150 ans après, la Commune reste une source d’inspiration incomparable


Le 18 mars 1871, le Gouvernement de « Défense Nationale » ordonne le désarmement de Paris. Partout dans Paris, des troupes s’activent pour retirer l’attirail qui permettait de défendre la capitale, encerclée par les armées prussienne et des princes allemands coalisés. Mais sur la butte de Montmartre, les ouvriers parisiens refusent qu’on leur retire les canons. Les soldats envoyés pour désarmer Montmartre reçoivent l’ordre de tirer sur les ouvriers ; ils refusent, finissent par rejoindre les ouvriers et livrer leurs officiers à la fureur vengeresse de la foule. Ainsi débute l’insurrection de la Commune.

Avec le sens de la formule qu’on lui connaît quand il se fait journaliste ou chroniqueur, Karl Marx écrivit à son propos « La plus grande mesure sociale de la Commune était son existence en actes »… Le retentissement de cet événement révolutionnaire dépasse les âges et les frontières : bien que la Commune n’ait pas grand chose à voir avec l’idéologie du fondateur de l’URSS, l’ambition de Lénine, en octobre 1917, était de durer plus que les 72 jours des communards ; on dit qu’il se mit à danser de joie dans la neige et sur une des places du Kremlin après qu’un proche lui rappela que le délai espéré était dépassé.

Ferments et origines de la Commune

Ce sont d’abord les conditions économiques et sociales, qui avec les débuts de la Révolution industrielle accélérée par le Second Empire a fait naître un prolétariat industriel massif à Paris et dans sa proche banlieue. Nous sommes encore loin des grandes usines, Paris, ses rues et coursives, entassent les ateliers qui sortent peu à peu de l’artisanat. Les rares lois sociales sur le travail sont truffées de dérogation et de toute façon ne sont pas ou peu appliquées, comme celle qui fixe à 11 heures maximum la journée de travail dans le département de la Seine. La grande pauvreté et une insalubrité effroyable sont la cause de taux de mortalité vertigineux ; la probabilité de mourir avant cinq ans, pour un enfant né dans le département de la Seine avoisine les 40 %. L’exploitation capitaliste est à son comble et la doctrine socialiste commence donc à faire des émules parmi les ouvriers de la Seine.

Mais il y a surtout et d’abord la guerre. Comme en 1793, « la Patrie est en danger » ! La France est envahie, largement occupée et Paris est encerclée. Le Peuple de Paris est porté par une mystique Jacobine héritée de la Grande Révolution. Comme de celle déclenchée par Louis XVI en 1792, le Peuple ne voulait pas de cette guerre inutile déclenchée en 1870 par un nouveau caprice du « Prince Président » qui avait renversé la République pour se faire Empereur. Mais maintenant que le danger est là et que l’oppression étrangère est aux portes, le Peuple ouvrier et ses idoles libérées par la proclamation (pleine d’arrières pensées) de la République le 4 septembre – comme Auguste Blanqui – ne peuvent tolérer que le gouvernement de « Défense nationale » ne fasse rien pour libérer le territoire. Il ne s’agit pas d’un nationalisme chauvin comme Déroulède, Barrès ou Mauras l’incarneront plus tard, ou celui institutionnalisé et mis en scène de la IIIème République en gestation, c’est le patriotisme égalitaire de 1793 et des sans-culottes. La patrie c’est la communauté elle-même, la communauté nationale, la communauté des citoyens, celle qui rend possible d’envisager la construction d’une société d’égalité et de justice, celle qui est la propriété commune de tous et non des seuls aristocrates et grands bourgeois qui se complaisent dans l’Empire ou la Monarchie.

Le déclenchement de la Commune est donc d’abord l’affaire d’un sentiment populaire patriotique puissante, son instauration est réclamée depuis plusieurs mois par les plus radicaux des Républicains parisiens, comme Jules Vallès, journaliste dont l’audience et celle de son journal Le Cri du Peuple ont cru fantastiquement depuis l’automne 1870… réclamée comme conditions nécessaire pour une levée en masse, pour une défense populaire de la Capitale qui permettra au Peuple de réussir le désencerclement de Paris et le refoulement des armées occupantes.

Le déclenchement de la Commune c’est ensuite l’histoire d’une défiance légitime des Parisiens et de leurs leaders à l’égard du gouvernement de « défense nationale ». La République du 4 septembre, proclamée par surprise et à la va-vite, a des assises très faibles ; les Républicains sont divisés depuis le lendemain même de la proclamation entre ceux qui veulent réellement la Défense nationale, ceux qui recherchent une « paix honorable » et les « radicaux » (qui ne sont pas du gouvernement) qui espèrent que la levée en masse et la libération du territoire précédera la République sociale. Le Gouvernement de « défense nationale » rassemble Républicains modérés et monarchistes (plus ou moins recyclés comme Adolphe Thiers) ; Léon Gambetta, tenant de la contre-offensive, va rapidement être isolé en son sein, après avoir quitté la capitale en ballon : Républicains modérés et monarchistes s’entendent d’autant plus pour une paix rapide que la levée en masse est nécessaire pour chasser les Prussiens et qu’ils craignent dans la foulée un nouveau Valmy, une renaissance de sans-culottes de l’An II, avec une population en armes qui pourrait alors s’en prendre aux possédants qui abusent sans vergogne. La tiédeur et la résignation devant la défaite se changent bientôt en trahison ; le gouvernement fait tout pour décourager toute tentative sérieuse de désencerclement de la Capitale. Le peuple de Paris se rend bientôt compte qu’on lui ment et qu’on le trahit alors qu’il porte sur lui les principales douleurs de la guerre et du siège. Vallès parle d’une croix pour laquelle d’innombrables Judas fournissent le clous enfoncés par de multiples bourreaux ; Blanqui écrit dans son journal La patrie en danger le 15 janvier : « le cœur se serre au soupçon d’un immense mensonge ». Il dénonce « l’abominable comédie » du Gouvernement de Défense Nationale qui refuse de donner au peuple les moyens de chasser les Prussiens. Conscient de son influence sur l’opinion, le Gouvernement de Défense Nationale le fait arrêter et mettre en prison. En tentant de désarmer, le 18 mars, Paris, ce dernier allume l’incendie révolutionnaire.

Si Communistes et Anarchistes se sont emparés – plus que d’autres encore – tout au long du XXème siècle de la mémoire de la Commune, celle-ci n’avait pas grand chose à voir avec le Communisme. L’action et les aspirations de la Commune étaient « toute empreinte de ce sentiment, vaguement socialiste parce qu’humanitaire, mais surtout jacobin », affirmait Gaston da Costa1. Mais la doctrine sociale des Jacobins était trop imprécise pour proposer à ce stade un programme économique cohérent (un des principaux reproches que fit Marx aux Communards). On peut cependant affirmer que la Commune marque une des étapes essentielles du basculement du jacobinisme au socialisme au sens large.

Réalisations et postérité

Si les Républicains ont eu tant de mal avec la Commune, c’est d’abord à cause de la mauvaise conscience et de l’hypocrisie d’une partie d’entre eux quant aux objectifs de la République, qu’ils prétendaient faire un régime de conservation de l’ordre social ; c’est pour une autre partie une sorte de complexe d’infériorité ou de syndrome de l’imposteur : pour une part, la Commune aura mis quelques semaines à réaliser ou à initier ce que la IIIème République mettra 30 ans à faire (et encore).

L’école gratuite, laïque et obligatoire pour tous est votée et des écoles sont construites. C’est l’« instruction intégrale » dont parle Edouard Vaillant2, délégué à l’enseignement, et qui était pour lui la « base de l’égalité sociale ». Une part importante de l’action des municipalités devait être consacrée à l’éducation des filles et à l’enseignement professionnel. Une école d’arts appliqués réservée aux filles sera ainsi inaugurée le 13 mai. Dernier aspect, l’augmentation et l’égalisation, le 18 mai, du traitement des instituteurs et des institutrices, la commission constatant que « les exigences de la vie sont nombreuses et impérieuses pour la femme autant que pour l’homme ».

La Séparation des Eglises et de l’Etat est également décrétée.

La Commune a également imposé des mesures d’urgence chargées de soulager la population parisienne : extension du remboursement des dettes sur trois ans, interdiction d’expulser un locataire de son logement, rationnement gratuit…

1Gaston Da Costa, né à Paris le 15 décembre 1850 , mort à Bois-le-Roi le 11 décembre 1909, était un pédagogue, militant de gauche et communard français.

2Edouard Vaillant est une des figures centrales du socialisme français en gestation. Dirigeant après la Commune du Comité Révolutionnaire Central, organisation politique des blanquistes, il sera l’un des acteurs de l’unification progressive du socialisme français qui aboutit à la création de la SFIO en 1905 et à la reprise en main par les socialistes de la CGT en 1909.

Par ses avancées concrètes en matière d’organisation du travail, la Commune mérite aussi le nom de révolution sociale. Citons l’interdiction du travail de nuit pour les ouvriers boulangers, la suppression des amendes sur les salaires (décret du 27 avril) et des bureaux de placement, véritables instruments de contrôle social sous le Second Empire. La formule de l’association des travailleurs était considérée comme le principe de base de l’organisation de la production : il ne s’agissait pas de remettre en cause brutalement la propriété privée, mais d’en finir avec l’exploitation ouvrière par la participation collective à l’activité économique. Le décret du 16 avril prévoyait à la fois l’appropriation temporaire des ateliers fermés et la fixation par un jury arbitral des conditions financières d’une cession ultérieure et définitive aux associations ouvrières ; le travail y est limité à 10 heures par jour. Afin que le salaire assure « l’existence et la dignité » du travailleur (décret du 19 mai), les cahiers des charges des entreprises en marché avec la ville devaient indiquer « les prix minimums du travail à la journée ou à la façon » (décret du 13 mai) fixés par une commission où les syndicats seraient représentés. Dans cette logique, le salaire minimum aurait pu ensuite s’imposer à tous les employeurs.

Quant au chantier judiciaire, il réclamait sans doute bien plus de temps que celui dont bénéficia le délégué à la justice, Eugène Protot. Son bilan est pourtant loin d’être négligeable : suppression de la vénalité des offices et gratuité de la justice pour tous, y compris dans l’accomplissement des actes relevant de la compétence des notaires (décret du 16 mai), élection des magistrats au suffrage universel. Concernant les libertés publiques, le langage officiel — « Il importe que tous les conspirateurs et les traîtres soient mis dans l’impossibilité de nuire, il n’importe pas moins d’empêcher tout acte arbitraire ou attentatoire aux libertés individuelles » (14 avril) — contraste avec la réalité moins glorieuse des actes commis sous le couvert de l’« ex-préfecture de police », sans parler de l’exécution des otages entre le 23 et le 26 mai 1871.

Des Jacobins aux anarchistes, il existait un objectif commun parmi les Communard : l’institution des conditions d’une souveraineté populaire concrète. Celle-ci est pensée … la Commune privilégiait comme les sections du Paris révolutionnaire et conventionnel leu mandat impératif : les élus n’étaient pas autonomes de leurs électeurs, mais constamment révocables. C’était la mise en pratique de la conviction que sans contrôle des élus par le peuple, sans implication permanente du peuple dans les affaires politiques, sans politisation permanente de la vie quotidienne, la démocratie deviendrait une coquille vide. Karl Marx y voyait un choix positif, considérant que le suffrage universel sous un régime représentatif ne permettait au peuple que « de décider une fois tous les trois ou six ans quel membre de la classe dirigeante doit « représenter » et fouler aux pieds le peuple au parlement ». La Commune faisait , selon lui, du suffrage universel l’outil du peuple pour « remplacer les maîtres toujours hautains du peuple par des serviteurs toujours révocables ». Le débat resurgit après l’écrasement de l’insurrection et on connaît la réponse du Gambetta qui rallié à la République modérée défendit le mandat représentatif après avoir endossé le principe du mandat impératif en 1869. Sans aller jusqu’à la nécessité de la révocation des élus, la caricature de nos institutions et de l’intervention des citoyens devraient aujourd’hui nous inciter à trouver des solutions ambitieuses pour redonner son souffle à la souveraineté populaire.

Dans ce même esprit de concrétisation de la souveraineté populaire, la Commune a encouragé la prise du pouvoir militaire par la population. L’armée de métier a été aboli, les citoyens sont en armes et l’objectif est de créer une « milice nationale qui défend les citoyens contre le pouvoir, au lieu d’une armée qui défend le gouvernement contre les citoyens ». On retrouvera cette même intuition quelques décennies plus tard dans L’Armée nouvelle de Jean Jaurès.

L’effervescence politique a également conduit au questionnement du rôle que la société avait assigné aux femmes : celles de citoyennes passives, par nature inférieures. La Commune a permis aux femmes de s’impliquer dans la vie de la cité au même titre que les hommes. À la tête des clubs populaires et de leurs journaux comme La Sociale d’Andrée Léo, elles ont imposé dans la Commune les mesures sociales les plus avancées. Personne ne peut nier que l’une des leaders populaires les plus marquantes de cette Révolution, l’institutrice libertaire Louise Michel (présente pour défendre les canons de Montmartre le 18 mars), est une des plus fortes et grandes figures féministes de notre pays.

Preuve supplémentaire de l’absence de nationalisme obtus chez les Communards, qui reprennent à leur compte l’universalisme républicain, les étrangers sont associés dans le processus. Nombre d’entre eux ont combattu aux côtés des troupes françaises après la proclamation de la IIIe République, le 4 septembre 1870 : Garibaldi et ses « chemises rouges », mais aussi des Belges, des Polonais, des Russes, etc. A propos de l’élection de l’ouvrier bijoutier Léo Frankel, né en Hongrie, la commission des élections explique : « Considérant que le drapeau de la Commune est celui de la République universelle ; considérant que toute cité a le droit de donner le titre de citoyen aux étrangers qui la servent, (…) la commission est d’avis que les étrangers peuvent être admis ».

Les Communards affirmaient ainsi la vocation internationaliste de leur idéal tout en multipliant par ailleurs les appels à la fraternisation à l’égard des soldats allemands. Alors même que la lutte avec les Versaillais avaient débuté, les Communards ne renoncèrent en rien aux principes de démocratie directe au sein de leur armée, avec une perte catastrophique de coordination, de cohérence et d’efficacité dans leur défense militaire… Voilà bien une « leçon » que les Bolcheviques auront retenus : il suffit de voir sur quelles bases, avec quelle dureté et quelle violence, Léon Trotski organisa l’Armée Rouge et la guerre contre les « Blancs ». Voilà bien un domaine supplémentaire qui démontre à quel point les Communards différaient du communisme bolchevique qui domina nominalement l’imaginaire de la gauche durant une bonne moitié du XXème siècle.

Les Versaillais vont incarner une autre internationale celle des possédants. Le gouvernement Thiers a signé l’armistice et ratifié le traité qui sanctionne la capitulation française, comme l’avait craint les Blanqui et Vallès. Faux républicains et vrais Bourgeois s’entendent parfaitement avec le pouvoir du nouvel Empire allemand pour tuer dans l’œuf au plus vite cette révolution sociale parisienne qui pourrait faire tâche d’huile avec ses acteurs mêlant héritiers des jacobins français et représentant anarchistes et marxistes de la Première internationale (AIT). La levée en masse de troupes venue des quatre coins de la France a bien été réalisée finalement mais elle sera utilisée pour marcher contre Paris. Avec la complicité de l’armée prussienne, les Versaillais pénètrent dans la capitale le 21 mai et massacre méthodiquement les insurgés, mal organisés, mal préparés, mal informés par leurs journaux, tétanisés par la cruauté des premiers combats. La « Semaine Sanglante » du 21 au 28 mai 1871 se conclura par la mort et l’exécution de quelques 17 000 Communards (dont Charles Delescluzes, Eugène Varlin, Louis Rossel…) ; c’est un véritable massacre, bien plus sanglant que les victimes mises sur le compte de la Terreur révolutionnaire de 1792-1794 pour toute la France ! Près de 5 000 prisonniers politiques seront déportés – « la guillotine sèche » – en Nouvelle-Calédonie comme Louise Michel ; un nombre comparable ne devra la vie qu’à l’exil (tels Jules Vallès, les frères géographes et libertaires Elie et Elisée Reclus ou encore Gustave Courbet à qui la République réclamera les sommes pour relever la colonne Vendôme, ce symbole abject de l’oppression bonapartiste…) en Belgique, en Suisse, en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis, peu d’entre eux reviendront après l’amnistie de 1880 comme Benoît Malon (fondateur de la Revue Socialiste, enterré au Mur des fédérés et dont l’éloge funèbre fut prononcée par Jean Jaurès), Jules Vallès ou Jules Guesde (rentré en France en 1876, il est le fondateur du Parti Ouvrier français, organisation marxiste qui sera l’une des composantes après bien des péripéties de la SFIO en 1905).

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« Le cadavre est à terre mais l’idée est debout »

: ces mots de Victor Hugo reviennent régulièrement sous les plumes célébrant l’héritage de la Commune de Paris. Mais Hugo, tout en transition vers le socialisme qu’il était, ne fut pas exempt d’ambiguïtés ; ainsi écrivait-il dans Le Rappel, en avril 1871, il s’écriait : « Je suis pour la Commune en principe, et contre la Commune dans l’application. » Une phrase qu’aurait pu prononcer quelques Républicains ralliés au compromis comme Gambetta ou plus tard les Radicaux des années 1880-1900 pour justifier leur mauvaise conscience et mauvaise foi, vis-à-vis de l’évènement. Hugo lui au moins condamna avec la dernière énergie les massacres commis par la répression. Mai d’une certaine manière, l’enjeu présent est là, loin des momifications mémorielles et parfois dévoyées qui ont souvent accompagné les célébrations et les récupérations de la Commune. Il ne faut pas, il ne faut plus s’en tenir à des principes, souvent formulés aujourd’hui sous la forme de droits – droit au logement, droit au travail, égalité femmes-hommes, liberté de conscience – ou parfois restés évanescents – la souveraineté populaire et la liberté d’informer plus fortes que la propriété privée et capitaliste – ; non il est urgent de passer à leur mise en application.

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