« Sans alternative à l’offre actuelle, l’attractivité du train restera une ambition… et l’utilisation de la route, une évidence » Chloé Petat, tribune dans Marianne

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Dans cette tribune publiée dans Marianne le 7 juillet 2025, Chloé Petat, autrice de La révolution ratée du transport ferroviaire au XXIe siècle (Le Bord de l’eau), revient sur l’ouverture à la concurrence de la SNCF, non seulement sur le marché ferroviaire lui-même, mais surtout sur la concurrence indirecte que représente la route, un enjeu souvent négligé. Elle souligne notamment que la hausse des tarifs des billets de train accentue cette problématique.

Depuis l’ouverture du marché ferroviaire à la concurrence, la SNCF n’est plus seule sur les rails français. De nouveaux opérateurs ferroviaires apparaissent progressivement, à la fois sur les parties fret et voyageurs (TGV, trains express régionaux, trains d’équilibre du territoire). En revanche, beaucoup plus surprenant, le premier concurrent du rail figure, lui, dans l’angle mort du débat public : il s’agit de la route. Le fret ferroviaire est ouvert à la concurrence depuis 2006. Le marché s’est largement fragmenté avec l’arrivée de nouveaux acteurs (DB Cargo, Captrain, Lineas, etc.) mais le fret SNCF a réussi à conserver plus de 50% des parts de marché. La réforme de 2024 qui démantèle l’entité Fret SNCF en deux entités distinctes, Technis et Heaxfret, va encore rebattre les cartes et cette répartition.

L’ouverture à la concurrence sur le marché ferroviaire de voyageurs est quant à elle effective depuis 2020. Plusieurs nouveaux entrants ont émergé comme la Renfe (sur la ligne Paris-Lyon-Barcelone), Trenitalia (sur les lignes Paris-Lyon-Milan et Paris-Marseille plus récemment), ou encore Transdev qui a commencé à exploiter la ligne TER Marseille-Nice en juin 2025. Cette concurrence est encore limitée puisque la SNCF conserve une quasi-hégémonie sur le territoire (plus de 90% des parts de marché).

En 2022, 80% des déplacements se sont effectués en voiture

En réalité, la concurrence ne se joue pas qu’au sein du marché ferroviaire mais également avec le secteur routier. La route n’a cessé de grignoter des parts de marché sur le secteur du transport voyageurs et de marchandises ces dernières décennies, à tel point qu’aujourd’hui, le train représente seulement entre 9 et 10% des déplacements de voyageurs et de marchandises, contre 80-90% pour la route (Ce pourcentage est proche mais diffère pour le transport de voyageurs et le transport de marchandises).

En 2022 en France, 80% des déplacements se sont effectués en voiture, 10% par le train, 2% par les bus, 2% pour l’aérien (vols intérieurs), 5% par les transports urbains. Pour le fret, 89 % des déplacements sont effectués par la route, contre 9% pour le rail et 1% par les voies navigables (source : Chiffres clés des transports – Édition 2024 | Données et études statistiques1). Cette évolution de la part modale au profit de la route s’explique par un certain nombre de facteurs notamment géographique et économique.

D’abord géographique par la couverture territoriale. La voiture permet de relier directement n’importe quel point du territoire, y compris les zones rurales ou périurbaines insuffisamment desservies par les transports en commun. En comparaison, le réseau ferroviaire, bien que dense, reste concentré autour des grandes villes et des axes majeurs : près de 30% des communes françaises ne sont pas desservies par une gare, ce qui rend le train inaccessible pour une partie significative de la population.

Le maillage routier et la loi Macron de 2015 permettent aujourd’hui à des compagnies comme Flixbus, qui possède une situation quasi-hégémonique sur le marché, de proposer une offre élargie faisant concurrence directement au transport ferroviaire.

Des tarifs élevés pour le train

Ensuite économique par la question du prix. Les tarifs des billets ferroviaires peuvent apparaître comme élevés et ainsi très dissuasifs pour les voyageurs au regard du coût d’un trajet en voiture (qui est lissé sur la période de propriété du véhicule). Les libéralisations du marché du fret routier dans les années 1990 et celle du marché des autocars longue distance en 2015 ont également permis de faire baisser le coût des déplacements routiers. Il est notamment possible pour les entreprises exerçant sur le secteur de faire appel à des salariés étrangers et / ou des sous-traitants étrangers réduisant ainsi les coûts salariaux.

Ensuite, la fiscalité varie entre la route et le rail. Contrairement au rail, le maillage routier permet d’emprunter le réseau routier national gratuit permettant de ne pas payer de péages contrairement au ferroviaire. De plus, il n’existe à ce jour aucune taxe ni sur les poids lourds ni sur les autocars qui génèrent pourtant de nombreuses externalités environnementales négatives.

Ainsi, en comparaison avec le rail, le routier profite donc d’un réseau mieux maillé lui permettant de desservir davantage de territoires et surtout d’une fiscalité avantageuse qui a une incidence sur les prix. Ainsi, si l’ouverture à la concurrence ferroviaire permet l’émergence de nouveaux acteurs, la route reste sans contestation le principal concurrent de la SNCF, tant pour les voyageurs que pour le fret. Le rail ne pourra rivaliser que si l’on établit une fiscalité équitable, une tarification incitative en faveur du ferroviaire et surtout si des investissements financiers suffisants sont mis en œuvre pour rénover le réseau (notamment les petites lignes) et mieux mailler le territoire.

Dans une perspective écologique, il est aujourd’hui urgent de proposer une réelle alternative à l’utilisation de la route et de la voiture individuelle. À défaut, l’attractivité du train restera une ambition… et l’utilisation de la route, une évidence.

Chloé Petat

  1. https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/chiffres-cles-des-transports-edition-2024-0 ↩︎

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