tribune d’Emmanuel Maurel publiée dans Les Echos le lundi 10 avril 2023
Les États-Unis et l’Union européenne ont créé en 2021 le « Trade and Technology Council », le Conseil du Commerce et des Technologies, un « forum » qui s’apparente en fait à un organe institutionnel, souligne Emmanuel Maurel (député européen et animateur national de la GRS), où discussions et négociations se font souvent à sens unique.
Les États-Unis et l’Union européenne ont créé en 2021 le « Trade and Technology Council », le Conseil du Commerce et des Technologies, un « forum » qui s’apparente en fait à un organe institutionnel, souligne Emmanuel Maurel, où se discutent et se négocient beaucoup de choses, souvent à sens unique.
C’est un secret de polichinelle : les proclamations sur « l’autonomie stratégique européenne » ne pèsent guère face à l’injonction, dominante au sein des institutions européennes, de privilégier l’alliance entre Washington et Bruxelles. L’OTAN en est la courroie de transmission par excellence mais la « coopération » transatlantique s’élargit à tous les sujets.
À cette fin, les États-Unis et l’UE ont créé le« Trade and Technology Council » (Conseil du Commerce et des Technologies – TTC) en juin 2021 à Bruxelles, en présence de Charles Michel et d’Ursula von der Leyen. Présenté comme un simple « forum », le TTC traite pourtant de questions décisives. Son ambition : « coordonner les approches européenne et américaine sur les enjeux clé du commerce, de l’économie et de la technologie ».
Le TTC n’est donc pas un « forum ». C’est un organe institutionnel où se discutent et se négocient beaucoup de choses, via dix « groupes de travail » : standards technologiques, « clean techs », chaînes d’approvisionnement, TIC, gouvernance des données, usages technologiques impactant les droits et la sécurité, contrôle des exportations, filtrage des investissements étrangers, accès des PME aux technologies et « défis du commerce mondial ».
Un « forum » à sens unique ?
À la lecture de ces intitulés, une première question se pose : celle de l’autonomie législative européenne. Par un pur hasard du calendrier, le TTC a été créé au moment même où étaient examinés les règlements sur le marché (DMA) et les services numériques (DSA), fortement contestés par les GAFAM. Si les groupes de travail « gouvernance des données » et/ou « TIC » aboutissent à une « approche commune », que deviendront ces textes ? Celle-ci remplacera ceux-là !
Mais nos chers alliés ne veulent pas seulement nous imposer leurs vues sur la régulation des géants du numérique. Ils ont aussi décidé de capturer le maximum de « clean techs » (batteries, véhicules électriques…) en budgétant 370 milliards de dollars de subventions exclusivement réservées aux productions « made in USA ».
Curieusement, le TTC ne s’était saisi du sujet qu’après le vote du Congrès US – tout en élaborant, comme si de rien n’était, une coopération réglementaire sur les normes de rechargement des batteries (sur lesquelles l’UE a aussi légiféré, fin 2022). On a du mal à se départir de l’impression que ce « forum » fonctionne à sens unique. Sa devise implicite ? « Donne-moi ta montre européenne et je te donnerai l’heure américaine ».
Résurrection du TAFTA
Même à supposer que les échanges au sein du TTC soient plus équilibrés qu’ils n’en ont l’air, toute position commune qui sortirait des groupes de travail deviendrait un… accord commercial ! Devant les parlementaires, le Commissaire au Commerce international, M. Dombrovskis, n’a pas dit autre chose : « le TTC est un cadre de coopération qui permet d’agir sur des mesures juridiques ».
La Commission a beau le nier, elle ressuscite le projet d’accord de libre-échange UE-USA – le fameux « TAFTA » que le Conseil de l’UE avait officiellement enterré le 9 avril 2019. On pourrait répondre que la Commission négocie des accords de libre-échange avec le Mercosur, le Mexique, l’Inde, l’Australie etc., alors pourquoi pas les États-Unis ? Parce qu’elle n’en a pas le mandat ! Aucun acte communautaire ne l’y autorise.
Aucun fondement juridique
L’article 207 du Traité est clair : après avoir énuméré les matières relevant des accords commerciaux (auxquelles tous les groupes de travail du TTC appartiennent), il oblige la Commission à formuler une recommandation, puis les Etats Membres à émettre un mandat de négociation. Or rien de tout cela n’a été fait. La Commission a violé des Traités dont elle est censée être la gardienne !
À mes yeux, le « Trade and Technology Council » n’a aucun fondement juridique. Il est donc nul et non avenu. Si les dirigeants européens souhaitent ressusciter le TAFTA, qu’ils l’assument devant les peuples et leurs représentants !
Emmanuel Maurel