Dimanche, deux Länder du sud-ouest de l’Alemagne votaient : le Bade-Würtemberg et la Rhénanie-Palatinat.
Le Bade-Wurtemberg, la région dont Stuttgart est la capitale, était dirigé par une coalition Verts-Conservateurs (CDU). Les sondages prédisaient aux Verts de progresser légèrement de 30 à 32%, la CDU, leur partenaire de coalition, devaient poursuivre son érosion dans cet ancien bastion, de 27% à 23%. C’est peu ou prou ce qui s’est réalisé.
La région est riche, prospère, industrielle, exportatrice : les classes populaires qui n’en profitent pas avaient choisi en 2016 l’AfD pour exprimer leur colère ; le mouvement d’extrême droite perd cependant du terrain, plus qu’annoncé par les sondeurs, passant de 16 à 9%.
Dans ce Land qui fut longtemps son fief, le SPD a perdu ses bases électorales depuis longtemps, et continue de s’effriter, passant de 13 à 12%. Il a été rattrapé par les libéraux du FDP, qui, sur le thème de la defense des libertés publiques et le rejet du confinement, ont gagné 3,5 points passant de 8 à 11,5%.
En Rhénanie Palatinat, c’est le SPD qui est le sortant, en coalition avec les Verts et les Libéraux du FDP. Là aussi, les deux grands partis, CDU et SPD, continuent de s’éroder ; mais le SPD perd moins que prévu en passant de 36 à 34,5% ; c’est la CDU qui dévisse de 32% à 26% (plus qu’annoncé).
La coalition sortante cependant conserverait sa majorité grâce aux Verts qui progressent de plus de 3 points (moins que prévu).
L’AfD a perdu beaucoup, de 12 à 8%, plus qu’annoncé. Le vote par correspondance et les règles COVID ont joué comme un prétexte pour s’abstenir dans cet électorat, d’après des sondages post-électoraux. Enfin en gagnant plus de 3 points, les « Freie Wähler« 1 réussissent l’entrée au parlement régional.
Weimarisation irrésistible ?
La weimarisation des parlements allemands – un éparpillement donnant lieu à de constantes combinazzione – s’installe dans la durée. CDU et SPD ne dominent plus à eux deux 85% de l’électorat. La subsistance d’une extrême droite proche de 10% dans deux des régions les plus prospères d’Allemagne, et les plus à l’Ouest, rende moins praticable le jeu de balancier entre gauche et droite, et échappe à l’explication simple d’un vote tribunitien et protestataire qui répondrait uniquement aux dégâts de la réunification à l’Est. Il est également à noter que les pertes des grands partis ne se retrouvent pas dans les partis déjà représentés aux parlements régionaux. La dispersion du vote aboutit à une situation stérile, des partis sans chance d’avoir d’élus rassemblant jusqu’à 11% des suffrages exprimés.
Les présidents de région, très populaires, ont stabilisé le score de leurs partis, respectivement Verts en Baden-Württemberg et SPD en Rhénanie-Palatinat, pendant que la CDU, frappée par des affaires de corruption de députés sur les marchés d’achat de masques au moment du premier confinement, connaît de très fortes pertes. L’AfD connaît une érosion à un haut niveau, pendant que les Linke, dans ces deux régions conservatrices, n’impriment pas.
Les libéraux du FDP ont réussi à revenir dans le jeu après des années de vaches maigres et espèrent sans doute tant le maintien de la coalition AmpelSignal ou « feu de circulation » – SPD (rouge), Verts, FDP (jaune) – en Rhénanie que la fin de la coalition écolo-conservatrice en Bade-Wurtemberg au profit d’une deuxième coalition AmpelSignal dans ce Land.
À moyen terme, ce scrutin est une répétition pour les élections fédérales de septembre 2021. La droite n’a toujours pas choisi la succession de Merkel pour la chancellerie. Celle-ci va en effet prendre sa retraite du pouvoir. La weimarisation du Bundestag rend également difficile le pronostic quant à la prochaine coalition fédérale. Rappelons qu’en 2017, l’Allemagne, tant vantée pour sa stabilité, avait eu besoin de six mois pour trouver un nouveau gouvernement.
Ces scrutins devraient renforcer le président de la région de Bavière comme candidat de la droite gouvernementale en septembre pour remplacer Merkel, si la CSU n’a pas d’autres députés impliqués dans ce scandale.
La culture politique de la République fédérale, fondée sur deux camps, deux partis de masse et non de clientèles, aura trouvé sa fin sous les 16 ans d’Angela Merkel. C’est probablement l’un des héritages les plus perturbant de son ère.
SPD marginalisé, Linke sur la touche, Coalition AmpelSignal
Pour le SPD, le problème se résume en deux points :
1. Le SPD en Bade-Würtemberg se retrouve à égalité avec l’AfD. Il est devenu un petit parti de clientèle, et une clientèle très vieillissante ;
2. En Rhénanie-Palatinat, c’est la popularité du ministre-président sortant qui a tout sauvé : 50% des électeurs de ce parti disent avoir voté pour la présidente, Malu Dreyer, en dépit de son parti, qui dans tous les domaines, perd en crédibilité.
Scholz, le candidat du SPD à la Chancellerie, ne profite pas des affaires qui frappent la CDU, il ne compensera pas par son (absence de) charisme le discrédit du SPD. Ce parti, tombé à 20% en 2017 après une GroKo avec la droite, est tombé dans les sondages dès l’annonce de la nouvelle GroKo en mars 2018 en dessous des 20% et reste aujourd’hui dans les sondages à 16% très loin de son score de 1998 (42%).
Les Linke vont devoir comprendre que leur propre survie est en jeu en septembre prochain, et qu’un électorat diplômé déjà ciblé par les Verts et le FDP ne lui permettra d’atteindre une masse critique nécessaire à un score les rendant incontournables. Le parti de la gauche allemande a décidé à bas bruit (mais pas sans dégâts) de se débarrasser de l’aile marxiste, et de donner des gages d’esprit de gouvernement (ils ne parlent plus de sortir de l’OTAN comme condition à une coalition) et à des concessions aux discours en vogue dans la gauche anglo-saxonne ; c’est un pari risqué car le discours de clientèle seul ne suffira sans doute pas à sauver le parti. Ce parti, en rejetant la stratégie du mouvement Aufstehen en 2018, en évacuant Sahra Wagenknetch (sa fondatrice) victime d’un « Burn Out » fin 2019 et en laissant partir Fabio de Masi (qui a annoncé qu’il ne se représenterait pas en septembre), a manqué le coche.
C’est désormais le FDP qui dès lors peut se mettre en scène et en position. Le dirigeant national des Libéraux Christian Lindner dit de plus en plus clairement que son parti le FDP sera disponible pour participer au gouvernement quelle que soit la constellation de couleurs, alors qu’en 2017, le FDP s’inscrivait encore dans le bloc de droite. C’est l’ouverture à un scénario Vert-SPD-FDP au niveau fédéral : la coalition AmpelSignal est ainsi arrivée à faire les titres du Spiegel, alors qu’elle était encore jugée improbable voici quelques semaines.
La CDU sans Merkel risque bien d’être rejetée dans l’opposition par une grande coalition de centre. Il est trop pour dire si, dans le cas d’une telle coalition, la faiblesse respective des différents partenaires sera un atout ou un désavantage pour un gouvernement fédéral.
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Il y avait aussi des élections municipales dans le Land de Hesse à Francfort-sur-le-Main (oui, dans un Etat fédéral comme l’Allemagne, les dates d’élection varient selon les régions). Ce sont les verts qui progressent fortement, l’AfD est faible, le SPD perd encore des places.
1 Freie Wähler
Originaire de Bavière, le parti est aujourd’hui présent dans presque tous les Länder depuis 2009. Il défend à la fois une ligne libérale-conservatrice, localiste et de démocratie directe.