tribune publiée le jeudi 22 février 2024 dans L’Humanité
Après avoir failli mourir une première fois dans les années 2010 sous les coups de boutoir de la Chine, l’industrie européenne des panneaux solaires s’est reprise après le Covid et le déclenchement de la guerre en Ukraine. Les ménages ont réagi à l’explosion des prix de l’énergie en s’équipant massivement (56 gigawatts supplémentaires l’année dernière : un record) et les États ont accru leurs aides à la transition.
Ce mouvement a ouvert de nouvelles perspectives au secteur. L’Europe en a tiré profit pour investir et restaurer des capacités de production. En août, la société française Carbon annonçait l’ouverture pour 2025 de la plus grande usine de panneaux photovoltaïques du continent : son objectif est de produire 12 millions de panneaux solaires par an (soit une capacité installée de 5 gigawatts). C’était la dernière bonne nouvelle avant le coup de massue de la rentrée. Fin 2023, la Chine nous expédiait 150 millions de panneaux solaires avec une ristourne de… 70 %.
Depuis lors, la filière n’annonce plus qu’arrêt des investissements et des chaînes de production. Début février, les grands industriels allemands, autrichiens et néerlandais prévenaient la Commission européenne qu’ils n’auront bientôt plus d’autre choix que « faire faillite ou délocaliser ». À ce jour, leur appel au secours n’a pas reçu de réponse. La Commission continue de privilégier le déploiement du photovoltaïque – 80 % sont des panneaux chinois – plutôt que la préservation de notre souveraineté énergétique et industrielle.
En parallèle, l’Inde et surtout les États-Unis ont mis en place des mesures protectionnistes pour favoriser leur production nationale contre les importations chinoises. Voté par le Congrès en 2021, l’Inflation Reduction Act accorde des subventions et des crédits d’impôts aux panneaux solaires, aux éoliennes ou aux batteries électriques, mais à condition qu’ils comportent un pourcentage minimal d’éléments fabriqués sur place. Cette politique très agressive, que les Américains eux-mêmes nous recommandent de copier, a précipité la décision du plus grand fabricant d’Allemagne, Meyer Burger, de délocaliser ses usines outre-Atlantique.
Confrontées à une baisse de la demande intérieure et à ces nouvelles barrières commerciales, les entreprises chinoises se sont retrouvées avec d’immenses stocks d’invendus. Elles ont décidé de les écouler en Europe, toujours ouverte, contrairement à ses concurrents, aux quatre vents de la mondialisation. La surproduction chinoise a trouvé son débouché, donnant à la fragile industrie européenne un quasi-coup de grâce.
Cet épisode n’est que le dernier d’une interminable série de renoncements. En 2013, l’Union européenne (UE) n’avait monté ses droits de douane qu’à 48 %, alors que la Chine dopait ses panneaux solaires à 90 % ! Et aujourd’hui, l’UE refuse de réserver aux seuls produits « made in Europe » les aides (payées par nos impôts) pour la transition écologique. Elle a certes aménagé sa législation pour autoriser les États membres à subventionner les ouvertures d’usine, mais à quoi bon ouvrir une usine si les panneaux solaires chinois coûtent en moyenne 50 % moins cher et qu’ils bénéficient du même traitement de faveur ?
Cette impéritie ne touche pas que le secteur photovoltaïque. Le dumping chinois s’apprête à frapper de plein fouet le pilier industriel de l’UE : l’automobile et ses 12 millions d’emplois. Pékin, qui a anticipé les enjeux, a racheté des entreprises spécialisées dans les matières premières et la fabrication de batteries.
Aujourd’hui, les deux géants de ce secteur sont Contemporary Amperex Technology et BYD, qui cumulent 51 % du marché mondial. Et comme pour les panneaux solaires, le gouvernement chinois a arrosé ses fabricants de voitures électriques de dizaines de milliards de subventions. En riposte, la Commission a… ouvert une enquête. La Chine maîtrise ainsi l’ensemble de la « chaîne de valeur » et ses véhicules électriques vont affluer par millions sur le marché européen à des prix défiant toute concurrence.
Les dirigeants européens laissent la Chine faire de l’Europe un gigantesque « espace utile » où ses produits non seulement circulent librement, mais touchent aussi le bonus écologique. L’UE va-t-elle laisser faire ou va-t-elle enfin se ressaisir ? Faute de prendre les décisions qui s’imposent (droits de douane au niveau suffisant et aides d’État massives réservées à la production locale), l’Europe n’aura aucune chance de s’en sortir.