Comme son nom l’indique, l’écologie concerne à la fois le cadre naturel (sols, eaux, air – climat, biodiversité) qui peut être considéré comme un support et/ou une ressource et les usages d’inscription des populations dans ce cadre (habitats, infrastructures, énergies, mobilités, etc.). Ces deux aspects interagissent au gré des décisions plus ou moins responsables des humains, structurées par les idéologies que ceux-ci élaborent pour décrire leur relation au monde naturel et physique voire physiologique.
Les lois, règles et règlements tentent de codifier les modalités d’inscription des activités humaines censées satisfaire les besoins élémentaires de l’humanité, voire son émancipation de ces contraintes physiques dans un cadre moral et partagé. D’où les conséquences sociales et les rapports de force politiques qui, à leur tour, impactent le cadre naturel.
S’agissant du cadre naturel, après une longue période prolongeant la 1ère révolution industrielle (et les suivantes) fondée sur la découverte des usages que l’on pouvait tirer de l’exploitation des ressources naturelles et sans précautions aucune, les signaux obtenus en retour nous font percevoir leur finitude et les dangers qu’il y aurait à les outrepasser.
Mais comment se résoudre à la frustration du mode de vie que cela nous a procuré et plus encore à celle que les populations qui aperçoivent enfin la possibilité d’y accéder ?
L’extractivisme doit prendre en compte les données très réelles du potentiel restant. Même les grandeurs les plus considérables que sont l’eau et l’air sont susceptibles d’être affectées dans leurs qualités intrinsèques au risque de ne plus être une ressource mais de possibles dangers. Sans compter que les idéologies elles-mêmes posent problème en ne réglant pas les questions de répartitions et de respect des limites physiques.
Il est donc temps que nous prenions conscience de ces paramètres et qu’en responsabilité nous indiquions comment il est possible d’occuper ce cadre naturel – cette planète – durablement et pour toutes les populations qui y ont universellement droit.
Il s’agira certainement de sobriété mais aussi des modalités pratiques réglementées dans un souci d’équité et de justice sociale.
S’agissant des usages, l’occupation des espaces, dans le respect de leurs qualités physiques, est un premier marqueur de la capacité à organiser, dans la justice sociale, la répartition de l’impact humain. S’en suivent, l’organisation des territoires en termes d’infrastructures – de mobilités, énergétiques, de gestion/réparation des pollutions – et de productions industrielles et agricoles, sans oublier les espaces de loisirs. Et ce dans le cadre naturel – espaces naturels inaccessibles et inexploitables : forêts, déserts, montagnes, océans, etc. – qui dépasse largement nos capacités d’aménagement.
Chaque élément d’infrastructure correspond à une prédation dont il convient de limiter l’impact sur les équilibres de l’ensemble. Dans le même temps où ils participent de l’habitabilité de la planète et de la satisfaction des besoins de ses habitants. Il s’agit donc de s’assurer de son moindre impact et/ou de sa compatibilité avec les ressources naturelles qu’il « aménage ». Et de sa réelle valeur en termes de résolution des besoins élémentaires des populations qu’il est censé servir – dans un cadre moral et égalitaire, démocratiquement retenu.
Les sols : qu’il s’agisse de leur occupation ou de leur exploitation, sont en qualité et quantité des valeurs finies. Leur modification physique par l’usage qui en est fait doit être évaluée et leur dégradation doit faire l’objet d’une décision consciente et partagée. Nul ne peut impacter leur nature sans en obtenir l’autorisation par l’ensemble de la communauté.
L’eau est un cycle universel et constant. Il peut néanmoins être perturbé par des usages excessifs, relevant d’accaparements abusifs et inconsidérés ou par des implantations d’infrastructures contrariant son libre écoulement. Là encore il s’agit de coordonner, après des études indépendantes des commanditaires, le « possible » sans risque pour les usages voisins et le respect de la valeur intrinsèque des éléments naturels.
L’air : on sait maintenant à quel point les usages et les productions humaines ont pu et continuent de modifier la composition originelle de l’atmosphère qui englobe notre terre, au point d’en affecter les climats. Pour autant, nous pouvons mesurer les modifications qu’il faudrait opérer dans les usages de nos sociétés développées – qui ne sont qu’une partie de l’ensemble – pour, si ce n’est retrouver, du moins tenir dans des limites acceptables les paramètres qui régissent les éléments atmosphériques. Réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre, limitation des molécules et particules rejetées par les usages industriels, agricoles, liés aux mobilités et aux habitats.
Ce sont des efforts considérables qui ne concernent pourtant qu’une partie de la planète, la majorité des sociétés n’ayant pas atteint le niveau de développement des pollutions liées à leurs usages. On se perd en conjonctures sur les voies et moyens d’exister sans tout détruire.
Devant un tel défi, les idéologies tentent d’élaborer les plans de transition vers un retour à la raison, à la compatibilité d’un système d’usages avec les valeurs physiques du cadre. On en est à évaluer le nombre de planètes qui seraient nécessaires à la neutralité, au jour de l’année à partir duquel nous avons atteint les limites physiques des ressources de la planète. On craint que cela ne finisse mal, soit par un collapsus général, soit du fait d’affrontements idéologiques.
Sans doute trouverons-nous des solutions technologiques pour amoindrir les effets du mal qui a déjà été commis mais on se doute tout autant que cela ne sera pas suffisant. C’est un mode d’usages différents qu’il s’agit d’élaborer, en prenant en compte l’ensemble des habitants qui ont un droit égal à habiter la planète, dans de bonnes conditions de santé, de développement et d’émancipation.
La biodiversité animale et végétale : longtemps considérée comme un souci accessoire, tant du fait de son ancienne rivalité avec le genre humain – en termes de partage des ressources alimentaires et de dangerosité réelle ou supposée – que de son incapacité à faire valoir ses droits (!), on en vient pourtant à s’imaginer que la planète et ses ressources ne serait pas la même sans la présence et les interactions de ces espèces douées de sensibilité. Ressource alimentaire – exploitée au-delà de toute raison – mais aussi agent du climat, des relations biologiques inter-espèces, tantôt « nettoyeur », tantôt fécondateur, il s’agit, quoi qu’on en pense, d’un élément constitutif du cadre naturel dans lequel nous avons établi nos vies. Nous ne sommes qu’au seuil de la prise de conscience de son rôle irremplaçable dans les fonctions biologiques de l’environnement et à quel point il serait dangereux, pour nous même en tant qu’espèce, de l’asservir jusqu’à en menacer l’existence.
Quand on considère à la fois la finitude des ressources et le respect avec lequel qu’il convient de faire usage des celles-ci, dans le contexte d’une démographie qui a d’ores et déjà explosé depuis l’ère préindustrielle, on comprend bien qu’il y a nécessité d’une révision drastique du mode de développement des usages conçus dans le cadre circonscrit à « l’occident développé ».
Nul doute qu’il y a un système de pensée, une conception générale du cadre naturel et des usages qui s’y inscrivent, à la base de la manière dont cela a été développé depuis les Temps Modernes et dans le périmètre de l’Occident.
Un modèle prédateur, sans souci de sa soutenabilité, optimiste quant aux solutions que sa science naissante et sa technologie seraient en mesure de résoudre tous les problèmes à mesure qu’ils apparaitraient. Enfin, parfaitement égoïste, jouisseur et violent.
C’est à la fois le libéralisme en tant que philosophie, le capitalisme en tant que moteur du développement exponentiel et la violence en tant que rapport au monde qui se répandent sur la planète dès les premières conquêtes de la Renaissance, plus encore à partir des Lumières et des premières révolutions politiques puis industrielles, enfin l’impérialisme qui achève le modèle dominant jusqu’à présent. Sans en être comptables, nous en sommes les légataires à défaut d’en être les héritiers. Et il nous échoit de faire le constat du désastre tant humain (politique) qu’environnemental auquel ce puissant mouvement a conduit la planète. Mais il n’était pas univoque et a toujours contenu un mouvement de contestation, tant de ses méthodes que des situations auxquelles il conduisait.
Ne serait-ce que du fait du profond système d’inégalités qu’il a continûment imposé, non seulement vis à vis des populations colonisées mais avant tout vis à vis de celles et ceux qu’il a inscrit dans un système de domination de son propre contingent. La violence étant à la base de son rapport au monde, c’est un système politique de domination des masses par une élite aristocrate, prolongée par une bourgeoisie marchande qui s’est développé à partir de l’occident « très chrétien ».
Or dans ce système le cadre naturel n’est qu’une ressource que l’on peut piller, pour peu qu’on ait les capitaux susceptibles de mettre en œuvre les dernières connaissances en matière d’extraction, de culture intensive, de détournement des ressources en eau et en énergie, d’achat à moindre coût de main d’œuvre (potentiellement gratuite du fait de l’esclavage), d’exploitation des plus faibles.
Cadre naturel et masses humaines sont pris dans une même « machinerie » à créer de la plus-value et du profit : le premier est pillé sans retenue (et plutôt salement), les secondes sont exploité individuellement et collectivement. Les règles et les lois, à peine naissantes, sont à la main de ceux qui ont l’argent et, de fait, l’oreille du pouvoir (qui s’appuie lui-même sur l’argent).
Il faudra bien des luttes – du sang et les larmes – pour que les masses laborieuses, celles qui élaborent les produits, objets du profit, parviennent à se distinguer de la « matière » que l’on extrait et que l’on façonne.
C’est pourquoi il y a incontestablement un rapport entre la violence extractiviste et l’exploitation des masses laborieuses. L’une et l’autre font l’objet du même manque de respect quant à leur nature et à leur fragilité, du même cynisme quant à leur exploitation sans limite.
De ce parallèle, il devrait être possible à la fois de mobiliser sur la modération qu’il devrait y avoir dans nos modes de productions et de rapport au cadre naturel, et de revendication d’un meilleur partage des richesses. Celles et ceux qui voient bien que leur travail est revendu X fois ce qu’il leur est payé, peuvent parfaitement comprendre que la détérioration du cadre dans lequel ils inscrivent leur vie est aussi un abus d’usage des ressources exploitées par les mêmes qui leur achètent si piteusement leur force de travail. Au point même de mettre en danger leur capacité à la reconstituer du fait d’un air pollué, d’une eau de qualité douteuse, d’aliments empoisonnés, de dangers climatiques, etc.
Faire le lien entre ces deux situations critiques, dues au même système prédateur et irresponsable, profitant des mêmes effets d’un déséquilibre assumé en raison de l’accumulation de profits tirés d’un même système de pensée spoliant indifféremment le cadre naturel et les populations inscrites, devrait permettre une prise de conscience.
Une prise de conscience en faveur d’un type de développement respectueux des équilibres naturels finis et d’une conception de la vie en société qui fasse place, durablement, à toutes les existences dans leurs aspirations les plus légitimes.
Bruno Lucas