Tournants politiques en Sarre à l’occasion des élections régionales

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La Sarre a tournée deux pages dimanche 27 mars 2022.

  1. La région allemande à la frontière française a voté et mis fin à 23 années de gouvernement de la droite chrétienne démocrate.
  2. Elle a sanctionnée l’échec des Linke alors que le SPD a progressivement depuis 2015 – et plus nettement depuis l’élection de sa direction très à gauche en 2018 – rompu avec le Schröderisme et redécouvert Keynes et le droit du travail.
    Rappelons qu’en 1999, l’ancien président de la région de Sarre et ministre des finances du premier gouvernement Schröder, le sarrois Oskar Lafontaine, démissionne avec fracas du gouvernement après quelques mois, dénonçant le fait d’être empêché de mener le programme de relance keynésienne promis pendant la campagne électorale.
    C’est l’aile social-libérale du SPD qui s’emparera dès lors des finances et les conservera de 1999 à 2005 ; c’est elle également qui sera architecte de la première grande coalition. Elle dominera encore la seconde grande coalition, mais l’échec de Martin Schulz en 2017, puis la retraite politique de Andrea Nahles et l’affaiblissement de Merkel en 2018 permettrons de changer les équilibres au sein de la « vieille dame » (surnom du SPD, partei en allemand est féminin).

Rappelons que face à l’agenda 2010, annoncé après la campagne électorale de 2002, Oskar Lafontaine quittera le SPD et créera la WASG, avant de fusionner en 2005 avec les anciens communistes de l’Est du PDS dans le parti qui devint les Linke.

Pour autant, la weimarisation des comportements électoraux se poursuit.
Le parlement sarrois paraît revenir aux équilibres d’avant l’explosion politique initiée par le social-libéralisme de Schröder et la scission du SPD avec le départ d’Oskar Lafontaine. Mais en réalité, plus de 22% des suffrages exprimés ne sont pas représentés. Le site Wahlrecht s’en inquiète d’ailleurs en posant la question de la constitutionnalité de la clause des 5% minimum pour avoir des élus au sein des parlements régionaux.
Les Verts (de seulement 24 voix) et le FDP ont manqué de peu l’entrée au parlement, ce qui permet au SPD d’obtenir une majorité absolue en sièges. Mais près de 12% des voix sont allés sur des micro partis qui dès le départ n’avaient aucune chance d’avoir des élus.
Cet émiettement extrême, même avec la présence d’un parti fort, dominant le parlement, est une des caractéristiques des élections de l’ancienne République de Weimar. C’est pour l’empêcher que la Bundesrepublik introduisit le seuil de 5% des voix pour avoir des élus. On pensait alors que l’électeur choisirait des partis susceptibles d’être représentés. Il s’agissait d’éviter de reproduire le phénomène qui, sous Weimar, en l’absence de seuil, permettait à des micro-partis avec des micro-résultats d’obtenir un ou deux députés. C’est faire bien peu de cas des réelles causes de l’effondrement politique de la République de Weimar, que nous avons déjà décryptées dans des articles précédents sur la politique allemande.
Or, hier en Sarre (comme dans d’autres Länder précédemment), la demande politique ne trouvant pas d’offre suffisamment satisfaisante, plus d’un cinquième des électeurs a choisi un vote sans conséquence, d’identité plus que de réalisation politique, alors même que le scrutin a vu une progression de l’abstention (66% de votants).

L’échec des Linke a de nombreuses origines. 2018 fut à plusieurs points de vue une année pivot pour l’Allemagne.
L’échec de Aufstehen, le mouvement que Sahra Wagenknecht (épouse de Oskar Lafontaine et véritable leader politique du groupe parlementaire) espérait pouvoir lancer pour dépasser la structure limitée des Linke et noyer les tendances les plus décolonialistes dans un mouvement social et ouvrier parlant plus de pouvoir d’achat et partage des richesses que de minorités, a débouché une chasse aux sorcières, contre tous ceux qui étaient « soupçonnés » de sympathies pour Aufstehen, qui a profondément affaibli les Linke.
Leur échec aux élections de 2021 sur une ligne à la fois urbaine et prétendûment « réaliste » – pas une seule fois, il ne fut question de l’OTAN, laissant sous entendre que les dirigeants étaient prêts pour participer à un gouvernement de coalition à accepter l’appartenance de l’Allemagne à l’alliance atlantique – signe la déconnexion de la ligne qui gagne du terrain dans d’autres partis de gauche européens des intérêts des classes populaires, des régions péri-urbaines. L’intersectionnalisme ne fait pas une politique de classe, ou plutôt, ne parle qu’à la classe moyenne supérieure urbaine.
Oskar Lafontaine, en quittant le parlement régional il y a deux semaines, annonçait sa retraite politique. Il a aussi annoncé il y a une semaine avoir quitté les Linke, critiquant la ligne actuelle et déclarant que le projet avait échoué.

Le social-libéralisme européiste avait entraîné la décadence du SPD, passé de 42% en 1998 à 20% en 2017.
La rupture avec cette ligne eut lieu avec l’élection de Nowabo et Esken à la présidence du parti (contre Scholz) ; elle a été en grande parti confirmée par l’élection en 2021 au Bundestag de près de 45 députés « jeunes », rassemblés autour de Kevin Kühnert, charismatique président des Jusos, bien plus à gauche que le SPD. Celui-ci sût faire un compromis avec Scholz, qui gouverne en keynésien et laisse réparer au ministère du travail toutes les législations antisociales passées depuis 2000.
Une rupture plutôt franche qui n’a toujours pas eu lieu au PS. Anne Hidalgo ressortant Hollande rappelle un peu Martin Schulz ressortant Schröder en 2017, passant dans la foulée de 33% à 20% d’intentions de votes. Sauf que le PS est tombé beaucoup plus vite beaucoup plus bas.

S’il y a un enseignement allemand pour les gauches européennes, c’est que la reconquête ne peut commencer sans des ruptures idéologiques avec les pratiques au pouvoir entre 1997 et 2017.
Mais elle ne peut avoir lieu sur des lignes idéologiques de classes moyennes supérieures urbaines, loin des préoccupations des classes populaires, des employés et des ouvriers.

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