La Chine bouge. La République Populaire de Chine, gouvernée depuis 1949 par le Parti Communiste Chinois, berceau du « Grand Bond en Avant » et de la « Révolution Culturelle », qui ont émoustillé les esprits gauchistes petit-bourgeois des années 1960, mais aussi celle de Deng Xiao Ping qui fit le choix d’un mode de développement capitaliste débridé sous la tutelle totalitaire du PCC, la Chine du contrôle social numérique le plus avancé de la planète serait-elle enfin prête à adopter un véritable modèle de protection sociale ? Or ces progrès sociaux en germe, qui marquent une rupture avec le modèle dominant jusque-là, inquiète une partie de la population.
Ces derniers mois, les autorités chinoises ont annoncé plusieurs mesures visant à améliorer le sort des salariés en matière de salaires et de protection sociale, dans un pays où beaucoup d’ouvriers vivent et travaillent toujours dans des conditions précaires : or ses évolutions sociales sont souvent mal perçues dans les entreprises, y compris chez les salariés.
La Chine est aujourd’hui la deuxième économie mondiale, une puissance qui rivalise avec les États-Unis d’Amérique et est en train de subjuguer économiquement l’Union Européenne, mais c’est aussi un pays qui vient très récemment de renoncer officiellement aux avantages conférés au sein de l’Organisation Mondiale du Commerce par le statut de pays en développement tout en continuant à revendiquer d’être un pays à revenu intermédiaire faisant toujours partie du monde en développement.
En République populaire, tout le monde ne profite pas de la croissance de la même manière, loin de là. Il y a toujours de grandes disparités sociales, un énorme fossé même entre les provinces les plus riches et les plus pauvres. Il y a donc un rattrapage à opérer, et c’est l’une des raisons qui a poussé le gouvernement central à lancer cet été une vague sans précédent d’augmentation du salaire minimum afin d’inciter les travailleurs les moins payés à consommer davantage, car depuis plusieurs années les gouvernements de Xi Jinping ont compris que l’empire du Milieu ne pourrait pas tenir uniquement avec un modèle consacré essentiellement à l’exportation.
En Chine, le salaire minimum est fixé de manière autonome par chaque province ; la moitié d’entre elles a donc suivi les directives nationales et a commencé à annoncer des augmentations. À Pékin, par exemple, le salaire minimum mensuel est passé au 1er septembre 2025 de 334$ à 350$.
C’est dans ce contexte de rattrapage, que l’exécutif central veut aussi imposer une meilleure protection pour les travailleurs chinois. Avant l’été, le gouvernement central avait incité les sociétés de livraison à payer les cotisations sociales pour des millions de livreurs qui parcourent jour et nuit les grandes villes chinoises et qui, jusqu’ici, n’étaient pas affiliés à la sécurité sociale. Une première étape donc, suivie le mois dernier d’une décision judiciaire nationale : la Cour Suprême a fait savoir que, désormais, toute activité professionnelle devait obligatoirement faire l’objet de paiement de cotisations sociales par le patron et aussi le salarié, pour permettre à ce dernier de bénéficier d’une protection sociale.
Étonnamment, ces évolutions sociales ne font pas l’unanimité. Du point de vue des entreprises, ces évolutions vont engendrer des coûts supplémentaires, qui arrivent à un moment où l’économie chinoise est en difficulté et où les entreprises ont déjà tendance à licencier. Ces dépenses supplémentaires pourraient les inciter à réduire encore plus leurs effectifs. Du côté salarié, les cotisations sociales obligatoires sont aussi mal vécues, parce que cela vient remettre en cause de vieilles habitudes dans les usines chinoises, où souvent, patrons et ouvriers s’entendent ensemble pour ne pas payer de cotisations sociales des deux côtés – la notion de « salaire différé » n’a visiblement pas la cote en Chine où les salariés préfèrent affronter une forme de précarité sociale et sanitaire sans faire de différence entre salaire brut et salaire net : une situation qui en dit beaucoup sur la réalité politique du communisme chinois et les fantasmes qu’il a nourris.
En France, ce fonctionnement serait qualifié de travail dissimulé, mais en Chine, cela fait partie des usages : il n’y a pas de sanctions et parfois même l’ouvrier et son patron signe un papier sur un coin de table pour officialiser la chose.
Avec la décision de la Cour Suprême, les employés devraient progressivement avoir, certes, une vraie protection sociale, mais ils y voient d’abord et surtout la cotisation qui va leur faire perdre du pouvoir d’achat immédiat : 60 € environ sur un salaire mensuel de 600 €. Ce n’est pas négligeable quand le progrès social à marche forcée montre ses limites en Chine et où l’État communiste est toujours loin d’avoir tenu sa promesse d’un avenir radieux pour le prolétariat des usines – sans parler de celui des champs.
Frédéric Faravel