Encore une loi inutile!

Si chaque état d’urgence passe dans le droit commun, que restera-t-il des libertés publiques ?

Le chef du gouvernement a présenté hier en Conseil des Ministres un projet de loi instituant un régime pérenne de gestion des urgences sanitaires. Il a été aussitôt enregistré au bureau de l’Assemblée nationale.

Un article de ce texte liant la liberté de se déplacer et état sanitaire d’une personne fait particulièrement débat, et a été particulièrement médiatisé par l’extrême droite. Si nous n’étions pas instruits des pratiques en cours depuis le début de quinquennat et qui se sont accélérées ces derniers mois, nous ne nous précipiterions pas dans la critique a priori de ce texte. Les arguments utilisés par l’ensemble de l’extrême droite sur ce dossier fleurent d’ailleurs bon le complotisme et le trumpisme de bas niveau.

Pour sa part, avec responsabilité, la Gauche Républicaine et Socialiste appelle l’exécutif et les parlementaires à faire preuve de retenue et à ne pas accumuler des textes inutiles qui pourraient en plus s’avérer problématiques du point de vue des libertés publiques. En effet, de la même manière que nous avions critiqué les arguments qui avaient motivé la création ad hoc d’un état d’urgence sanitaire, nous ne voyons pas pourquoi il faudrait aujourd’hui intégrer dans le droit commun un certain nombre de ces mesures exceptionnelles, alors que les dispositifs juridiques sont aujourd’hui complets pour permettre à la puissance publique d’agir face à une situation de pandémie : le code de la santé publique le permettait avant même l’invention de l’état d’urgence sanitaire, et aujourd’hui la mise en place d’un tel état d’urgence sanitaire est (malheureusement) d’une facilité déconcertante.

Tant à l’extrême droite qu’à l’extrême centre, nous constatons dans la façon dont est amené ce projet de loi une manœuvre de diversion, des premiers pour masquer leur adulation du président américain sortant dont la gestion de la pandémie a été catastrophique, des seconds pour camoufler les graves défauts d’organisation et les mensonges commis face au COVID.

La Gauche Républicaine et Socialiste sera donc particulièrement vigilante, car nous avons déjà vu l’état d’urgence être intégré à l’automne 2017 dans le droit commun au prétexte d’y mettre fin ; nous avons vu les propositions de loi Avia et Sécurité globale (dont on essaie aujourd’hui de faire repasser certaines dispositions dangereuses dans le projet de loi contre les séparatismes) tenter de mettre à mal les libertés publiques. Depuis qu’Emmanuel Macron est président de la République, c’est un fait : les libertés régressent. Extrême droite nationaliste et extrême centre macroniste sont visiblement aussi dangereux l’un que l’autre pour les libertés publiques et individuelles.

Le projet de loi instituant un régime pérenne de gestion des urgences sanitaires est inutile : la meilleure solution serait donc de le retirer.

État d’urgence sanitaire : un exécutif en solitaire

Le gouvernement a pris un décret rétablissant l’état d’urgence sanitaire à compter du 17 octobre 2020. Ce décret était valable pour un mois. Le gouvernement soumet donc au parlement la prolongation de cet état d’urgence sanitaire jusqu’au 16 février prochain. Le texte adopté mercredi 21 octobre en conseil des ministres a été examiné le samedi 24 octobre à l’Assemblée nationale sans qu’il en résulte de modifications importantes.

Ce projet comporte quatre articles :

Le premier article propose de prolonger jusqu’au 16 février 2021 l’état d’urgence sanitaire décrété le 14 octobre 2020.

Le gouvernement demande donc au Parlement de l’autoriser à prolonger l’état d’urgence sanitaire décrété le 14 octobre pour une durée de 3 mois (en plus du mois d’application initial, ce qui fait une durée totale de 4 mois) et à mettre en œuvre le régime transitoire de sortie de l’état d’urgence à partir du 17 février. Il est quand même à noter qu’au tout début de l’épidémie, la durée de l’état d’urgence sanitaire était dans une première version de la loi du 23 mars calquée sur la durée de l’état d’urgence « sécuritaire » : soit à 12 jours, il a ensuite été prolongé à 1 mois, ce qui paraissait déjà exorbitant…

L’exposé des motifs du texte précise une nouvelle fois que le Parlement sera saisi d’un projet de loi visant à instituer un dispositif pérenne de gestion de la crise sanitaire. Toutes nos craintes de contamination de notre droit commun par un droit d’exception sont donc une nouvelle fois avérées et vérifiées.

Le deuxième article propose de prolonger le régime juridique transitoire de « sortie de l’état d’urgence sanitaire » (loi du 9 juillet 2020) jusqu’au 1er avril 2021.

C’est une façon de prolonger nombre de dispositions de l’état d’urgence à l’issue de celui-ci. Il s’agit en fait du texte sur lequel nous avions rédigé une précédente note (voir ici) et dont l’examen a été suspendu le 13 octobre 2020 au parlement suite à l’annonce de la parution du décret du 14 octobre rétablissant l’état d’urgence sanitaire. Presque toutes les mesures prises dans le cadre du nouvel état d’urgence sanitaire aurait pu l’être dans le cadre de ce régime transitoire baroque ; seule impossibilité : la mesure d’interdiction des déplacements de personnes hors de leur lieu de résidence entre 21 heures et 6 heures du matin (le couvre-feu) prévue par l’article 51 du décret du 16 octobre. La jurisprudence du conseil constitutionnel impliquait en effet que seul l’état d’urgence sanitaire permettait une telle interdiction.

Le troisième article permet la mise en œuvre des systèmes d’information dédiés au covid-19 jusqu’au 1er avril 2021 tout en complétant le dispositif existant pour l’adapter aux nécessités présentes.

C’était également une mesure prévue dans le texte de prolongation de la « sortie de l’état d’urgence sanitaire ». Or, comme nous l’avions fait remarquer dans notre analyse de ce projet de loi avorté, la Cour de Justice de l’Union Européenne vient de rendre un jugement confirmant que le droit de l’UE interdit la conservation massive des métadonnées de communication téléphoniques et internet par les fournisseurs d’accès et à la demande des États.

Le quatrième article autorise le Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnances, pour rétablir ou prolonger les dispositions de certaines ordonnances prises dans le cadre de la première phase de la crise sanitaire.

Cet article reprend l’amendement que le gouvernement avait déposé (hors délai de dépôt) le 13 octobre juste avant que le texte qui devait prolonger le régime juridique transitoire de « sortie de l’état d’urgence sanitaire ». L’amendement en question est ici rédigé sous forme d’article direct, mais les dispositions qu’il vise à mettre en œuvre ne sont pas moins problématiques, car les habilitations sont nombreuses et le contrôle parlementaire très limité. Le ralentissement de l’économie et l’interruption contrainte d’un certain nombre d’activités nécessitera évidemment des mesures de soutien, mais il est regrettable que l’exécutif se passe à nouveau des parlementaires pour tenter d’améliorer les dispositifs de ce type qui avaient été mis en place au printemps 2020. De même, un certain nombre de mesures excessives en matière de libertés publiques, de respect du droit et notamment du droit du travail, vont pouvoir être ainsi prolongées sans contrôle.

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Pour la cinquième fois en 7 mois, le parlement est amener à examiner un projet de loi portant des mesures exceptionnelles ; il s’agit de faire face cette fois à la résurgence de l’épidémie, la « deuxième vague », sans que rien n’ait été réellement fait entre temps pour préparer notre système sanitaire à l’affronter et les soignants abordent ainsi cette période dans un état d’épuisement avancé et avec des moyens moindres qu’en mars, c’est un comble !

Par ailleurs, après avoir décrété un couvre-feu le 14 octobre pour 16 départements, puis pour 38 de plus le 22 octobre, et après avoir retiré de l’ordre du jour le précédent projet de prolongation de la « sortie de l’état d’urgence sanitaire », le gouvernement n’a, pour le moins, pas ménagé le Parlement. En réalité, les décisions dans la gestion de cette crise s’abattent sur les parlementaires comme sur les citoyens de manière complètement verticale. La suppression du texte au Sénat en cours de lecture est caricaturale. Plus le temps passe plus la capacité du parlement à contrôler l’action du gouvernement se réduit comme peau de chagrin.

La Défenseure des droits, Claire Hédon, a rappelé à plusieurs reprises qu’elle veillerait à ce que les mesures liberticides d’exception ne deviennent pas ordinaires, comme la Commission nationale consultative des droits de l’homme, pour qui « il y a un risque d’accoutumance aux mesures de contrôle. Dans certains cas, les pouvoirs publics peuvent se dire que, après tout, si une mesure n’a pas entraîné de levée de bouclier, on continue. »

Il apparaît évident que l’urgence sanitaire ne doit pas faire oublier les manœuvres politiques. Ce sont même six membres du Conseil scientifique, dont son président Jean-François Delfraissy qui le signalent dans une tribune à The Lancet : « Lorsque les troubles menacent, les gouvernements, au lieu d’organiser un débat sur les différentes options, se sentent obligés de brandir le bâton […] Dans la phase actuelle, il est temps de passer d’une approche verticaliste et technocratique à une approche plus inclusive et ouverte. »

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