Pour la première fois depuis vingt-cinq ans, le Parti républicain du peuple (CHP), kémaliste, allié à cette occasion à la droite laïque du Bon parti (IYI), reprennent des couleurs dans les grandes villes. Lors des élections municipales la coalition a gagné dans la capitale politique Ankara, dans son fief historique d’Izmir et, à nouveau ce dimanche, à Istanbul malgré la remise en cause du premier scrutin par la Haute Commission Electorale suite à une requête du parti islamo-conservateur (AKP) d’Erdogan.
De même pour le Parti démocratique des peuples (HDP), historiquement lié à la cause kurde, qui a réussi à reconquérir des villes, comme Diyarbakir, dans lesquelles le gouvernement avait remplacé les maires élus par des administrateurs nommés par l’Etat.
S’il faut, en tant que social-républicains, se féliciter de ces résultats obtenus dans un contexte difficile pour l’opposition avec un temps de parole durant la campagne très inégalitaire, il est inadéquat de parler de défaite cuisante ou de gifle pour le pouvoir en place comme l’ont fait certains médias. L’AKP et ses alliés recueillent encore 51% des voix au plan national. Il tient la majorité des régions, contrôle assez de districts au sein des deux grandes villes du pays pour en perturber la gestion et reste la principale force politique du pays.
Néanmoins, il s’agit d’une défaite symbolique importante pour le régime et pour Erdogan qui fut maire d’Istanbul. Elle illustre une double déception.
Une déception économique d’abord, la Turquie connait une baisse de sa croissance sans précédent depuis une décennie avec une inflation dépassant les 20% par an et un taux de chômage atteignant les 13,5%. Avec cette crise et la fin de ses bons résultats économiques, l’AKP perd son principal argument face à ses opposants.
Une déception politique ensuite face au tournant encore plus autoritaire que prend le pouvoir depuis l’échec du coup d’Etat de 2016. Erdogan a tout fait durant cette campagne pour nationaliser ces élections locales en multipliant les meetings partout dans le pays. Cette stratégie de l’hyper personnalisation s’est retournée contre lui : la défaite de son ancien premier ministre à Istanbul en est aujourd’hui le point d’orgue.
Quelles conséquences peut-on donc espérer de ces résultats ?
La Turquie sort d’un long cycle électoral. Les prochaines élections ne sont prévues que pour 2023, cela peut laisser le temps à l’opposition de continuer et d’approfondir cette stratégie d’union, le CHP et le Bon Parti s’étant alliés et le HDP n’ayant pas investi de candidat à Istanbul et Ankara.
Si le régime n’arrive pas à résoudre la crise économique qui frappe le pays, ne remet pas en cause la conception d’inspiration néo-ottomane de la nation Turque qui l’isole sur la scène international, et si les partis d’opposition arrivent se mettre d’accord sur la question kurde, une nouvelle ère pourrait s’ouvrir pour une Turquie sociale, républicaine et laïque.