Depuis quelques jours, des ministres, des sous ministres, la macroniste en chef au parlement européen, la porte-parole en France de la Commission européen et des essayistes macronisés ont décidé de monter au créneau pour dénoncer la liaison faite, faussement selon eux, entre la réforme des retraites et le plan de relance européen. Le lien entre les exigences de la Commission européenne et la réforme des retraites, ou encore celle de l’assurance chômage qui a été imposée après plusieurs reports (et malgré la censure partielle du Conseil d’État) ce 1er octobre, a été depuis longtemps étayé par de nombreux responsables politiques de la gauche française, mais cela n’avait pas donné lieu jusqu’ici à une charge aussi forte et coordonnée de la Macronie
Le débat a resurgi quand Arnaud Montebourg, ancien ministre du redressement productif puis de l’économie de François Hollande, et candidat à l’élection présidentielle, a dénoncé ce lien. Il faut croire que la proximité de l’élection présidentielle et les états de service du candidat ont contraint le camp Macron, allié à la Commission, à réagir avec violence et panique… panique, car les arguments de l’exécutif et de ses soutiens sont faibles.
En effet, tout le monde sait que la réforme des retraites engagées en 2019 par Emmanuel Macron répond, au moins en partie (ne négligeons pas non plus la cécité idéologique de l’impétrant), aux recommandations de la Commission européenne adressée à la France la même année dans le cadre du « semestre européen »1, c’est la recommandation CSR 2019.1.4. Une telle recommandation n’a pas été spécifiquement répétée en 2020 alors que la planète était en pleine crise pandémique, mais la Commission européenne n’a jamais abandonnée son exigence.
Dès l’adoption en février 2021 des règles visant à répartir les fonds du plan de relance européen, intitulé en globish recovery and resilience facility2 (RRF), ce texte fait référence près de 20 fois aux recommandations annuelles adressées à la France. La recommandation la plus importante mise en avant est celle numérotée 1.4 en 2019, que nous avons citée au paragraphe précédent.
Chaque État membre a dû ensuite présenter son propre Plan National de Résilience et de Relance (PNRR) pour démontrer que leurs initiatives et projets répondent bien au RRF de la Commission. Ainsi, dans le PNRR français présenté le 27 avril 2021 (un document de plus de 800 pages), la réforme des retraites est citée une bonne dizaine de fois.
La réforme de l’assurance chômage est citée elle une bonne quarantaine de fois ; le gouvernement s’excuse d’ailleurs de n’avoir pu la mettre en œuvre plus tôt et plus vite à cause de la crise sanitaire…
Cette insistance à propos de l’assurance chômage démontre que le gouvernement français joue autant que possible au « bon élève » de l’Union européenne, en cohérence avec tout ce qu’Emmanuel Macron a défendu pendant sa campagne électorale : la France sera forte si elle est exemplaire, c’est-à-dire si elle se plie avec enthousiasme à toutes les règles ordo-libérales et néolibérales actuelles de l’Union européenne que nous jugeons absurdes et qui nous affaiblissent. Le gouvernement français n’a pas (encore ?) les moyens politiques de mettre en œuvre la réforme des retraites ? Qu’à cela ne tienne ! ils réaffirment avec force leur attention d’aller au bout sur les retraites et montrent leur bonne volonté européenne en mettant en avant qu’ils cognent comme des sourds sur l’assurance chômage. Cette bonne volonté sur l’assurance chômage est là pour rassurer la commission : ce « bon élève » ira au bout sur les retraites.
Voici donc l’analyse du PNRR français par la commission, publiée fin juin 2021: https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/HTML/?uri=CELEX:52021SC0173&from=EN
Il est écrit noir sur blanc : « Le système de retraite reste complexe. Plus de 40 régimes de retraite différents coexistent en France. Ces régimes s’appliquent à différents groupes de travailleurs et de fonctions selon différents ensembles de règles. Le Gouvernement s’est engagé dans une réforme visant à unifier progressivement les règles de ces régimes, en vue de simplifier le fonctionnement du système de retraite notamment pour en améliorer la transparence, l’équité et l’efficacité. La réforme a été suspendue par la crise du COVID-19. […] Le plan français de relance et de résilience est globalement conforme aux enjeux et priorités identifiés dans le dernier projet de recommandation du Conseil sur la politique économique de la zone euro 26 (AER). Le plan contribue à l’EAR 1, en assurant une orientation politique qui soutient la reprise, car il met en œuvre des mesures contribuant à la résilience du système de santé et de sécurité sociale, notamment par le renforcement des secteurs sanitaire et socio-médical (volet 9 R&D, santé, territoires), ainsi que des mesures sociales de soutien à l’emploi (volet 8 Emploi, Jeunesse, Handicap, Formation professionnelle). Les actions axées sur la qualification de la main-d’œuvre (composante 8) contribuent à atténuer l’impact social et du travail de la crise. La qualité de la gestion des finances publiques du pays devrait, entre autres, être renforcée par la numérisation de l’administration publique et les réformes structurelles fiscales (Volet 7 Numérisation de l’État, des territoires, des entreprises et appui au secteur culturel). »
Cependant la Commission semble dire que le gouvernement français ne lui donne pas assez d’assurance sur les retraites – ce qui explique sans doute que le gouvernement français ait démontré une brutalité particulière dans sa façon d’imposer au forceps la réforme de l’assurance chômage (« si si, je vous assure, la France est un « bon élève ») :
« Le système de retraite français (CSR 2019.1.4) est coûteux mais les dépenses ne devraient pas augmenter à long terme en pourcentage du PIB. La réforme envisagée (centrée sur l’unification de plus de 42 régimes) est abordée dans la partie I (principaux objectifs et cohérence) du plan de relance et de résilience, où les autorités françaises expliquent qu’elles envisagent de reprendre les discussions parlementaires suspendues sur la réforme des retraites dans le but de créer un système universel plus équitable. La réforme du système de retraite n’est pas inscrite dans une mesure du plan français et n’est donc pas associée à un livrable (jalon ou cible) au titre de la Facilité pour la Récupération et la Résilience. Compte tenu de son importance capitale pour la mobilité et la productivité de la main-d’œuvre, la réforme des retraites prévue sera étroitement surveillée, y compris ses implications en termes d’équité et de durabilité. »
À la fin, la commission donne un satisfecit à Macron : « Dans l’ensemble, le plan constitue un ensemble complet de réformes et d’investissements visant à relever les défis identifiés dans les recommandations par pays, avec quelques lacunes qui sont partiellement comblées par des mesures extérieures à la Facilité. Le plan répond bien aux recommandations et aux enjeux dans les domaines de l’environnement des affaires, de l’emploi, de la santé, des transitions vertes et numériques. Le plan comprend un engagement à renforcer la viabilité des finances publiques lorsque les conditions économiques le permettent et des réformes pour soutenir cet objectif. Cependant, l’engagement de reprendre les discussions sur la réforme du système de retraite ne s’accompagne pas de jalons et d’objectifs pour la mise en œuvre de la réforme. En outre, des mesures supplémentaires peuvent être nécessaires pour relever les défis du marché du travail auxquels sont confrontés les groupes vulnérables autres que les jeunes (CSR 2019.2). […] Compte tenu des réformes et des investissements envisagés par la France, son plan de redressement et de résilience devrait contribuer à relever efficacement l’ensemble ou un sous-ensemble important des défis identifiés dans les recommandations par pays, ou des défis dans d’autres documents pertinents officiellement adoptés par la Commission dans le cadre le semestre européen, et le plan de relance et de résilience représente une réponse adéquate à la situation économique et sociale de la France. »
Au bout de ce processus politico-technocratique, dont l’Union Européenne a le secret, il ne reste plus qu’à faire un dernier tour de bonneteau (ou de Beaune-teau?) : dans son communiqué du mois de juillet 2021, saluant l’accord de la Commission pour le PNRR français, Bruno Le Maire se garde de bien de citer la réforme des retraites puisque formellement elle ne fait pas partie des projets immédiats, le gouvernement ayant expliqué à la commission qu’il n’en avait pas encore les moyens, ce dont la commission se plaint…
En conclusion :
1️⃣ Les recommandations de 2019 de la commission qui exigent une réforme des retraites ne sont pas renouvelées d’une année sur l’autre (surtout pas en 2020 avec la crise sanitaire), mais elles restent actives et considérées comme pertinentes et appropriées par la commission Van der Leyen deux ans plus tard puisque citées 20 fois dans le RRF ;
2️⃣ Macron et ses gouvernements appliquent une stratégie cohérente depuis le départ : « La France sera grande si elle est ordolibéralement exemplaire », c’est-à-dire selon nous si elle abandonne toute prétention à exercer sa souveraineté sur des dossiers comme la reconquête industrielle ou le modèle social ;
3️⃣ La commission attend bien de la France encore aujourd’hui une réforme des retraites et regrette que le gouvernement ne puisse pas aller plus vite et surveillera donc ses efforts en ce sens.
1 Le « semestre européen » est la procédure qui conduit chaque les États membres et la Commission européenne a échangé sur les exigences de cette dernière quant à la politique budgétaire des premiers.
2 En français, on parle de « plan(s) de relance », en anglais on parle de « plan » mais aussi de facility… il faut se garder des « faux amis » d’une langue à l’autre… mais cela montre quand un état d’esprit est différent et cela décrit qu’une bonne part du plan de relance européen ne sont pas des crédits sonnant et trébuchant mais des « facilités d’emprunt »…