La situation de l’électricité́ en France semble aujourd’hui inextricable et la hausse des prix, inarrêtable. Sans régulation par l’Etat nous dit le Gouvernement, les ménages paieraient leur facture 40% plus cher que l’année dernière. Mais ceux qui se présentent en résistants face à cette crise, au premier rang desquels Bruno Le Maire, sont en réalité ceux qui ont permis qu’elle se produise.
Il est important de rappeler qu’EDF a été partiellement privatisée dès 2005 par Dominique de Villepin, dont le directeur de cabinet était… Bruno Le Maire, lequel, 17 ans plus tard, tente de réparer ses dégâts à la manière d’un pompier-pyromane. Concomitante à l’ouverture à la concurrence (loi du 1et juillet 2007), la vente d’une partie d’EDF n’a rien produit d’autre qu’une hausse continue des prix sur le marché de l’électricité.
Et depuis le boom de la reprise post-Covid, le cours du mégawattheure a été multiplié par presque 10 sur le marché de gros (par rapport à 2019). Cette explosion s’explique par les modalités du marché européen de l’énergie. Les cours du MWh sont fixés par la dernière source de production nécessaire à la couverture des besoins. Or en cette période hivernale, de reprise très forte de l’activité, les sources d’électricité bon marché comme l’hydraulique (15 à 20€ le MWh) et le nucléaire (40 à 50€ le MWh) ne suffisent plus. Il faut allumer les centrales à gaz et les faire tourner à plein régime, le prix de l’électricité s’ajustant automatiquement, en vertu de la loi de 2007, sur leur coût. Or le gaz a augmenté de 70% depuis le début de l’année.
La dérégulation voulue par la Commission européenne et accueillie à bras ouvert par Bercy, empêche EDF de remplir sa mission de service public. L’entreprise publique n’a plus le droit d’apporter à tous de l’électricité peu chère (d’après l’Observatoire National de la Précarité Énergétique 5,1 millions de ménages, soit 12 millions d’individus, étaient en situation de précarité énergétique déjà en 2019) ni de contribuer à une politique industrielle ambitieuse via des tarifs attractifs pour les entreprises. En effet, faire payer les clients au moindre coût, celui de nos barrages et de nos réacteurs nucléaires, amortis de longue date, constituerait une infraction au marché européen de l’électricité!
À présent, le pouvoir se montre incapable de tenir sa promesse de contenir à +4% la hausse du kilowattheure. Pour la tenir « quoiqu’il en coûte », Macron, Castex et Le Maire ont imaginé un remède qui s’avèrera pire que le mal. L’État dépensera d’abord 8 milliards d’euros en baisses de taxes, puis fera peser 8 milliards supplémentaires sur EDF, obligé d’acheter vingt mille gigawattheures (ou 20 Twh) au cours du jour (environ 320€/Mwh), pour les revendre ensuite, au tarif règlementé (46€/Mwh), à ses concurrents ! Pour l’opérateur public et le contribuable, ce sont donc 16 milliards d’euros que l’État devra débourser pour s’épargner une révolte préélectorale, et soulager les entreprises les plus exposées au fiasco du marché de l’énergie.
Les 8 milliards qu’aura coûté cette opération de rachat-vente sont non seulement un cadeau offert à des concurrents privés sans capacité de production du moindre électron, mais aussi une assurance-vie pour leur profitabilité, car celles-ci garderont la possibilité d’augmenter leurs tarifs ! Le Maire s’est contenté de répondre à ce risque qu’il est « identifié ». La Commission de Régulation de l’Eléctricité, dont la raison d’être est de briser le monopole et d’assurer à tout prix la survie de la concurrence, a pour sa part averti qu’elle « nommera clairement les fournisseurs qui ont respecté leur engagement et ceux qui ne l’ont pas fait (…), libre aux consommateurs concernés de changer de fournisseur s’ils s’aperçoivent que les règles du jeu n’ont pas été respectées ». Dans l’intervalle, les pertes auront été une nouvelle fois socialisées et les profits, privatisés.
Dans un récent article de l’Humanité, Philippe Page Le Mérour indiquait que depuis l’ouverture à la concurrence, les prix ont augmenté de 60% pour les particuliers. Entre 2007 et 2019, la facture d’électricité pour un Français moyen est en effet passée de 319€ à 501€. C’est un échec sur toute la ligne, qui met gravement en danger la santé d’EDF. Pourrait-elle faire faillite ? À cette question le ministre esquive : « l’État s’est engagé sur de nouveaux EPR (…). L’entreprise bénéficie aujourd’hui d’une conjoncture qui lui est favorable sur le marché de l’énergie ». Cette « conjoncture favorable » vient d’être alourdie d’un trait de plume de 8 milliards, qui s’ajoutent à un bilan déjà fragilisé par le sauvetage d’Areva, les surcoûts de Flamanville, les provisions pour l’enfouissement des déchets dits « ultimes » à Bure, le grand carénage (visant à allonger la durée de vie des centrales actuelles de 40 ans à 60 ans), les frais occasionnés par la découverte de micro-fissures dans les circuits primaires des cuves à uranium (qui ont provoqué l’arrêt inopiné de 4 réacteurs en ce mois de janvier) et le démantèlement des centrales fermées. Tout cela sans compter la possible résurrection, en cas de réélection de Macron, du projet Hercule, voulu par Bruxelles et qui couperait EDF en deux morceaux (toujours au nom de la concurrence) : d’un côté la production (les réacteurs nucléaires et les barrages), de l’autre un fourre-tout composé des lignes électriques et de la branche « renouvelables ». En d’autres termes, les coûts faramineux d’investissements nécessaires au premier morceau ne pourraient plus être financés par les profits, substantiels, du second (car c’est anti-concurrentiel).
La seule solution qui s’impose pour faire échec à la catastrophe annoncée : renationaliser entièrement EDF (pour un prix assez modique, 5 milliards aux cours actuels du CAC40) et mettre fin à une concurrence artificiellement entretenue, qui ruine l’opérateur historique et les consommateurs. Cela implique une opposition frontale à la Commission européenne. Il faut faire table rase et permettre aux Français de s’approvisionner durablement en électricité bon marché.