Face à la récurrence des sécheresses qui frappe notre pays, le temps n’est plus aux vagues intentions ni aux actions au coup par coup ! Il faut une planification de la gestion de l’eau, qui englobe les modifications de pratiques et de consommation et conduit à une nouvelle organisation des interventions, pour un vrai service public de l’eau !
Le « plan d’eau » annoncé par le président Macron le 30 mars dernier à Savines-le-Lac, n’est ni suffisant, ni suffisamment structurant pour permettre à notre pays de s’adapter aux effets prévisibles du manque d’eau.
Il ne tire pas les leçons des erreurs et manquements que nous avons pu observer durant la sécheresse de l’an dernier. Pourtant un récent rapport du ministère de la transition écologique pointe ces insuffisances dans certains département, la situation est déjà critique.
Les chiffres de l’an dernier parlent d’eux même : 1 200 cours d’eau asséchés, 93 départements touchés par les restrictions d’eau, une production agricole en baisse de 10 à 30%, plus d’un millier de communes ravitaillées en eau par camions ou bouteilles. Or au 1er avril de cette année 75% des nappes phréatiques ont un niveau bas ou très bas et 47 départements de métropole sont d’ores et déjà placés en état de vigilance dont une quinzaine en alerte renforcée ou en crise sur l’arc méditerranéen et la vallée du Rhône…
L’impératif d’une gestion publique de l’eau et d’une planification écologique opérationnelle
Pour la GRS, l’eau est un bien commun. A ce titre, il doit être géré dans l’intérêt général avec le souci d’équilibrer l’exploitation de la ressource et la préservation du milieu.
Une politique publique avec une vision globale s’impose. Car ces enjeux recouvrent des intérêts variés, parfois contradictoires, et cela suppose des arbitrages démocratiques, éclairés, inscrits dans la durée. C’est ce qu’on appelle la planification. Nous en sommes très loin !
Les mesures annoncées par Emmanuel Macron non seulement ne cassent pas trois pattes à un canard mais se contentent de vagues intentions, parfois même en retrait par rapport aux engagements des assises de l’eau 2019 !
Ainsi y était prévue une réduction des prélèvements d’eau de 10% pour 2024 avec une seconde étape de -25% en 2034. Là, Emmanuel Macron se contente de -10% et pour 2030. C’est un très net recul.
Cet exemple témoigne d’une grave dérive dans l’organisation des politiques publiques ! C’est la méthode Macron On prend des engagements – plus ou moins réalistes –, on communique beaucoup mais on ne déploie ni les moyens, ni les actions qui permettraient de garantir que les promesses seront tenues… et encore moins dans les délais prévus ! Ceci est déjà grave en soi mais d’autant plus dangereux que cela renforce le sentiment d’impuissance collective qui délégitime l’État, l’action publique et entretient le doute démocratique.
Il faut radicalement changer de méthode et systématiquement voter non seulement des objectifs mais également les financements nécessaire pour se contraindre à ces objectifs. Il faut des lois pluriannuelles de programmation, adossées à la planification écologique.
La planification ce n’est pas des objectifs, des cadres imprécis, dans des tableaux de bord affichés pour habiller l’absence d’action concrète, mais la mobilisation effective des acteurs autour de plans d’actions permettant d’atteindre des objectifs communs avec un suivi régulier sur la tenue véritable de la feuille de route !
Aussi, les annonces d’Emmanuel Macron ne rompent pas avec ces discours répétés à l’envie qui ne régleront rien ou pas grand-chose.
L’impensé ou l’occultation des financements indispensables
Certes, on peut se réjouir qu’il fasse la liste du champ des interventions nécessaires pour la sobriété, comme la lutte contre les fuites d’eau. La GRS milite depuis longtemps en faveur de cette exigence car c’est 20% de l’eau potable ainsi gaspillée. Mais le Président envisage tout bonnement 180 millions d’euros supplémentaires par an, là où les experts estiment à 1,5 milliards d’euros l’investissement financier nécessaire ! L’écart est démesuré.
La gestion écologique de l’eau va exiger des sommes considérables et plus encore si l’on n’aborde pas seulement la question de la sobriété mais aussi celle de la restauration du bon état écologique de l’eau qu’elle soit terrestre ou souterraine ! De ce point de vue, la France est loin des objectifs de la directive cadre européenne sur l’eau ! Nous avons pris du retard et il faudra aussi investir dans les réseaux d’eaux usées ou pluviales, dans la généralisation de leur découplage et dans les stations d’épurations. Aucune simulation financière globale n’a été réalisée et on fait l’autruche imaginant que l’argent va tomber miraculeusement du Ciel !
Le non-dit du financement des 53 mesures d’Emmanuel Macron et de l’augmentation des factures d’eau !!
Le président de la République à Savines-le-Lac a annoncé 53 mesures et seulement 475 millions supplémentaires annuels pour les agences de bassin (budget de 2,5 milliards). En fait cette somme, n’est pas vraiment nouvelle, même si elle est bienvenue puisqu’elle vient pour une part de la réduction du prélèvement opéré par l’État sur les ressources des agences. Ces sommes ne suffiront pas et chacun voit bien que le financement va se traduire par une hausse du prix de l’eau !
La tarification progressive (dont la possibilité existe déjà) sera encouragée. Mais pourquoi ne pas la rendre obligatoire ? La GRS milite pour cette mesure écologique et sociale.
Évidemment Emmanuel Macron n’évoque pas la mise à contribution des multinationales de l’eau. Il ne serait pas illégitime de demander une contribution financière à ces multinationales de l’eau, de même qu’à la Compagnie nationale du Rhône, qui continuent à engranger les profits en exploitant nos communs.
Ne pas traiter sérieusement cette question du financement évite de faire des choix clairs sur la participation de chaque secteur (particuliers, agriculteurs, industriels) mais aussi sur le prix et sur les conditions de la gestion de l’eau.
Engager tous les secteurs dans la sobriété et transformer notre modèle agricole
Oui tous les secteurs doivent réduire leur prélèvement en eau et aussi bien les particuliers que l’industrie ou l’agriculture ; cela exigera des changements de pratiques et d’importants investissements.
Le cas de l’agriculture est évidemment crucial et délicat. Elle concerne 58% des prélèvements d’eau annuel en France et se concentre pendant les périodes de tension La transition vers de nouvelles pratiques doit certes être progressive mais, continue et menée avec détermination. Car il s’agit de garantir notre souveraineté alimentaire et poursuivre une politique raisonnée d’exportations. Nous avons observé une chute importante de la production agricole en particulier en 2022 avec la sécheresse, mais nous voyons aussi un recul du made in France dans de nombreux secteurs comme le maraîchage. Tout cela sans compter la hausse des importations de produits étrangers moins chers (pas toujours respectueux des normes environnementale et de bien-être animal).
Or, dans les annonces du plan « eau » d’Emmanuel Macron, n’est envisagée comme aides aux investissements nécessaires à cette transition écologique ! Seuls sont prévus 30 millions d’euros pour favoriser de nouvelles parcelles agricoles économes en eaux. Cela restera de l’expérimental, alors qu’il faut aller vite sans quoi nous risquons une chute massive de la production agricole, nous condamnant à importer de plus en plus de produits de l’étranger.
Faire comme si ces problèmes ne se posaient pas est irresponsable ! Ni les agriculteurs, ni les consommateurs,ne voient clairement notre stratégie nationale pour l’avenir de notre agriculture. Il serait dangereux que s’installe un dialogue de sourd sur ces enjeux. Le double discours du gouvernement, hélas y contribue.
D’un côté le président de la République indique que tous les secteurs devront réduire de 10% leur prélèvement d’eau d’ici 2030.Et de l’autre, au même moment, le ministre de l’Agriculture annonce devant la FNSEA que le prélèvement d’eau par l’agriculture sera maintenu. Donc pas de diminution.
Il faut le dire clairement et à tous, l’expliquer et le faire comprendre. et Montrer comment on atteindra quand même la réduction de 10% en 2030 et en tout cas une chose est certaine nous ne pourrons pas continuer avec la pression actuelle pour l’irrigation (au passage très concentrée sur les grosses cultures type Maïs) !
Associer tous les acteurs mobilisés et les citoyens dans une nouvelle gouvernance de la politique de l’eau
Cette gouvernance doit être totalement revue ! La complémentarité entre l’intervention de l’État et celles de collectivités locales s’impose ; l’unification des documents et des programmations est indispensable mais avec de vraies déclinaisons territoriales, tant la complémentarité et la cohérence des actions menées que l’adaptation à chaque bassin versant et aux activités locales sont la clef de la réussite.
On est actuellement dans une forme de jungle incompréhensible pour le plus grand nombre.
D’abord il faut que chaque territoire dispose obligatoirement d’un schéma d’aménagement et de gestion de l’eau (SAGE) avec pour chaque bassin versant une commission locale de l’eau chargée de la mise en œuvre de ce SAGE. De la même façon, des plans de gestion de l’eau doivent partout décliner, de manière plus opérationnelle encore, les actions à mener et les arbitrages opérés, expliquer pourquoi et le faire comprendre..
Car c’est bien cette articulation entre une planification nationale et des planifications locales généralisées qui peut garantir à la fois l’efficacité et une implication citoyenne indispensable. Elle doit aussi avoir lieu pour l’actualisation des plans de gestion et de protection des zones humides.
Faire prévaloir dès à présent cette méthode et cet état d’esprit dans la mise en œuvre des mesures contre la sécheresse pour ne pas reproduire les erreurs passées
Il faut prévoir et systématiser les réunions sous l’égide du préfet dans chaque département avant la fin de l’hiver pour évaluer et discuter de l’état des nappes phréatiques et engager une véritable stratégie de régénération des ressources sans sous-estimer les contrainte.
Il faut veiller à ce que les arrêtés de restriction soient réellement équitables, compris et acceptable par les citoyens – on a par exemple constaté que dans certains départements, les golfs pouvaient arroser tandis que d’autres activités plus utiles étaient restreintes !
La transparence doit être de rigueur.
Il faut assurer un suivi permanent de la situation hydrique et accélérer notamment dans les départements les plus à risques la mise en place de contrôles en temps réel (compteur télé-relevé) des gros consommateurs. Enfin, mais cela relève du législatif, il sera sans doute nécessaire d’augmenter les sanctions pour les contrevenants pour les rendre plus dissuasives.
Pour conclure, soulignons qu’il est étrange qu’Emmanuel Macron n’ait pas signalé l’impact de la sécheresse à venir sur le transport fluvial. L’été dernier, la sécheresse a contraint de réduire la charge des barges sur le Rhin faute de profondeur et a finalement reporté le trafic sur la route et les camions avec un effet écologique et de coût très négatif.
L’Union Européenne doit s’interroger sur le programme européen Naïade III (2023-2027) prévoit ne augmentation du transport fluvial de 25 % à l’horizon 2030 et de 50 % à l’horizon 2050. Il convient de garantir la cohérence entre les différents enjeux écologiques !
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La Gauche Républicaine et Socialiste appelle donc à remettre le travail sur le métier et vite ! Nous ne pouvons plus nous contenter d’annonces spectaculaires, ou faibles mais maquillées par la communication politique, sans portée opérationnelle solide. Il est urgent d’élaborer une véritable loi de programmation et de planification, en faisant participer tous les acteurs : le temps presse !
Alain Fabre-Pujol, Jean-Loup Kastler et Marie-Noëlle Lienemann
pour le pôle écologie républicaine de la GRS