La Gauche Républicaine et Socialiste sera au RDV de la Fête de l’Humanité 2023

La Gauche Républicaine et Socialiste sera de nouveau présente à la Fête de l’Humanité les vendredi 15, samedi 16 et dimanche 17 septembre 2023.

flashez le QR code pour réserver votre bon de soutien à la fête de l’Humanité

Pour cette nouvelle édition, nous vous accueillerons autour de notre « Café de la Gauche » : un véritable rendez-vous militant, avec toutes celles et tous ceux pour qui le débat permet la confrontation d’idées et la construction des solutions.

Cette année nous organisons des “free speechs” durant lesquels vous aurez l’occasion de vous exprimer durant deux minutes sur l’actualité politique, sur la solidarité et les luttes sociales, sur les services publics ou la transition écologique : un stand-up politique avec inscription et prise de parole chronométrée.

Nous vous proposerons aussi un restaurantun bar très accueillant, des débats, une fanfare, un groupe de rock, deux soirées dancefloor, une librairie et d’autres animations qui nous donneront l’occasion de nous retrouver, nous amuser et de nous organiser.

Vous trouverez le programme complet de nos débats, animations et propositions de restauration et d’apéro plus bas.

plan de la fête de L’Humanité 2023 et localisation du stand de la Gauche Républicaine et Socialiste
287 Avenue Roland-Leroy, au croisement de cette avenue avec la place du Colonel-Fabien, à proximité du stand du CN du PCF et du Parti de la gauche européenne.

LA LIBRAIRIE DE LA GRS

À la librairie de la Gauche Républicaine et Socialiste, la littérature se met au travail. En attendant le vote des bêtes sauvages, vous pourrez cultiver L’art de la joie, vous réjouir du déclin du néolibéralisme, célébrer La valeur du service public dans une économie républicaine et Réparer les vivants.

Polars, SF, histoires, essais, économie, politique, science et littérature, venez retrouvez avec nous la société au miroir des livres ! Y en a pour tous les goûts et pour toutes les bourses…

VENDREDI

13h00
🍻Inauguration du stand par Marie-Noëlle Lienemann, sénatrice de Paris et coordinatrice nationale de la GRS🤝

  • La place des médias dans la bataille culturelle (vendredi 15, 14h30) : 
    • Ella Micheletti, rédactrice en chef de La Voix de l’hexagone et pigiste à Marianne
    • Pierre Lefébure, maître de conférences à l’université Sorbonne Paris Nord, chercheur sur les médias au CERLIS
  • Carte blanche à Michel Jallamion, (vendredi 15, 17h):
    • président de la Convergence nationale des collectifs de défense et de développement des services publics, adjoint au Maire du 20e arrdt de Paris et Co secrétaire de section PCF.
  • Soirée du vendredi, à partir de 22h : hit club / dancefloor

SAMEDI

  • Le marché de l’électricité : comment tout a disjoncté (samedi 16, 14h30)
    • David Cayla, économiste, maître de conférences à l’université d’Angers, écrivain, membre des Economistes atterrés
    • Laurent Miermont, responsable au sein du pôle idées de la GRS
  • Le Travail des Français est-il payé à son juste prix ? Faut-il distinguer salaire et rémunération ?
    • Marie-Noëlle Lienemann, sénatrice de Paris, ancienne ministre, coordinatrice nationale de la GRS
    • Astrid Panosyan-Bouvet, députée de Paris (Renaissance)
  • Carte blanche à Christophe Ramaux (samedi 16, 17h)
    • Economiste, maître de conférences à l’université Paris I-Panthéon Sorbonne, membre des Economistes atterrés, auteur de nombreux livres et essais dont Pour une Economie républicaine en 2022. Il a publié en juillet dernier une note dans Alternatives économiques après les émeutes urbaines “Quelles leçons tirer pour la gauche ?
  • Free Speechs – café de la gauche (samedi 16, 18h00)
    • Venez exprimer votre point de vue, votre coup de gueule, votre proposition sur l’actualité politique, l’avenir de la gauche, la transition écologique…
    • 2 minutes top chrono pour convaincre ! Sur inscription au stand dans la journée de samedi…
  • Soirée du samedi :
    • 22h : concert de Gnomes : rock, punk et métal hardcore
    • 23h : set électro / dancefloor

DIMANCHE

  • Free Speechs – café de la gauche (dimanche 17, 11h00)
    • Venez exprimer votre point de vue, votre coup de gueule, votre proposition sur l’actualité politique, l’avenir de la gauche, la transition écologique…
    • 2 minutes top chrono pour convaincre ! Sur inscription au stand, samedi et dimanche…
  • Carte blanche à Gérard Streiff (dimanche 17, 14h30)
    • Essayiste et romancier, journaliste et rédacteur en chef de Cause Commune… La carte blanche portera sur Missak Manouchian et sera suivie d’une séance de dédicace du dernier roman policier politique de Gérard Streiff Le Sosie

MENU

  • Nourriture :
    • Samoussa : 4 euros les trois
    • Merguez (bœuf ou volaille) : 4 euros les deux
    • Brochettes de poulet / yakitori : 5 euros les trois
    • Frites (barquette) : trois euros
    • sandwich merguez + frites : 5,50 euros
    • samossa (2) ou yakitori (2) + frites : 5,50 euros
  • Boissons :
    • Punch cocotte : 5 euros
    • shot Rhum carambar : 3 euros
    • Mojito : 5 euros
    • Bières :
      • pinte 5 euros
      • demi 3 euros
    • Soft : 2,50 euros
    • eau : 1 euro
    • Café, thé : 1 euro
les tarifs seront précisés dans les prochains jours…

La question fondamentale, c’est “Où on produit ? Qu’est-ce qu’on produit et que veut-on produire ?”

Vendredi 25 août, Emmanuel Maurel participait au débat organisé à Blois pour les universités d’été du Parti Socialiste « Climat, fins de mois, mêmes combats ? ».

L’occasion de rappeler que, pour agir de pair pour la Justice sociale et la transition écologique, il était indispensable de travailler à son acceptabilité sociale pour faire reculer les forces du « grand refus » qui marquent aujourd’hui des points…

Et surtout la nécessité d’agir sur nos modes de production, nos conditions de production contre le libre-échange morbide du capitalisme et le choix de ce que l’on veut produire. Une source de combats communs essentiels pour la gauche française, si elle le veut.

Les autres participants au débat étaient Sébastien Vincini, Sophie Taillé-Polian, Elsa Faucillon, Benoît Hamon, Marie Toussaint et Aurélie Trouvé ; il était animé par Chloé Ridel.

« Tant d’autres choses encore » là tu me surprends un peu quand même. Bon, c’est « vendredi confessions », c’est comme les alcooliques anonymes : « oui j’ai longtemps été militant socialiste », comme Benoît [Hamon] « ça fait longtemps que je n’ai pas parlé devant les socialistes, je suis très ému » et en plus c’est vrai.

C’est un sujet qui est absolument passionnant et qui devrait faire la Une de l’actualité aujourd’hui.

On peut regretter d’ailleurs, puisqu’on parlait du rapport de la gauche et des classes populaires, on peut regretter que parfois la gauche ait un peu trop tendance à se regarder le nombril et à s’interroger sur des sujets un peu secondaires voire picrocholins, plutôt que parler de ce qui aujourd’hui interpelle et inquiète les Français, c’est-à-dire l’inflation, la rentrée scolaire qui s’annonce mal et bien sûr la guerre, les questions écologiques auxquelles ce débat est consacré.

Moi je pense qu’on est tous – et je crois que ça a été dit par Aurélie [Trouvé, députée LFI] –, on est tous aujourd’hui à peu près d’accord sur le « logiciel écosocialiste ». On pense qu’il ne faut pas séparer le combat social du combat écologique, on pense qu’en effet les pauvres sont les plus concernés par la pollution, et donc nécessairement la transition écologique s’accompagne de mesures sociales.

J’ai même envie de dire qu’on est tous d’accord, les socialistes compris – surtout quand ils sont dans l’opposition – pour dire qu’on se mobilise contre l’extension de la société de marché qui a une logique de prédation, une logique d’exploitation, une logique d’hyper consommation qui révèlent la nature profondément morbide du capitalisme. ça on est tous d’accord.

Et donc on est tous d’accord forcément sur le fait que si on fait la transition écologique ça ne peut pas aller à l’encontre de la justice sociale.

Est-ce que majoritairement dans le pays on est d’accord là-dessus ? Je n’en suis pas sûr. Je n’en suis pas sûr pour plein de raisons.

D’abord il y a – Benoît y a fait allusion dès le début – il y a les forces du « grand refus ». C’est-à-dire les gens qui, contre le réel, continuent à affirmer que ça peut continuer comme aujourd’hui et qu’on peut continuer à vivre comme aujourd’hui – tu parlais de Trump mais Trump c’est la version exacerbée de ce phénomène – mais c’est George Bush, dès la conférence de Rio, qui avait dit cette phrase qui a été reprise après par les différents présidents républicains, “notre mode de vie n’est pas négociable”. Si tout le monde vivait comme les États-Unis ça ferait 5 planètes, mais « ce n’est pas négociable ». Et donc on a en face de nous des gens qui sont dans un déni de réalité assez stupéfiant. Et pourtant, ils marquent des points !

Je ne vous parle même pas du délire climato-sceptique qui a envahi les réseaux sociaux depuis quelques mois maintenant, mais ils marquent des points avec leurs épigones européens. Regardez le programme de l’AFD en Allemagne, l’extrême-droite allemande, elle reprend exactement le programme de Trump, avec la négation totale de la question écologique et le refus des politiques européennes en la matière.

Mais c’est le cas aussi du FN. On n’a pas parlé du RN depuis tout à l’heure mais ils ont, il y a trois jours, fait une conférence de presse sur ce qu’ils appellent « l’écologie du bon sens ». Il n’y avait pas beaucoup d’écologie et encore moins de bon sens. Mais, n’empêche, eux, ils ont bien vu qu’il y avait un sillon à marquer et ils ne vont pas nous lâcher là-dessus et c’est pour ça que l’adversité elle est quand même forte.

Et elle est forte d’autant plus qu’il y a parfois, y compris dans les classes populaires, même si ce qu’a dit Elsa Faucillon [députée PCF] à l’instant est très important. D’ailleurs ça me faisait penser à une ministre macroniste qui avait dit « les pauvres, ils sont dans la sobriété subie ». C’est nier complètement la conscience politique des pauvres et toute façon c’est bien ils étaient déjà dans un mode de vie écolo parce que de toute façon ils n’avaient pas le choix. Non évidemment ce n’est pas le cas.

Mais je reviens sur ce qu’a dit très fortement Sébastien [Vincini, président PS du Conseil départemental de Haute-Garonne] parce que c’est important. Il y a eu des moments, on va dire, de perception un peu décalée. Par exemple au moment de la taxe carbone on a eu beaucoup de gens – et c’est la naissance du mouvement des « Gilets Jaunes » – qui étaient en désaccord avec la façon dont c’était fait et la façon dont c’était présenté.

De la même façon, sur les ZFE [Zones à Faibles Émissions] c’est un sujet qu’on devra affronter et que les élus affrontent dès maintenant.

Je vois par exemple en Île-de-France, il y a une perception, un ressentiment de certains habitants de Grande banlieue, qui n’ont pas d’autre choix que prendre leur voiture au diesel et qui ont l’impression qu’ils vont être sanctionnés pour ça.

Et ça il faut le prendre en compte, parce que dans le livre de Bruno Latour, auquel vous faites allusion qui est en effet un livre passionnant, il parle quand même de ça. Il dit qu’il faut prendre en compte ce ressentiment, ces appréhensions, parce que l’acceptabilité sociale des politiques écologiques c’est fondamental. C’est très important.

Il y a une deuxième chose – Elsa faisait référence à « l’imaginaire » – et en effet, lors de sa campagne présidentielle, Benoît Hamon avait dit « on élabore ensemble un imaginaire puissant pour un futur désirable. » Je sais pas si tu te souviens, Benoît … tu t’en souviens sûrement ! Mais c’était très juste ! Sauf qu’on a en face de nous aussi un imaginaire très puissant, ce n’est pas seulement l’imaginaire droitier auquel il était fait allusion, c’est l’imaginaire de la société de consommation, les grosses bagnoles, la « fast fashion », la mode pas chère, les posts sur Instagram – je rappelle que tous ceux qui postent sur Instagram des photos de bouffe, ça consomme l’équivalent de deux centrales nucléaires par an !

Donc tout ça, c’est l’imaginaire de la société d’hyper consommation capitaliste, c’est pas toujours facile à affronter.

Donc moi je pense, parce que le futur désirable c’est une société sobre et décente, on a un gros boulot de bataille culturelle. C’est assez facile de s’attaquer au mode de vie des riches, parce que ça, évidemment, c’est tellement caricatural, arrogant, mais pour d’autres choses à mon avis c’est plus dur.

Consommer autrement, mais aussi produire autrement !

Moi, c’est ça dont je voulais parler aujourd’hui, parce que la question pour moi qui est fondamentale : c’est où on produit et qu’est-ce qu’on produit, qu’est-ce qu’on veut produire !

Et là, j’en viens à l’Europe parce que c’est un bon exemple…

En Europe, on vote – dans l’allégresse et dans l’enthousiasme – plein de textes pour « écologiser » les politiques européennes : le Green New Deal, le Net Zero Industry… Sylvie Guillaume [eurodéputée PS] est là … il y en a plein d’autres, tu pourrais m’aider toi [Marie Toussaint, eurodéputée EELV] parce que tu les connais tous… On vote tout ça et on se félicite parce qu’il y a une diminution des gaz à effet de serre depuis quelques années. Et on dit « l’objectif c’est moins 55%, c’est formidable on va y arriver ».

Sauf que pourquoi il y a une baisse des émissions de gaz à effet de serre en Europe ? C’est parce qu’on les a totalement délocalisées ! Le symbole de la mondialisation c’est le porte-containers ou le camion. C’est-à-dire qu’en fait on a exporté notre pollution, et ça continue !

Parce que c’est ça le problème, cette hypocrisie que je veux dénoncer : ça continue !

Je vais donner 3 exemples.

Premier exemple du « ça continue », on vote le Green New Deal. On dit « l’Europe va être un continent vertueux au niveau écologique », on s’adresse aux classes populaires « vous allez voir ce que vous allez voir en termes de production et de consommation », et en même temps on est en train de négocier, voire de voter – et j’attends de voir, là pour le coup ça peut être un combat commun pour la gauche française, là c’en est un –, en même temps on va voter un accord de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande ! On a un pays qui est à près de 20 000 bornes de l’Europe mais on veut importer toujours davantage – quoi ? – de l’agneau et du lait ! Je m’excuse mais, ça, c’est le symbole de l’absurdité libre-échangiste du système capitaliste.

Ça c’est la première chose.

Je veux donner un deuxième exemple : on est super content parce qu’en Europe on a de plus en plus de photovoltaïque… sauf qu’on a pris du retard et 90% des panneaux photovoltaïques ce sont des panneaux chinois. Pourquoi ? parce qu’au nom de la « concurrence libre et non faussée », on n’avait pas mis de barrières douanières à l’entrée ! Résultat : l’industrie européenne du photovoltaïque s’est cassée la gueule et maintenant il n’y a que du photovoltaïque chinois. Et c’est quoi le photovoltaïque chinois ? C’est construit avec des centrales électriques à charbon, avec une empreinte carbone 50% de plus qu’un produit européen ! Là aussi on marche sur la tête.

Voilà un combat européen : on veut du photovoltaïque européen ! On veut des batteries européennes, parce que là c’est pareil, je vous l’annonce, les voitures électriques c’est super on a voté dans 10 ans on passe tous aux voitures électriques. Mais s’il n’y a pas de barrières douanières et si on ne met pas de subventions publiques puissantes pour aider les entreprises européennes, alors ça sera 100% chinois ! et pour les classes populaires, ça sera plus de chômage et ça sera des produits fabriqués dans des conditions déplorables et dégueulasses.

Voilà encore un combat commun qu’on peut mener tous, à gauche, pour justement allier combat social et combat écologique.

Dernier point et je finis là-dessus, parce que ça c’est l’actualité.

L’inflation des prix alimentaires et de l’énergie, ça vient d’un truc tellement fou, qui s’appelle le marché de l’électricité européen. Le marché de l’électricité européen quand il a été fait, il y a plusieurs décennies, on a dit « on a une super idée » – enfin ce sont surtout les Allemands qui avait la super idée – on va indexer le prix de l’électricité … sur quoi ? Sur le gaz !

Il se trouve que vous connaissez la situation : le prix du gaz explose et l’Europe n’est toujours pas capable de dire « on s’est peut-être trompé ». D’abord, l’électricité ce n’est pas forcément un marché : au nom de l’ouverture à la concurrence, on a pété EDF et on a créé des concurrents totalement fantoches qui ne produisent rien ! Mais, par contre, qui achètent de l’électricité à prix coûtant à EDF et donc ça pose des problèmes à la boîte !

Et puis surtout, la situation c’est qu’aujourd’hui on achète du gaz américain et du gaz qatari, qui coûtent 4 fois plus cher que ce que coûtait le gaz auparavant et qui, en plus, ont une empreinte carbone 2 fois plus importante.

Alors si on veut des combats à mener en Europe, au niveau de la gauche, moi je suis d’accord : Made in Europe, Made in France, sortie du marché européen de l’électricité !… Bref il y a plein de choses à faire pour concilier la justice sociale et les questions écologiques, mais il faut qu’on se bouge !

Université des possibles : “La gauche doit engager la reconquête populaire”

tribune collective publiée dans Marianne le mercredi 23 août 2023

Dans cette tribune publiée à l’orée des universités d’été des partis de gauche, les signataires, élus et militants, intellectuels et associatifs, défendent l’initiative de l’ « Université des possibles » : engager la reconquête des classes populaires à gauche sur une ligne sociale et républicaine.

A quelques jours du début des universités d’été des partis de gauche, et quelques semaines après les émeutes qui ont déchiré le pays, il devient urgent pour la gauche de proposer une nouvelle vision du monde. La tension sociale, à bien des égards explosive, dans laquelle le chef de l’État a poussé le pays depuis la mobilisation contre la réforme des retraites et l’explosion sociale consécutive à la mort de Nahel ont de quoi inquiéter. À mesure que la France s’intègre dans la mondialisation néolibérale, les crises se succèdent (économique, sanitaire, environnementale…) avec ce qu’elles charrient de conséquences néfastes : délocalisation des industries, destruction des écosystèmes, casse des services publics pour financer les mesures d’”attractivité”…

L’EFFACEMENT DE LA GAUCHE DU DÉBAT PUBLIC

A chacune de ces crises on a prophétisé la fin du tout marché, le retour à la souveraineté nationale et à des mécanismes de régulation lorsque l’activité humaine se révèle prédatrice. La crise sanitaire et la mobilisation contre la réforme des retraites ont d’ailleurs toutes deux fait réémerger des thèmes chers à la gauche : relocalisation de l’activité économique, solidarité nationale et accès à des soins de qualité, nécessité de mener une transition écologique face au dérèglement climatique et à l’effondrement de la biodiversité.

Pourtant, la course à la concurrence généralisée est toujours aussi vive et les partis de gauche semblent incapables de transformer les colères populaires en espoirs d’un ordre social nouveau. En témoignent les sondages qui dépeignent le RN comme grand vainqueur de la réforme des retraites. Les ouvriers, pour la grande majorité d’entre eux, ne votent plus à gauche et les classes populaires ne s’identifient plus à elle depuis longtemps. Bien que la Nupes soit parvenue à éviter la déroute de la gauche aux élections législatives, rares sont les Français qui s’identifient encore aux partis de gauche. La base sociale des différentes organisations qui la composent donne trop souvent l’impression de se rétracter autour d’un entre-soi de diplômés urbains et de militants vieillissants.

SORTIR DE L’IMPUISSANCE

En focalisant leur attention sur la compétition électorale (avec des débats interminables sur l’opportunité de créer des coalitions qui perdent parfois tout sens politique), les partis de gauche ont arrêté de penser les mutations économiques, sociales et politiques de notre société et ne parviennent plus à proposer une « vision du monde » cohérente et crédible, en même temps qu’ils délaissent toute ambition en matière d’actions concrètes sur le terrain.

Dans une société en crise, où il est de bon ton d’exalter la réussite individuelle et de mépriser les solidarités collectives, il est temps de proposer un autre modèle. Certes la concentration de la majorité des médias français entre les mains de quelques milliardaires complexifie l’émergence de récits alternatifs. Mais le travail sur les représentations collectives est depuis longtemps délaissé au profit d’incantations rituelles à la lutte contre l’extrême droite. À l’inverse, les droites, celle du chef de l’État comme celle du Rassemblement national, bien que défendant les intérêts des classes dominantes, grandes gagnantes de la mondialisation financière, ont su jouer sur les peurs des Français et toucher les déclassés et les classes populaires.

Autrefois existait une contre société de gauche, qui se manifestait par une multitude d’associations (sportives, de soutien scolaire, de musique, de collecte alimentaire, etc…) présentes un peu partout sur le territoire. Un grand nombre de Français avait ainsi une expérience concrète de l’action menée par ces associations : concerts, tournois de foot, cours du soir, etc… Certaines de ces associations existent toujours mais se réduisent comme peau de chagrin en raison du peu d’attention portée à la construction et à l’ancrage social des organisations politiques. Le contrecoup de la révolution numérique a été un éloignement physique grandissant entre les représentants politiques et les citoyens et l’abandon progressif de toute action locale (hormis la diffusion de tracts et le collage d’affiches en période électorale). S’inscrire dans le temps long de la construction idéologique et de l’ancrage social, voilà les conditions d’un véritable renouveau à gauche.

RESTAURER LES CONDITIONS DE L’ESPÉRANCE

Ce sont les objectifs que nous nous fixons en créant dès septembre 2023 l’Université des Possibles. Rassemblant des élus et militants de gauche, intellectuels et associatifs, salariés du public comme du privé, l’Université des Possibles organisera des tables rondes, largement accessibles, et visant à répondre aux grands enjeux auxquels devra faire face le pays au cours du XXIe siècle : la réinvention du contrat républicain ; la transformation écologique et la démondialisation de l’économie ; la révolution féministe ; l’invention d’une nouvelle coopération internationale.

Soucieuse de renouer avec l’éducation populaire, et fidèle à l’héritage des universités itinérantes promues par Jean Jaurès, l’Université des Possibles organisera également des événements populaires (cafés débat, conférences, banquet populaire) sur l’ensemble du territoire national, dans les grandes villes comme dans la France périphérique et rurale. Au cours de la programmation pour l’année 2023-2024, l’université sera notamment présente à Marseille, Rochefort, aux Lilas, à Nantes, Lyon, Angers, Bordeaux, Toulouse, Mont-de-Marsan, Montélimar.

Construire une alternative à l’actuelle dérive autoritaire et libérale du chef de l’Etat est nécessaire : d’autres possibles existent pour répondre à la crise globale.

Le temps presse : pour réussir ensemble, unissons-nous !


Les premiers signataires (par ordre alphabétique) :

Bassem Asseh, PS, 1er adjoint de la maire de Nantes

Philippe Brun, Député PS de l’Eure

David Cayla, maître de conférences en économie à l’université d’Angers

Jean-François Collin, ancien haut-fonctionnaire

Jean-Numa Ducange, Professeur d’histoire contemporaine (Université de Rouen)

Frédéric Farah, économiste et enseignant à Paris 1

Frédéric Faravel, conseiller municipal et communautaire GRS de Bezons

Barbara Gomes, conseillère municipale de Paris, groupe Communiste et Citoyen

Hugo Guiraudou, directeur de publication du Temps des Ruptures

Liem Hoang Ngoc, ancien député européen, économiste et président de la Nouvelle Gauche Socialiste

Jean-Luc Laurent, Maire MRC du Kremlin-Bicêtre

Marie-Noëlle Lienemann, Sénatrice de Paris, co-fondatrice de la Gauche Républicaine et Socialiste, ancienne ministre

Emmanuel Maurel, Député européen, co-fondateur de la Gauche Républicaine et Socialiste

Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l’Université Paris II Panthéon-Assas

Arnaud de Morgny, directeur-adjoint du centre de recherche de l’école de guerre économique-cr451

David Muhlmann, essayiste et sociologue des organisations

Pierre Ouzoulias, Sénateur PCF des Hauts-de-Seine

Chloé Petat, co-rédactrice en chef du Temps des Ruptures

Christophe Ramaux, maître de conférence en économie à l’université Paris I

Laurence Rossignol, Sénatrice PS de l’Oise, ancienne ministre

Stéphanie Roza, chargée de recherche au CNRS, philosophe spécialiste des Lumières et de la Révolution française

Milan Sen, co-rédacteur en chef du Temps des Ruptures

Mickaël Vallet, Sénateur PS de Charente-Maritime

L’impasse écologique de l’extrême droite

Le mois de juillet 2023 a été le mois le plus chaud jamais enregistré sur Terre ; le lundi 21 août a été le jour le plus chaud enregistré en France après le 15 août et les jours qui suivent battent de nouveaux records.

Et pour l’avenir, le dérèglement climatique étant à l’œuvre, rien de bon n’est attendu si nous ne changeons rien.

Salima Benhamou et Jean Flamand, économistes à France Stratégie, ont écrit ces jours-ci, parmi tant d’autres plumes, « Les vagues de chaleur seront encore plus intenses et plus longues, le niveau marin va augmenter, les conditions propices aux feux de forêt vont s’étendre et la sécheresse des sols concernera la quasi-totalité du territoire ».

C’est dans le creux de cette chaude torpeur estivale que l’extrême droite avance des propositions assassines en fidèle valet du capitalisme financier mondialisé qu’elle est. La négation des données scientifiques du GIEC, pourtant largement confirmées par toutes les analyses scientifiques, ou leur relativisation « ils ont tendance parfois à exagérer », histoire de faire accepter le climato-scepticisme du RN, révèle un confusionnisme volontaire et grave, car il fait le nid de l’irrationnel qui se développe, hélas, en période de crise. C’est au contraire la pensée rationnelle qui devraient être mise en avant pour élaborer et mettre en débat des choix politiques démocratiques et éclairés.

« L’écologie du bon sens » devient dans sa bouche la version vulgaire du précepte du Prince de Salina dans Le Guépard : « Si nous voulons que tout reste pareil, il faut que nous changions tout ». Aussi, le RN prétend-il s’appuyer sur deux leviers pour lutter contre l’évidence.

1- Faire croire que seule la technologie suffira

Alors même que le récent rapport de l’Académie de Technologie souligne que cette voie ne suffira pas – que ce soit par le déploiement des éoliennes, des panneaux solaires, des nouveaux réacteurs nucléaires ou encore des systèmes de captage de CO2, voire de la production d’hydrogène vert, le RN se singularise par son refus de la plupart des solutions, comme le développement de la voiture électrique ou l’implantation d’éoliennes. Il faudra pour répondre au défi du changement climatique mener d’autres politiques, même si à l’évidence, une profonde décarbonation de notre mix énergétique est essentielle.

À la fin des mises à l’écart du RN, il ne reste que de la poudre de perlimpinpin avec de vagues espoirs formulés sans solutions pratiques réelles sur la réglementation de l’usage de l’eau et des énergies, la maîtrise des catastrophes naturelles ou un nucléaire sobre en eau (quelles que soient les recherches effectivement en cours dans ce domaine) qui de toute façon n’ont absolument rien d’opérationnel actuellement.

2- L’agrarisme

C’est une vision fantasmée de la ruralité française héritée du XIXème siècle, largement reprise lors de la « Révolution nationale » du régime de Vichy et sa « Terre qui ne ment pas ». Ce fantasme vise à caresser les colères et frustrations du monde rural et périurbain, qu’il ne faut évidemment pas négliger. Le RN insiste sur une fracture européenne espérant ainsi encore élargir sa base électorale tout comme la dernière forme de l’extrême droite agrarienne néerlandaise (BBB) ou le parti espagnol (Vox).

Rêvant de paysages ruraux immuables, le RN oublie le vide de la disparition progressive et silencieuse de la biodiversité ainsi que celle des bois et des haies changeant la gestion de l’eau agricole, l’impact des pesticides dont ils soutiennent la plupart du temps l’usage, l’extrême pauvreté de la majorité des agriculteurs, l’urbanisation mal maîtrisée réduisant les terres agricoles qu’ils disent paradoxalement défendre allant même jusqu’à voter, au Parlement européen, contre un texte dit du « retour à la nature ».


Dans sa logique libertarienne (refus de toute mesure contraignante et relativisme contre « l’alarmisme » du GIEC), le RN se refuse à toute redistribution des richesses et à la taxation de plus riches et des plus gros pollueurs pour dégager les moyens qui permettraient de financer la transition écologique et son accompagnement. Or cette adaptation de nos société pour être efficace et lutter contre l’aggravation du changement climatique nécessitera évidemment des investissements publics massifs. Et sans financement conséquent, il n’y aura pas non plus de compensation pour les plus modestes de nos concitoyens qui pourraient être affectés par des changements nécessaires. Se faisant, avec son discours prétendument protecteur, le RN tourne en réalité le dos à la protection des biens et des personnes.

En opposition frontale au discours résigné de l’extrême droite, nous, républicains de gauche, affirmons que c’est maintenant qu’il faut agir, développer des plans massifs d’investissements publics et reconstruire un mode de développement qui permettent tout à la fois l’épanouissement des sociétés humaines, la justice sociale et la préservation de l’environnement. Il est temps de construire un nouveau pacte républicain assurant une transition écologique progressiste.

Alain Fabre-Pujol, Marie-Noëlle Lienemann et Frédéric Faravel

“L’urgence, c’est la crise générale de l’éducation” : après les émeutes, l’entretien croisé Bellamy–Maurel dans Marianne

entretien publié dans Marianne le 27 juillet 2023 – Propos recueillis par Louis Nadau et Soazig Quéméner

Il n’existe pas de lecture simple des émeutes et des pillages survenus à la fin du mois de juin sur notre territoire. Partant de deux analyses très éloignées – le poids de l’immigration d’un côté, la question sociale de l’autre –, les deux eurodéputés François-Xavier Bellamy (LR) et Emmanuel Maurel (gauche) convergent dans cet échange sur une nécessaire reprise en main de l’école, sans forcément avoir les mêmes solutions.

Marianne : Il y a un mois, la France était secouée par une vague de violences et de pillages… Comment qualifieriez-vous ce qui nous est arrivé ?

François-Xavier Bellamy : On ne peut pas ne pas voir que la population qui s’est soulevée est une population très majoritairement connectée au phénomène migratoire à une, deux ou trois générations. Trois générations dont, dans le contexte de faillite massive de l’intégration que notre pays connaît, beaucoup restent à distance d’une identité française qu’ils n’ont pas rejointe. Le deuxième phénomène qui est lié à cette crise d’intégration, c’est l’échec, la faillite de l’école.

Emmanuel Maurel : Il y a des raisons très claires à ce problème d’intégration. Si des politiques ou des pratiques de logement consistent à parquer tous les mêmes gens précaires au même endroit, forcément… En revanche, je ne suis pas d’accord avec le lien entre émeutes et immigration. Pourquoi ? Parce qu’on parle de gosses de 13 ou 14 ans qui sont français, dont les parents sont français, et dont même les grands-parents parfois sont français. J’observe enfin que ceux qui se sont livrés à ce bordel, ce vandalisme et cette violence, sont aussi, la plupart du temps, les enfants des travailleurs qui étaient en première ligne pendant le Covid.

F.-X.B. : Je ne dis pas que les gamins qui ont fait ça ne sont pas français, mais le fait est qu’ils ne se définissent pas comme tels. C’est là où il y a une faillite, que je ne leur impute pas – ce qui, sans doute, me rendrait suspect aux yeux de gens qui reprocheront immédiatement l’excuse sociale au premier qui essaye de ne pas dessiner un monde en blanc et noir. Ce qui s’est passé est un gigantesque acte d’accusation contre les faillites de l’école, qui ont créé le terreau de la fracturation communautariste. Mais si on continue avec un tel flux d’accueil, de nouveaux arrivants tous les ans, il n’y a aucune chance qu’on arrive à recréer la conscience d’appartenir à une nation commune.

E.M. : Je suis comme vous, je souffre quand je vois des enfants qui ne se sentent pas français, voire qui rejettent la France. Mais attention aux théorisations et aux généralisations à l’emporte-pièce. N’oublions jamais qu’il y a un élément déclencheur dans ces émeutes : la mort d’un jeune homme à l’occasion d’un contrôle policier. Ces gosses dont on parle se réinventent une identité aussi parce qu’ils se sentent discriminés, rejetés, qu’ils sont victimes de racisme. Quoi qu’il en soit, je pars du principe que la République doit aimer tous ses enfants. Même ceux qui disent « nique la France ». D’ailleurs, face au rapport à la France, si j’étais un peu taquin, je dirais que le riche qui planque son pognon dans les paradis fiscaux, il n’aime pas plus la France que les émeutiers.

F.-X.B. : Je suis absolument d’accord…

E. M. : Donc, ce patriotisme, tout le monde devrait contribuer à le renforcer, pas seulement les pauvres de banlieue d’origine étrangère. Les défaillances de l’intégration, le communautarisme qui est ­incontestable, sont aussi un résultat de la mondialisation capitaliste et de l’atomisation néolibérale qui cassent les repères, qui cassent l’État social, qui démantèlent les services publics et qui font que les gens, à un moment, se retrouvent seuls. Il y a une logique à l’œuvre derrière tous ces phénomènes de réinvention identitaire fantasmée. Parce que le petit gosse qui dit « je suis marocain », il n’a pas du tout envie d’aller vivre au Maroc.

Le gouvernement a réclamé le retour de l’autorité parentale…

E.M. : Il y a une crise générale de l’éducation qui ne se limite pas à celle de l’autorité parentale. La réponse du gouvernement est très insuffisante : le problème, ce n’est pas juste que les parents ne savent pas tenir leurs gosses. C’est que l’école n’est plus un sanctuaire, mais un lieu où les contradictions de la société, sa violence, s’invitent. Quand on ajoute à cela le fait que le métier d’enseignant est dévalorisé, mal payé, de plus en plus difficile… Je ne ferai jamais de procès aux instits, aux enseignants, au personnel de l’Éducation nationale, des gens qui sont payés 1 500 balles, qui ont en face d’eux tous les problèmes de la société, et à qui on ose dire : « C’est à vous de trouver la solution. » Je reviens sur une chose qui me paraît bien plus grave : la sécession des riches à l’école. C’est symptomatique du dysfonctionnement complet des élites dirigeantes. Ceux qui viennent disserter sur les plateaux de l’autorité parentale et de la crise de l’école sont ceux-là mêmes qui, comme ils disent, ont « mis leurs enfants à l’abri » ! Donc, évidemment qu’il y a des impératifs de mixité à réhabiliter et une politique éducative à refonder. Tout ça mériterait qu’on prenne le temps de réfléchir, qu’on remette tout à plat, qu’on se dise les choses et qu’on n’occulte rien.

« La République doit aimer tous ses enfants. Même ceux qui disent ‘nique la France’. D’ailleurs, face au rapport à la France, si j’étais un peu taquin, je dirais que le riche qui planque son pognon dans les paradis fiscaux, il n’aime pas plus la France que les émeutiers », Emmanuel Maurel

F.-X.B. : Oui, l’école ne resterait pas une minute dans l’état où elle est si les ministres, les parlementaires, les chefs d’entreprise et les journalistes n’avaient pas d’échappatoires pour scolariser leurs enfants. Je ne leur reproche pas de vouloir que leurs enfants puissent bénéficier de la meilleure éducation possible. Mais le problème, c’est d’accepter que les enfants des autres en soient privés. En revanche, si la mondialisation a bien eu des effets dévastateurs, ce n’est pas elle qui a cassé l’école. C’est une idéologie qui condamnait l’héritage et l’idée même de l’appartenance à la nation, au motif qu’elle empêchait l’émancipation de l’individu. Qui condamnait la transmission parce qu’elle engendrait de la ségrégation. Je ne blâme pas les professeurs, à qui on a volé le métier : on leur a expliqué que l’élève doit produire ses propres représentations du monde, qu’il faut qu’il écrive son histoire, sa vie, qu’il n’y a aucune raison d’imposer à quelqu’un un carcan culturel. C’est cette dérive qui est en cause.

Pourquoi vos familles politiques respectives ont-elles du mal à produire un discours qui prenne en compte l’ensemble des causalités de ces émeutes ?

E.M. : C’est normal qu’en tant qu’homme de gauche je n’aie pas forcément la même vision de la société qu’un homme de droite, même si nous avons en commun la conviction qu’il faut sortir le pays du marasme. Simplement, nous n’avons pas la même grille de lecture sur les aspects économiques, sociaux et territoriaux de la crise, et donc des solutions à apporter. En revanche, je reconnais la nécessité de renforcer la loi et l’ordre, tout en améliorant les politiques d’intégration.

La nécessité de mettre de l’ordre, ce n’est pas exactement le discours qui a été celui de la force majoritaire à gauche, La France insoumise.

E.M. : D’accord, mais les électeurs de gauche et de nombreux partis de gauche étaient pour qu’on appelle au calme. Les principales personnes qui sont pénalisées par le désordre, ce sont les gens qui vivent dans les quartiers en question. Ce qui compte, c’est de tracer une perspective progressiste, c’est-à-dire comment on fait pour remettre du service public ? Quelles réformes dans la police et la justice ? Quelles réponses à la crise éducative ? Comment on casse les ghettos ? C’est ça qui est intéressant. Et pour l’instant, le gouvernement n’a rien dit du tout là-dessus.

F.-X.B. : Il faut améliorer tout ce qui doit l’être dans la police. Il y a certainement des choses qui dysfonctionnent, mais je suis révolté de voir que des élus sont capables de reprendre à leur compte des slogans aussi lamentables que « Tout le monde déteste la police » ou bien « La police tue, la police assassine ». Il n’y a pas un policier de France qui se lève le matin en disant : « Je vais aller tuer un jeune aujourd’hui pour le plaisir. » Et s’il y avait du racisme structurel dans la police, honnêtement, le pays ne serait pas dans l’état où il est aujourd’hui. Le sujet, c’est aussi la justice. On est l’un des pays d’Europe qui sous-financent le plus sa justice. L’état de la justice contribue à ce que des policiers, et je ne les excuse pas pour autant, considèrent qu’ils sont les agents d’une sorte de justice immanente, parce que les gens qu’ils arrêtent, finalement, ne seront pas réellement sanctionnés.

Je regrette par ailleurs que certains à droite pensent qu’on s’en sortira en mettant de la police partout, des caméras vidéo de surveillance, en rentrant dans une vraie société policière. On ne mettra pas un policier derrière l’épaule de chaque Français. Donc, à la fin, la clé est toujours éducative. Ces gamins-là subissent une discrimination majeure qui est qu’ils sont ceux qui payent le prix fort de l’échec de l’école. Aujourd’hui, la France est un pays rempli d’opportunités. Si on ne veut pas vivre dans la misère, on n’y est pas condamné, à condition d’avoir reçu, et c’est là où je reviens à la question scolaire, des connaissances fondamentales et une culture en héritage. Cela a été la grande folie de nos dirigeants de considérer que l’école devait d’abord donner des compétences professionnelles aux enfants.

E.M. : Ce que vous dites est à rebours de tout le discours de la droite depuis 30 ans.

F.-X.B. : De la gauche aussi. Mais je suis d’accord, la droite n’a pas été à la hauteur sur le sujet. La clé, c’est de donner aux enfants une culture générale essentielle qui leur permette justement ensuite de trouver leur place dans la vie de la société, y compris, mais pas seulement, dans la vie économique. C’est le seul sujet qui devrait compter aujourd’hui.

Émeutes : quelles leçons pour la gauche ? par Christophe Ramaux

Christophe Ramaux est Maître de conférences à l’université Paris I-Panthéon Sorbonne, membre des Économistes atterrés. Nos chemins se croisent régulièrement et, après la publication de son dernier essai Pour une économie républicaine : une alternative au néolibéralisme (février 2022, édition De Boeck), nous l’avions à nouveau invité à débattre à nos côtés sur notre stand de la Fête de l’Humanité en septembre 2022. Lorsqu’il a publié sa réflexion ce mois-ci sur les émeutes (leurs causes, leurs conséquences, l’absence de réponses aux problèmes qu’elles soulèvent) qui ont frappé nos concitoyens fin juin, nous avons à nouveau constaté nos convergences avec ses analyses. Nous lui avons demandé aujourd’hui l’autorisation de publier celle-ci sur notre site et il a immédiatement donné son accord – qu’il en soit chaleureusement remercié. Vous trouverez donc la version longue de son propos ci-dessous et vous pourrez en consulter une version plus courte sur le site d’Alternatives Économiques publiée le 21 juillet dernier. Bonne lecture.

Nous y sommes, au cœur des congés payés, avec Charles Trenet et sa Nationale 7 dont le ciel d’été « chasse les aigreurs et les acidités / Qui font l’malheur des grand’s cités / Toutes excitées ». Des ados taquinant les institutions et donc la police pour s’affirmer n’est pas nouveau. La conduite sans permis et le refus d’obtempérer sont devenus un rite de passage dans nombre de bandes. On doit le déplorer, reconnaître que ce n’est pas simple à gérer. Rien n’autorise cependant à y répondre par la mort. Et celle de Nahel s’ajoute à une trop longue liste. Il y a décidément lieu de revoir certains règles d’intervention de la police. Bourdieu voyait dans le régalien la « main droite » de l’État. C’est offrir beaucoup à la droite. N’est-il pas essentiel que les lois et la Constitution même, les institutions les plus « systémiques » donc, posent pour le régalien la mission de faire respecter les droits de l’homme et du citoyen, dont la lutte contre le racisme ? N’est-ce pas une précondition du progrès social ?

Pour refonder la police encore faut-il reconnaître sa légitimité. On mesure la vacuité de ceux qui clament « tout le monde déteste la police ». Et leur infatuation : les forces de l’ordre comptant parmi les services publics les plus populaires, c’est bien une bonne part du peuple que ce « tout le monde » efface. Une émeute a toujours un sens politique. Encore faut-il ne pas se méprendre sur ce sens. Tout ce qui bouge n’est pas rouge. Quand la république recule, les petits rois refont surface. C’est vrai de certains policiers et de certains de leurs syndicats, preuve au passage des dangers bien réels du corporatisme. C’est vrai aussi de ces jeunes qui s’autorisent à piller et à casser, des commerces proches, des mairies, des écoles et à l’occasion des cibles juives ou LGBT. L’extrême-droite pointe dans ces jeunes émeutiers des « sauvages ». Mais certains progressistes ne raisonnent-ils pas de même en les enfermant dans le statut de victimes irresponsables ? Respecter autrui, n’est-ce pas aussi lui dire qu’on désapprouve certains de ses actes ? Derrière le paternalisme compassionnel, c’est finalement le mépris à l’égard de ces jeunes eux-mêmes qui perce.

Un mépris qui s’étend aux « quartiers ». L’extrême-droite est dans son funeste rôle quand elle assimile tous les quartiers et leurs immigrés qui y sont concentrés aux « ensauvagés ». Mais n’est-ce pas lui emboîter le pas que de dire que ce sont les « quartiers » qui ont embrassé les émeutes ? Avec ce souci : si le nombre des jeunes émeutiers a été non négligeable, ils n’en forment pas moins qu’une infime minorité de la jeunesse et a fortiori de la population des « quartiers ». Et c’est d’abord dans ceux-ci, on le comprend au regard des dégâts subis, que les émeutes ont été condamnées. Ces autres voix ne méritent-elles pas d’être entendues et respectées ? Le bon côté de la barricade n’était-il pas du côté de ceux, ces mères notamment, qui ont veillé pour protéger « leurs » services publics ?

La régression d’une certaine gauche vient de loin

N’en déplaise aux libertariens et anarchistes, la société n’est pas un amas d’individus. Vivre ensemble, former société, suppose valeurs et règles partagées. Les appartenances communautaires (familiale, associative culturelle, religieuse…) sont multiples et respectables. La religion offre à sa façon un surmoi qui mérite d’être compris a fortiori si l’on souhaite la critiquer1. La république soutient toutefois que l’organisation politique de la cité relève du suffrage universel et des lois qui en procèdent et non de la religion, y compris pour permettre à chacun de croire ou non. Les replis communautaires et les régressions religieuses – avec l’islamisme intégriste mais aussi l’évangélisme ici et ailleurs – ont progressé ces dernières années. Certains refusent de le voir, pire battent le pavé contre l’« islamophobie », assimilant ainsi toute critique de la religion – on ne parle pas de la haine des musulmans – à du racisme, ce malgré Charlie, et les intégristes qui brodent sur cette corde victimaire. Mépris à nouveau : celui de l’essentialisme qui assigne, avec en premières victimes les immigrés ou issus de l’immigration agnostiques ou athées, ou qui croient en respectant la laïcité, sans parler des femmes iraniennes.

Loin des replis identitaires et de la lutte sans fin de tous contre tous, les républicains combattent pour l’égalité et la fraternité afin que tous les citoyens – quelles que soient leurs origines – se sentent membre à part entière de la communauté nationale. Un combat universel, embrassé sous tous les continents : c’est en le reprenant que la Société des amis des Noirs a engagé sa lutte contre la traite, que Saint-Domingue s’est soulevée, que l’esclavage a été aboli sous la Révolution et que les peuples aux quatre coins du monde ont mené combat contre le colonialisme et pour leur indépendance.

Une partie de la gauche n’a jamais saisi la portée révolutionnaire de la république. C’est par elle que Jaurès est venu au socialisme. La Révolution française, souligne-t-il en 18902, a été socialiste en politique, elle a «transféré à la nation toute entière la propriété politique […] qu’une famille entendait se réserver indéfiniment ». Elle l’a été dans « l’organisation de la famille » avec, la fin des privilèges et du droit d’aînesse, le partage égalitaire de l’héritage, y compris pour les filles. Dans « l’organisation de l’enseignement public » avec les écoles primaires gratuites. Dans « sa conception de la propriété », va- t-il jusqu’à soutenir, en ouvrant le droit de propriété à tous et en le bornant « par la loi », afin de ne pas « préjudicier […] ni à l’existence, ni à la propriété » des autres. Nul socialisme n’est concevable sans la république a-t-il soutenu inlassablement. On est aux antipodes de ceux qui, aujourd’hui encore – malgré les sphères de l’État social échappant au capital (protection sociale, services publics…) bien plus développées que du temps de Jaurès – soutiennent que l’État n’est au fond que bourgeois et la République de même. Un État néocolonial surenchérissent les mêmes ou d’autres, sans craindre le révisionnisme eu égard à ce qu’était réellement le colonialisme. La République : une expression de la

« domination blanche »3 ? L’extrême droite, à nouveau, est à son aise. De même que Renaud Camus l’est avec l’usage inconsidéré du terme « racisé » : « On critique l’extrême gauche, les BLM [Black Lives Matter], les islamogauchistes, mais ce sont tout de même eux qui nous auront sortis de cette ridicule parenthèse antiraciste et pseudoscientifique selon laquelle les races n’existaient pas »4.

La gauche pour transformer réellement la société doit porter un projet à vocation majoritaire. Le droit à la sécurité – la protection sociale a mobilisé son vocabulaire pour se légitimer – en fait évidemment partie. Il en va de même pour la maîtrise de l’immigration. Le contrôle des frontières ne sert à rien supputent les no border. Mépris pour la misère du monde cette fois : comme si les migrants ne s’orientaient pas aussi en fonction des conditions d’accueil offertes ou non ; comme si l’ouverture complète des frontières, des droits sociaux et le transport organisé et gratuit afin d’éviter les trafics et leurs naufrages, ne se traduiraient pas immédiatement par l’afflux de millions de migrants. Le patronat le plus rétrograde a toujours été favorable aux vastes flots d’immigration. Jaurès avait su fustiger aussi cela. Au nom de quoi d’ailleurs l’immigration devrait-elle échapper à l’idée qu’en tout domaine la maîtrise politique doit primer5 ?

La France a été et demeure un pays d’immigration. L’extrême-droite se repaît de la supposée faillite du « modèle républicain d’intégration ». Faut-il reprendre ce refrain alors même que les mariages mixtes, preuve de la résilience de ce modèle dont c’est une singularité, n’ont nullement disparu6 ? Et quel autre modèle lui opposer ? Celui, américain, du développement pendant longtemps légalement séparé, d’où la distinction de « races » dans le recensement depuis 1790 jusqu’à nos jours7 ? Même s’il est effectivement mis à mal, on peut au contraire soutenir qu’il y a lieu de défendre un modèle qui, sans écraser les différences – comme ce fut certes le cas pendant longtemps – se propose néanmoins de les subsumer autour de valeurs républicaines partagées. Accueillir dignement les immigrés suppose d’en maîtriser les flux : on s’excuse d’avoir à rappeler cette platitude. Le logement, pour ne citer que lui, n’est pas extensible à souhait. Face aux ghettos ethniques et face au racisme qui existe toujours – y compris au sein de la police ce qui est particulièrement inacceptable –, il y a bien une priorité à relancer l’intégration pour faire peuple commun.

Ségrégation spatiale et travail : quelles réponses ?

Le social – est-ce à un économiste de le rappeler ? – ne se réduit pas aux conditions économiques, contrairement à ce que d’aucuns laissent entendre, aujourd’hui comme en 2005, comme pour excuser les émeutiers. Il est aussi affaire de représentations, de valeurs, d’où d’ailleurs les attitudes différentes au sein des « quartiers » face aux émeutes. Pour faire peuple commun, il y a bien un combat de valeurs à engager. Celui contre la supposée « domination blanche » – comme si on ne pouvait pas être « non blanc » et exploiteur, « blanc » et dominé, a fortiori plus de soixante ans après les indépendances – éloigne évidemment du fraternel, ne peut qu’alimenter la bascule de nombre d’ouvriers et d’employés vers le Rassemblement National.

Tout n’est pas qu’économique et il importe d’instiller dans l’économie elle-même les principes républicains, de promouvoir une économie républicaine, expression dont on s’étonne qu’elle n’ait pas surgi plus tôt, comme si l’économie et de la république ne méritaient pas d’être rapprochés8. Jaurès, à nouveau, en a posé les jalons. La république est amputée, soulignait-il, si elle ne s’accompagne pas de son volet économique avec la république sociale.

L’économie républicaine doit prévaloir en tout domaine, et notamment sur deux volets en lien direct avec les émeutes.

Celui de la ségrégation spatiale tout d’abord. Fipaddict et Thierry Pech ont fait œuvre utile en invitant à se départir d’un catastrophisme englobant sur les « quartiers »9. Dans les Quartiers de la politique de la ville (QPV), le taux de pauvreté (à 43%) est trois fois plus élevé qu’ailleurs en France, le taux d’emploi y est inférieur de 22 points, la mixité sociale recule10. Les QPV ne sont pas pour autant des ghettos homogènes et « perdus ». Le taux de chômage et le nombre d’allocataires au RSA y ont plus baissé qu’ailleurs ces dernières années. La mobilité ascendante y existe. Ils sont pour une part comme des aéroports où on atterrit mais d’où aussi on décolle avec une rotation importante des habitants.

La concentration des immigrés et singulièrement des plus pauvres dans les QPV pose problème. Mais comment y remédier ? Le capitalisme libéral creuse les inégalités territoriales. Les communes riches attirent les plus riches, d’où la flambée des prix qui rend le logement inabordable aux moins aisés, etc. ; à l’opposé, ceux qui en ont les moyens quittent les communes pauvres dès qu’ils le peuvent, d’où l’appauvrissement cumulatif de ces communes. Si les ghettos de pauvres existent, ceux des riches existent aussi et sont bien plus fermés. Seule l’intervention publique peut contrer cette polarisation. Preuve qu’il est possible d’agir, la loi SRU de 2000 y a œuvré. Il est temps d’aller au-delà : en durcissant les pénalités financières à l’égard des communes récalcitrantes à la construction de logements sociaux, mais aussi en accroissant et facilitant la mobilisationfoncièreà la main des préfets pour la construction de ces logements – et en particulier des très sociaux – au sein des communes aisées. Cela permettrait de réduire les temps de transports – une sobriété heureuse – de ceux dont le métier est de travailler dans les quartiers aisés.

Le travail et les métiers justement : c’est le second grand enjeu. Le chômage et les emplois plus souvent à temps partiel et précaires minent les QPV. Les études abondent qui attestent du maintien de la reproduction sociale. Dénoncer celle-ci est évidemment essentiel, mais gare, ce faisant, à ne pas alimenter la disqualification des métiers d’ouvriers et d’employés, d’entretenir l’idée que les occuper est peu ou prou calamiteux. Nous aurons toujours besoin demain d’ouvriers, les vastes chantiers de la bifurcation écologique l’exigent, et d’employés, du fait notamment du vieillissement de la population et donc des besoins liés à la dépendance.

Instiller de la république en économie, c’est aussi soutenir que tous les métiers doivent être tenus pour strictement égaux dans le respect qui leur est dû. En Allemagne, on peut encore être fier lorsque son rejeton accède à un poste d’ouvrier. On en est loin en France, malgré la mise en évidence du rôle essentiel des « premiers de corvée » et autres « secondes lignes » avec le covid. Le magnifique Discours à la jeunesse de Jaurès se terminait, ce n’est pas anodin, par un éloge de la fierté du travail bien fait,«quel qu’ilsoit», et des travailleurs qui l’exercent. C’est un enjeu majeur trop souvent omis dans les travaux sur la mobilité sociale : redonner à tous les travailleurs leur fierté.

Les représentations importent : n’est-ce pas au nom de l’égale dignité des métiers qu’on peut d’autant mieux exiger de réduire les distances entre eux ? Les progressistes aux petits pieds se bornent à promouvoir l’égalité des chances. La priorité serait de permettre aux femmes, aux « minorités », voire aux fils d’ouvriers pour les plus hardis, de devenir patron du CAC 40. On peut retenir une autre priorité : un nouvel âge de l’égalité, avec une authentique revalorisation tant matérielle que symbolique des ouvriers et employés et la limitation des écarts pour « ceux d’en haut ». L’égalité des chances y gagnera puisque ce n’est pas en augmentant la hauteur d’une échelle qu’on facilite d’y grimper à son sommet.

Il est minuit moins le quart pour la gauche

En 1936, à la Libération et en 1981, c’est lorsqu’elle a porté la république en politique comme en économie que la gauche a pu accéder au pouvoir, déployer ses grandes réformes. Les promoteurs du néolibéralisme économique savent le bénéfice qu’ils peuvent tirer lorsque ceux qui s’opposent à ce néolibéralisme prennent leur distance avec la république, s’enlisant inexorablement dans des postures minoritaires. La droite, Macron avec, l’a parfaitement compris à l’occasion des émeutes : ils arguent de la défense de la République pour mieux ne rien changer dans la politique économique. La république mérite pourtant mieux qu’une défense hémiplégique. Raphaël Enthoven et Caroline Fourest, pour ne citer qu’eux, s’en posent en gardiens, mais en négligeant son volet social. D’où la défense de la politique économique de Macron, dont la réforme des retraites, dans leur journal Franc- Tireur, avec en chroniqueur économique Olivier Babeau, encenseur des dividendes et des milliardaires.

On se désole de la montée du Rassemblement National. Encore faut-il en sonder les ressorts. Cette extrême-droite a tourné le dos à la dénonciation de la « gueuse ». Elle se présente, à sa façon, en défense de la république tant au niveau politique que social, d’où sa progression.

La gauche ne pourra offrir une alternative crédible si elle est dominée par deux pôles qui sont autant d’impasses : l’un, opposé au néolibéralisme économique, mais au message brouillé sur le volet républicain du politique, l’autre, dont Macron est un pur produit, qui prétend porter ce dernier volet, mais pour mieux justifier le néolibéralisme.

Il est minuit moins le quart pour la gauche. Puisse-t-elle, avec Jaurès, se reconstruire comme gauche authentiquement républicaine et sociale… pour que ne sonne pas son glas.


1 C’est devant El prendimiento de Cristo de Goya (le Christ y prend toutes les bassesses et offre tout) à Tolède que l’auteur de ses lignes, athée, a saisi il y a quelques années la puissance que porte – et porte encore pour certains – la religion. Et à choisir, les lignes de Marx sur la religion (dans Pour une critique de la philosophie du droit de Hegel – 1844) ne comptent-elle pas parmi ses plus subtiles (« La religion est le soupir de la créature accablée, l’âme d’un monde sans cœur »…) ?

2 « Le socialisme et la Révolution française », La Dépêche de Toulouse, 22 octobre 1890.

3 Sur toutes ces questions, voir la roborative mise au point de Stéphane Beaud, Gérard Noiriel (2021) dans Raceetsciences sociales.Essaisurlesusagespublicsd’unecatégorie, Agone. Voir aussi Florian Gulli (2022), L’antiracismetrahiDéfensede l’universalisme, PUF, ouvrage salué par Gérard Noiriel dans son précieux blog.

4 Cité dans l’article documenté de Gaston Crémieux sur le racisme de Renaud Camus, «LeGrandmâleblanc», Franc-Tireur, n°15, 23 février 2022.

5 Voir sur cette question la courageuse note de la Fondation Jean Jaurès de Renaud Large (2023), «Ambitieux sur les retraites, ferme sur l’immigration : le modèle social-démocrate danois (2016-2023) ».

6 Cf. les résultats de la deuxième enquête Trajectoireset originesde l’Insee (2022) : «La diversitédesoriginesetlamixité des unions progressent au fil des générations », Insee Première.

7 Du premier recensement en 1790 à 1850, seules deux races étaient reconnues : les « blancs » et les « noirs » (avec pour ces derniers les sous-catégories de « libres » et d’esclaves »). S’y sont ensuite progressivement ajoutés les « Amérindiens et autochtones d’Alaska », les « Asiatiques », les « Autres races » et (en 2000) les « Autochtones d’Hawaï et des îles du Pacifique ». S’y superposent l’enregistrement des « origines ethniques » (hispaniques, etc.), le tout avec moult conflits sur leurs contours à l’occasion des recensements tous les 10 ans.

8 Christophe Ramaux (2022), Pour une économie républicaine. Une alternative au néolibéralisme, De Boeck.

9 «Emeutes urbaines et quartiers prioritaires : comment ne pas se tromper de diagnostic », La Grande Conversation, 13 juillet 2023. Voir aussi Vincent Grimault (2023), « Non, les banlieues ne croulent pas sous l’argent public», Alternatives économiques, 07 Juillet.

10 Voir Mathilde Gerardin et Julien Pramil (2023), « En 15ans, les disparités entre quartiers, mesurées selon le revenu, se sont accentuées dans la plupart des grandes villes », Insee Analyses, no79, 11 janvier.

Espagne : la remontada de la gauche

Il y a deux mois, la droite espagnole triomphait aux élections municipales et des parlements des communautés autonomes. Si le PSOE résistait bien, c’est du côté de la gauche alternative et radicale que le désastre était patent. La plupart des « mairies du changement », élues dans le sillage de la crise financière des années 2010, passaient à droite, et Podemos disparaissait de la plupart des conseils municipaux. Les différents partis régionalistes de gauche n’étaient pas non plus en bonne forme, tandis que la droite désormais alliée à l’extrême-droite progressait partout.

Deux mois plus tard, la droite fait grise mine. Les élections du 23 juillet ne permettent pas à Alberto Núñez Feijóo, le leader du Partido Popular (PP), de disposer d’une majorité. Quand bien même le PP progresse de moitié par rapport à 2019, c’est Pedro Sánchez qui apparaît le vainqueur de l’élection d’hier.

La droite a perdu

Avec 33% des voix et 136 députés sur 350, la droite conservatrice espagnole est en tête : le PP gagne plus de 3 millions de suffrages et 48 sièges, faisant bien plus que compenser le sabordage de Cuidadanos (les centristes nationalistes avaient annoncé dès le lendemain des municipales qu’ils ne présenteraient pas de candidats aux élections générales de juillet) et recueillir le vote utile d’électeurs ultra-conservateurs de Vox – un total de près de 2,3 millions de voix, et 29 sièges.

Le PP est talonné par le PSOE qui progresse lui aussi en voix (un peu moins d’un million de suffrages supplémentaires), s’établissant à 31,7%, et en sièges, avec 122 députés (+2, le Parti socialiste catalan progressant lui-même de 7 sièges, quand le reste du PSOE en perd 5).

Vox, parti d’extrême-droite post-franquiste, recule à 12,4% et perd 19 députés, n’en conservant que 33.

Sumar, la nouvelle coalition de la gauche radicale, reste quelques milliers de voix derrière, avec 12,3% et 31 sièges.

Enfin, les différents partis régionalistes et indépendantistes cumulent 7,5% des voix et obtiennent 27 sièges, 12 de moins qu’en 2019, quand leurs scores cumulés atteignaient 10,9%.

Comment la gauche, partagée entre modérés usés par le pouvoir et radicaux discrédités, que tout le monde donnait perdante face à une droite unie et prête à assurer l’alternance, a-t-elle ainsi résisté ?

Tout d’abord, il y a eu l’excellent sens politique de Pedro Sánchez et de Yolanda Díaz, la cheffe de file de Sumar.

Bon sens tactique

À la suite des élections municipales, le Premier ministre socialiste a fait le choix d’une dissolution immédiate des Cortes. La campagne législative a donc eu lieu pendant que les négociations entre Vox et le PP pour le contrôle des mairies et des législatures locales étaient publiques et immédiates. La collusion entre la droite et les nostalgiques de Franco a remobilisé la gauche et effrayé un certain électorat centriste et régionaliste.

La dissolution a également poussé la gauche radicale à s’unir rapidement, plutôt que de s’enfermer dans des négociations stratégiques et idéologiques qui se seraient étalées sur plusieurs mois. Podemos, acculé par la déroute municipale, l’impopularité record des ministres issus de ses rangs et incapable de se remettre du retrait de la vie politique de son leader charismatique deux ans plus tôt, n’a pas eu d’autre choix que d’accepter les conditions de la très populaire ministre communiste du travail Yolanda Díaz, qui avait déjà fédéré dès le mois d’avril la plupart des autres composantes de cette famille politique.

Les régionalistes et les indépendantistes, véritables perdants de cette élection, ont vu leur électorat se réfugier dans l’un ou l’autre des grands partis de la gauche nationale, car effrayés à l’idée de voir Vox intégrer le gouvernement. En Catalogne, si la droite indépendantiste de Junts résiste relativement bien, la gauche républicaine indépendantiste de l’ERC perd la moitié de ses électeurs et députés, au profit des socialistes catalans. Au Pays Basque, la progression des socialistes se fait au détriment des centristes autonomistes du PNV, mais surtout pour la première fois, ces derniers passent derrière la gauche indépendantiste de Bildu, en voix comme en siège (ce parti héritier des soutiens politiques d’ETA gagne près de 60 000 voix alors que le PNV en perd plus de 100 000).

Si ces considérations de forme tactique peuvent expliquer comment – à la marge d’un scrutin proportionnel par région où quelques points de pourcentage déterminent l’allocation des sièges – la gauche a pu empêcher la droite de prendre le pouvoir, des causes plus profondes expliquent plus profondément que cette stratégie ait fonctionné.

L’habileté, c’est surtout une gauche de gauche

La principale est que Pedro Sánchez a fait ce qu’on attend d’une gauche au pouvoir. Il a augmenté les salaires, entamé un processus de réconciliation nationale avec la Catalogne, combattu la nostalgie franquiste en sortant la dépouille du dictateur de son mausolée infâme. Même imparfaite et par trop pusillanime, la gauche espagnole n’a pas trahi, n’a pas fomenté de loi travail anti-syndicale ou mené l’austérité tambour battant.

Alors que Podemos avait obtenu des prérogatives ministérielles limitées aux sujets de société, ses responsables ont fait le choix, désastreux, de s’enfermer dans une rhétorique de plus en plus polémiste, minoritaire, donnant l’impression qu’elle combattait plus la société espagnole que les puissances financières. Sumar et Yolanda Díaz ont donc évité la déroute à la gauche du PSOE, qui aurait sans doute conduit à celle de l’ensemble de la coalition : cela s’est fait en remettant la gauche radicale là où on l’attend et là où elle est majoritaire, c’est-à-dire dans l’ambition forte d’un monde socialement plus juste plutôt que dans la stratégie intersectionnelle. En définitive, la réussite (relative) de Sumar, c’est la victoire des partis (Parti communiste espagnol – plus que Izquierda Unida, que Yolanda Díaz avait formellement quitté en 2019 tout en restant au PCE –, Más País d’Íñigo Errejón, Verdes Equo, mais aussi Compromís et Chunta Aragonesista…) sur le mouvementisme et le populisme de gauche.

Ce parlement sera vraisemblablement sans majorité, et de nouvelles élections pourraient avoir lieu d’ici la fin de l’année 2023. Mais Sánchez et Díaz ont montré qu’un autre chemin est possible : mener une politique juste, faire campagne sur des thèmes avec lesquels la gauche est en phase avec la société. Voilà ce qui a permis la remontada de la gauche espagnole.

Il ne faudra cependant pas sous-estimer la dynamique conservatrice ; si une coalition arc-en-ciel défensive espagnole est possible, il ne faudrait pas que sa constitution s’enlise dans des négociations interminables et que son action soit pusillanime : un échec de ce type pourrait relancer leurs ennemis.

Augustin Belloc

Etat de droit : Emmanuel Macron doit se ressaisir

Les propos confus d’Emmanuel Macron, à la mi-journée lors de son entretien télévisé depuis la Nouvelle Calédonie, sont inquiétants. S’il n’a évidemment pas à commenter une décision de justice, comme garant des institutions il ne peut par contre éluder l’expression du Directeur Général de la Police Nationale (DGPN), qui a mis de fait en cause l’égalité de tous devant la loi.

Le Président de la République aurait dû rappeler les principes fondamentaux de l’Etat de droit, que tout agent public se doit de respecter. La contestation de la procédure légale affaiblit gravement nos institutions et l’autorité de l’Etat. Les hauts fonctionnaires qui apportent de l’eau au moulin corporatiste causent en réalité plus de dégâts qu’ils n’en réparent. Cela vaut pour toutes les missions régaliennes de l’Etat : police, justice, finances publiques, etc.

Le rôle du gouvernement et du Président de la République est tout à la fois de donner aux services publics les moyens d’agir, ce que manifestement il ne fait pas, et de rappeler au DGPN et au Préfet de police de Paris les limites fixée à leur expression, ce qu’il oublie de faire.

Rappelons enfin que l’incarcération préventive d’un policier marseillais par le juge des libertés peut faire l’objet d’un appel par l’intéressé. S’il estime cette décision infondée, il a tout loisir d’user de ce moyen à sa disposition : force doit rester à l’ordre de la loi !

100 jours, un remaniement cosmétique, et après ?

Sans majorité, sans projet politique défini maintenant que la réforme des retraites est passée, Emmanuel Macron se mue en président qui “tourne les pages”. L’exécutif a démontré depuis un an qu’il pouvait gouverner sans légitimité politique et sans tenir compte de la réalité vécue par les Français.

Cette dernière est pourtant cruelle, l’inflation ralentit certes mais les salaires ne suivent toujours pas et le pouvoir d’achat de nos concitoyens prend l’eau. La hausse de 10% des prix de l’électricité nous rappelle à quel point la crise de l’énergie est durable, sans qu’aucune action ne soit engagée pour apporter une réponse structurelle. Les discours s’accumulent sur la reconquête de notre souveraineté économique et industrielle alors que la vente de nos fleurons et les délocalisations se poursuivent. La semaine d’émeute qui a frappé notre pays après la mort de Nahel a démontré à quel point les fractures et les ségrégations sociales et territoriales sont à vifs, mais après un déploiement policier inédit pour rétablir l’ordre, l’exécutif a décidé de se contenter d’une loi expresse de réparation et n’a nullement l’intention d’aller plus loin.

Nos services publics, notamment hospitaliers, abordent cet été dans un état pire que le précédent, mais rien d’autre n’est proposé que le dispositif d’urgence qui avait permis de surnager l’année dernière. Que dire des perspectives de la rentrée scolaire de septembre prochain, après un an d’immobilisme complet sous le ministère de Pap Ndiaye. Le fiasco du dernier trimestre sur la mixité scolaire est venu clore une année pathétique.

Bercy nie toujours l’existence de superprofits alors que les dividendes continuent de s’envoler. Les défis écologiques (canicule, nappes phréatiques, biodiversité…) s’accumulent mais l’inaction générale est couverte par le vacarme des polémiques sur l’écologie radicale et la réponse sécuritaire qu’on oppose à ses activistes.

Aujourd’hui ou demain, on nous présentera donc un nouveau casting de ministres inconnus et souvent dépassés à l’avance par les faits… Le Prince de Lampedusa semble donner le ton des mois à venir : « Si nous voulons que tout reste pareil, il faut que nous changions tout », mais Emmanuel Macron n’a pas le talent de Visconti comme réalisateur.

100 jours, un remaniement cosmétique, et après ?

Sans majorité, sans projet politique défini maintenant que la réforme des retraites est passée, Emmanuel Macron se mue en président qui “tourne les pages”. L’exécutif a démontré depuis un an qu’il pouvait gouverner sans légitimité politique et sans tenir compte de la réalité vécue par les Français.

Cette dernière est pourtant cruelle, l’inflation ralentit certes mais les salaires ne suivent toujours pas et le pouvoir d’achat de nos concitoyens prend l’eau. La hausse de 10% des prix de l’électricité nous rappelle à quel point la crise de l’énergie est durable, sans qu’aucune action ne soit engagée pour apporter une réponse structurelle. Les discours s’accumulent sur la reconquête de notre souveraineté économique et industrielle alors que la vente de nos fleurons et les délocalisations se poursuivent. La semaine d’émeute qui a frappé notre pays après la mort de Nahel a démontré à quel point les fractures et les ségrégations sociales et territoriales sont à vifs, mais après un déploiement policier inédit pour rétablir l’ordre, l’exécutif a décidé de se contenter d’une loi expresse de réparation et n’a nullement l’intention d’aller plus loin.

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Bercy nie toujours l’existence de superprofits alors que les dividendes continuent de s’envoler. Les défis écologiques (canicule, nappes phréatiques, biodiversité…) s’accumulent mais l’inaction générale est couverte par le vacarme des polémiques sur l’écologie radicale et la réponse sécuritaire qu’on oppose à ses activistes.

Aujourd’hui ou demain, on nous présentera donc un nouveau casting de ministres inconnus et souvent dépassés à l’avance par les faits… Le Prince de Lampedusa semble donner le ton des mois à venir : « Si nous voulons que tout reste pareil, il faut que nous changions tout », mais Emmanuel Macron n’a pas le talent de Visconti comme réalisateur.

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