Les élections générales australiennes de 2022 ont eu lieu le 21 mai, et ont ramené les travaillistes au pouvoir après presque une décennie de domination libérale.
Le système électoral australien repose sur le vote préférentiel. Dans chacune des 151 circonscriptions, les électeurs classent les candidats. Au moment du dépouillement, un candidat reçoit les voix de tous les bulletins qui l’ont classé en premier. Si aucun candidat n’atteint 50% des voix, celui arrivé en dernier est éliminé, et ses voix sont réallouées aux candidats en fonction des seconds choix de ses électeurs. Les candidats sont éliminés un à un jusqu’à ce que l’un d’eux dépasse la majorité absolue.
Si ce système semble à première vue favoriser les candidats modérés, le système politique australien ne dispose pas de parti centriste puissant, et la plupart des sièges sont remportés par l’un ou l’autre des deux grands partis qui structurent la vie politique australienne.
Un paysage politique spécifique
Il y a d’abord, à droite, une alliance de quatre partis, la Coalition, dont les différences sont plus géographiques qu’idéologiques. Le Parti Libéral National ne se présente qu’au Queensland (nord-est), le Country Liberal Party que dans le bastion travailliste des Territoires du Nord, le Parti National est puissant dans les zones rurales du sud-est. Dans le reste du pays, c’est le Parti Libéral qui représente la droite. Les cas de concurrence entre partis de la coalition sont rares, même si le système de vote préférentiel permettrait la division sans accroître les risques de défaite.
À gauche, le Parti Travailliste est en apparence plus uni, mais il est scindé en interne entre deux factions qui agissent de manière presque autonome. Left Labour et Right Labour se livrent périodiquement des guerres fratricides, afin d’obtenir les investitures dans les sièges-clefs et la direction du parti. Les syndicats australiens sont proches de l’un ou de l’autre, et l’adhésion à une faction repose sur des cotisations distinctes de celles d’adhésion au Parti Travailliste. Cependant, cet attelage tient la route malgré tout, et une fois les primaires internes achevées, les dissidences de la faction perdante sont rares. Le Left Labour dispose généralement de la majorité des militants, tandis qu’une majorité des parlementaires provient plutôt du Right Labour. Géographiquement, l’aile droite domine le sud-est, plus peuplé, tandis que l’aile gauche domine très largement le reste du pays.
Au-delà de ces deux grands partis et de leurs divisions respectives, les verts se sont imposés depuis plusieurs années comme la troisième force politique. L’extrême-droite est divisée entre le parti One Nation, dont le discours se concentre sur le rejet de l’immigration, et United Australia Party, libertarien et opposé aux mesures sanitaires de confinement.
Enfin, la Coalition a connu le départ de cadres féminines du parti, le jugeant trop peu actif sur les questions environnementales et féministes, qui ont décidé de se présenter sous un label commun appelé Teal Independants, « Indépendantes bleue verte » (littéralement « indépendantes bleues sarcelles ») – donc indépendantes, écologistes mais de droite.
Les jeux de pouvoir du Parlement australien ont de quoi faire pâlir House of Cards et Baron Noir. Le Premier Ministre sortant, Scott Morrison, avait renversé son prédécesseur Malcolm Turnbull dans un vote interne des parlementaires de la Coalition alors que celui-ci était Premier Ministre. Turnbull ayant lui-même renversé de manière similaire son prédécesseur Tony Abbott, lequel avait battu aux élections de 2013 le sortant travailliste Kevin Rudd, figure de l’aile droite du parti qui avait renversé à 4 mois des élections la Première Ministre Julia Gillard, plutôt issue de l’aile gauche du parti, aussi dans un vote interne des parlementaires.
Le retour de l’aile gauche travailliste aux manettes
C’est là le danger pour la frange gauche du parti travailliste. Les parlementaires ont le pouvoir de renverser un premier ministre issu de leur propre camp et usent abondamment de cette méthode. Le leader de l’opposition peut aussi se faire censurer par son groupe parlementaire, et la frange droite étant majoritaire, se hisser et se maintenir au pouvoir relève d’un jeu d’équilibriste compliqué pour Left Labour. Pourtant, c’est bel et bien dirigeant historique du Left Labour qui a conduit le Parti Travailliste lors des élections de samedi dernier.
L’accession à la tête du parti d’Anthony Albanese ne fut pas aisée. En 2013, le Right Labour avait renversé Mme Gillard à quatre mois des élections, lesquelles avaient été finalement perdues. Décrédibilisée auprès des militants, son leader M. Rudd ayant démissionné, l’aile droite avait pourtant réussi à conserver la direction du parti. La primaire opposait M. Albanese, pour le Left Labour, et M. Shorten, pour le Right Labour. Albanese gagna le vote des militants par 60% des voix, Shorten celui des parlementaires par 68% des députés, ce qui fut suffisant pour renverser le vote des militants. À la tête du Parti travailliste, M. Shorten connut deux défaites consécutives en 2016 et 2019, alors que les sondages donnaient les travaillistes gagnants. Ayant perdu toute crédibilité auprès des militants, Shorten dut démissionner, et M. Albanese fit un grand retour, et fut élu sans opposition à la tête du Parti Travailliste.
Pendant trois ans, il s’est attelé à construire les conditions d’accession au pouvoir par la gauche. Alors que la crise climatique se fait durement ressentir en Australie, M. Albanese a musclé le programme environnementaliste du parti, prenant le contre-pied d’une Coalition volontiers climato-sceptique. Avec un programme nettement plus interventionniste que celui de Shorten, M. Albanese a réussi, comme Jeremy Corbyn l’avait fait en Grande-Bretagne, à revigorer l’attrait du Parti Travailliste dans le corps central de la société australienne, les ouvriers, les employés, les travailleurs précaires. Les adhésions ont afflué, ils n’avaient pas eu autant de militants, 60 000, depuis 1954. Enfin, prenant à bras le corps la question des inégalités persistantes frappant les populations indigènes, Albanese a promis d’inscrire dans la constitution australienne la création d’une commission permanente portant la voix des Peuples Premiers et de faire la lumière sur les exactions de la période coloniale, promesse réitérée lors de son discours de victoire.
Ainsi furent réunies les conditions d’accession au pouvoir du l’aile gauche du Parti Travailliste australien. Avec 33% des voix préférentielles, contre 36% pour la Coalition, les travaillistes accèdent au pouvoir grâce aux bons reports des voix préférentielles des verts, qui culminent à plus de 11,5% des suffrages et obtiennent 3 députés, deux de plus qu’auparavant. Une fois les reports de voix intégrés, les travaillistes obtiennent 52% des suffrages et 75 sièges sur 151, contre 48% des voix et 58 sièges pour la Coalition. Entre 4 et 5% des voix chacun, les deux partis d’extrême-droite échouent à rentrer au Parlement, aucun de leurs candidats ne parvenant à remporter le scrutin préférentiel. En revanche, avec 5,5% des suffrages mais avec des voix très concentrées dans les banlieues chiques, les centristes libéralo-écolo-féministes Teal Independants parviennent à gagner 10 circonscriptions. Enfin, deux figures locales, l’une de la droite populiste, l’autre centriste, parviennent à se faire élire en tant qu’indépendants.
Trois sièges sont encore indéterminés, avec des résultats serrés entre travaillistes et libéraux. La victoire dans un seul d’entre eux suffirait pour garantir à M. Albanese, qui est déjà entré en fonction, la majorité absolue. Dans le cas contraire, les verts ont déjà indiqué vouloir travailler avec les travaillistes.
Dans tous les cas, la victoire du Left Labour, sur une plateforme ancrée à gauche, est incontestable. L’adage « les élections se gagnent au centre » se vérifie, non pas parce que M. Albanese a concouru sur une ligne centriste politiquement, mais parce qu’il s’est adressé au centre de la société, les classes populaires, celles qui sont le plus touchées par les crises, sanitaires, économiques, environnementales. La relative radicalité de son programme, avec des promesses de lutte anti-corruption, de réconciliation nationale avec les peuples aborigènes, d’extension de la sécurité sociale à la garde d’enfants, d’électrification du parc automobile australien, de dépenses publiques dans les infrastructures et de lutte résolue contre le réchauffement climatique, associée au respect des règles institutionnelles et à un discours posé et sans excès, ont garanti une majorité électorale inédite pour les travaillistes. Tout reste à faire, mais cela augure de beaux jours. Sur une ligne similaire, les travaillistes néo-zélandais se maintiennent durablement au pouvoir avec Jacinda Ardern depuis 2017. Un revirement à gauche océanien qu’il faut saluer.
Le Left Labour, historiquement, est bien moins atlantiste, « pacifiquiste » devrions-nous dire, que la Coalition ou le Right Labour. Espérons enfin que cela permettra à M. Albanese de rebâtir la confiance entre France et Australie, que l’annulation unilatérale des contrats d’armement par M. Morrison au profit des États-Unis avait anéantie.
La Gauche Républicaine et Socialiste salue la victoire de M. Albanese, et lui souhaite de réussir à mener sont programme de transformation sociale, économique et environnementale et de réconciliation nationale, et nous espérons qu’il restaurera l’amitié entre nos deux pays.