Les droites contre l’égalité territoriale


Au parlement, certains députés et sénateurs issus des bancs de la droite allant du « bloc central » au RN ont décidé d’opérer une « commission de la hache » sauvage, en prenant prétexte de l’état des finances publiques. Animés par une foi anti-étatiste viscérale, ils développent des arguments démagogiques et malthusiens qui pourraient s’ils parvenaient à leurs fins avoir des conséquences graves pour la cohésion nationale. Mais le risque déborde du débat parlementaire en lui-même.

Le 30 janvier 2025, la sénatrice Union Centriste Nathalie Goulet avait l’honneur de l’examen en séance publique de sa proposition de loi « tendant à supprimer certains comités, structures, conseils et commissions « Théodule » dont l’utilité ne semble pas avérée » ; le simple intitulé du texte suffisait cependant à se faire une idée sur sa nature parfaitement démagogique et ridicule.

On connaît bien le pedigree démagogue de cette élue de l’Orne, qui avait déjà créée une polémique en montant en épingle « les milliards qui seraient engloutis dans la fraude à la carte vitale », avant que les démonstrations sérieuses rappellent que ces fraudes, si elles existent bel et bien, ne concernent que quelques millions d’euros et sont sévèrement combattues, l’argent recouvré un jour ou l’autre ; chacun sait qu’en matière de fraude sociale, c’est surtout les fraudes aux cotisations des entreprises qui coûtent cher à la puissance publique, ajouté au scandale de la masse du non recours aux aides sociales totalement intégré dans les projections budgétaires (l’État et les collectivités ne prévoient jamais les crédits à hauteur du nombre de personnes éligibles mais au niveau de ce qu’ils anticipent comme citoyens qui y feront réellement appel).

Le texte avait été sérieusement toiletté en commission des lois au Sénat pour éviter les suppressions ubuesques, la commission en appelant à la « sagesse » de l’examen en séance pour faire un sort à l’article proposant la suppression de l’Observatoire national de la politique de la ville (ONPV). Opportunément, les commissaires aux lois savaient que le groupe socialiste, écologiste & républicain avait déposé un amendement pour supprimer cet article, ce qui fut fait. Le texte transmis à l’Assemblée nationale le 31 janvier préservait donc l’ONPV et la proposition de loi Goulet était promise à se noyer dans les méandres de la navette parlementaire.


Après le Sénat, la récidive des députés macronistes

En quoi la suppression de l’ONPV comporte-t-elle un risque ? L’ONPV a succédé en 2015 à l’Observatoire national des zones urbaines sensibles qui avait été créé en 2003 ; la loi Lamy de programmation pour la ville et la cohésion urbaine du 21 février 2014 lui confiait l’« analyse de la situation et des trajectoires des résidents des quartiers [prioritaires], la mesure de l’évolution des inégalités et des écarts de développement au sein des unités urbaines, à l’évaluation de la mise en œuvre des politiques en faveur des quartiers prioritaires et des progrès en matière de participation des habitants aux instances décisionnelles de la politique de la ville, [… et enfin] l’analyse spécifique des discriminations et des inégalités entre les femmes et les hommes. »

Le Décret n° 2015-77 du 27 janvier 2015 relatif aux instances en charge de la politique de la ville établissait surtout que « l’État et ses établissements publics sont tenus de [lui] communiquer les éléments nécessaires à la poursuite de ses travaux, sous réserve de l’application des dispositions législatives imposant une obligation de secret. » En d’autres termes plus concrets, cela signifie que l’INSEE – entre autres – est tenu de lui communiquer des éléments d’analyse statistique socio-démographique et socio-économique à l’échelle des Quartiers prioritaires politique de la ville (QPV). Supprimer l’ONPV purement et simplement implique de supprimer également la partie du décret de janvier 2015 qui le concerne, donc de supprimer l’obligation pour l’INSEE et les autres établissements publics de produire des données à l’échelle des QPV et de les transmettre gratuitement. Cela revient tout simplement à casser le thermomètre indispensable à la connaissance de ces quartiers et donc à l’élaboration, la mise en œuvre et l’adaptation de politiques publiques capables de faire revenir les habitants de ces territoires vers l’égalité républicaine.

L’ONPV est une instance au travail et la seule à travailler sur le périmètre des QPV. La politique de la ville, comme toute politique publique, a besoin de données statistiques fiables et d’études à la méthodologie scientifiquement éprouvée. Supprimer l’ONPV, c’est supprimer l’attention portée par la puissance publique aux QPV et à leurs 6 millions d’habitants, qui subissent les conséquences de quelques 60 ans d’erreurs et d’abandons. Car, dans les QPV, il n’y a pas que les revenus par habitants qui sont moins élevés que dans l’aire urbaine qui les entoure (ce qui veut dire que la population y est plus pauvre) : les QPV sont aussi ceux où sont concentrés les problèmes de qualité du logement, où les services publics (et les services tout court) sont les moins présents ou insuffisants par rapport aux difficultés rencontrées, où il y a moins d’emploi et, enfin, ce sont ceux qui sont les moins bien desservis en transport.

Comment bâtir des politiques publiques efficaces pour réduire les écarts de développement et les écarts sociaux entre les quartiers défavorisés et leurs unités urbaines sans un diagnostic territorial socio-démographique et socio-économique partagé et régulièrement mis à jour ? Comment mobiliser efficacement les moins de 600 millions d’euros par an des crédits politique de la ville du programme 147, qui ne servent qu’à soutenir les projets associatifs et les expérimentations ? Et surtout et avant tout, comment réellement mobiliser efficacement les autres politiques publiques dites de « droit commun » (éducation, emploi, transports, logement, justice, culture, sport, police, etc.) pour rattraper le retard accumulé ?

Lors de l’examen en commission spéciale à l’Assemblée Nationale du projet de loi de simplification de la vie économique (le texte avait été déposé par le gouvernement voici un an et transmis par le Sénat à l’Assemblée nationale en octobre dernier !?!) pourtant, les députés du « bloc central » s’en sont de nouveau pris à l’ONPV. Mais à la démagogie initiale de Nathalie Goulet, ils ont ajouté la tromperie : voulant mettre en scène leur zèle en faveur de coupes budgétaires tout azimut, ils ont fait adopter en commission le 24 mars 2025 un amendement de suppression de l’Observatoire porté par le rapporteur du texte le député LIOT de la 3e circonscription des Vosges, Christophe Naegelen. Mais, pour rendre cohérent le reste des textes, ils ont corrigé l’article 10 de la loi Lamy de 2014 pour remplacer l’ONPV par l’Agence Nationale de Cohésion des Territoires (ANCT), qui si cette démarche allait au bout serait donc désormais rédigé comme suit : « Les collectivités territoriales et leurs établissements publics communiquent à l’ANCT les éléments nécessaires à l’accomplissement de sa mission, sous réserve de l’application des dispositions législatives imposant une obligation de secret. » Façon de dire « regardez, nous ne sommes pas des irresponsables, les données continueront d’être récoltées par l’ANCT »… Ce sont des Tartuffe ! Car en supprimant l’ONPV, ils suppriment le titre III du décret n° 2015-77 qui obligeait « l’État et ses établissements publics [à] communiquer les éléments nécessaires » à l’accomplissement des missions confiées en 2014 à l’ONPV : donc, à nouveau, il s’agit de casser le thermomètre et de rendre dans les faits impossible la récolte de données sur les politiques publiques à l’échelle des QPV.

Regardons où ont été élus les députés qui ont porté le fer : Marie Lebec, députée renaissance de la 4e circonscription des Yvelines (l’une des plus bourgeoise du département) ; Sébastien Huyghe, député LR de la 5e circonscription du Nord (qui croit ainsi donner des gages à l’électorat RN auquel il a arraché la circonscription) ; Sylvain Maillard, député Renaissance de la 1ère circonscription de Paris (la plus bourgeoise de la capitale) ; Jean-René Cazeneuve, député Renaissance de la 1ère circonscription du Gers (circonscription extrêmement rurale, dont le seul QPV est situé à Auch, préfecture du département, qui vote PS et un peu moins LFI aux législatives) ; Danielle Brulebois, députée Renaissance de la 1ère circonscription du Jura (circonscription extrêmement rurale, dont le seul QPV est situé à Lons-le-Saunier, ville PS) ; Françoise Buffet, députée renaissance de la 4e circonscription du Bas-Rhin (circonscription rurale et conservatrice) ; Nicole Le Peih, députée renaissance de la 3e circonscription du Morbihan (circonscription rurale) ; Anne-Sophie Ronceret, députée renaissance de la 10e circonscription des Yvelines (circonscription rurale et bourgeoise de Rambouillet) ; et enfin Annaïg Le Meur, députée renaissance de la 1ère circonscription du Finistère (circonscription rurale, dont le seul QPV est situé à Quimper, ville PS qui vote à gauche aux législatives).

Si on ajoute à cette liste, le profil de la circonscription du rapporteur (territoire rural, un QPV situé à Remiremont, ville de droite qui se détourne profondément de ce quartier), on perçoit dans la démarche de ces députés une ignorance volontaire de la politique de la ville, un mépris social évident, une logique d’opposition des territoires en difficulté entre eux et un esprit de revanche politique.

Avec cet amendement démagogique, les députés sabreurs peuvent-ils au moins prétendre avoir fait des économies ? Même pas ! L’ONPV est avant tout une instance de travail et de concertation entre différents acteurs publics et parapublics avec un comité d’orientation qui adopte le programme de travail annuel de l’ONPV, valide les publications de l’observatoire et approuve le rapport annuel remis au Gouvernement et au Parlement. Le travail en lui-même est accompli par le pôle Analyse et Diagnostics Territoriaux de la direction générale déléguée Appui Opérationnel et Stratégique au sein de l’ANCT, évidemment en lien avec la direction générale déléguée à la Politique de la Ville au sein de l’ANCT. L’ONPV en réalité ne coûte rien d’autre que les frais de secrétariat de son comité d’orientation, soit moins de 40 000 euros par an. Par contre, la suppression de l’ONPV privera tous les acteurs de la politique de la ville, qui expriment depuis quelques jours à quel point cet observatoire est utile, de données essentielles à une action publique efficace et à son adaptation dans le temps1. C’est à terme une perte d’efficacité publique donc une perte d’argent public considérable qui sera provoqué si l’amendement adopté en commission spéciale est conservé à l’issue de l’examen en séance publique. Il est plus qu’étonnant que sa présidente, la haute fonctionnaire Laëtitia Hélouet, n’est jamais pris la parole dans le débat public pour déconstruire ces absurdités ; il faut croire qu’elle a une définition extensive du « devoir de réserve ». D’autres heureusement ont pris la parole, tant parmi les cadres de l’État qu’au sein des associations d’élus locaux comme Ville et Banlieue et ses partenaires, France Urbaine, APVF, Intercommunalités de France ou Villes de France.

On ne peut que remercier Emmanuel Maurel et quelques autres députés de gauche (et du Modem) pour avoir déposé des amendements de rétablissement de l’ONPV2, mais le risque que l’irréparable soit commis est important : l’addition des voix des groupes RN, UDR, « droite républicaine » (hostiles par principe à la politique de la ville3) avec celles du « bloc central » – si ce dernier ne revenait pas rapidement à la raison (l’examen du texte est prévu dans la nuit du mardi 8 au mercredi 9 avril 2025) – est largement majoritaire.


L’Agence Nationale de la Cohésion des Territoires dans le collimateur ?

L’ANCT est un établissement public créé en 2019 et en fonctionnement depuis le 1er janvier 2020. Son action cible prioritairement les territoires caractérisés par des contraintes géographiques, des difficultés en matière démographique, économique, sociale, environnementale ou d’accès aux services publics. La création de l’ANCT avait été souhaitée par Emmanuel Macron dès son discours à la conférence nationale des territoires le 18 juillet 2017, avec l’ambition de créer un « guichet unique » d’échelon national dans la relation de l’État aux élus et porteurs de projets locaux, en particulier les collectivités territoriales.

L’ANCT a fusionné en son sein plusieurs organismes publics et administrations centrales :

  • le Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET ; à l’exception des agents assurant les fonctions relatives à l’élaboration et au suivi de la politique de l’État en matière de cohésion des territoires4), dont l’essentiel des missions a été repris par la direction générale déléguée à la politique de la ville dont nous parlions plus haut ;
  • l’Établissement public national d’aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux (EPARECA) ;
  • l’Agence du numérique (à l’exception des agents employés à la mission French Tech).

D’autres opérateurs de l’État en direction des territoires n’ont finalement pas été intégrés à l’ANCT : l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), l’Agence nationale de l’habitat (ANAH), l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) ou le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema). Toutefois, l’ANCT a établi des conventions avec chacun de ces opérateurs.

L’idée de base de la création de l’ANCT est intéressante : avoir un acteur uniquement permettant de coordonner l’ensemble des politiques publiques qui doivent servir à atteindre un objectif d’égalité territoriale. Quartiers urbains défavorisés, bassins désindustrialisés, territoires ruraux ou péri-urbains excentrés ou isolés, zones blanches, bourgs et villages ruraux en déprise (citons en dehors de la politique de la ville, Action Cœur de Ville – programme né du rapport sénatorial piloté en 2017-2018 le sénateur socialiste Martial Bourquin – Petite Ville de Demain, Village d’Avenir, Territoires d’Industrie, Maisons France Services, Tiers-Lieux, Territoires d’engagement, France Très Haut Débit, etc.)… Tous sont l’objet de l’attention de l’ANCT et doivent pouvoir bénéficier de ses dispositifs et de ses programmes. Le passage en Agence était censé lui donner la souplesse, la flexibilité et la réactivité que ne pouvait avoir, selon les Libéraux, une administration centrale ; c’était aussi s’ancrer dans la posture de « l’État animateur » et non plus prescripteur ou acteur.

Cependant, la création de l’ANCT s’inscrit dans la continuité d’une logique qui a retiré à nombre de territoires leurs administrations publiques. Ainsi pour faire face au démantèlement des Directions Départementales de l’Équipement entre 2006 et 2009, dont les équipes et les missions n’ont pas été entièrement reprises par les Directions départementales des territoires (on a « dégraissé le Mammouth » !), l’ANCT propose d’accompagner les collectivités qui s’adressent à elle avec des délégations de crédits d’ingénierie, charge aux collectivités bénéficiaires de solliciter des prestataires pour accompagner leurs projets. On marche sur la tête selon nous, mais c’est une conséquence directe du désengagement de l’État dans les territoires, pas de l’existence l’ANCT elle-même.

Sur les territoires, l’ANCT dispose de délégués territoriaux qui sont … les préfets. Donc il n’y a pas plus de présence de terrain hors quelques chargés de mission qu’elle finance pour les comités de massif ou autres chefs de projet sur ses différents programmes. Elle réalise exactement ce pour quoi elle a été créée en 2019, à savoir son rôle de guichet unique au service des collectivités. Cependant, le revers de la médaille d’un tel positionnement, c’est que l’ANCT répond essentiellement aux collectivités (ou à leurs EPCI) qui disposent déjà d’assez d’ingénierie ou de structuration pour faire appel à elle. Une commune en perdition dans un territoire en déprise ne pourra le faire qu’à la condition qu’elle soit accompagnée en amont, par les services préfectoraux et les services déconcentrés des administrations centrales qui sont déjà « à l’os » depuis plusieurs années.

Autre difficulté rencontrée par l’ANCT (et ses directions), c’est qu’elle a perdu la capacité de contrôle direct de l’essentiel de ses crédits qu’avait par exemple conservé le CGET. D’un côté, l’ordonnateur des crédits est la Direction Générale des Collectivités Locales (DGCL) qui dépend du ministère de l’intérieur (quand l’ANCT dépend à la fois du ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation et du ministère de la transition écologique) qui n’a pas d’expertise sur le fond des dossiers et des politiques publiques pilotés par l’ANCT, mais dispose d’une prépondérance dans la rédaction des décrets et circulaires relatives aux politiques publiques concernées et contrôle la libération des crédits du programme 147 (politique de la ville) et du programme 112 (impulsion et coordination de la politique d’aménagement du territoire) de la mission « cohésion des territoires » des lois de finances : le rapport de force politico-administratif est très largement inégal ; de l’autre côté, depuis 2018, ce sont les préfets de région en tant que Responsable de Budget Opérationnel de Programme (RBOP) qui ont la haute main sur l’exécution des crédits de ces deux programmes et la mise en œuvre des actions qui y sont rattachés : les recommandations de l’ANCT et de ses directions ne sont qu’un élément parmi d’autres pris en compte par les RBOP dont l’autonomie d’action, tant qu’ils respectent les cadres généraux, est extrêmement large. Comment l’ANCT pourrait-elle dans ces conditions avoir les coudées franches, disposer des moyens opérationnels concrets pour garantir une cohérence de la mise en œuvre des politiques publiques pour atteindre l’objectif de cohésion territoriale ? Dans un contexte de disette budgétaire, alors qu’on a coupé dru dans le fonds vert, que le programme 112 a perdu 20 % de ses crédits contre 5 % pour le 147, il y a fort à parier qu’une telle délégation de crédits risquent de se faire sur le terrain au détriment de la politique de la ville.

Elle est donc, dans ce contexte, contrainte d’avoir une politique marketing qui, l’espère-t-elle, lui donnera une légitimité auprès du public le plus large possible auquel elle s’adresse : les collectivités territoriales. Dès l’origine, en pleine crise sanitaire, elle s’est ainsi dotée d’un slogan qui ne recouvre que très partiellement l’intérêt de ses missions « L’agence au services des collectivités territoriales ». C’est sans doute aussi pour cette raison que ces différents outils de communication (comme son événement annuel phare l’ANCTour ou son site internet) privilégient largement les programmes et dispositifs s’adressant à la ruralité et à la revitalisation de la « France périphérique » : les maires et présidents d’EPCI sont plus nombreux dans cette catégorie et la politique de la ville, les difficultés sociales et humaines qu’elles tentent de contenir (si ce n’est de résoudre), est visiblement beaucoup moins « glamour » politiquement. Son président, Christophe Bouillon, maire de Barentin (Seine-Maritime) et président de l’Association des Petites Villes de France, est le symptôme de ce « silencement » de la politique de la ville : il n’en parle tout simplement jamais ou presque et doit être systématiquement complété sur ce dossier par son Directeur général, Stanislas Bourron, haut fonctionnaire et ancien patron de la DGCL.

On se souvient de la déclaration de politique générale de François Bayrou le 14 janvier 2025 ; le nouveau Premier ministre avait, dans un discours par ailleurs plutôt plat et ennuyeux, mené la charge en faveur de la « débureaucratisation » et contre les « plus de 1 000 agences, organes ou opérateurs exercent l’action publique […] sans contrôle démocratique réel ». On tente encore de trouver la référence du Béarnais pour avancer un tel chiffre, mais on avait compris que, parmi les cibles de cette diatribe populiste, se trouvait l’ANCT. Pourtant, c’est bien une agence dont le contrôle par le gouvernement est complet, doublé d’un conseil d’administration5 qui offre des garanties de contrôle démocratique assez exemplaires.

Or, deux semaines plus tard, le Premier ministre a demandé à l’IGA, l’IGF, l’IGEDD et l’IGAS de procéder à une revue des dépenses d’interventions de plusieurs opérateurs de l’État au profit des collectivités locales en matière d’ingénierie territoriale. Pour la mener à bien, les inspecteurs concernés, en complément des échanges avec lesdits opérateurs (ADEME, ANCT, CEREMA) et les ministères, ont reçu consigne d’aller interroger « les acteurs territoriaux susceptibles de mobiliser des ressources d’ingénierie, en propre ou porté (sic) par les opérateurs nationaux, pour mener à bien leurs projets d’aménagement ». On voit ici que l’intention est d’aller trouver des éléments pouvant permettre d’accuser son chien d’avoir la rage. Or, si l’ANCT est sans doute loin d’être parfaite – nous venons d’établir un constat balancé sur ses missions et son action –, elle souffre avant de ne pas disposer des moyens suffisants pour mettre en œuvre la tâche qu’on lui a confié : elle a besoin d’avoir des relais administratifs et d’ingénierie plus fort sur le terrain, elle a besoin de contrôler directement les crédits des politiques publiques dont on lui a confié l’expertise et le pilotage, elle a besoin d’avoir réellement la main sur les outils de mobilisation des agents publics (décrets, instructions, circulaires) et d’avoir en matière d’aménagement et d’égalité territoriale un dialogue d’organisation direct avec les préfets et leurs services.

On peut légitimement douter que l’intention actuelle du gouvernement de droite conduit par François Bayrou soit de redéployer des moyens humains dans les administrations déconcentrées de l’État, qu’elles soient rattachées ou non à l’ANCT. La disparition de cette agence ou sa fusion avec d’autres n’aboutirait alors qu’à un nouveau recul de la capacité de l’État à agir dans les territoires (alors même que les collectivités n’ont pas les moyens de prendre le relais, et d’une certaine manière ne doivent pas l’avoir, car cela signerait la fin de l’État républicain et de l’égalité des citoyens devant l’action publique).

Nous sommes le 6 avril 2025, l’ANCT n’a toujours pas reçu notification de sa subvention pour charge de service public pourtant inscrite dans la loi de finances pour 2025. Depuis le 1er janvier de cette année, elle fonctionne sur ses fonds propres, ayant toujours eu une gestion interne particulièrement austère, alors que d’autres agences ou opérateurs de l’État n’ont jamais eu cette précaution (et se retrouvent au bord du gouffre depuis quelques semaines). Mais entre les menaces de cette « mission de rationalisation » initiée par François Bayrou et la baisse des crédits du programme 112 (qui financent les postes des agents – fonctionnaires ou contractuels – de l’ANCT), on sent bien que l’Agence Nationale pour la Cohésion des Territoires risque de prendre un boulet fatal.

Mais ce n’est pas tant une agence parmi d’autres qui serait blessée à mort, c’est l’égalité des territoires au sein de la République française.

Jean-Samuel Castéran

  1. Au-delà site de l’ONPV que vous pourrez trouver tout seul, nous vous recommandons la consultation du site SIG.ville qui est une mine d’information sur les QPV, pour les agents de l’Etat, des collectivités, des acteurs professionnels, les associations, les entreprises, les habitants, et qui ne pourrait pas exister si le projet de loi sorti de la commission spéciale était promulgué tel quel : https://sig.ville.gouv.fr/ ↩︎
  2. Vous trouverez après cet article la liasse d’amendements de rétablissement au format PDF. ↩︎
  3. Les conseils régionaux d’Auvergne/Rhône-Alpes, Grand Est, Île-de-France, où LR règne sans partage (on peut ajouter PACA et Pays-de-la-Loire, proches d’Horizons), ont supprimé depuis plusieurs années tout soutien financier à la Politique de la Ville ↩︎
  4. La conception des contrats de plan État-Région, qui relevait encore du CGET pour l’exercice 2015-2020, n’est plus assumée par l’ANCT qui gère en revanche un nouveau type de contractualisation entre État et collectivités, les Contrats de relance et de transition écologique. ↩︎
  5. https://anct-site-prod.s3.fr-par.scw.cloud/ressources/2025-02/organigramme_ca_dec_2024.pdf ↩︎

« Les Français doivent récupérer leur État ! », tribune d’Emmanuel Maurel dans la Revue Commune

La revue Commune interroge intellectuels, créateurs et acteurs de la vie publique sur leur vision de l’État. Cette notion est-elle toujours pertinente ?
Voici la contribution d’Emmanuel Maurel, publiée le samedi 25 mars 2023

Pour traiter un sujet compliqué, partir d’une idée simple : il n’y a pas de France sans État. Et depuis la Révolution française, il n’y a pas d’État sans Nation, ni de Nation sans État, dont la « République française » et sa devise « Liberté, Égalité, Fraternité » sont une expression à la fois idéelle et performative.

Ces vérités historiques conservent leur pertinence et leur force dans l’esprit des Français jusqu’à nos jours. Mais il est un fait, hélas incontestable : parmi nos compatriotes, ceux qui se plaignent le plus de cette persistance, dans laquelle ils voient au mieux une relique, au pire une servitude, ce sont nos élites dirigeantes. Pour elles, souvent (il y a d’heureuses exceptions), l’État, c’est ringard.

La postmodernité travaille non seulement les élites économiques de notre pays, aux prises avec une mondialisation qui rogne leurs parts de marché et exige d’elles toujours plus « d’innovation », mais aussi les élites administratives et politiques qui singent les méthodes du privé en dépit des catastrophes que provoque continument cet habitus McKinsey. Bien des serviteurs de l’État sont devenus ses contempteurs, voire ses destructeurs – les idées (pour ne pas dire les préjugés) et les performances du macronisme en étant l’archétype.

Bien sûr, je simplifie à outrance. Il n’y pas de « complot » ourdi en coulisses contre la conception française de l’État. Il y a une idéologie dominante portée par une organisation économique et sociale qui valorise et exalte le particulier contre le général, l’individu contre le collectif, et qui infuse tout le corps social, de haut en bas, presque à son insu.

L’accélération de la déconstruction capitaliste a sérieusement entaillé un prestigieux héritage. Des siècles qui nous ont précédés, au cours desquels monarques puis représentants du peuple ont construit l’État moderne français, à la fois régulateur social, stratège industriel et planificateur économique, il semble aujourd’hui ne plus rester grand-chose. À défaut de la « fin de l’histoire » chère aux idéologues anglo-saxons (mais que les faits se sont évertués à démentir), c’est la fin de l’État. Mais est-ce la fin de l’oppression ?

Rien n’est moins sûr, car Léviathan a plus d’un tour dans son sac. La « liberté » économique, ou liberté du renard libre dans le poulailler libre, nécessite pour fonctionner une mise en œuvre et des ajustements, sans fin, par… l’État. Plus on veut de milliardaires et de startupeurs, plus on veut de concurrence pure et parfaite, plus on veut démanteler l’État social, et plus il faut… légiférer et réglementer. L’hypertrophie d’une Union européenne (presque) au service exclusif du libéralisme en témoigne.

Dans les domaines où le pouvoir politique veut laisser les agents économiques faire ce qu’ils veulent, l’État est obligé d’empiler toujours plus de lois et règlements. En parallèle, les déséquilibres sociaux engendrés par le libéralisme nécessitent d’accroître… la coercition. D’où l’inflation corrélative de lois répressives et autres mesures autoritaires, voire brutales prises par l’État pour s’assurer que l’inégalité consubstantielle au libéralisme ne provoque pas trop de troubles à l’« ordre » public. La lutte des individus contre l’État se retourne en son contraire. C’est la contradiction insurmontable du néolibéralisme. Lequel, au surplus, fait quelques gagnants et beaucoup de perdants non seulement dans la société, mais entre les nations. Or à ce jeu, la France est clairement en train de perdre. 

Certes, la conjoncture nous fait moins mal qu’à l’Allemagne. Le différentiel d’inflation est actuellement en notre faveur. Notre choix pour le nucléaire, même handicapé par les problèmes de l’EPR et des microfissures découvertes dans plusieurs centrales, nous épargne un désastre énergétique, contrairement à notre voisin, obligé de payer des sommes folles pour son gaz et de mobiliser des budgets énormes pour amortir le choc. Mais force est de constater qu’en tendance, nous décrochons. Notre déficit extérieur abyssal en est la preuve la plus spectaculaire. Même les rentrées d’argent du tourisme ne le compensent plus. Nos statistiques du chômage, falsifiées par les radiations en masse et par le choix contraint, pour des millions de Français, de renoncer au salariat et se lancer dans l’autoentreprise, complètent le tableau.

On ne peut plus continuer comme ça. L’État-Nation doit revenir à la maison. C’est-à-dire être à nouveau le serviteur du peuple détenteur de la souveraineté. Cela passe par une profonde revitalisation démocratique : l’épisode du referendum de 2005 sur la Constitution Européenne, rejetée par les électeurs mais validée par les parlementaires, est une très grave blessure qui n’a toujours pas cicatrisé. Le seul « cercle de la raison » légitime dans notre République, c’est celui du peuple tout entier, et pas seulement des privilégiés. Depuis 2017, et particulièrement maintenant, avec sa contre-réforme des retraites, Macron a poussé cette dérive à l’extrême : il faut inverser la tendance.

Pour recouvrer la légitimité populaire, l’État doit d’abord agir dans le domaine de la production. C’est la base. Or de ce point de vue, la France a touché le fond. En moins de 15 ans, elle est devenue l’un des pays les moins industrialisés d’Europe ! D’après la Banque mondiale, en 2021 le poids de l’industrie représentait 17% du PIB, BTP compris. Hors BTP (qui pèse plus lourd chez nous que chez nos voisins), nous sommes sous les 10% ! Certaines données, interprétées de manière exagérément optimiste, semble indiquer un rebond depuis environ deux ans. Quelques usines rouvrent, c’est vrai. Mais on ne peut pas se satisfaire de cette convalescence longue, pénible et précaire.

Il faut accélérer et pour ce faire, l’État-stratège, pilote d’une politique industrielle tournée vers l’avenir, c’est-à-dire la technologie, la qualité et la haute valeur ajoutée, ne peut se contenter d’être une force d’appoint saupoudrant les subventions, mais doit être une force de propulsion et d’orientation. Des propositions, passées relativement inaperçues dans le débat public, ont été faites et je les reprends à mon compte : muni de la boussole de l’aménagement du territoire, l’État doit se donner les moyens de piloter la réimplantation industrielle, en visant l’ouverture de 500 usines durant la seconde moitié de cette décennie dans les secteurs stratégiques : énergie, transports, santé, communications, numérique, électronique, etc. Et peu importe que cette politique soit jugée incompatible avec les traités européens ou avec des règles de l’OMC que plus personne ne respecte. Pour la France, la réindustrialisation n’est pas une option : c’est une obligation. Nous n’avons pas le choix et nos partenaires européens le comprendront, ou devront s’y faire.

Les moyens financiers nécessaires à ce grand chantier national devront être trouvés, en priorité par la révision et la restructuration des aides publiques aux entreprises. Leur montant est astronomique : 160 milliards par an, hors Covid. C’est de loin le premier budget de l’État. Pour quel résultat ? Il faut d’urgence changer la manière dont l’État dépense cet argent. 

Et il est indispensable que l’État lui-même prenne sa part, en privilégiant le « Made in France » dans la commande publique. Comme les Américains ! Mais pas comme les Européens, qui hélas aussi bien à la Commission qu’au Parlement, ne veulent pas entendre parler d’une telle hérésie « protectionniste ». Étant moi-même un hérétique du néolibéralisme, je n’éprouve aucune gêne à en parler. Instituer un pourcentage minimum de commande publique en « Made in France » (pourquoi pas 25%), ou trouver quelque autre manière que ce soit, mais faire en sorte que l’État – central et décentralisé – donne du travail à nos entreprises et à leurs salariés, est impératif.

Ensuite, les services publics. Qu’on parle d’hôpital ou d’école, de police ou de justice, sans oublier l’armée (qui quoiqu’on pense de la guerre et de la paix, est un facteur d’innovation, de productivité et d’excellence), l’État doit arrêter de rogner constamment son effort budgétaire, faute de quoi au bout d’un moment, on atteint un point de non-retour.

Et ce moment est proche. Il faut soutenir les effectifs et les investissements du service public, dont on oublie ces temps-ci qu’il est un des piliers de notre attractivité. Il faut aussi briser le carcan idéologique et juridique qui étouffe le service public, en le soumettant à une concurrence dont les effets sont souvent le contraire de ce qui était attendu. Le « marché », totalement artificiel, de l’énergie est à cet égard éclairant : les prix ont monté de 60% depuis que l’électricité a été libéralisée ; et EDF est au bord du gouffre. À cet égard, je recommande d’envisager toutes les options, y compris le retour au monopole public.

Il y aurait tant d’autres choses à dire. L’organisation de l’État mériterait à elle seule un long développement. Sur ce point, je dirai une chose : la loi Notre a créé des « régions » qui ne ressemblent à rien (qu’on pense à « Grand-Est », qui va de la Seine-et-Marne à l’Alsace, ou à « Nouvelle Aquitaine », qui va de Biarritz au Limousin : n’importe quoi !), n’a pas réparti les compétences de manière rationnelle, créant même de nouvelles couches et de nouveaux enchevêtrements ; et je crois nécessaire d’en faire le bilan – qui n’est pas bon.

Je suis profondément convaincu qu’en France, il est impossible de traiter la question de l’État comme on la traite ailleurs, notamment chez les anglo-saxons. Bien évidemment, l’État n’est pas la solution à tout et notre histoire montre aussi que les Français ont un rapport ambivalent à l’État, dont ils attendent beaucoup, mais dont ils n’hésitent pas à critiquer vertement les lourdeurs et la bureaucratie… scrupuleuse. Mais nos compatriotes savent au fond d’eux-mêmes que l’État n’est pas un problème mais un atout. Et ils ont raison.

Gouvernement et Covid19 : Symptômes inquiétants

Une fois de plus le gouvernement montre son mépris envers le monde enseignant…Une nouvelle décision prise le mardi soir pour le jeudi matin, sans anticipation, sans considération pour le travail des profs, pour la cohérence pédagogique et les évaluations planifiées…les élèves pourront rester s’ils le veulent chez eux dès mercredi midi pour éviter tout risque pour les fêtes…on ne sait pas qui ira à l’école, qui n’ira pas…et les injonctions contradictoires continuent comme ça depuis 9 mois : le message aux familles est à nouveau en cette fin de semaine de dire finalement qu’il est plus dangereux d’aller à l’école que de rester chez soi…et qu’en est-il du coup des personnels ??…

Comment comprendre que les enfants doivent être à l’école pendant le confinement et qu’ils peuvent s’absenter pendant le déconfinement ?

Cantine, organisation pédagogique, une fois de plus les enseignants doivent improviser en 48 heures…quel mépris !…

La communication, est aussi touchée par les symptômes visibles du gouvernement. La grande messe médiatique de 18h00 est remplacée par une matinale sur Europe 1 et un entrefilet sur BFM TV le matin.

Troubles de la vue, difficultés de compréhension, dédoublement décisionnel, carence démocratique, État fébrile.

Alors que le pays est en proie à une recrudescence du virus, qu’une stratégie vaccinale doit être exposée ce jour à l’assemblée, avec l’ombre planante d’une mutation de la Covid19 qui la rendrait caduque, nous ne pouvons que constater, même si nous en étions convaincus, que ce gouvernement est malade et que le meilleur service qu’il pourrait rendre à la nation serait de s’auto-confiner, durablement, pour éviter une rechute.

Bref, désolant…

Nous avons besoin de vous !

Quelles que soient vos compétences, si vous touchez votre bille en droit, en bricolage, si vous aimez écrire, si vous êtes créatif… vous pouvez prendre part à des actions et ateliers près de chez vous ou encore nous envoyer vos vidéos, vos dessins pour des affiches etc.