Les vraies motivations de la réforme sont écrite noir sur blanc dans le budget 2023 et le programme de stabilité 2022-2027 : « Les administrations de sécurité sociale participeront à la maîtrise de l’évolution des dépenses, permise notamment par la réforme des retraites (…) Cette maîtrise de la dépense permettra (…) la suppression de la CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises) », c’est-à-dire la suppression des soi-disant « impôts de production » payés par les entreprises en particulier les plus grandes.
Des propos qui ont également été tenus par le ministre de l’Économie Bruno Le Maire au micro de France Inter : « nous baisserons les impôts de production (…) pour ça, il faut être capable de l’autre côté (…) d’engager des réformes structurelles (…) c’est l’objectif de la réforme des retraites » – avant que le gouvernement change de communication pour tenter un peu tard de masquer le pot aux roses.
Nous avions nous-mêmes mis en lumière en octobre 2021 le fait que l’obsession macronienne pour aggraver la réforme de l’assurance chômage et réformer les retraites répondaient aux « recommandations » de la commission européenne et son exigence de voir menées des « réformes structurelles » pour réduire les dépenses publiques.
L’objectif n’est donc nullement d’améliorer les conditions des retraités ou de « sauver le système de retraites », mais de financer les baisses d’impôts qui favorisent les actionnaires.
Cette logique préside aux politiques néolibérales depuis près de 30 ans dans notre pays : faire basculer massivement le rapport de force de la rémunération du travail vers celle du capital : la réforme des retraites 8 milliards par an de plus dans cette logique.
En avons-nous eu un gain pour notre économie ou pour l’emploi dans notre pays ? La situation de notre commerce extérieur et de notre industrie démontre cruellement le contraire.
Lorsqu’une société rachète ses actions, les titres rachetés sont généralement détruits. Le capital et le nombre d’actions s’en trouvent réduits. Cela améliore mécaniquement certains ratios comme le Bénéficie par Action ou le rendement ou encore la trésorerie par action. Les actionnaires sont ainsi mécaniquement favorisés par une stratégie de rachat d’actions.
Mais ces rachats d’action sont de pures opérations financières qui n’apportent rien au développement des entreprises ; pire, elles traduisent aussi pour l’actionnaire un manque de perspectives ou une absence de stratégie de la part de ces entreprises, ce qui préludent à des déboires, dont font les frais en bout de chaîne les salariés.
Qui sont les entreprises bénéficiaires du transfert massif de rémunération du travail vers le capital méritent ? Ce sont de loin les grandes entreprises (plus de 5.000 salariés ou plus de 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires) qui y gagnent le plus : plus de 6 millions d’euros en moyenne pour chacune d’elle, 450 fois plus que le gain moyen de toutes les entreprises, pendant que les boulangers doivent se battre pour payer leur facture d’énergie ! Gagnantes parmi les gagnantes, dans l’ordre : les grandes entreprisses de production et de distribution d’électricité, l’information et la communication, la finance et les assurances.
En 2022, les entreprises du CAC40 ont versé 80,1 milliards d’euros à leurs actionnaires, dont 23,7 milliards d’euros sous forme de rachats d’actions ! C’est 30 fois plus que les sommes que lesdits actionnaires ont apportées aux mêmes entreprises. C’est le niveau le plus haut jamais enregistré depuis 20 ans. Les trois premiers groupes redistribuant des capitaux propres à leurs actionnaires ont représenté 31% du volume : TotalEnergies (13,3 Mds d’euros de rachats d’actions ou de dividendes), LVMH (7,1 Mds) et Sanofi (4,7 Mds).
Le gouvernement prétend que le financement de notre régime général des retraites n’est plus suffisamment assuré ? Il est vrai qu’en taillant dans les cotisation depuis 30 ans, on pouvait s’attendre à quelques difficultés. Soumettre les rachats d’action à l’assiette de cotisation de la sécurité sociale résout ces différents problèmes : retrouver des recettes par l’élargissement des revenus qui cotisent ; renverser la logique privilégiant le capital sur le travail ; désinciter progressivement les entreprises au rachat d’actions en les soumettant à cotisation pour qu’elles préfèrent à terme l’investissement.
Au total, c’est plus de 260 milliards d’euros de dividendes qui sont versés en France chaque année, sans compter le gaspillage des rachats d’action pour gonfler les cours de bourse. Mettre à contribution les dividendes au même taux que les salaires rapporterait jusqu’à 48 milliards d’euros par an pour les retraites. De quoi rendre immédiatement et durablement excédentaire le système, et ainsi permettre de financer de meilleures conditions de retraites. Si ces revenus du capital cotisaient au même niveau que ceux du travail, il y aurait donc de quoi financer largement la retraite à 60 ans avec 40 annuités ou même 37,5 annuités !
Aussi exiger que les rachats d’action soient eux aussi soumis à l’assiette des cotisations de la sécurité sociale, c’est tout simplement de la justice et du bon sens !
Frédéric Faravel