La loi Touraine de 2014 avait programmé le passage progressif à 43 annuités de cotisations (mesure détestable s’il en est), mais – à titre de compensation d’une certaine manière – elle créait également le Compte personnel de prévention de la pénibilité, assis sur dix facteurs de risques professionnels :
- la manutention manuelle de charges ;
- les postures pénibles ou positions forcées des articulations ;
- les vibrations mécaniques ;
- les activités exercées en milieu hyperbare (hautes pressions) ;
- les agents chimiques dangereux, y compris poussières et fumées ;
- les températures extrêmes ;
- le bruit ;
- le travail de nuit ;
- le travail en équipes successives alternantes ;
- le travail répétitif.
Tout cela était en réalité renvoyé à la négociation paritaire et, pendant deux années malgré l’unité syndicale, le MEDEF bloqua toute possibilité de mise en œuvre concrète : les travailleurs pouvaient créer dès le 1er janvier 2015 leur « compte pénibilité » mais ne pouvaient en réalité pas l’alimenter.
En pleine campagne des présidentielles de 2017, Emmanuel Macron se permettait une sortie déplacée – du même niveau que les « fainéants », les « illettrés », « ceux qui ne sont rien » – en disant devant les représentants de la CPME : « Je n’aime pas le terme de pénibilité donc je le supprimerai. Car il induit que le travail est une douleur ».
Ainsi en 2017, avec les ordonnances Macron-Pénicaud sur le code du travail, adieu le compte pénibilité, bonjour le Compte professionnel prévention (C2P) – le mot pénibilité n’allait plus écorcher la bouche du président : quatre critères sur dix étaient évacués : manutention manuelle de charges, postures pénibles, vibrations mécaniques, risques chimiques… ceux rejetés par le MEDEF, cela nous donne une petite idée des préférences du chef de l’État.
En 2019, rebelote : Le président « n’adore pas le mot de pénibilité, parce que ça donne le sentiment que le travail serait pénible ». « Il y a des conditions de travail qui ne sont pas les mêmes », reconnaissait cependant le président de la République. « Il y a des risques au travail qui ne sont pas les mêmes, quand on travaille de nuit, ce n’est pas pareil, quand on est exposé à des risques chimiques, quand on est exposé à des activités qui provoquent des troubles musculo-squelettiques, il est normal qu’on ait des ‘bonus’, qu’on prenne sa retraite plus tôt », assurait-il encore en détaillant le fonctionnement du nouveau système universel de retraite qu’il défendait à l’époque. Cependant, travailler avec des produits toxiques ou avoir le dos esquinté à la fin de sa carrière restaient pour Emmanuel Macron des tâches non pénibles.
L’échec du compte professionnel de prévention : la faute à Macron
Ouvriers, aides-soignants, cuisiniers… Ces métiers ont un point commun : leur pénibilité. Gestes répétitifs, postures douloureuses… Des centaines de milliers de Français sont confrontés à ces maux et qui devraient trouver une réponse avec le compté pénibilité.
Pourtant, les résultats du dispositif mis en œuvre se font attendre, notamment depuis le rabotage de 2017. Depuis 2015, seulement 12 000 salariés l’ont utilisé, dont près de 10 000 pour bénéficier d’un départ anticipé à la retraite. Cela représente à peine 1% des deux millions de comptes ouverts par les entreprises. Un échec dont Emmanuel Macron est responsable. Tout simplement parce que la disparition des quatre critères jugés inquantifiables par le patronat de 2015 à 2017 a freiné le développement du C2P qui a remplacé le compte pénibilité.
« Il n’y a aucun rapport entre le nombre de comptes qui ont été créés entre 2015 et 2017 et les alimentations qui sont faites aujourd’hui sur les six critères qui restent dans le C2P » : ce n’est pas Philippe Martinez ou Laurent Berger que nous venons de citer mais le vice-président de la CPME, Eric Chevée qui s’exprimait ainsi sur Europe 1 en janvier dernier.
La pénibilité ça existe, n’en déplaise au président de la république qui prétend ne pas aimer ce mot… oui un travail pénible ça existe aussi dans des dizaines de métiers… et les 4 facteurs évincés en 2017 représentent bien une pénibilité tangible pour les travailleurs. Et cette pénibilité est marquée socialement.
N’en déplaise au président de la République, une étude de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) de 2016 montrait bel et bien que 69,7% des ouvriers étaient quotidiennement exposés à au moins un facteur de pénibilité. C’était également le cas pour 35,7% des employés, 24,4% des professions intermédiaires, et seulement 12,2% des cadres. La même enquête montrait que 26% des ouvriers subissaient au moins trois facteurs de pénibilité, contre 0,5% des cadres.
L’Insee relevait quant à lui, également en 2016, un écart moyen d’espérance de vie à 35 ans de 6,4 années entre un homme ouvrier et un homme cadre. Quant aux femmes, l’écart moyen d’espérance de vie entre une ouvrière et une cadre était de 3,2 années.
Finalement, c’est pénible…
En janvier dernier, à l’occasion de la présentation de la réforme des retraites, la Première ministre a mis l’accent sur l’amélioration de la prise en charge des métiers difficiles, en améliorant le C2P. Manière de reconnaître sans le dire, non seulement l’échec de ce dernier, mais surtout la grave erreur d’analyse qui avait conduit à ce choix politique lourd de conséquences…
Mais de là à revenir sur les quatre critères évincés, il y a cependant un gouffre ! Avec leur réforme des retraites, Emmanuel Macron et Élisabeth Borne veulent insérer trois « risques ergonomiques » – port de charges lourdes, postures pénibles, vibrations mécaniques, trois des quatre risques rejetés en 2017 – au sein d’un nouveau Fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle, qui serait théoriquement doté d’un milliard d’euros. Les salariés concernés bénéficieraient d’un suivi médical renforcé et d’un accès facilité à la reconversion professionnelle. Le premier gouvernement Macron avait donc pour satisfaire le MEDEF retiré du compte pénibilité des facteurs d’exposition au risque finalement suffisamment pénible pour tenter aujourd’hui d’en prévenir les conséquences.
Mais « fonds de prévention », cela veut dire qu’on a le temps de prévenir ces risques : que fera-t-on pour les salariés en fin de carrière et qui ont été exposés toute leur vie professionnelle à ces facteurs de risques ? Faudra-t-il se contenter d’un « ah ben tant pis, dommage » et d’une petite tape sur l’épaule pour les encourager à profiter pleinement de quelques mois à la retraite avant que les ennuis ne commencent et ne se terminent fatalement ?!?
Le président de la République va à Rungis pour asséner à des gens qui ont une vie plus dure que lui « C’est le travail qui vous permet de construire votre avenir » : il faut redonner leur sens aux mots qu’il prononce, plutôt que d’en faire les slogans creux : qu’il reconnaisse la réalité des conditions de travail, donc la dignité des travailleurs ! Et là encore, comme sur tout le reste du projet de réforme des retraites, l’unité syndicale est totale de la CFDT à la CGT…
Il n’y a aucune justification à refuser la réintégration des quatre critères exclus en 2017 dans un véritable compte pénibilité.
Frédéric Faravel