (dans 76% des cas, cette décision est imposée par la famille de manière unilatérale), elles ne causent pas d’évènements plus graves que la moyenne. Dans le cas de figure de la maladie, les médecins ne se sentent pas une figure d’autorité pour convaincre leur patient d’arrêter de conduire. Ils estiment que cette décision doit être prise en famille.

9- Les « permis tracteur » : aucun lien avec l’impératif de sécurité routière

Il s’agit du point le plus aberrant du projet de directive, qui crée pas moins de… huit permis pour différents engins agricoles et forestiers !

Actuellement, en France, les exploitants agricoles âgés d’au moins 16 ans sont dispensés de permis pour conduire leur machine dans les limites de leur exploitation ou pour se rendre d’une exploitation à l’autre par la route. L’écrasante majorité d’entre eux connaissent parfaitement le fonctionnement de leur machine, qu’ils conduisent presque tous les jours depuis des années voire des décennies.

En réalité, les députés ayant réussi à inscrire ces huit « permis tracteur » dans le texte veulent faciliter la mobilité de la main d’œuvre agricole sur le territoire de l’Union. Le but de la création de ces huit « permis tracteur » est de pouvoir affecter des travailleurs détachés dans un autre pays. Il s’agit donc d’une entreprise de dumping social par la mise en concurrence (déloyale) des travailleurs agricoles.

Emmanuel Maurel a demandé que :

Le Parlement européen se prononce par votes séparés sur :

  • La suppression des huit “permis tracteur” ;
  • La sortie du champ d’application du texte des permis agricoles et forestiers ;
  • La suppression de la visite médicale obligatoire.

Le Parlement européen se prononce sur des amendements visant à supprimer de la liste des motifs d’interdictions de permis :

  • Le diabète sucré ;
  • L’apnée du sommeil ;
  • Les maladies cardiovasculaires ;
  • L’insuffisance rénale ;
  • La consommation de médicaments prescrits contre l’anxiété et/ou la dépression.

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