En ce mois de novembre 2024 se déroule le « procès de la rue d’Aubagne » à Marseille, suite à l’effondrement des immeubles du 63 au 67 rue d’Aubagne, le 5 novembre 2018. Six ans après cette tragédie, l’émotion est toujours aussi forte, aux côtés des familles des huit victimes. La couverture médiatique reste énorme. Cette année, nous avons été particulièrement interrogés sur ce qui a changé depuis ce drame.
En tant que nouvelle élue depuis 2020, c’est une responsabilité que je prends avec attention mais qui ne change pas mon engagement. Je précise d’où je parle : En 2018, je faisais partie des manifestants. Depuis 2020, après la victoire du Printemps marseillais, je suis devenue Maire du 1er secteur de Marseille, où se situe le quartier de Noailles et de la rue d’Aubagne. Ce quartier est dégradé depuis de nombreuses années, comme celui de Belsunce de l’autre côté de la Canebière, et classé en « quartier politique de la ville ».
Membre de la majorité municipale, je soutiens la nouvelle politique de lutte contre l’habitat indigne mise en place après notre élection en 2020, sous la responsabilité de Patrick Amico, Adjoint au Maire délégué au Logement, et du Maire de Marseille Benoît Payan. Je représente aussi la Ville au Conseil d’Administration de la SPLA-IN (Société Publique Locale d’Aménagement d’Intérêt National), créée après le drame pour éradiquer l’habitat indigne et réhabiliter des immeubles dégradés dans plusieurs îlots prioritaires du centre-ville, notamment le haut de la rue d’Aubagne à Noailles.
La SPLA-IN n’est véritablement activée que depuis 2021. Créée fin 2019, il a fallu attendre les élections municipales de 2020 et la sortie de crise sanitaire pour recruter un Directeur général et toute une équipe de compétences spécialisées, mener à bien les procédures d’acquisition ou d’expropriation de dizaines d’immeubles, signer les soutiens financiers de la Métropole et de l’ANRU, passer les premiers appels d’offres permettant d’être opérationnels aujourd’hui, en trois ans, donc.
Lorsque nous sommes interrogés sur ce qui a changé, nous expliquons l’ampleur des moyens qui ont été nécessaires, et qui seront longtemps nécessaires, pour répondre aux besoins. C’est cela, la différence entre l’avant et l’après rue d’Aubagne : la prise de conscience et la reconnaissance d’un enjeu politique qui n’était pas traité à hauteur de la situation, voire nié. Ce drame et l’ampleur des mobilisations citoyennes ont modifié en profondeur la politique publique de lutte contre l’habitat indigne à Marseille.
Ce que la Ville a mis en place est un ensemble de protocoles de soins pour vaincre une maladie coriace. Nous sommes les premiers à reconnaître que tout n’est pas fini et qu’il y a encore du mal-logement… Sinon, nous ne serions pas obligés de mettre tous ces moyens ! De plus, la crise du logement s’amplifie partout en France et Marseille n’y fait pas exception.
La Ville de Marseille agit au titre de sa compétence « police de l’habitat », qui consiste à réagir aux alertes sur la mise en sécurité des immeubles. Ces mesures doivent s’articuler avec les moyens de la Métropole qui a la compétence générale du Logement, et ceux de l’État sans lequel on ne peut pas traiter les énormes sujets de réhabilitation urbaine ou des grandes copropriétés dégradées. Voilà pourquoi la SPLA-IN (Société Publique Locale d’Aménagement d’Intérêt National) est une société publique à majorité métropolitaine (Le Président est David Ytier, Vice-Président Logement à la Métropole), avec une forte participation de l’État au titre de l’Intérêt national, et une représentation de la Ville. Voilà pourquoi aussi le permis de louer, l’encadrement des loyers (dont on attend toujours les décrets !), les plans d’urbanisme et d’habitat, les procédures d’utilité publique… sont des mesures qui nécessitent d’être appliquées par la Métropole, en concertation avec la Ville. A ce stade, une chaîne d’élus et de techniciens arrive à travailler ensemble sur ce sujet d’intérêt général et j’espère qu’il en sera ainsi le plus longtemps possible.
Chaque année, les Rendez-vous annuels du Logement organisés par la Ville de Marseille, sont l’occasion de faire un point de situation avec des centaines de participants, en réunions plénières et en ateliers, en toute transparence. Tout est publié sur le site de la Ville : Rendez-vous annuels du Logement à Marseille, 17 octobre 2024
C’était un engagement de campagne électorale, comme de nombreuses mesures dont nous avions écrit le principe : lutter contre les marchands de sommeil, faire des travaux d’office, financer des mesures sociales d’accompagnement et de relogement, contrôler les locations touristiques, inciter à produire plus de logements sociaux…
Ces mesures sont faciles à écrire mais quand il faut les quantifier « en vrai » pour les appliquer, c’est impressionnant ! Jamais je n’aurais pensé que la Ville aurait dû déposer 160 saisines de justice contre les marchands de sommeil, multiplié par dix les moyens humains d’une vraie Direction de Lutte contre l’habitat indigne, dégager plusieurs Millions d’euros par an pour les relogements et travaux d’office, dont la facture est le plus possible envoyée aux propriétaires tenus responsables. Rappelons en effet qu’il n’est pas normal qu’une Ville soit obligée de se substituer à des propriétaires défaillants. C’est tout un système de déni de travaux, de syndics et de copropriétés qui dysfonctionnent, de dossiers d’aides financières jugés trop complexes, qui est en cause.
Alors y a-t-il toujours des immeubles dégradés à Marseille ? Malheureusement Oui ! Mais nous espérons qu’ils sont mieux contrôlés, et que les habitants sont mieux protégés. Pour la première fois ces derniers mois, il y a eu moins de nouvelles procédures de mise en sécurité, que de sorties de péril. Pas de quoi triompher évidemment. Juste de quoi encourager l’action publique et persévérer. Il faudra encore bien des années et bien du soutien, pour arriver au bout des dizaines de milliers de logements indignes que compte notre ville.
En centre-ville, le symbole de ce changement sera le lancement des travaux sur la « dent creuse » et les immeubles de l’ancien périmètre de sécurité du haut de la rue d’Aubagne, pour y installer un équipement public de proximité et des logements sociaux. Si tout se passe comme prévu, c’est pour l’année prochaine. Ce ne sera pas la fin d’une politique, mais une étape franchie. Après le temps de la justice, dont j’espère qu’elle sera le mieux rendue possible, viendra celui de la reconstruction… mais pas celui de l’oubli.
Sophie Camard