4 mois après les émeutes : diagnostic défaillant pour des propositions erronées

Il aura fallu attendre 4 mois pour que le Gouvernement apporte des réponses aux violentes émeutes qui ont suivi le meurtre de Nahel. On espérait que ce long délai serait mis à profit pour affiner le diagnostic et proposer des solutions à la hauteur : il n’en est malheureusement rien. L’Élysée et Matignon n’ont pas évolué depuis juillet. Ils sont restés agrippés au discours de « fermeté » et à une vision hors sol de « l’autorité parentale ».

Miroir aux alouettes sécuritaire

Jeudi 26 octobre 2023, dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne à Paris, devant un parterre de 250 maires, Élisabeth Borne a présenté ses mesures pour « réaffirmer l’autorité et l’ordre républicain ». Si nous ne contestons pas la nécessité d’apporter des réponses dans ce domaine, nous ne pouvons que constater l’absence d’analyse sérieuse sur les causes de l’affaiblissement de l’autorité républicaine.

Après avoir fait un point d’étape sur la reconstruction – « 60% des bâtiments publics partiellement ou totalement détruits ont d’ores-et-déjà été remis en état », abondement des assurances à hauteur de 100M€ – l’exécutif s’est clairement inscrit dans une matrice répressive, agrémentée d’expressions martiales (« opération coups de poing », « envoyer des forces », « task force »), sans lien solide avec les sciences sociales ce qui est une faiblesse majeure.

La résolution des inégalités urbaines par des politiques publiques de long terme n’est pas la priorité du Gouvernement, comme l’illustre son nouveau dispositif de « Forces d’Action Républicaine ». Destiné à envoyer dans un territoire en difficulté des policiers, des fonctionnaires des finances et des personnels éducatifs, il conforte la logique des mesures et des crédits « exceptionnels », qui se substituent depuis plus de 20 ans aux mesures pérennes de droit commun. Nous y reviendrons.

La France n’a pas besoin de « coups de poing » mais d’action publique durable

Comme Nicolas Sarkozy qui avait aboli en 2002 la police de proximité, Borne et Darmanin cantonnent l’action policière à la projection de forces dans des quartiers qu’elle ne connaît plus. La plupart des élus locaux le déplorent – même à droite – éclairés par la faiblesse des moyens consacrés aux unités de « police de sécurité du quotidien ». Tôt ou tard, il faudra pourtant reparler de police de proximité et en tirer les conséquences en matière de tranquillité publique, au lieu de privilégier le seul « maintien de l’ordre » a posteriori.

Pour donner des gages, le Gouvernement envisage d’élargir les pouvoirs des polices municipales. Mais là aussi, les élus locaux sont divisés, même ceux de droite. Certes, des Robinet (maire Horizons de Reims), Estrosi (maire Horizons de Nice) ou Ciotti, patron de LR, y sont favorables. Mais là encore, la réalité du terrain rattrape les effets d’annonce : accroître les pouvoirs des polices municipales s’accompagnerait d’un retrait équivalent de la police nationale et de la gendarmerie. Un Maire LR comme Benoît Digeon à Montargis rappelait en marge du happening de La Sorbonne que le commissariat de son secteur a perdu 30 policiers en 4 ans. Partout où une police municipale est mise en place, les effectifs de police nationale baissent.

Jusque dans le maintien de l’ordre, le rappel à l’autorité de l’État par Élisabeth Borne masque un désengagement pour renvoyer la responsabilité aux collectivités

Certains élus locaux pourraient être séduits par la ficelle des nouveaux pouvoirs judiciaires accordés aux polices municipales, car ils sont confrontés à la déception de leurs électeurs, face à des résultats qui ne sont généralement pas à la hauteur des dépenses engagées du fait des compétences heureusement limitées des polices municipales. Or, en plus des risques de politisation de l’action de terrain, cette politique de « décentralisation » de la police pourrait s’avérer catastrophique pour l’égalité territoriale : les villes sans ressources suffisantes seront désertées par la police nationale et la gendarmerie et ne pourront pas compenser par la police municipale. On comptera des effectifs pléthoriques et bien équipés, des caméras par centaines à Nice ou à Rueil-Malmaison, mais que se passera-t-il à Charleville-Mézières ou à Grigny ?

Le Gouvernement apporte ainsi une mauvaise réponse à un vrai problème, constaté lors des émeutes : le temps d’intervention des policiers, bien souvent éloignés des lieux des violences. En faisant reposer la charge sur la police municipale au lieu de rétablir la police de proximité, on aggrave l’inégalité territoriale tout en se refusant de réfléchir aux moyens juridiques et budgétaires, et aux stratégies d’action.

Par exemple, l’obligation pour un jeune délinquant de respecter de jour comme de nuit un placement dans une unité éducative de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ) et d’y suivre ses activités de formation et d’insertion est louable, mais encore faut-il que les services de la PJJ soient en capacité de l’assumer, alors qu’ils subissent un déficit récurrent de ressources humaines et financières.

La Première ministre a rajouté que « dans certains cas, nous pouvons envisager un encadrement de jeunes délinquants par des militaires », son cabinet évoquant après cette annonce une montée en puissance du « partenariat Justice-armées » avec « les classes de défense dans les CEF, la mise en place de mesures d’encadrement militaire, la signature de nouvelles conventions locales pour la réalisation de travaux d’intérêt général (TIG) au sein d’unités militaires et la participation des militaires dans l’organisation de stages de citoyenneté ». L’armée française est certes disciplinée et aux ordres du pouvoir politique, mais sa mission n’est pas de remettre les délinquants dans le droit chemin et ses soldats n’ont pas été formés pour ça.

La force d’une sanction, particulièrement chez les plus jeunes, c’est sa précocité et sa certitude

La multiplication par cinq de l’amende pour non-respect d’un couvre-feu par un mineur, en la portant à 750 € (au lieu de 150) et les mesures pour « responsabiliser » les parents – aggravation de la peine de délit de soustraction d’un parent à ses obligations légales, “contribution citoyenne familiale éducative” versée à une association d’aide aux victimes, responsabilité financière civile solidaire des deux parents d’un enfant coupable de dégradations, stages de responsabilité parentale – relèvent également de la posture. Rappelons deux chiffres : 60% des jeunes émeutiers sont issus de familles monoparentales et 40% des enfants résidant au sein d’une famille monoparentale vivent sous le seuil de pauvreté. La définition des aides à apporter aux familles monoparentales est renvoyée aux bons soins d’une commission (à créer), alors que la part de ces familles est de 35% en Seine Saint-Denis contre 20% dans le reste du pays. Les moyens dévolus au soutien scolaire et à l’éducation populaire demeurent très insuffisants. Au regard de cette réalité sociale, de telles annonces ne peuvent être que des pétitions de principes.

Pétition de principes, parce que la force d’une sanction, notamment chez les plus jeunes, tient autant à sa sévérité qu’à sa précocité et sa certitude. Cela implique d’avoir une justice effective, or en France celle-ci est engorgée et tarde à prononcer les peines, voire n’est pas en capacité de les faire exécuter. Les conséquences s’en ressentent gravement en matière d’autorité, de sens des responsabilités et de sentiment d’impunité. On peut toujours annoncer des peines très sévères, cela n’en sera que plus contre-productif si on ne peut pas les appliquer. Il en va de même pour les amendes aggravées ou la responsabilité financière des familles : personne ne pourra les recouvrer sur des familles le plus souvent insolvables. Et on voit mal comment exiger d’une mère seule que ses adolescents ne sortent pas dans la rue en son absence (et même en sa présence).

Le gouvernement choisit les discours martiaux pour ne pas s’attaquer à la pauvreté, laquelle a augmenté depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron. Et cette logique ne se dément pas à l’examen du prétendu “volet social” de la réponse gouvernementale.

Réponse sociale, vous êtes sûrs ?

On connaît la chanson : la politique de la Ville est un échec, « un puits sans fond » qui favorise l’assistanat et gaspille « nos impôts » pour des associations inutiles… Aux yeux des réactionnaires de tout poil, les violences qui ont suivi la mort de Nahel démontrent que l’argent public est dilapidé, les émeutiers profitant « grassement » de ces budgets avant de détruire les équipements publics mis à leur disposition : « de la confiture pour des cochons », pourrait-on dire…

Quand on veut tuer la politique de la Ville, on l’accuse « d’avoir la rage »

Chaque année, entre deux et trois milliards d’euros sont débloqués directement ou indirectement pour la politique de la ville. On compte un peu moins de 600 M€ pour les contrats de Ville. S’y ajoutent des mesures fiscales : certaines PME et petits commerces de banlieue sont exonérés de cotisations foncières (en 2022, cette exonération a coûté 235 M€ à l’État). Il y a également une enveloppe de solidarité urbaine pour les communes les plus pauvres (2,5 Mds€ en 2022). Mais ce qui concentre le plus d’efforts, c’est le programme national de rénovation et de renouvellement urbains : entre 2003 et 2022, près de 46,5 Mds€ ont été dépensés pour rénover quartiers et bâtiments. Sauf que, depuis 2003, l’État n’a investi “que” 3 milliards, le reste provenant de prélèvements sur les organismes HLM (20 Mds€), sur l’Agence nationale de la rénovation urbaine (ANRU, 12 Mds€) et de 9 Mds€ d’abondements des collectivités territoriales.

Or les collectivités territoriales et les organismes HLM ont été particulièrement maltraités lors du premier quinquennat Macron. Les premières ont vu leurs recettes stagner et leur fiscalité propre disparaître. Quant aux seconds, les gouvernements d’Emmanuel Macron leur ont pris des milliards d’euros pour réduire le déficit, en pleine crise de l’accès au logement.

Élisabeth Borne a beau répondre que ses mesures « dépasse[nt] largement la question des quartiers et des banlieues », arguant qu’un tiers des villes concernées par les émeutes n’ont pas de « quartier prioritaire », on rappellera que leur nombre a été artificiellement réduit lors du quinquennat Hollande : en juin 2014, ils passaient de 2500 à 1500 sur 700 communes, dont 100 nouvelles. L’affichage de quelques villes supplémentaires dans la “diagonale du vide” a donc été payé par l’exclusion de… 1000 quartiers en difficulté ! En mars 2018, le dispositif (peu convaincant) des “emplois francs” a été circonscrit à 200 quartiers.

Mais en réalité, situer le débat sur la cartographie des quartiers prioritaires revient à se battre pour les miettes du gâteau.

Définir où sont les véritables responsabilités politiques de l’échec

Si la politique de la ville a permis un rattrapage à la marge dans certains quartiers, elle n’a jamais pu jouer son rôle de réduction des inégalités territoriales. La responsabilité de cet échec n’incombe pas à ses dispositifs et leurs faibles crédits “exceptionnels”, mais à l’absence de politique publique véritablement égalitaire et redistributrice à la base. Ce n’est pas la faute de la politique de la ville si aucun gouvernement n’a cherché à modifier les structures inégalitaires qui frappent les habitants des quartiers. De véritables déserts médicaux continuent de se développer en Seine-Saint-Denis. Un enfant scolarisé dans ce département a reçu avant le bac un an d’enseignement de moins qu’à Paris.

Les responsables politiques ne posent pas suffisamment la question de la réussite éducative des classes populaires, ni ne s’attaquent à la reproduction sociale dans l’école de la République. On connaît l’état de l’Éducation nationale, mais on pourrait tenir le même propos pour l’Hôpital public : sa situation est catastrophique en général et pire encore dans les territoires défavorisés.

Depuis le rapport des députés François Cornut-Gentille (LR) et Rodrigue Kokouendo (LREM) publié en 2018 sur les moyens et l’action de l’État en Seine-Saint-Denis, on “sait” que la République accorde aux quartiers « prioritaires » « quatre fois moins de moyens qu’ailleurs, rapporté au nombre d’habitants ». À cette inégalité flagrante et fondamentale, les annonces gouvernementales à l’occasion du comité interministériel des Villes de Chanteloup-les-Vignes, le 27 octobre dernier, apportent des réponses dérisoires.

La principale mesure, et la plus commentée, est la demande aux préfets « de ne plus installer, via les attributions de logement ou la création de places d’hébergement, les personnes les plus précaires dans les quartiers qui concentrent déjà le plus de difficultés ». En clair, cela concerne les ménages dits “Dalo” (Droit Au Logement Opposable). L’idée est de ne pas les concentrer au même endroit, afin de faciliter l’intégration de tous. Mais en réalité, ce n’est que de la gesticulation.

Comme le nombre de QPV a été drastiquement réduit, ceux qui ne sont plus sur la liste mais dont les conditions sociales objectives n’ont pas changé seront destinataires des demandeurs « Dalo ». L’annonce de la Première Ministre ne changera donc rien, voire aggravera la situation. Quant à l’idée d’un relogement en zone périurbaine ou rurale, elle n’est pas plus opérante : ces publics seront encore plus éloignés des services publics censés les accompagner.

Une mesure qui interdirait en pratique le relogement des foyers les plus précaires

Fin 2022, le nombre de demandeurs de logements a atteint un record avec près de 2,5 millions de personnes, en hausse de 7 % par rapport à 2021. Or la construction de HLM, passée depuis 2020 sous la barre des 100 000 logements par an, devrait continuer de ralentir pour se stabiliser à une moyenne de 66 000 nouveaux logements annuels à l’horizon 2030.

Les bailleurs sociaux sont pris entre leurs obligations d’entretien, de rénovation et une dette croissante, aggravées par les milliards que leur a retirés l’État. Ils n’auront donc pas les moyens de rénover et en même temps de construire de nouveaux HLM. Or, poussés par l’interdiction progressive de louer les logements les plus énergivores, les bailleurs sociaux devront donner la priorité à la rénovation. Les réhabilitations de logements atteindraient un pic à 125 000 logements par an en 2025 et 2026, puis reflueraient, pour atteindre 90 000 par an sur la période 2031-2061, selon une étude la Banque des territoires.

Dans un tel paysage, les annonces du 27 octobre 2023 conduiront à rendre quasiment impossible le relogement des foyers les plus précaires. Pourquoi ? Parce que l’offre de logements PLUS (HLM « classiques ») et PLAI (logements très sociaux) n’existe presque pas dans les quartiers plus favorisés. Cela n’est pas seulement dû aux résistances électorales (comme dans le XVIème arrondissement, où les élus s’étaient opposés à l’installation de foyers d’hébergement ou de logements sociaux) ; il existe des raisons économiques structurelles qui rendent particulièrement difficile la correction de cette logique de ghettoïsation.

Proposer de nouveaux HLM dans les quartiers bourgeois, où le prix du foncier est trop élevé, est une gageure. Même en ayant passé outre les états d’âme des élus conservateurs, même en ayant accumulé tous les dispositifs de subventionnement du logement, les prix de sortie y rendent impossible une production importante de logements sociaux (et encore moins très sociaux). Les organismes HLM n’ont plus les moyens de présenter des opérations trop déséquilibrées. Mettre en œuvre la « fausse bonne idée » d’Élisabeth Borne supposerait une véritable révolution dans la stratégie de l’État en matière de logement, avec des investissements massifs assortis d’une action contraignante et radicale sur la formation des prix du foncier… autant dire que sous Macron, ça n’arrivera pas.

Il y a donc fort à parier que l’État mette en scène quelques opérations spectacle, pendant que les quartiers en QPV et ceux qui devraient y être continueront d’accueillir les publics les plus défavorisés. Ces quartiers ne changeront donc pas, ils resteront des réservoirs à logements abordables que les rares foyers qui ont réussi à s’élever socialement fuiront dès qu’ils en auront l’occasion, pour être remplacés par des foyers extrêmement précaires qui rencontreront les plus grandes difficultés à s’intégrer économiquement et socialement, au milieu d’habitants qui partagent les mêmes peines qu’eux.

Car, en plus d’une action éducative puissante, de mise à niveau généralisée des services publics, le principal enjeu pour les habitants des quartiers populaires est de leur donner durablement accès à l’activité économique. On a vu l’échec des « emplois francs » et des « zones franches », limités à des territoires toujours plus réduits : il vient en grande partie de l’erreur économique qui n’explique le chômage que par un « coût du travail » supposé excessif (le même raisonnement avait nourri la course à l’ubérisation, transformant des salariés en « auto-entrepreneurs » rarement à succès, le plus souvent taillables corvéables à merci).

La plupart des territoires concernés ont en réalité subi une désindustrialisation massive et brutale, rendant l’emploi inaccessible pour des décennies. On attend encore le retour d’une politique industrielle digne de ce nom, mais qui ne donnera des résultats qu’à moyen terme.

Recyclage d’annonces présidentielles sous financées

Les promesses présidentielles recyclées dans l’intervention de la Première ministre n’offriront pas plus de perspectives. Déjà annoncé par Emmanuel Macron à Marseille en juin 2023, Mme Borne reprend en effet, dans son “plan entrepreneuriat Quartiers 2030” (porté avec BpiFrance et la Banque des Territoires, et doté de… 456 M€ étalés sur quatre ans), les annonces macroniennes de juin 2023 faites à Marseille. Est-ce bien sérieux – et suffisant ? L’exécutif répond à la question en renforçant le programme “Les entreprises s’engagent pour les quartiers”, avec l’objectif d’intégrer 2000 entreprises supplémentaires, pour atteindre un total de 6000 entreprises engagées. Nous voilà rassurés…

Enfin chacune des mesures suivantes, déjà annoncées elles aussi, pose un problème de financement ou de logique de rustine. Sur le principe, il n’y aurait rien à redire. Les cités éducatives seraient généralisées d’ici 2027. L’accueil continu de 8h à 18h dans les collèges de REP et REP+ serait assuré à partir de la rentrée scolaire 2024. Le gouvernement promet également une « convergence progressive du zonage des QPV et de celui de l’éducation prioritaire en assurant dès 2024 un traitement spécifique pour l’ensemble des écoles orphelines ». Un plan d’extension des horaires d’ouverture des bibliothèques viserait à toucher 500 collectivités, pour « neuf heures d’ouverture supplémentaire par semaine en moyenne » et en particulier le dimanche. Enfin, avec l’appui du fonds de co-investissement de l’ANRU, l’expérimentation de 60 centres de santé sera conduite d’ici 2027, avec pour « priorité d’aller vers les habitants et de les orienter vers les soins dont ils ont besoins ».

Au regard des suppressions de postes encore annoncées dans l’éducation nationale, on s’interroge sur la capacité à faire fonctionner les cités éducatives, l’accueil continu dans les collèges et la convergence des zonages, alors que le ministère ne parvient même pas à assurer les remplacements d’enseignants absents dans ces mêmes territoires. L’abondement « exceptionnel » pour financier l’ouverture supplémentaire des bibliothèques laisse présager des lendemains qui déchantent, car une fois que l’actualité brûlante s’éloigne, on connaît le destin des financements exceptionnels de l’État en direction des collectivités… Enfin, les expérimentations de centres de santé (60 pour toute la France !) ne remplaceront pas la nécessité de travailler à l’installation durable de médecins de ville et à la restauration d’un fonctionnement décent des hôpitaux publics.

Les annonces sur la nouvelle génération de contrats de ville pourraient prêter à rire si la situation n’était pas grave. Leur élaboration vient de gagner un délai de 6 mois supplémentaires (donc pour l’État, une facilité de trésorerie supplémentaire) pour des signatures fin mars 2024. Mais la nouvelle géographie prioritaire ne sera publiée qu’en décembre 2023. Si de nouvelles communes devaient entrer dans le champ des QPV, elles auront 3 mois pour boucler leur dossier. En parallèle, les crédits d’État passeront généreusement de 597,5M€ en 2023 à… 600M€ en 2024.

Ne rien changer pour que rien ne change

4 mois après des émeutes d’une intensité et d’une violence rarement connues, le gouvernement a choisi de privilégier la réponse sécuritaire et les opérations « coups de poing ». La reproduction de tels événements est en réalité perçue par l’exécutif comme inéluctable : à la supposée sécession d’une population à la dérive répond la sécession d’élites qui ne s’en remettent qu’à des solutions de type « gestion de crise ». Et même en suivant cette logique, on voit que les moyens alloués à cette réponse sécuritaire sont sous-dimensionnés. Les Quartiers populaires sont vus comme des endroits où il faut, de temps à autre, restaurer l’ordre, sans s’assurer de la tranquillité publique et encore moins de garantir la justice. Quant au volet social, il est absolument anémique et inopérant.

Les Quartiers populaires ne sont qu’une des parties, la plus éruptive sans doute, d’une société française qui subit le néolibéralisme depuis plus de 20 ans. Pour mettre en œuvre ne serait-ce que le début des mots de la Première ministre – « émancipation », « intégration », « respect de l’autorité », « cohésion sociale » – il faudrait une transformation radicale tant sur le fond que sur les moyens budgétaires pour l’éducation, la santé, le logement, la reconquête industrielle, le recul de la pauvreté, les collectivités et la présence de l’État sur le terrain.

Le fatalisme gouvernemental est logique. En ne changeant rien, il peut prévoir que tôt ou tard un nouvel épisode d’émeutes, peut-être plus violent encore, surviendra. Sa seule préoccupation est d’être prêt à frapper le moment venu. Il n’est pas question de changer de politique et de régler le problème à la racine.

Frédéric Faravel, Caroline Dugué, Jean-Paul Lefebvre, Laurent Miermont

“L’urgence, c’est la crise générale de l’éducation” : après les émeutes, l’entretien croisé Bellamy–Maurel dans Marianne

entretien publié dans Marianne le 27 juillet 2023 – Propos recueillis par Louis Nadau et Soazig Quéméner

Il n’existe pas de lecture simple des émeutes et des pillages survenus à la fin du mois de juin sur notre territoire. Partant de deux analyses très éloignées – le poids de l’immigration d’un côté, la question sociale de l’autre –, les deux eurodéputés François-Xavier Bellamy (LR) et Emmanuel Maurel (gauche) convergent dans cet échange sur une nécessaire reprise en main de l’école, sans forcément avoir les mêmes solutions.

Marianne : Il y a un mois, la France était secouée par une vague de violences et de pillages… Comment qualifieriez-vous ce qui nous est arrivé ?

François-Xavier Bellamy : On ne peut pas ne pas voir que la population qui s’est soulevée est une population très majoritairement connectée au phénomène migratoire à une, deux ou trois générations. Trois générations dont, dans le contexte de faillite massive de l’intégration que notre pays connaît, beaucoup restent à distance d’une identité française qu’ils n’ont pas rejointe. Le deuxième phénomène qui est lié à cette crise d’intégration, c’est l’échec, la faillite de l’école.

Emmanuel Maurel : Il y a des raisons très claires à ce problème d’intégration. Si des politiques ou des pratiques de logement consistent à parquer tous les mêmes gens précaires au même endroit, forcément… En revanche, je ne suis pas d’accord avec le lien entre émeutes et immigration. Pourquoi ? Parce qu’on parle de gosses de 13 ou 14 ans qui sont français, dont les parents sont français, et dont même les grands-parents parfois sont français. J’observe enfin que ceux qui se sont livrés à ce bordel, ce vandalisme et cette violence, sont aussi, la plupart du temps, les enfants des travailleurs qui étaient en première ligne pendant le Covid.

F.-X.B. : Je ne dis pas que les gamins qui ont fait ça ne sont pas français, mais le fait est qu’ils ne se définissent pas comme tels. C’est là où il y a une faillite, que je ne leur impute pas – ce qui, sans doute, me rendrait suspect aux yeux de gens qui reprocheront immédiatement l’excuse sociale au premier qui essaye de ne pas dessiner un monde en blanc et noir. Ce qui s’est passé est un gigantesque acte d’accusation contre les faillites de l’école, qui ont créé le terreau de la fracturation communautariste. Mais si on continue avec un tel flux d’accueil, de nouveaux arrivants tous les ans, il n’y a aucune chance qu’on arrive à recréer la conscience d’appartenir à une nation commune.

E.M. : Je suis comme vous, je souffre quand je vois des enfants qui ne se sentent pas français, voire qui rejettent la France. Mais attention aux théorisations et aux généralisations à l’emporte-pièce. N’oublions jamais qu’il y a un élément déclencheur dans ces émeutes : la mort d’un jeune homme à l’occasion d’un contrôle policier. Ces gosses dont on parle se réinventent une identité aussi parce qu’ils se sentent discriminés, rejetés, qu’ils sont victimes de racisme. Quoi qu’il en soit, je pars du principe que la République doit aimer tous ses enfants. Même ceux qui disent « nique la France ». D’ailleurs, face au rapport à la France, si j’étais un peu taquin, je dirais que le riche qui planque son pognon dans les paradis fiscaux, il n’aime pas plus la France que les émeutiers.

F.-X.B. : Je suis absolument d’accord…

E. M. : Donc, ce patriotisme, tout le monde devrait contribuer à le renforcer, pas seulement les pauvres de banlieue d’origine étrangère. Les défaillances de l’intégration, le communautarisme qui est ­incontestable, sont aussi un résultat de la mondialisation capitaliste et de l’atomisation néolibérale qui cassent les repères, qui cassent l’État social, qui démantèlent les services publics et qui font que les gens, à un moment, se retrouvent seuls. Il y a une logique à l’œuvre derrière tous ces phénomènes de réinvention identitaire fantasmée. Parce que le petit gosse qui dit « je suis marocain », il n’a pas du tout envie d’aller vivre au Maroc.

Le gouvernement a réclamé le retour de l’autorité parentale…

E.M. : Il y a une crise générale de l’éducation qui ne se limite pas à celle de l’autorité parentale. La réponse du gouvernement est très insuffisante : le problème, ce n’est pas juste que les parents ne savent pas tenir leurs gosses. C’est que l’école n’est plus un sanctuaire, mais un lieu où les contradictions de la société, sa violence, s’invitent. Quand on ajoute à cela le fait que le métier d’enseignant est dévalorisé, mal payé, de plus en plus difficile… Je ne ferai jamais de procès aux instits, aux enseignants, au personnel de l’Éducation nationale, des gens qui sont payés 1 500 balles, qui ont en face d’eux tous les problèmes de la société, et à qui on ose dire : « C’est à vous de trouver la solution. » Je reviens sur une chose qui me paraît bien plus grave : la sécession des riches à l’école. C’est symptomatique du dysfonctionnement complet des élites dirigeantes. Ceux qui viennent disserter sur les plateaux de l’autorité parentale et de la crise de l’école sont ceux-là mêmes qui, comme ils disent, ont « mis leurs enfants à l’abri » ! Donc, évidemment qu’il y a des impératifs de mixité à réhabiliter et une politique éducative à refonder. Tout ça mériterait qu’on prenne le temps de réfléchir, qu’on remette tout à plat, qu’on se dise les choses et qu’on n’occulte rien.

« La République doit aimer tous ses enfants. Même ceux qui disent ‘nique la France’. D’ailleurs, face au rapport à la France, si j’étais un peu taquin, je dirais que le riche qui planque son pognon dans les paradis fiscaux, il n’aime pas plus la France que les émeutiers », Emmanuel Maurel

F.-X.B. : Oui, l’école ne resterait pas une minute dans l’état où elle est si les ministres, les parlementaires, les chefs d’entreprise et les journalistes n’avaient pas d’échappatoires pour scolariser leurs enfants. Je ne leur reproche pas de vouloir que leurs enfants puissent bénéficier de la meilleure éducation possible. Mais le problème, c’est d’accepter que les enfants des autres en soient privés. En revanche, si la mondialisation a bien eu des effets dévastateurs, ce n’est pas elle qui a cassé l’école. C’est une idéologie qui condamnait l’héritage et l’idée même de l’appartenance à la nation, au motif qu’elle empêchait l’émancipation de l’individu. Qui condamnait la transmission parce qu’elle engendrait de la ségrégation. Je ne blâme pas les professeurs, à qui on a volé le métier : on leur a expliqué que l’élève doit produire ses propres représentations du monde, qu’il faut qu’il écrive son histoire, sa vie, qu’il n’y a aucune raison d’imposer à quelqu’un un carcan culturel. C’est cette dérive qui est en cause.

Pourquoi vos familles politiques respectives ont-elles du mal à produire un discours qui prenne en compte l’ensemble des causalités de ces émeutes ?

E.M. : C’est normal qu’en tant qu’homme de gauche je n’aie pas forcément la même vision de la société qu’un homme de droite, même si nous avons en commun la conviction qu’il faut sortir le pays du marasme. Simplement, nous n’avons pas la même grille de lecture sur les aspects économiques, sociaux et territoriaux de la crise, et donc des solutions à apporter. En revanche, je reconnais la nécessité de renforcer la loi et l’ordre, tout en améliorant les politiques d’intégration.

La nécessité de mettre de l’ordre, ce n’est pas exactement le discours qui a été celui de la force majoritaire à gauche, La France insoumise.

E.M. : D’accord, mais les électeurs de gauche et de nombreux partis de gauche étaient pour qu’on appelle au calme. Les principales personnes qui sont pénalisées par le désordre, ce sont les gens qui vivent dans les quartiers en question. Ce qui compte, c’est de tracer une perspective progressiste, c’est-à-dire comment on fait pour remettre du service public ? Quelles réformes dans la police et la justice ? Quelles réponses à la crise éducative ? Comment on casse les ghettos ? C’est ça qui est intéressant. Et pour l’instant, le gouvernement n’a rien dit du tout là-dessus.

F.-X.B. : Il faut améliorer tout ce qui doit l’être dans la police. Il y a certainement des choses qui dysfonctionnent, mais je suis révolté de voir que des élus sont capables de reprendre à leur compte des slogans aussi lamentables que « Tout le monde déteste la police » ou bien « La police tue, la police assassine ». Il n’y a pas un policier de France qui se lève le matin en disant : « Je vais aller tuer un jeune aujourd’hui pour le plaisir. » Et s’il y avait du racisme structurel dans la police, honnêtement, le pays ne serait pas dans l’état où il est aujourd’hui. Le sujet, c’est aussi la justice. On est l’un des pays d’Europe qui sous-financent le plus sa justice. L’état de la justice contribue à ce que des policiers, et je ne les excuse pas pour autant, considèrent qu’ils sont les agents d’une sorte de justice immanente, parce que les gens qu’ils arrêtent, finalement, ne seront pas réellement sanctionnés.

Je regrette par ailleurs que certains à droite pensent qu’on s’en sortira en mettant de la police partout, des caméras vidéo de surveillance, en rentrant dans une vraie société policière. On ne mettra pas un policier derrière l’épaule de chaque Français. Donc, à la fin, la clé est toujours éducative. Ces gamins-là subissent une discrimination majeure qui est qu’ils sont ceux qui payent le prix fort de l’échec de l’école. Aujourd’hui, la France est un pays rempli d’opportunités. Si on ne veut pas vivre dans la misère, on n’y est pas condamné, à condition d’avoir reçu, et c’est là où je reviens à la question scolaire, des connaissances fondamentales et une culture en héritage. Cela a été la grande folie de nos dirigeants de considérer que l’école devait d’abord donner des compétences professionnelles aux enfants.

E.M. : Ce que vous dites est à rebours de tout le discours de la droite depuis 30 ans.

F.-X.B. : De la gauche aussi. Mais je suis d’accord, la droite n’a pas été à la hauteur sur le sujet. La clé, c’est de donner aux enfants une culture générale essentielle qui leur permette justement ensuite de trouver leur place dans la vie de la société, y compris, mais pas seulement, dans la vie économique. C’est le seul sujet qui devrait compter aujourd’hui.

Seule la Justice pour tous peut réunir la Nation !

La Gauche Républicaine et Socialiste (GRS) apporte son soutien sans réserve au Maire de l’Haÿ-les-Roses, dont la famille a été victime hier d’une tentative d’assassinat par une bande de criminels dans le contexte des déprédations, pillages et incendies commis en France à la suite du meurtre de Nahel Merzouk par un policier le 27 juin dernier.

Elle appelle tous les citoyens à se rassembler et à prendre part aux mobilisations proposées pour manifester notre refus que la France s’enfonce dans une spirale de violence. La République, ses principes, ses représentants et ses services publics appartiennent à tous les Français. Elle ne saurait donc tolérer aucun acte criminel sur son territoire et demande que soient punis ceux qui bafouent la loi et qui minent par leurs actes irresponsables la cohésion de la Nation.

Les agents des services publics qui luttent aujourd’hui de toutes leurs forces pour prévenir les drames et en réparer les dégâts, et qui dans cet exercice font face à des violences inadmissibles, sont l’honneur de notre pays.

La GRS estime enfin que l’apaisement et le retour au calme, que nous appelons tous de nos vœux, ne seront durablement atteints sans une réparation en profondeur des fractures sociales et territoriales de notre pays, car il n’y a pas d’ordre possible sans Justice.

Nous avons besoin de vous !

Quelles que soient vos compétences, si vous touchez votre bille en droit, en bricolage, si vous aimez écrire, si vous êtes créatif… vous pouvez prendre part à des actions et ateliers près de chez vous ou encore nous envoyer vos vidéos, vos dessins pour des affiches etc.