Le modèle allemand en fin de vie ?

La crise industrielle allemande

Un rapport de la Deutsche Bank met en garde contre une désindustrialisation accélérée de l’Allemagne. En effet, l’un des piliers les plus importants du modèle économique soutenu par Angela Merkel, c’était l’accès constant à une énergie carbonée abondante et peu chère, aidant l’Allemagne à conserver un avantage compétitif et ses usines localement.

Ce n’est plus le cas. L’industrie pourrait reculer de 5 points de PIB en 3 ans.

La première pénurie, c’est la main d’œuvre. Dès 2014 cependant, un facteur de coût apparaissait : le manque de main d’œuvre qualifiée, combiné à une démographie atone et un défaut massif d’investissement dans la formation, entraînait une progressive reprise à la hausse des salaires. Les syndicats patronaux allemands ont imploré le gouvernement de mettre en œuvre des politiques agressives d’immigration de personnels bien formés par d’autres pays pour limiter ces coûts, soit de financement des formations, soit d’augmentation des salaires.

C’est ce qui explique en partie la décision brutale d’Angela Merkel en septembre 2015 de s’asseoir sur un traité international, l’accord de Dublin, pour ouvrir les frontières allemandes. C’est aussi ce qui explique qu’entre 2016 et 2020 l’industrie commence un recul dans la part de la richesse nationale produite, passant de 22,6% à 20% : le manque de main d’œuvre.

Le SPD tenta en 2016 de répondre au besoin de main d’œuvre en revalorisant les salaires par l’instauration d’un SMIC, et cette mesure, loin de coûter “un million d’emplois” comme le prétendait le patronat allemand avant le vote de cette loi, contribua à en créer 200 000 et permettre la poursuite des gains de productivité.

L’industrie en panne de carburant

La Deutsche Bank pense que l’explosion des coûts de l’énergie carbonée, ainsi qu’en corollaire les pénuries menant le gouvernement à privilégier le chauffage des habitations sur le maintien des lignes de production industrielle pourrait entraîner une vague massive de délocalisations et de faillites – qui sont des délocalisations d’emplois vers des concurrents.

La question de l’énergie est au cœur du renversement de paradigme économique en Allemagne.

Dans ce contexte, la décision du chancelier Scholz du 17 octobre 2022 de maintenir les trois centrales nucléaires encore en activité jusqu’en avril 2023 au moins est logique : entre transition énergétique et coupure avec son « allié russe », l’Allemagne n’a pas le choix.

Mais toutes les infrastructures ont été conçues pour une consommation massive de gaz, et non d’électricité nucléaire, ou d’électricité renouvelable. En Allemagne, le nucléaire est une emplâtre, pas une solution pérenne.

En octobre 2021, à la présentation du contrat de gouvernement, la nouvelle coalition SPD-Verts-Libéraux se félicite d’avancer la sortie du charbon à 2035 en fondant toute sa stratégie sur le gaz naturel comme énergie de transition vers une énergie 100% renouvelable. Il était prévu de doubler les capacités énergétiques fondées sur le gaz russe pour supplanter le lignite, très polluant, mais extrait d’Allemagne.

Dès cette date, Poutine organise le débit des pipelines de telle manière que le prix recommence à augmenter. Le dépendance géopolitique de l’Allemagne à la Russie, organisée par Merkel tout au long de ses 4 mandats, en dépit de la crise de 2014 et l’annexion de la Crimée, rendait impensable à Poutine un ralliement de son principal client et partenaire à un front unifié au moment de l’invasion de l’Ukraine. D’ailleurs, l’Allemagne hésita les premiers jours.

Pénurie et Pénurie

Entre mars et septembre 2022, la consommation allemande de gaz est certes en recul de 30% ; et la vague de chaleur tardive de ce mois d’octobre à plus de 20 degrés, s’il est le signe d’une accélération dramatique du réchauffement climatique, va réduire mécaniquement la consommation. Mais cette baisse reflète également une crise larvée de la production en Allemagne, déjà engagée avant même la pandémie.

La crise est structurelle, et antérieure au Covid.

On l’a oublié, mais dès le troisième trimestre 2019, on s’inquiétait d’une récession possible en Allemagne avec la conjonction des problèmes structurels d’approvisionnement en matières premières et en composants de base des produits industriels. La pénurie est antérieure à la pandémie, et touche déjà les puces micro-électroniques, les capacités de stockage des données, les métaux et terre rares.

La pandémie, accélérateur de la crise de la globalisation

La pandémie a profondément bouleversé les équilibres économiques de la période 2010-2019.

En Chine, les fermetures des gigantesques centres de production des composants de base des produits manufacturés de l’économie mondiale, dans le cadre d’une politique de zéro Covid stricte, a exposé la vulnérabilité des capitaux étrangers placés dans ce pays. En fin de compte, c’est le gouvernement de Xi Jinping qui décide de l’ouverture et la fermeture des usines, et non l’investisseur allemand.

La reprise en main idéologique et politique des géants de la haute technologie chinoise reflète également la lutte entre classes dominantes dans ce pays, avec une nouvelle classe qui s’est crue proche de pouvoir prendre une influence politique mais qui a été rappelée brutalement à la réalité des rapports de force d’un régime despotique.

La classe bureaucratique reste en Chine plus puissante que la classe capitaliste qui s’est formée depuis 1978. Cependant, ces nombreuses convulsions chinoises ont aussi des conséquences en Allemagne sur les manufactures spécialisées dans l’exportation.

L’exportation, richesse stérile allemande

Sans marché intérieur – toute la politique d’Angela Merkel consista à restreindre la croissance du marché intérieur pour en expurger toute tentation inflationniste, maintenir la compétitivité extérieure et garantir la paix sociale par la déflation des produits de première consommation – l’Allemagne produisait encore en 2021 un tiers de ses richesses en vue de l’exportation.

Les revenus de ce commerce excédentaire n’étaient pas réinjectés dans l’économie nationale, par l’investissement public, privé, ou la hausse des revenus: non ! Des quantités gigantesques de liquidités ont été accumulées et … stockées dans des trappes improductives, ou empilées dans le marché immobilier, et la dette publique en euros. Près de 1000 Mds € seraient ainsi stockés sur des comptes courants non rémunérés, de quoi financer une transformation énergétique allemande en trois ans. Les Allemands, d’après une enquête de la Bundesbank de 2020, conserveraient chez eux plus de 150 milliards en liquide !

S’il y a un peuple prouvant par l’absurde la justesse du système keynésien, c’est bien l’allemand.

Toutes ces liquidités accumulées ne servent à rien. Cette épargne, contrairement à un présupposé des économistes “dominants” n’a pas créé une croissance d’investissements pas plus, par une consommation accrue, ou une augmentation des salaires, qu’elle a été inflationniste.

Le mercantilisme merkellien, tragédie de l’Europe des années 2010

Merkel a été une mercantile acharnée et obstinée. Début octobre 2022, interrogée au Portugal sur les enseignements tirés depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février de la même année, Angela Merkel donna en une phrase toute l’étendue de son mercantilisme : la décision de se rendre dépendant du gaz russe dès 2011 était à ses yeux toujours justifiée “parce que c’était le moins cher”, et la guerre de 2022, enjambant tout ce qui s’est passé entre 2014 et cette date, “une césure”, un changement de paradigme.

Le mercantilisme – par exemple celui des colbertistes conduisant la transition du féodalisme au capitalisme, libéral en Angleterre, encadré par l’État absolutiste en France – suppose une économie produisant des excédents commerciaux pour en financer des investissements publics et privés attributs de puissance d’une Nation.

Merkel a bien produit des excédents, qu’elle a bien utilisés comme attribut de puissance au sein de l’Union Européenne, mais sans jamais passer aux investissements par peur de faire partager les classes populaires à cette prospérité, et de déséquilibrer les ressorts profonds, déflationnistes, du commerce extérieur.

Mais c’est aussi ce mercantilisme, fondé une vision souverainiste de la politique allemande toute cette décennie, qui amène de fait l’Allemagne à s’allier d’abord avec le Royaume Uni de Cameron contre la France et les pays du Sud, puis avec la Turquie contre la Grèce, avec la Hongrie contre le fédéralisme et la mutualisation des dettes, avec les Pays Bas, le Luxembourg, l’Irlande, contre l’harmonie fiscale européenne, et avec toutes les droites contre l’Europe sociale.

Évidemment, la “chancelière climat” comme l’appelaient les éditorialistes conservateurs après sa décision, politicienne et soudaine, de sortir du nucléaire, n’a rien fait pour le climat, le choix d’investir dans les énergies renouvelables étant cohérent avec la vision mercantile d’une industrie énergivore allemande nécessitant un minimum de diversification de l’approvisionnement.

Le triomphe de la raison stupide, taux d’intérêt et commission européenne

L’ancien directeur de la banque centrale américaine Bernanke a été récompensé du “Nobel” d’économie pour ces travaux sur la crise financière de 1929, où il était arrivé à la conclusion que ce n’est pas un excès de liquidité, mais un déficit de monnaie, qui avait accéléré la crise et provoqué l’inflation. C’est ce qui le conduit en 2008 à ouvrir les vannes de la planche à billets, politique menée aussi par la banque centrale européenne depuis 2013, et qui a financé la reprise des années 2010-2020 sans contagion monétaire par l’inflation.

Pourtant, à l’approche d’une inflation structurelle, de production, les banques centrales, l’européenne en tête, montent les taux d’intérêts et pensent qu’il est préférable de plonger l’économie dans une profonde récession plutôt que d’augmenter les salaires. La commission européenne ne cesse, dans ce contexte de crise inflationniste par contagion des pénuries apparues dès 2019 et des prix de l’énergie, de rappeler les nécessités de respecter la “règle d’or” austéritaire.

Or, on sait comment on sort de crises profondes comme celles de 1929 : par le fascisme et la guerre. C’est le triomphe de la raison stupide.

Un mercantilisme infectieux, une Allemagne malade

Ce qui n’a pas été fait, c’est préparer l’industrie allemande à un marché de l’énergie sans carbone, et à une indépendance géostratégique énergétique. Ceci a eu des conséquences politiques dramatiques tant pour les Allemands – les classes populaires allemandes sont parmi les grandes perdantes de la période 2000-2022 en Europe – que pour les Européens.

La paupérisation des classes populaires allemandes est un poison démocratique. Dès lors que l’Allemagne encaissait chaque année plus de 6% de sa richesse nationale en excédent commercial, alimentant en recette fiscale l’État, lui permettant même d’emprunter à taux négatif, les classes populaires auraient été légitimes à réclamer une partie de cette prospérité auxquelles elles contribuaient par leur travail.

C’est l’inverse qui s’est produit : le niveau de vie, le niveau de pouvoir d’achat réel des classes populaires a reculé, au mieux stagné, entre 1998 et 2018.

Le plein emploi obtenu entre 2008 et 2016 ne l‘a pas été en multipliant le nombre d’emplois : le nombre d’heures travaillées en Allemagne a baissé de 5% sur la période, reflet de la crise démographique.

Le nombre d’heures salariées travaillées a aussi baissé. Nous l’avons régulièrement relayé dans nos analyses depuis les élections de 2017, la réduction du chômage en Allemagne est essentiellement le produit d’un double phénomène :

1. Une réduction contrainte du temps de travail et du nombres d’heures rémunérées des emplois populaires. Le temps de travail effectif moyen est passé de 38 à 33 heures pour les emplois en dessous du médian salarial. Les salariés gagnent par tête moins qu’avant parce qu’on les oblige à accepter des contrats à temps partiels. Les cadres et les professions intellectuelles supérieures ont elles maintenues leur temps de travail au delà de 41 heures payées 41 heures, et ont vu leur taux horaire fortement progresser sur la période.

2. La réforme du minimum social conditionné à un contrôle de tous les aspects de la vie intime menée par Schröder et approfondie par Merkel – et qui sert en réalité de modèle à Macron pour ses réformes de l’assurance chômage – a piégé près de 5 millions d’actifs dans des statuts de “prolétariat en guenille”, payés parfois 1 euro l’heure travaillée, pendant plus de dix années consécutives, sans véritable travail de formation professionnelle qui exigerait des investissements publics. En 2020, les estimations du déficit en investissements publics en Allemagne oscillaient entre 250 Mds € (uniquement pour les infrastructures) à 600 Mds € tout confondu.

Crise de l’industrie, pénuries, paupérisation, guerres : le terreau de la bête immonde

La conséquence politique a été visible dès la fin des années 2010 : la défaite du SPD et l’échec des Linke à incarner une meilleure gauche entraîne des comportements électoraux des classes populaires et moyennes inférieures très différents des 50 premières années de la république fédérale.

Ces tâtonnements électoraux ont profité en alternance au NPD néonazi ou aux Pirates (parti laïc et libertaire). L’électorat cherche un débouché, et les Linke, empêtrés dans des débats sur le sexe des anges entre intersectionnalistes, communautaristes, adeptes de la théorie des “milieux” (le terranovisme allemand) et matérialistes marxistes, sabotent eux-mêmes la tentative de Aufstehen de capter cette colère populiste dans un mouvement progressiste. Pourtant, le lancement du mouvement, au printemps 2018, intéressait “36% des Allemands” d’après un sondage du magazine Focus, et enregistrait 100 000 adhésions en ligne. Tout l’été 2018, les apparatchiks du parti vont mener une campagne acharnée qui tuera dans l’œuf le mouvement.

La marche en avant de l’extrême droite en Europe et en Allemagne

Ce sont les néofascistes qui vont sauter sur cette occasion.

Finalement, tous les parlements allemands, dans les Länder comme au Bundestag, vont connaître une weimarisation : explosion des votes pour des petits partis y compris lorsqu’ils n’ont aucune chance d’être élus, multiplication du nombre de partis représentés dans les parlements, émiettement des coalitions majoritaires traditionnelles, multiplication des “Grandes Coalitions”, et, depuis 2017, enracinement d’une extrême droite parlementaire à plus de 10%.

En 2013, manquant encore de peu l’entrée au Bundestag, l’AfD “l’alternative pour l’Allemagne” grossit sur le dos des grandes coalitions pour entrer au parlement européen en 2014, dans des parlements régionaux, et en 2017, pour la première fois depuis 1951, au Bundestag avec 90 députés, conservés en 2021.

L’AfD compte autant de députés que le RN en France, mais la maladie démocratique n’est pas aussi avancée que la septicémie française.

Ce phénomène s’accompagne d’un effondrement des effectifs militants dans les partis comme des effectifs syndicalistes. L’ensemble des corps intermédiaires s’affaiblissent.

L’Allemagne cependant n’a pas eu l’histoire conflictuelle de la France entre 1945 et 1968 : pas de guerre de décolonisation, pas de guerres civiles larvées, pas de tentatives de coup d’État militaire, et une stabilité constitutionnelle autour d’un régime parlementaire.

Les institutions ont mis du temps à s’extraire de personnels formés – et souvent adhérents – sous le nazisme. Mais depuis, elles sont plus solides qu’en France pour limiter le pouvoir exécutif et maintenir le respect du droit et des libertés fondamentales. Cependant, l’Allemagne est aujourd’hui mûre pour une aventure populiste. La crise de l’énergie ne touche pas que l’industrie, mais tous les ménages.

Au début du mois d’octobre, le Land de Basse Saxe, où se trouve Volkswagen, mais aussi les grands éleveurs et abattoirs allemands, l’ancien bastion de Schröder, a voté. Les deux grands partis, SPD (-4%) et CDU (-8%) ont continué de reculer. Les deux partis en progression sont les Verts (15%) et l’extrême droite (11,5% et +5%). Si le SPD peut conserver la présidence du Land dans une coalition avec les verts, les libéraux du FDP ont été éjectés du parlement.

Les Libéraux en tirent la leçon que la coalition nationale au Bundestag ne les sert pas. Le 17 octobre, ils ont poussé la coalition au bord d’une crise existentielle en exigeant l’investissement dans le nucléaire. Le chancelier Scholz a donc tranché la poire en deux entre Verts et Libéraux.

Un gouvernement Scholz affaibli

Les sondages nationaux sont très mauvais pour la coalition, avec une droite menée par un ultra-libéral populiste, Merz, dénonçant un “tourisme social des réfugiés ukrainiens” – un million d’Ukrainiens se sont réfugiés en Allemagne, et les classes populaires allemandes, qui avaient déjà vues en 2015-2016 l’État mobiliser d’importants moyens pour accueillir un million de réfugiés venus du Proche Orient se demandent bien pourquoi ces moyens n’existent pas pour améliorer leur propre situation matérielle – et une extrême droite AfD à plus de 15%.

Or, Scholz est vulnérable : une enquête judiciaire pourrait le lier au scandale Warburg, nom de la banque de Hambourg, ville dont il fut maire, qui a fait déjà tomber le député et chef de l’aile droite du SPD Kahrs.

L’échec moral du mercantilisme merkellien allemand

Wandel durch Handel”: La transformation par le commerce. Le mercantilisme, et la foi dans le commerce comme moteur des transformations positives des relations entre États et Nations, sont autant au cœur de la construction européenne que de la politique allemande, notamment d’Angela Merkel entre 2005 et 2021.

Aujourd’hui, le patron du SPD Lars Klingbeil regrette que même son parti “ait mis l’accent sur ce qui nous reliait” – le commerce – “ et refusé de voir ce qui nous séparait” avec Poutine.

Aucun des régimes avec lesquels l’Allemagne a commercé intensément depuis 2005, cherchant l’alliance mercantile d’abord, puis des accords politiques, ne s’est développé vers des formes plus démocratiques, progressistes, ou tolérantes sur la période, bien au contraire.

Les avantages économiques tirés du commerce avec l’Allemagne ont enrichi des classes corrompues de plus en plus autoritaires.

Russie, Chine, Turquie : comparez les situations politiques intérieures entre 2005 et 2022. En 2005, Merkel explique que Erdogan est un “Musulman-démocrate” comme il existe des chrétiens-démocrates, et salue son libéralisme économique. Elle envisage un rapprochement avec l’Union Européenne. En 2016, malgré les transformations du régime et sa répression des manifestations de 2014, son implication dans les groupes islamistes de Syrie, sa lutte contre nos alliés qui ont battu Daesh, elle choisit la Turquie plutôt que la Grèce pour accorder plusieurs milliards par an pour bloquer les réfugiés, donnant à la Turquie une formidable arme de chantage.

La Chine reçoit l’essentiel des investissements économiques allemands financés par ses excédents. Ils passent de 29 milliards par an en 2010 à 90 milliards par an en 2019. Voilà des milliards qui auraient pu aider l’intégration européenne et faire de l’Allemagne ce consommateur de dernier ressort.

Les joint venture se développent. Dans le même temps, XI Jinping a engagé la répression la plus meurtrière et massive, criminelle et raciste, des Oighours, mets au pas la démocratie à Hong Kong, mets en camp les milliardaires et les leaders d’opinion des classes montantes de la prospérité Chinoise, engage une politique coloniale agressive et hostile à l’Europe en Asie et en Afrique, et finalement, après une politique AntiCovid sans aucun égards pour les conséquences sur l’économie allemande, renforce, en 2022, ses pouvoirs vers le pouvoir absolu, effaçant les ouvertures du régime depuis 1978. Les transferts de technologie et de capitaux préparent son invasion de Taïwan.

En Russie, l’Allemagne a non seulement investie en se liant pieds et poings à Poutine, pour le meilleur et pour le pire, en faisant tout pour affaiblir les sources d’énergies alternatives hors d’Allemagne au gaz russe, et en premier lieu le potentiel de la France tant pour l’électricité nucléaire que pour les pipelines venus d’Afrique du Nord où les terminaux de gaz liquide, et en décidant de sauter l’Ukraine avec les deux pipeline Nord Stream – l’Allemagne a sous Merkel toujours choisie son intérêt à court terme égoïste sur les partenaires européens – que dans l’économie russe. Le régime de Poutine lui est devenu de plus en plus autoritaire, réactionnaire, anti-LGBT, anti droits des femmes, et impérialiste, s’alliant avec Assad, avec le régime iranien, tolérant l’écrasement des Arméniens par les Azéris pour maintenir l’Arménie dans son espace de contrôle, soutenant le pourtant haï Lukashenko pour empêcher un exemple réussi de transition démocratique dans sa zone d’influence.

Entre 2015 et 2020, par exemple, l’industrie de la microélectronique allemande a investi 9 milliards par an en Chine, 2 milliards en Russie, 1,3 milliards en Turquie, et seulement, tendance à la baisse sur toute la période, moins d’un milliard en France.

Il y a quelques années, avant la pandémie, nous nous interrogions sur les raisons pour lesquelles les industriels allemands, tout occupés à pleurer à la chancellerie sur les pénuries de main d’œuvre qualifiée et les difficultés locales pour développer leurs usines, ne venaient jamais, au sein d’un espace monétaire homogène, avec une sécurité d’un droit commun et d’une compréhension du droit commun, investir en France, que la même la Deutsche Bank qualifiait d’attractive, disposant d’une main d’œuvre plutôt formée abondante.

Angela Merkel préférait les incertitudes des régimes autoritaires et les maximisations des gains économiques immédiats. Comme elle l‘a redit encore début octobre 2022, elle ne voit rien de mal à sa politique énergétique entre 2010 et 2021 car “le gaz russe était le moins cher.”

Tout est dit.

En 2020, les Chinois ont ouvert et fermé les usines construites avec des capitaux allemands comme bon leur semblaient : les propriétaires du capital n’avaient rien à dire. Le droit ne protège pas l’investisseur étranger lorsque le régime autoritaire serre les boulons.

Nous n’avons pas besoin de revenir sur la situation russe et les gigantesques transformations que l’absence de commerce imposent à l’Allemagne maintenant. C’est l’ironie tragique du “Wandel durch Handel” : la Russie maintenant transforme l’Allemagne, et non l’inverse.

Notons l’échec moral complet de Merkel : Son mercantilisme a accompagné la radicalisation des formes autoritaires et islamistes des trois partenaires privilégiés, pendant que sa politique concurrentielle en Europe a fait monter l’extrême droite partout, y compris en Suède, en Allemagne même.

C’est une débâcle économique, politique, morale, philosophique et personnelle.Le mercantilisme merkellien restera comme l’épisode le plus frappant et dramatique du triomphe de la raison stupide. Longtemps présenté en modèle pour la France, le mercantilisme merkellien se révèle être fondé sur trop de dépendances à des pouvoirs corrompus autoritaires, et par conséquent sans aucune fiabilité. L’Allemagne, en choisissant systématiquement la Russie, la Turquie et la Chine contre la France, l’Italie, l’Espagne, et la prédation de l’excédent commercial sur la coopération et la solidarité, découvre bien tard avoir été la cigale.

Scholz, la semaine dernière, a ouvert la voie, pour la première fois depuis une déclaration commune de Martine Aubry et Sigmar Gabriel en septembre 2011 laissée sans suite, à une mutualisation des dettes européens pour affronter solidairement, en coopération européenne, la crise énergétique. Ce ne fut pourtant pas le cas pendant la crise pandémique, ni pendant aucune des crises des années 2008-2020. C’est que l’Allemagne y est contrainte. Elle a besoin de la solidarité européenne qu’elle refusait par principe pendant vingt ans.

Il est donc logique que ce soit à ce moment que Grèce et Pologne relancent leurs exigences d’indemnisation pour les destructions de la seconde guerre mondiale.

Un effet d’aubaine ?

Si l’Allemagne est profondément déstabilisée, en doute profond sur les paradigmes des 20 dernières années, c’est une fenêtre d’opportunité pour la France. Malheureusement, celle-ci est gouvernée par des élites encore enivrées à la chimère opiacée d’une “amitié franco-allemande” que Merkel n’a jamais honorée.

Elle refusait encore en novembre 2015 les moyens budgétaires à Hollande pour se protéger du terrorisme islamiste, ne l’oublions jamais, ne lui pardonnons jamais.

Pourtant, jamais les visions françaises, mitterrandiennes, de l’Europe n’ont été aussi proches de trouver un terrain de réalisation. C’est le moment de pousser l’avantage, de l’exploiter sans compromis, sans pitié : Mutualisation des dettes, contrôle politique de la BCE, défense européenne sous leadership technologique et politique français, toutes ces idées pourraient être mises en avant.

Mais Macron, provincialiste tout occupé à améliorer l’argent de poche de Bolloré et Bernard Arnault, préfère cliver son opinion publique sur les retraites, l’assurance chômage, les salaires des employés de l’énergie. Quel gâchis ! Si le mercantilisme merkellien est une tragédie, le libéralisme macronien est une farce. Comme le disait Engels en 1844, il parlait de Saint-Simon, dont la vision de l’Europe continue d’inspirer justement les libéraux français, “tout ce qui en France est touché une fois par le ridicule est perdu à jamais”.

C’est exactement ce qui touche le président actuel, dans l’époque la plus dramatique depuis la chute du rideau de fer.

La République sociale européenne ?

Nous sommes attachés à une vision universaliste ancrée dans l’histoire de France. Nos révolutions ont fondé l’idée républicaine et l’espoir que celle-ci sera l’instrument de la justice sociale, avec le moteur de la fraternité pour surmonter les crises et les agressions extérieures. Ces valeurs et ces principes, autant que la méthode républicaine, sont les inspirations nécessaires pour formuler les réponses aux crises contemporaines.

Il est temps de mettre fin à l’expérience d’une union douanière allemande en confédération d’États germanique, une répétition européenne de 1834 en Allemagne.

Il est temps de porter le flambeau d’une république sociale et européenne, construite sur les principes français d’égalité et de fraternité, et non sur les principes mercantiles d’une Allemagne en échec total.

Présidence française de l’Union Européenne : beaucoup de com’, de rares avancées, de vrais échecs

Macron aura beaucoup « macroné », verbe inventé par les Ukrainiens qui signifie « parler pour ne rien dire ». Son triptyque revendiqué en décembre dernier « relance, puissance, appartenance » rentre totalement dans ce cadre.

Macron n’a été ni l’initiateur ni le chef d’orchestre des réformes entérinées durant ce semestre : elles ont été travaillées pendant des mois par le Parlement ; certaines remontent même à plusieurs années, comme le règlement sur les marchés publics). Le Conseil sous présidence française a tenu à en valider le maximum afin d’enjoliver son bilan. En terme de rythme de travail, c’est positif (la représentation permanente de la France à Bruxelles a fait preuve d’une productivité impressionnante, hommage à nos diplomates), mais en terme de fond politique, on est en droit d’avoir une appréciation beaucoup plus contrastée – et plus réaliste.

Certes, le dossier ukrainien a totalement bouleversé le semestre français. Mais sur la crise économique qui vient, doublée d’une crise énergétique, d’approvisionnement et d’inflation, on n’a clairement pas avancé. Le plan de relance de 2020 demeure le seul outil de résilience économique dont dispose l’Europe ; et chaque jour qui passe montre qu’il ne suffira pas à éviter un fort recul de la croissance, voire une récession. Pire : on se dirige actuellement vers une normalisation. La routine néolibérale reprend du poil de la bête. On l’a vu pendant les élections françaises : les injonctions austéritaires (« semestre européen »), avec la compression des dépenses publiques et ses conséquences sur la qualité du service public, empêchent de mener les politiques nécessaires, notamment en terme de santé ou d’éducation.

Sur les occasions manquées au point de vue économique et énergétique, on pense au blocage de la réforme de la tarification de l’électricité, qui reste indexée sur le gaz, et dont l’absurdité nous coûte très cher, particulièrement à nous les Français qui avons des coûts de production très bas grâce au nucléaire.

Passons maintenant en revue le bilan précis de cette « présidence Macron ».

Action extérieure

“Europe puissance”

L’invasion de l’Ukraine par la Russie a pressé les Européens d’accélérer, mais pas forcément dans le sens le plus souhaitable. On peut se réjouir d’une chose : depuis le 24 février, les Etats-membres de l’UE sont globalement restés unis. On sent néanmoins qu’émergent différentes « sensibilités ». À cet égard, le Président Macron n’a pas toujours trouvé les mots justes. Ses propos sur la nécessité de « ne pas humilier Moscou » ont non seulement irrité Kiev et suscité beaucoup d’incompréhension, mais aussi, et c’est plus grave, éloigné de nous un certain nombre de chancelleries européennes. Lesquelles étaient jusqu’à cette sortie fâcheuse, plutôt concentrées sur la responsabilité historique de l’Allemagne dans tous nos déboires. Bref l’Europe puissance et son « autonomie stratégique » ne sortent pas gagnantes de ces 6 mois de présidence française.

La vision française, portée à sa façon par Macron, considère que l’Union doit être capable d’agir indépendamment de tous les Empires. De l’autre côté, il y a ceux qui considèrent que le cadre de toute défense européenne, c’est l’OTAN. Vladimir Poutine a clairement, sinon volontairement, fait en sorte que ça soit cette ligne-là qui l’emporte. Nous sommes repassés sous supervision américaine. L’OTAN a ressuscité de sa mort cérébrale. Elle est relancée comme personne n’aurait osé l’espérer avant le 24 février. En termes géopolitiques comme économiques et industriels, je ne sais pas si c’est une bonne nouvelle pour la France. Ce réalignement atlantiste est exploité à fond par le Royaume-Uni et la Pologne, l’Allemagne suit, et Bruxelles (Von der Leyen), semble copier-coller son discours sur celui de Washington. Enfin, tout porte à croire que les conséquences économiques, sur le réarmement, profiteront surtout au complexe militaro industriel américain.

Balkans occidentaux

Emmanuel Macron avait annoncé le 9 décembre 2021 au moment de la présentation des priorités de la présidence française, vouloir une clarification sur les perspectives d’adhésion des pays des Balkans Occidentaux. À l’heure du bilan, le moins que l’on puisse dire est que le verre est plus qu’à moitié vide ! Et que pour la Serbie et le Monténégro par exemple, mais aussi la Macédoine du Nord (on a quand même eu une avancée avec la levée du veto bulgare), il y a de quoi être amer. Ce n’est bon ni pour la France ni pour l’Europe de laisser s’accumuler ainsi autant de frustrations dans les Balkans Occidentaux, qui ont été sidérés par la différence de traitement dont a bénéficié l’Ukraine (et la Moldavie). On a enfin un très gros problème en Bosnie, avec une République Serbe de Bosnie tentée par la sécession et très encouragée par Moscou. Ce serait la fin des accords de Dayton et donc le retour possible d’une confrontation meurtrière en ex Yougoslavie. L’Europe est consciente du problème, mais ne me paraît pas avoir fait grand-chose pour le résoudre.

Partenariat sud

Ce versant de la politique européenne de voisinage a complétement été laissé de côté au profit, on peut le comprendre, du partenariat oriental. La présidence française du Conseil de l’Union européenne aurait dû être l’occasion de relancer l’Union pour la Méditerranée. Cela n’a pas été le cas. Au contraire, les crises s’amplifient : crise économique, sociale et politique en Tunisie ; décrochage politique (irrémédiable ?) de l’Algérie, qui approfondit les liens avec la Russie et la Chine et qui se fâche avec le Maroc sans que ça ait l’air de nous préoccuper outre mesure ; Liban totalement laissé à l’abandon…

Afrique

L’organisation du sommet UE-Union Africaine les 17 et 18 février derniers a été une bonne chose après deux ans perdus à cause du Covid. Des engagements importants ont été pris durant ce sommet (150 milliards d’euros d’investissements dans les infrastructures), mais demeure l’impression tenace d’être à la traîne de la Chine. L’éclatement de la guerre en Ukraine a aggravé les contradictions. Des Etats (et leurs opinions publiques) rejettent à présent ouvertement la présence occidentale. Pour beaucoup d’Africains, les responsables de la crise alimentaire à venir c’est nous, et pas la Russie.

Institutions européennes

Concernant la conférence sur l’avenir de l’Union européenne, nous pensons qu’il y a mieux à faire maintenant que réviser les traités. Le Conseil européen a plutôt raison de ne pas s’emballer et de rester prudent. Certes, nous avons des problèmes récurrents à cause de la règle de l’unanimité sur les questions fiscales (cf. veto hongrois au taux minimal d’imposition sur les sociétés la semaine dernière) et sociales (cf. proposition décevante sur le salaire minimum). Mais gardons la tête froide sur ces sujets. Par exemple, est-on sûr que passer les questions de santé à la majorité qualifiée profitera nécessairement à notre Sécurité sociale et notre Assurance maladie ? Voulons-nous ouvrir la boîte de Pandore en passant à la majorité qualifiée sur la politique étrangère et de défense ? Cela signifierait tout simplement la fédéralisation de l’Union européenne et politiquement c’est un chiffon rouge pour les opinions publiques.

Commerce international

Marchés publics

Jusqu’alors, l’UE était assez démunie face à la Chine ou aux Etats-Unis. D’un côté, des obstacles, des interdictions, des contraintes qui empêchent les entreprises européennes d’avoir accès à leurs marchés publics ; de l’autre des marchés ouverts, raflés parfois par des entreprises de pays tiers subventionnées par leur gouvernement.

Longtemps, les libéraux n’ont pas voulu entendre parler de protections spécifiques sur ce sujet, mais l’absence de réciprocité de la part de nos concurrents a marqué un tournant. Désormais, pour tout marché atteignant le seuil de 10 millions d’euros, les entreprises seront soumises à des vérifications. Des sanctions économiques seront prises en cas de non-réciprocité. Mais on aurait pu aller plus loin et défendre un Buy European Act, permettant de donner la priorité aux entreprises européennes dans l’accès aux appels d’offre.

Subventions étrangères

Le but était de garantir des conditions de concurrence équitables pour les entreprises opérant sur le marché intérieur. Ce texte vise particulièrement à contrecarrer la Chine, connue pour subventionner massivement ses entreprises, qui sont, de facto plus concurrentielles que les entreprises européennes. Il met en place des outils permettant à la Commission d’enquêter sur les contributions financières d’un gouvernement de pays tiers : deux dispositifs pour étudier les concentrations importantes et les offres dans le cadre de marchés publics de grande envergure ; et un instrument d’enquête sur le marché. Les seuils sont 600 millions d’euros pour les concentrations et 300 millions d’euros pour les procédures de passation de marchés publics.

Taxe sur les multinationales

Ce texte prévoyait la mise en place d’un impôt minimum de 15 % sur les bénéfices des multinationales, à compter du 31 décembre 2023, pour porter un coup d’arrêt aux paradis fiscaux à taux zéro et aux stratégies de dumping fiscal. Ce projet était porté par Bruno Le Maire depuis le début de la PFUE, mais après plusieurs mois de négociations, et malgré l’accord de la Pologne (sûrement pour avoir accès au plan de relance), la Hongrie, le 18 juin, a posé son veto.

C’est un échec pour Macron et Le Maire. Le coup est d’autant plus dur que si le texte était passé au niveau européen, la pression aurait été mise sur les Etats-Unis, où la réforme est bloquée depuis l’année dernière.

Climat & écologie

Hier le Conseil a confirmé l’horizon 2035 pour l’arrêt de la vente de voitures neuves à moteur thermique (avec une exception pour les petits constructeurs type… Ferrari, arrachée par l’Italie). Il faut à la fois se réjouir du volontarisme de l’UE sur la question des émissions de CO2, et ne pas prendre à la légère les avertissements des industriels (cf. la tribune remarquée de Carlos Tavares, PDG de PSA). Certes, PSA n’a pas un CV exemplaire en la matière. Certains se souviennent peut-être des esclandres de Jacques Calvet contre le pot catalytique. Mais on a plein de problèmes, à ce jour sans solution, sur la reconversion industrielle, sur les pertes d’emplois et de compétences, sur l’accès aux matières premières nécessaires à la fabrication des batteries, sur le cycle de vie des batteries lui-même, etc.

Sur la tarification carbone, le parlement européen a ce mois-ci vécu un psychodrame, mais tout est bien qui finit bien. Ou presque. Des compromis difficiles ont dû être trouvés en catastrophe, qui entachent notre détermination initiale à aller vite. La France a dû ainsi lâcher du lest sur des points importants, notamment les quotas gratuits de CO2 alloués aux entreprises (dont la disparition est repoussée d’un an), mais la présidence française a aussi réussi à engranger quelques progrès sur l’ajustement carbone, en incorporant certaines importations non prévues au départ (produits chimiques organiques, très émetteurs de gaz à effet de serre). Au final, cela va plutôt dans le bon sens, mais on a toujours ce problème de s’en remettre au marché (avec une cotation du prix du carbone, qui peut fluctuer très bas quand la conjoncture est mauvaise, alors qu’il faudrait aller le plus vite possible à au moins 120 euros la tonne) et surtout d’être conforme aux règles de l’OMC, qui sous couvert de libre-échange et de concurrence non faussée, freinent les efforts nécessaires pour réduire notre empreinte carbone.

Le règlement sur la déforestation importée est un texte important, qui prévoit d’interdire toute importation d’un produit obtenu par la déforestation. Mais la Présidence française a accepté de réduire la portée de la notion de déforestation (en excluant hélas les zones humides, les tourbières et les savanes), ce qui réduira par là-même les importations frappées d’interdiction. Les obligations pesant sur les opérateurs et la fréquence des contrôles seront elles aussi allégées. Néanmoins, si ce texte va jusqu’au bout, avec dans le viseur le café, le cacao, l’huile de palme, le soja, le bois et le bœuf, on aura un socle plutôt large des produits issus de la déforestation, et surtout un obstacle quasi insurmontable à des accords de libre-échange comme le Mercosur, ou en préparation avec l’Indonésie, et ça c’est plutôt une bonne nouvelle !

Numérique

La présidence française a enregistré deux textes très importants : le Digital Services Act (DSA) et le Digital Market Act (DMA), qui se présentent comme une première mondiale dans la régulation des contenus internet et des GAFA et autres acteurs de la « Big Tech ». On sort du far-west numérique. Ce qui est illégal hors ligne sera aussi illégal en ligne. On aurait pu aller encore plus loin, par exemple sur le ciblage publicitaire ou sur les obligations pesant sur les plateformes vendant des produits illicites ou contrefaits. Mais incontestablement, ces réformes sont à mettre à l’actif de l’Union Européenne. S’ils signent sans doute une avancée normative qu’on pourrait dire proche de la tradition politique française, ces deux textes majeurs ne sont pas sortis du cerveau génial de Macron ! Ils sont le fruit d’un énorme travail, engagé de longue date et mené dans une forte adversité.

Plusieurs inquiétudes, sur lesquelles la présidence française qui s’achève n’a pas dit grand-chose : les données personnelles, qui après un arrêt de la CJUE, ne devaient plus être stockées aux USA, mais qu’Ursula Von der Leyen a quand même accepté de maintenir là-bas, au terme d’un accord verbal semble-t-il (controverse du privacy shield) ; l’intelligence artificielle, avec un texte en cours de discussion mais que la droite du Parlement Européen, sous couvert d’encourager l’innovation, veut vider de sa substance en autorisant notamment de possibles dérives en matière de surveillance de masse, et en allégeant la responsabilité des opérateurs de systèmes d’IA.

Europe : “La France ne saurait accepter que subsiste le fétichisme des 3 % de déficit”

tribune collective parue dans Marianne, le mardi 7 juin 2022

Dans une tribune, les membres fondateurs de la Fédération de la gauche républicaine, qui présente plusieurs candidats aux élections législatives, expliquent les défis et enjeux économiques auxquels la France devra faire face, notamment vis-à-vis de l’Union européenne.

À quelques jours du premier tour des élections législatives, le débat sur stratégie économique de la France fait cruellement défaut. L’inflation s’installe et le chômage repart à la hausse. Nos concitoyens s’inquiètent pour leur pouvoir d’achat et constatent un délitement préoccupant de leurs services publics (Éducation nationale, hôpital, etc.) et des missions régaliennes de l’État (justice, police, protection des mineurs). Le pouvoir en place cherche à escamoter cette discussion cruciale.

Or, les choix politiques opérés au cours des quinquennats passés ne permettent pas à la France d’affronter la crise qui se profile. Ils furent synonymes de privatisations, de délocalisations, de stagnation des salaires, de déréglementation du Code du travail, de baisses de la fiscalité du capital et des sociétés et d’exonérations massives de cotisations sociales. Loin de redresser la compétitivité de notre pays, cette politique de l’offre a creusé notre déficit commercial et appauvri une partie de la population.

La nomination de Madame Borne au poste de Première ministre ne présage d’aucun changement de cap, elle qui a activement participé à la privatisation des autoroutes, au changement de statut de la SNCF, à la réforme de l’assurance chômage avant de préparer, demain, le recul l’âge légal de la retraite à 65 ans. Il est temps de réfléchir sérieusement aux moyens permettant à la France de regagner de la souveraineté économique dans une Europe en profonde crise d’identité, mais qu’il ne faut pas renoncer à changer.

Au sein de l’Union européenne, loin de converger, les économies se développent plus que jamais sur des bases nationales, que les textes organisant la concurrence libre et non faussée interdisent malheureusement de consolider. Il est impératif d’obtenir la révision de ces textes, à l’heure où l’ensemble des protagonistes de la construction européenne (les citoyens, les États, la Commission, la BCE) en admettent désormais la nécessité.

« La politique de la Banque centrale européenne doit être étroitement coordonnée avec les politiques budgétaires nationales. »

Le Pacte de stabilité et de croissance (PSC) a d’ores et déjà été suspendu, d’un commun accord entre les États au Conseil européen. Face à la stagflation qui s’installe, la clause suspensive vient d’être prolongée d’un an, jusqu’à fin 2023. La révision des règles du PSC fera même l’objet d’une négociation, prévue dès cet automne. C’est l’occasion pour la France de proposer une stratégie économique alternative pour l’avenir. Notre pays ne saurait accepter que subsiste le fétichisme des 3 % de déficit et 60 % de taux d’endettement, et doit exiger d’y substituer le principe de politiques anticycliques adaptées à chaque pays, systématisant les pratiques ayant permis de sortir de la crise du coronavirus.

La politique de la Banque centrale européenne doit être étroitement coordonnée avec les politiques budgétaires nationales. Afin de favoriser les politiques de relance des pays où prévaut le chômage de masse, les programmes de rachats de dette publique de la BCE doivent pouvoir se déployer, comme cela fut fait, pour permettre aux États d’émettre des bons du trésor à bas taux. A contrario, ces programmes pourront être levés dans les pays en passe d’atteindre le plein-emploi. Pour l’ensemble de la zone euro, le Conseil, dépositaire de la détermination du taux de change de l’euro, doit demander à la BCE de veiller à ce que le cours de l’euro face au dollar ne soit pas pénalisant pour les industries exportatrices européennes.

Au sein même de la zone euro, puisque les ajustements de change ne sont de facto plus possibles (en régime de monnaie unique) pour résorber les déséquilibres des balances courantes, les États doivent pouvoir utiliser la politique industrielle pour rétablir la compétitivité de leur économie sans avoir à exercer de pression à la baisse sur les salaires. C’est pourquoi le régime des aides d’État doit être réformé en profondeur pour permettre la relocalisation de l’industrie, le développement de filières courtes et la rémunération du travail à sa juste valeur.

« Ce plan pour le redressement industriel de la France doit s’accompagner d’une revalorisation des salaires. »

Un programme « Made in France » de grande ambition peut se fixer un objectif de création de 500 000 emplois industriels et d’installation de 500 nouvelles usines dans nos régions et notamment dans des territoires délaissés. Miser sur les seules start-up et technologies du futur est insuffisant. La France doit se remettre à fabriquer sur le sol national des produits critiques (pharmaceutiques, électroniques, alimentaires, etc.) que nous importons aujourd’hui au prix de notre souveraineté perdue. Nous avons pour cela plusieurs armes à notre disposition : le levier de la commande publique bien sûr, mais aussi les mesures de protection de l’intérêt national (à commencer par le fameux décret Montebourg, sous-utilisé). Des investissements massifs sont nécessaires pour remettre à flot nos services publics, en particulier dans la santé, l’éducation, la formation et la recherche.

Ce plan pour le redressement industriel de la France doit s’accompagner d’une revalorisation des salaires. Modifier le partage des richesses créées par le travail est devenu un impératif crucial dans notre pays. La part des salaires dans la valeur ajoutée s’effondre à nouveau alors que la productivité continue de croître (même modérément). Le choc sur les matières premières lié à la crise sanitaire et à la guerre en Ukraine ne s’accompagne d’aucun choc salarial, tant le rapport de force est devenu défavorable aux syndicats. Ce nouvel affaissement de la part des salaires aura des effets récessifs et provoquera une montée inégalités de revenus et de patrimoines socialement explosive, à l’heure où le taux de marge atteint un pic historique et où les dividendes sont en hausse. Il devient urgent d’augmenter les salaires et de rétablir leur indexation sur les prix pour enrayer la crise du pouvoir d’achat. Le retour des coups de pouce au SMIC et un fort relèvement du point d’indice dans la fonction publique s’imposent. Le législateur doit organiser une négociation interprofessionnelle, rue de Grenelle, sur les minima et hiérarchies de branches, avec obligation de conclure.

Réviser les textes européens pour faciliter l’exercice de la souveraineté économique des États-nation, planifier la relocalisation de l’industrie et l’extension du mix énergétique afin d’assurer notre indépendance, rétablir la justice fiscale, modifier le partage des richesses et donner du pouvoir aux salariés dans l’entreprise : tels sont les chantiers immédiats qu’une gauche républicaine, sociale et réaliste peut et doit proposer pour redonner espoir aux classes populaires et redresser la France.

Signataires :

Isabelle Amaglio-Térisse, coprésidente des Radicaux de Gauche

Liêm Hoang-Ngoc, ancien député européen (NGS)

Jean-Luc Laurent, maire du Kremlin-Bicêtre, président du Mouvement républicain et citoyen (MRC)

Marie-Noëlle Lienemann, sénatrice GRS de Paris

Emmanuel Maurel, député européen GRS

Laurence Rossignol, sénatrice socialiste

Mickaël Vallet, sénateur socialiste

Le retour insidieux de l’austérité

Dans son dernier livre, La démocratie disciplinée par la dette, Benjamin Lemoine s’interroge sur les décisions prises par la BCE pendant la pandémie. Comme lors de la crise de 2008, la BCE s’est détachée de ses principes austéritaires, en aidant très largement les Etats-membres. Assistons-nous enfin à un changement de paradigme ? Les « réformes structurelles » ne sont-elles plus d’actualité ? Faut-il espérer une BCE au service de la démocratie ? À en croire Benjamin Lemoine, ce n’est qu’un doux mirage. Emmanuel Maurel nous explique en quoi…

Le comportement « anormal » de la BCE avec la crise du COVID : la politique du quantitative easing

La crise de la Covid a ouvert une faille dans la rhétorique bien rodée de l’austérité et de la dette. Pour Benjamin Lemoine, « la leçon de choses austéritaire semble avoir du plomb dans l’aile. » Macron, pourtant acquis aux néolibéralisme, a même osé dire, en mars 2020 : « ce que révèle cette pandémie c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché ». Un discours en contradiction avec tous ses actes depuis son élection en 2017, particulièrement ses attaques incessantes contre les services publics (comme relaté dans un cet article). 

La politique de la BCE pendant la Covid aurait pu laisser présager un changement de modèle. Quand le marché des obligations du Trésor des USA (la valeur refuge par excellence) s’effondre au début de la pandémie, obligeant la FED à annoncer une immense injection de liquidités pour maintenir l’équilibre économique, la BCE suit le mouvement.  Elle crée le Pandemic Emergency Purchasing Program (PEPP) et rachète 1.850 milliards d’euros de dette. Ce changement d’attitude de la BCE était perceptible depuis 2015 avec sa politique de sauvetage de la zone euro, mais les sommes engagées à partir de mars-avril 2020 sont bien plus élevées.

Pour qui sonne le glas ?

Benjamin Lemoine décrit cette situation en ces termes : il s’agit d’une « révolution sans révolutionnaire[1] ». L’intervention de la BCE n’a pas directement pour objectif l’intérêt des États et des citoyens : il s’agit surtout de stabiliser les marchés financiers, sans remettre en cause le principe du financement de la dette par ces marchés. Plus grave, ces rachats ne sont pas accompagnés d’une politique de relance et de grands projets. Les technocrates refusent de mettre la BCE au service d’investissements publics sans intermédiation privée, au nom de la « neutralité de marché ». L’auteur nous rappelle en effet que la BCE a été créée pour endiguer la « monnaie démocratique » (formule de Rudiger Dornbusch, ancien conseiller de Bill Clinton) qui serait de la bad money. Et la bondholding class (la classe qui détient les obligations des États) ne compte pas mettre fin aux réformes structurelles appliquées sans discontinuer depuis 40 ans.

Le marktvolk garde la barre :

Pour Benjamin Lemoine, celui qui tient la dette (à savoir la sphère financière, ou marktvolk[2]) contrôle l’agenda politique et économique, car l’État est à la merci de l’évaluation par la finance privée de ce qu’est un « bon gouvernement ». S’il ne s’aligne pas sur les attentes de cette classe pour continuer d’être financé, il se fracassera tôt ou tard sur le « mur de l’argent ». La démocratie est donc « disciplinée » ou, comme le dit plus crûment Brunot Théret, « la dette est le garrot d’or par lequel la bourgeoisie étrangle le régime politique ».

Lors d’une présentation de la banque JP Morgan en France le 23 octobre 1987, intitulée « Pourquoi investir en France ? », l’intervenant annonçait à propos des élections à venir de 1988 : « on estime que, quel que soit le vainqueur de l’élection, le marché obligataire français ne souffrira pas. » Une phrase qui fait écho à la situation électorale actuelle, dont le vainqueur a coché toutes les cases du bon gouvernement néolibéral : flexibilisation du marché du travail, baisse de l’imposition des plus-values et des grandes fortunes, démantèlement des services publics et de l’État social, report de l’âge de la retraite…

L’État est assigné à la sécurisation du capitalisme financier – laquelle peut prendre des formes violentes, comme ce fut le cas avec les gilets jaunes. À cet égard, Emmanuel Macron fait partie des meilleurs élèves de l’Union Européenne, mais le risque de continuer à suivre aveuglément l’orthodoxie budgétaire est de faire advenir, comme le suggère Karl Polanyi, « une économie libre sous un gouvernement fort ».

La nouvelle rhétorique du « cantonnement »

Les experts du FMI déclaraient le 13 novembre 2020 : « en période de pandémie, pour sauver des vies, les gouvernements doivent agir « quoi qu’il en coûte » mais ils doivent s’assurer de conserver les factures ». A quoi Anthony Requin, directeur de l’Agence française du Trésor, répondait qu’« il faut reprendre le chemin de la vertu ». Le rapport Jean Arthuis avait déjà annoncé la couleur en préconisant l’introduction d’une règle pluriannuelle de dépenses publiques. À travers ce procédé, les objectifs budgétaires seront mis à l’abri des échéances démocratiques.

Le gouvernement quant à lui prépare le terrain et aiguise son vocabulaire. Il ne parle plus d’austérité mais de « cantonnement ». Si la dette Covid est excusable, il n’en va pas de même de la dette publique accumulée depuis 30 ans, sur laquelle Macron ne transigera pas. Bruno Lemaire a déjà acté dans son projet de loi finance qu’une part supplémentaire des recettes fiscales seront consacrées au remboursement de la dette à partir de 2022.

Une bifurcation ratée

La politique monétaire de la BCE ne changera donc pas. Après la stabilisation, retour à « l’indépendance » et aux réformes structurelles. Même le rapport d’évaluation de la BCE par le Parlement Européen, censé faire entendre l’intérêt des citoyens, voté il y a quelques semaines, verrouille cette direction : il faudra payer en priorité les créanciers plutôt que maintenir les autres engagements de l’État en matière de santé, d’éducation ou de culture. Pourtant, ce ne sont pas les idées qui manquent pour impulser des politiques publiques au service des citoyens, au premier rang desquelles la sortie des critères de convergence européens, la rupture avec le dogme anti-inflationniste et la relance budgétaire contra-cyclique pour des objectifs sociaux et environnementaux.


[1] Expression de Daniela Gabor

[2] « le peuple du marché », d’après le sociologue Wolfgang Streeck

Les Jours Heureux : refonder la construction européenne !

L’Union Européenne se trouve aujourd’hui dans une situation à la fois paradoxale et instable.

Paradoxale car les fondamentaux de la construction européenne depuis la trahison démocratique de 2008 n’ont pas changé : la concurrence libre et non faussée, l’austérité budgétaire et le libre-échange forment toujours les piliers d’un système de gouvernement ordolibéral.

Mais ces principes sont remis en cause par une série de chocs, révélateurs d’une Europe percutée par le réel : le repli protectionniste des États-Unis, le nouvel expansionnisme chinois, la montée en puissance des GAFAM, le changement climatique et bien sûr et surtout la crise du Covid-19.

La politique européenne est devenue paradoxale, pour ne pas dire incohérente, à mesure que ces bouleversements ont été pris en compte. À Bruxelles et dans les capitales des États-Membres, on ne tient la ligne qu’à grand peine, tout en esquissant des évolutions contraires.

Les investissements étrangers sont davantage contrôlés. Les géants du numérique font l’objet de nouvelles régulations. La catastrophe climatique oblige à élaborer de nouvelles politiques publiques. Toutes choses aux accents interventionnistes et dépensiers que « l’Europe normale », celle du capital et des marchands, avait en horreur.

Le rachat (certes indirect) de la dette publique par la BCE atteint des niveaux stratosphériques et à partir de l’été 2020, un budget de relance de 750 milliards est approuvé par le Conseil, qui redistribue l’argent non plus seulement à partir des écarts de développement, mais aussi à partir des écarts de conjoncture. Ainsi, très violemment frappée par la pandémie, l’Italie ou la Grèce reçoivent des sommes auxquelles elles n’auraient jamais pu prétendre au titre des politiques habituelles.

Mais la vieille Europe ordolibérale, convaincue « qu’il ne peut pas y avoir de choix démocratique contre les traités » (Jean-Claude Juncker, 2015), se rebiffe. Admettant à contrecœur et du bout des lèvres la violation de ses dogmes, elle prend soin, via Bruxelles et les pays dits « frugaux », de maintenir les États sous la tutelle des « réformes nécessaires ».

Le logiciel européen ne fonctionne plus. Alors que la mondialisation n’offre plus que le visage de la catastrophe, elle ne jure toujours que par l’OMC et signe des accords de libre-échange, pendant que la Turquie, la Russie, la Chine et tant d’autres fourbissent leurs armes. Aux yeux de la Commission, l’Europe-puissance, l’Europe « souveraine », c’est avant tout une Europe au cœur du dispositif marchand.

L’Europe ne comprend pas qu’elle est heurtée de plein fouet par l’instabilité du capitalisme, qui la mine de l’intérieur et de l’extérieur. Le laisser-faire marchand et sa joyeuse émulation compétitive entre égoïsmes individuels engendrent une « main invisible » de l’instabilité et de la division qui s’abat sur tout le Vieux Continent et le fracture, comme en témoignent le Brexit ou les spasmes ultra-réactionnaires qu’on observe en Hongrie ou en Pologne.

Avec Fabien Roussel et son programme « Les Jours Heureux », nous partageons non seulement une analyse commune de la situation et des défis qui sont devant nous, mais nous sommes parfaitement alignés sur les solutions qu’il faut de toute urgence mettre en œuvre ! Au premier rang desquelles l’abrogation du pacte de stabilité, la mise en cause des traités européens qui ont affaibli la souveraineté populaire, la fin de l’indépendance de la Banque Centrale Européenne, mais aussi la construction de coopérations nouvelles entre États et un véritable plan de relance climatique et social d’autant plus indispensable que la guerre de la Russie contre l’Ukraine, État et peuple européens souverains, ont montré nos faiblesses collectives…

La Gauche Républicaine et Socialiste porte des propositions concrètes et détaillées pour refonder et réorienter radicalement la construction européenne. C’est ce que nous vous présentons ici.

L’Europe a plus que jamais besoin de se refonder, sans quoi les soubresauts feront place aux secousses, aux tremblements voire aux effondrements. Pour ce faire elle doit rompre avec le totalitarisme de la finance et du marché ; et s’engager sur un autre chemin, celui d’une union par et pour les peuples, une union fondée sur la coopération, des projets communs mobilisateurs et la capacité des États de peser sur les décisions qui les concernent.

En d’autres termes, nous inversons la phrase de Juncker : il ne peut pas y avoir de traité européen contre les choix démocratiques !

Le pré-requis : une Europe démocratique

Une Europe au service des citoyens respectant la souveraineté des États

Le bilan politique et démocratique de l’Union Européenne n’est guère reluisant depuis 1992. L’idéologie néolibérale qui imprègne les cadres européens et ligote le suffrage universel n’est plus tenable. Si l’Europe a un sens, c’est une Europe fondée sur la prise en compte des intérêts de ses habitants. Or à ce jour, ceux-ci n’identifient pas « d’intérêt général européen ». Pour exister, celui-ci doit non seulement respecter l’intérêt général des États-Nation mais aussi redéfinir les principes contenus dans les Traités.

DES MOYENS :

Pour un « intérêt général européen » fondé sur de nouveaux principes et le respect des États-Nation.

Au niveau national :

● Adopter une loi organique régissant les relations entre l’Assemblée Nationale, le Sénat et le Gouvernement en matière européenne. Au centre du dispositif : l’instauration d’un mandat du Parlement avant chaque Conseil, assorti d’une procédure de ratification similaire à celle des ordonnances, accroissant le pouvoir de négociation, d’orientation et de contrôle des représentants du peuple sur les décisions de l’Exécutif (à noter qu’une telle procédure existe dans d’autres États-Membres, dont l’Allemagne) ;

● Conférer au Parlement un pouvoir d’amendement des règlements européens (les directives sont par natures modifiables, puisqu’elles nécessitent une transposition législative), selon une règle de majorité renforcée (par exemple les 3/5èmes) ;

● Abolir le traité d’Aix-la-Chapelle, qui instaure une sorte de directoire franco-allemand sur l’UE au mépris de partenaires et amis historiques comme l’Espagne ou l’Italie ;

● Modifier la Constitution afin de :

● Résoudre définitivement le conflit de hiérarchie des normes entre la Cour de Justice Européenne, qui estime que la totalité du droit européen (y compris les décrets, appelés « actes délégués », pris par la seule Commission) est supérieur à notre Loi Fondamentale ; et le Conseil constitutionnel, qui se refuse à l’admettre. La Constitution doit être explicitement placée au sommet de la hiérarchie de toutes les normes, nationales, internationales et européennes ;

● Protéger certaines compétences, particulièrement celles relevant d’un service public d’une intrusion du droit communautaire (sans bien sûr empêcher toute coopération européenne), par exemple en matière de… santé. En effet, qui souhaite subordonner la santé à la « concurrence libre et non faussée » ?

Au niveau européen :

● Définir davantage de limites aux « Quatre Libertés » inscrites dans les Traités (libre-circulation des biens, des capitaux, des services et des personnes). Celles-ci ne peuvent généralement être entravées ou régulées qu’en cas de « force majeure » (par exemple la pandémie, le terrorisme ou l’imminence d’un défaut de paiement), ce qui n’est pas démocratiquement compatible avec la mise en œuvre de politiques différentes de celles « recommandées » par les Traités. Ainsi, nous considérons absolument indispensable d’abolir l’article 63 du Traité, qui confère un caractère presque illimité à la liberté de circulation du capital (y compris hors de l’Union Européenne !). Nous considérons également que les services publics et les marchés publics ne peuvent être soumis à la règle de « libre circulation des services » ;

● Confier le droit d’initiative législative (hors budget de l’Union) non plus seulement à la Commission, mais aussi au Parlement et au Conseil ;

● Abolir le Semestre Européen (procédure encadrant les budgets nationaux par la « règle d’or » budgétaire et l’obligation de procéder à des « réformes structurelles »). En cas de refus par nos partenaires, la France devra signifier son refus de l’appliquer ;

● Associer plus étroitement le Parlement européen aux négociations commerciales, via un pouvoir de validation de chaque chapitre des traités de libre-échange.

Une Europe exemplaire en matière de justice sociale et fiscale

Faire de l’Europe un rempart contre la libéralisation et la flexibilisation de l’économie

Les dogmes du libéralisme affaiblissent non seulement la confiance des citoyens dans l’économie, mais l’économie elle-même. Un profond changement de cap s’impose afin d’éviter le dumping entre États membres.

DES MOYENS :

● Salaire minimum européen de 1 000€ minimum, non opposable aux législations nationales plus favorables ;

● Abrogation de la directive sur le travail détaché ;

● Mettre en place un « Buy European Act » sur le modèle du « Buy American Act » voté en 1933, qui garantit aux entreprises américaines un accès prioritaire aux marchés publics ;

● Taux minimum d’impôt sur les sociétés à 20% sur les multinationales ;

● Taxe carbone aux frontières de l’Union afin de limiter les « fuites de carbone », augmentant les droits de douane du coût des gaz à effet de serre contenus dans la production des marchandises étrangères. Cible d’au moins 100 euros la tonne de carbone ;

● Taxe sur les transactions financières et sur le numérique. Interdiction du minage du Bitcoin et de toute cryptomonnaie privée, interdiction de tout paiement au moyen de ces cryptomonnaies ;

● La France instaurera une présomption d’évasion fiscale vis-à-vis de tout mouvement de capitaux vers le Luxembourg, l’Irlande, les Pays-Bas, Malte et Chypre. Elle rapatriera les sièges sociaux délocalisés dans ces pays (ex : Renault) ;

● Interdire toute délocalisation dans le but de réexporter vers les pays d’origine ;

● Faire du respect des droits de l’homme, des droits des travailleurs et de l’engagement environnemental et climatique une condition contraignante, vérifiable et sanctionnable par le Parlement européen, à la conclusion et la mise en œuvre de tout accord commercial, y compris passé ;

● Instaurer un mécanisme de suspension provisoire de tout ou partie des relations commerciales avec des pays violant les droits de l’Homme, des travailleurs, les engagements climatiques ou la propriété intellectuelle.

Une Europe indépendante et maîtresse de son destin

L’Europe peut être fière de la remise en question qui a suivi les guerres, les exterminations, les génocides et les idéologies totalitaires. Elle incarne la réconciliation entre les peuples, mais aussi l’espérance de démocratie et de prospérité partagée. Pourtant, les menaces et le spectre de l’autoritarisme refont surface dans un monde de plus en plus instable. L’Europe doit proclamer son indépendance sur la scène internationale, et promouvoir un modèle démocratique européen.

DES MOYENS

● Sortie de la France du commandement intégré de l’OTAN. Boycott de toute politique de défense européenne qui lui serait subordonnée. Exclusion des investissements militaires du calcul du déficit. Remise à plat des partenariats de défense, en cours ou à venir (par exemple le SCAF, « l’avion du futur » franco-allemand) ;

● Coopération renforcée avec l’Espagne, l’Italie et la Grèce pour relancer le projet Euro-Méditerranéen, négocier et conclure un traité d’amitié et de coopération politique, économique et culturelle avec le Maroc, l’Algérie, et la Tunisie. Adopter un agenda similaire pour l’Égypte, Israël et le Liban. Soutenir la stabilisation de la Libye ;

● Reprise et accélération des négociations d’adhésion avec la Serbie et la Macédoine du Nord. Subordonner les négociations d’adhésion avec la Bosnie à une remise en état préalable de son système institutionnel.

Une Europe qui rapproche : pour une vision culturelle

Souder l’Europe à travers la culture (« admirez-vous les uns les autres » Verhaeren)

L’Europe ne peut se réduire à un simple projet économique ou à des valeurs morales. Elle doit aussi rassembler les citoyens par la culture, en valorisant les littératures, les musiques, les architectures, les savoir-faire, les philosophies, les histoires, les traditions.

DES MOYENS

● Favoriser le multilinguisme est la clé pour rendre l’intercompréhension possible, nous devons donc œuvrer en ce sens :

● À travers l’Europe, l’apprentissage d’au moins deux langues européennes pour tous les jeunes Européens dès le plus jeune âge. Le but est d’avoir des Européens trilingues d’ici une génération ;

● Les langues officielles de l’Union doivent être respectées à tous les échelons. Aucune procédure législative ne pourra être validée sans une stricte conformité à cette règle. Les réunions de travail à tous niveaux et dans tous les organes de l’Union devront alterner les langues officielles, afin d’en finir avec la pratique conformiste, paresseuse et médiocre du « tout anglais ». Des moyens supplémentaires en interprétariat (y compris numérique) devront être engagés à cet effet.

● La valorisation du patrimoine immatériel est une autre condition sine qua non de lutte contre l’uniformisation culturelle du monde :

● Nous devons proposer notre propre modèle de reconnaissance du patrimoine immatériel européen ; il faut également créer des circuits culturels européens transnationaux autour des thèmes chers à l’histoire européenne : ces circuits doivent être accessibles à toutes et tous et doivent proposer un contenu varié afin de satisfaire toutes les sensibilités ;

● Le soutien public à la création en y consacrant des fonds conséquents mais également des politiques protectrices (notamment en matière de propriété intellectuelle) est un enjeu de taille : la valorisation du patrimoine immatériel ne saurait être complète en ignorant la production continue d’œuvres immatérielles ;

● Le fond culturel européen doit devenir une réalité qui permet la diffusion de la culture européenne dans l’Europe mais également au-delà des frontières du continent afin de perpétuer et de renforcer le rayonnement culturel européen.

Éducation européenne – l’éducation est le moyen privilégié de transmission de la culture et de renforcement de la citoyenneté :

● Sortir les dépenses publiques d’éducation et de formation professionnelle du calcul des déficits ;

● Élargir le programme Erasmus pour le rendre accessible à tous les jeunes Européens (non plus seulement à certains étudiants) : en finir avec la sélection drastique qui fait des étudiants de ce programme des heureux élus.

Allemagne : Renversement de paradigme ou la fin doctrinale du Merkellat

article publié initialement par Mathieu Pouydesseau

L’Allemagne a procédé à un renversement de ses doctrines géopolitiques en quelques semaines seulement.

Cependant, il faut bien se souvenir que dès décembre 2018, lorsque la CDU refuse que Angela Merkel reste présidente du parti et nomme celle qui devait être la succession, commence une période de révision des doctrines du Merkellat, ainsi que de celles héritées des deux gouvernements Schröder.

Angela Merkel ne devant plus être candidate, elle perd peu à peu de l’influence tout au long de l’année 2019. À ce moment là, l’Allemagne s’interroge, traumatisée par le mandat Trump, sur son atlantisme inconditionnel. On entend des paroles très critiques quant à l’OTAN comme partenaire peu fiable. À la conférence de sécurité de Munich, il y aura des voix pour plaider pour l’acquisition de capacité de dissuasion nucléaire propre, par exemple.

Cela peut avoir comme origine, après le Brexit, le refus de n’être dépendant que de la France pour cela en cas de replis complet des États-Unis en Europe, ou du doute sur la capacité française à étendre son doctrine de dissuasion à l’Union Européenne, et a effectivement délivré la frappe nucléaire en dernier ressort.
Le mandat Trump, qui décide de punir l’Allemagne de refuser de compenser ses excédents commerciaux en achetant des matériels militaires américains en retirant des troupes, s’achève par une tentative ratée de coup d’état, resté impuni, illustrant l’extrême faiblesse de son successeur, Joe Biden.

Au cours de la pandémie, le SPD a également entamé une réelle évolution, progressive, et accéléré après le score terrible de 2017. Dès 2015, des lois travail créent un salaire minimum et des dispositifs visant à mettre fin aux jobs à 1 euro, ainsi qu’à progressivement réduire le nombre de gens piégés par Harz4, le minimum social punitif des pauvres qui sert de modèle aux propositions Macron sur le RSA.
Mais le choc de la défaite de 2017, qui faillit aboutir au retour à l’opposition, oblige le SPD à prendre des mesures internes.

On assiste à deux renouvellements successifs des cadres, avec la mise sur la touche de Sigmar Gabriel puis l’échec de Andrea Nahles. Les militants choisissent deux inconnus portant depuis longtemps des positions très à gauche, dont un spécialiste de la lutte contre la fraude fiscale.
S’ils eurent des difficultés médiatiques – leur absence de notoriété leur interdisait de rêver prendre la chancellerie –, ils se concentrèrent sur le travail de fond dans le parti, ses structures, ses programmes.

Le programme proposé par le SPD en 2021 était le plus à gauche des 20 dernières années.

Olaf Scholz, dernier ministre des finances d’Angela Merkel, apprit sa leçon en perdant la compétition interne pour la présidence du SPD face à ces deux inconnus, qu’étaient Saska Esken et Norbert Walter-Bojans.
Lorsque la pandémie frappa le cœur de l’Europe, il annonça un plan keynésien de relance de la demande nommé « Bazooka ».
C’était déjà une profonde rupture avec la doctrine merkellienne de la règle d’or par dessus tout.
S’éloignant de la doctrine Merkello-Schröderienne de la punition des pauvres, le gouvernement allemand distribua des aides sociales sans conditions pendant la pandémie. La philosophie des réformes Harz est morte pendant le Covid.

De plus, l’Allemagne fut l’un des moteurs pour qu’un plan de relance européen soit conçu, acceptant des mécanismes de solidarité entre États européens. Là aussi, c’est l’un des points cardinaux de la doctrine européenne de Merkel, la concurrence entre Nations dans un espace monétaire et d’échange commun, qui s’effritait.

La chancelière ne joua aucun rôle politique en 2021. Elle subsistait sur la scène internationale, mais son influence s’effondrait avec la conscience que son mandat finissant était son dernier.
La défaite de son parti en septembre 2021 signifie la fin de 16 ans de gouvernement Merkel, de la CDU et de la CSU au niveau fédéral.

La nouvelle coalition, SPD, Verts et Libéraux, rompit avec certaines doctrines Merkel plus secondaires immédiatement : au ministère de l’intérieur, on nomma enfin le danger du terrorisme d’extrême droite, non plus dans des discours mais dans les moyens pour le combattre.
Agriculture et transport sont aussi deux sujets d’importance où la nouvelle coalition donne des impulsions différentes.

La guerre russo-ukrainienne a cependant accéléré ce processus de transformation des paradigmes.

Contrairement à une lecture superficielle, l’Allemagne ne refait pas une confiance aveugle à la doctrine de l’Atlantisme. Biden était le 23 février au soir très faible chez lui, l’hypothèse d’une victoire d’un représentant de la ligne Trumpiste dans 3 ans est possible. Or, si l’OTAN a été mis « en état de mort cérébrale » (comme l’avait dénoncé Emmanuel Macron) une fois, cela veut dire que l’allié principal, de plus en plus préoccupé par l’espace Pacifique et la Chine, n’est plus fiable.

De plus, le Merkellat restera dans l’histoire comme un gouvernement d’une extrême myopie par pur mercantilisme cupide. Merkel n’aura jamais mis en accord ses déclarations de principe et ses actes de gouvernement. Elle aura souvent condamnée l’absence de démocratie en Russie, prétendra « protéger » les opposants, tout en concluant des traités économiques ne cessant de renforcer la dépendance énergétique de l’Allemagne à la Russie, sabotant même les alternatives possibles.
On l’oublie, mais Merkel, tout en se prétendant soutien de l’Euromaidan en 2014, fut d’une grande lâcheté sur la Crimée, et choisit de renforcer le projet Nord Stream 2, dont le principal objectif et de contourner … l’Ukraine pour livrer le gaz russe.
Sa politique peut clairement être qualifiée de « mercantile » parce qu’elle tenait dans une formule fondée sur le commerce : « Wandeln durch handeln », changer grâce au négoce.

Süddeutsche Zeitung 18 mars 2022

Ce choix de l’abondance du gaz russe avait plusieurs conséquences et visait surtout à ne pas investir. Merkel, pendant 16 ans, refusa beaucoup des investissements nécessaires, ses partenaires de coalition ne lui arrachèrent des concessions, notamment sur le renouvelable, uniquement lorsque les industriels les soutenaient.

Depuis, c’est un ministre Vert qui parle de relancer le nucléaire civil pour compenser l’automne prochain une partie du gaz russe.
C’est le ministre Libéral des finances qui annonce un plan d’endettement considérable pour financer tout un ensemble d’investissements structurels, de la construction de ports avec terminaux pour du gaz liquide à la relance de l’équipement militaire de la Bundeswehr.

Car Merkel, en bonne déflationniste à la Daladier, avait aussi économisée, avec von der Leyen comme ministre de La Défense, tout ce qu’elle pouvait sur ce dossier, alors même que l’Allemagne assumait des missions militaires à l’étranger, trouvant cela plus économe que de financer, comme elle le faisait sous Helmut Kohl, les interventions des autres.
Le chef d’état major des armées dut reconnaître que si l’Ukraine tombait en quelques jours, la Défense allemande ne serait pas en mesure de contenir une menace en Pologne.
C’est donc une ministre SPD qui annonce 100 milliards d’euros pour la Défense.
C’est un ministre vert qui se rend au Qatar pour conclure des accords de livraison de gaz liquide.
Car le gouvernement allemand, contrairement à une lecture fainéante de certains cercles d’extrême gauche française, ne veut pas échanger une dépendance au gaz russe par une dépendance au gaz de schiste américain, surtout avec les Verts au gouvernement. Alors, le nouveau gouvernement fédéral cherche des alternatives.
Il est ainsi probable que le gaz iranien revienne sur le tapis international.

Merkel avait bien d’autres dossiers où régnaient la confusion et les contradictions permanentes, la chancelière louvoyant au jugé, le doigt mouillé en l’air. Si elle ouvrit ses frontières en septembre 2015 aux réfugiés syriens, après avoir refusé d’aider les pays européens qui recevaient ces réfugiés, et après avoir massacré la démocratie en Grèce, elle conclut un accord avec la Turquie d’Erdogan pour les refermer.

En refusant les transferts solidaires en Europe, elle a laissé se dégrader une situation humanitaire catastrophique. Elle a augmenté encore la dépendance au bloc russe, le président biélorusse utilisant l’ouverture de ses frontières comme arme de chantage contre l’Union Européenne.

Aujourd’hui, l’Allemagne accueille déjà plus de 300 000 Ukrainiens, la Pologne près de 1,8 millions. 3 des 3,4 millions de réfugiés ukrainiens hors d’Ukraine sont sur le territoire de l’Union Européenne. Il y a en Ukraine même 6,5 millions de déplacés.
Un quart des Ukrainiens ont fui la zone des combats. C’est un exode seulement comparable à celui qu’a connu la France en mai-juin 1940.

Pendant ce temps, alors que l’Allemagne se mobilise jusque dans la société civile pour venir en aide, comme en 2015, la présidence française de l’Union reste muette sur une politique migratoire et d’accueil.

Cela éclaire du coup une erreur de jugement des analystes français sur l’annonce d’un réarmement allemand. Celui-ci pointé vers l’Est, et une fois l’Ukraine neutralisée, sa façade maritime occupée, l’Allemagne redevient le glacis défensif pour la France qu’elle était entre 1945 et 1989.
Si la France n’a plus la volonté d’exercer sa dissuasion nucléaire (ce que laissait entendre les déclarations de Jacques Chirac lorsqu’il était président de la République), ni la capacité de l’exercer, Poutine ne semble pas avoir peur des lanceurs français tant il paraît persuadé de pouvoir intercepter les missiles. Dans ces conditions, la France doit aussi assurer sa défense conventionnelle.

L’Allemagne est donc passée en 3 ans dans un processus profond et radical de transformation de ses doctrines.

Il reste un dossier où des amorces existent, mais où une initiative se laisse attendre. C’est l’Union Européenne.
Or, la présidence de l’Union est exercée par … Emmanuel Macron, et celui-ci ne comprend rien au monde ouvert par la défaite de la droite allemande puis par l’invasion de l’Ukraine.
Il n’y a donc eu encore aucune initiative de solidarité financière ni de construction d’une Union de la Défense plus intégrée, qui rendrait à la fois autonome de l’OTAN tout en protégeant Finlande et Suède. Macron, qui pourtant ne fait pas campagne, procrastine, comme d’habitude, tout en posant dans les journaux en Cosplay.

L’absence de débats de fond en France sur ces sujets alors même que nous sommes en campagne électorale contraste fortement avec les transformations radicales en cours Outre Rhin.

À propos de la Résolution du parlement européen sur l’invasion russe contre l’Ukraine – Emmanuel Maurel

explication de vote d’Emmanuel Maurel

Le Parlement européen était appelé ce jour à se prononcer sur une résolution condamnant dans les termes les plus fermes l’agression de l’Ukraine par l’armée de Vladimir Poutine et son allié Loukachenko. Emmanuel Maurel a voté pour cette résolution.

La sévérité de ce texte n’a d’égale que la brutalité de l’offensive tous azimuts décidée par le Kremlin, au mépris de la souveraineté de l’Ukraine et des principes fondamentaux du droit international. Quelles que soient les raisons ayant conduit à cette funeste décision, qui endeuille le peuple ukrainien et annonce un sombre avenir au peuple russe, sa responsabilité repose entièrement sur l’agresseur : Vladimir Poutine.

La très large majorité recueillie par la résolution sur la plupart des bancs de l’hémicycle s’explique non seulement par l’indignation et la colère que nous éprouvons tous depuis le déclenchement des hostilités, mais aussi par les menaces explicites portées par Moscou contre la sécurité des États-Membres de l’Union, jusqu’au point d’envisager un recours à l’arme nucléaire !

Certes, quelques paragraphes du texte, rédigés dans la très lourde atmosphère qui règne depuis le 24 février, demandent à la Commission et au Conseil d’alourdir plus que de raison les sanctions décidées les 26 et 27 février contre le régime russe. Des formulations ont été introduites par amendement, qui donnent un ton inutilement belliqueux à certains passages.

Je n’approuve pas ces excès de langage et partage le point de vue de ceux qui appellent à la raison. Un train de nouvelles sanctions, s’ajoutant à des mesures déjà très dures, pourraient frapper les Russes dans leur vie quotidienne et se retourner contre nos économies. Un soutien armé inconsidéré à l’Ukraine pourrait donner lieu à toutes sortes de trafics et surtout alourdir les pertes humaines et aggraver les destructions. Il faut toujours veiller à ne pas faire l’inverse de l’objectif recherché.

En revanche, des amendements déposés par mon groupe ont amélioré le texte sur des points clé : l’accueil inconditionnel à tous les réfugiés se présentant à la frontière Est de l’Union Européenne et un plan de soutien aux citoyens européens, qui subiront vite les conséquences du conflit, notamment sur les cours de l’énergie et des matières premières. Plus généralement, le ton de nos amendements était celui de la responsabilité, du dialogue et de la recherche de solutions concrètes pour ramener et garantir la paix.

À cet égard, et contrairement à la majorité des parlementaires européens, je maintiens que l’OTAN n’est pas un facteur de sécurité et de stabilité à long terme pour notre continent. Sa vocation défensive a été démentie par les faits plusieurs fois depuis la fin du siècle dernier ; et surtout, l’OTAN assoit notre sujétion aux États-Unis, puissance non européenne et politiquement volatile, comme l’a montré la présidence de Donald Trump.

L’Europe devra un jour ou l’autre, et quoiqu’en dise le texte voté aujourd’hui, organiser sa sécurité collective en s’appuyant sur d’autres instances, plus légitimes à mes yeux : les Nations Unies et l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe.

L’autre sujet majeur est celui de l’élargissement de l’Union Européenne. Le texte ne prend pas parti pour une adhésion immédiate de l’Ukraine et s’en tient à revendiquer pour elle un statut de « pays candidat à l’adhésion ». En l’état des capacités respectives de l’Union Européenne et de l’Ukraine, pays de 45 millions d’habitants, il nous est mutuellement impossible d’aller au-delà, sauf à se résoudre à d’immenses difficultés économiques et sociales, particulièrement pour notre agriculture et notre industrie.

Enfin, notre émotion collective ne saurait effacer les efforts entrepris depuis de nombreuses années par d’autres pays candidats à l’adhésion, au premier rang desquels la Serbie, interpellée dans des termes comminatoires et blessants pour n’avoir pas pris elle aussi des sanctions contre la Russie.

Il revient à présent aux États-Membres et à la Commission de prendre acte de la parole forte du Parlement en veillant à la sauvegarde de nos intérêts communs ; et en se mobilisant pour faire advenir au plus vite le cessez-le-feu, la résolution diplomatique du conflit et in fine, la Paix.

Emmanuel Macron à Strasbourg : Un exercice d’autosatisfecit malvenu

Hier, les députés européens ont pu assister à la présentation par Emmanuel Macron des priorités qui guideront la Présidence française du Conseil de l’Union européenne.
De ce discours et du jeu de questions-réponses qui l’a succédé, la plupart des observateurs ont surtout relevé les polémiques autour du calendrier de cette présidence qui la place en plein cœur de l’élection présidentielle. Son décalage – c’est ce que l’Allemagne avait fait en 2006 en invertissant sa présidence avec la Finlande pour éviter toute interférence avec ses élections – aurait permis au prochain Président, quel qu’il soit, de se focaliser pleinement sur ce moment important. Cela n’a pas été le choix de l’exécutif français. Nous ne pouvons que le regretter.

Mais sur le fond, la prise de parole d’Emmanuel Macron a surtout laissé un arrière-goût d’autosatisfecit amer. Sur plusieurs thèmes essentiels, ce discours n’a pas été à la hauteur. Évidemment, dire que nous attendions de la part du locataire de l’Élysée qu’il prenne subitement conscience des enjeux serait mentir. Cependant il fut des discours qui ont marqué l’hémicycle de Strasbourg et forcé le respect des parlementaires européens, qu’ils soient d’accord ou non avec le dirigeant qui s’exprimaient devant eux ; force est de constater que le discours d’hier n’était pas de ceux-là et c’est une nouvelle fois regrettable.

Emmanuel Macron a tout d’abord appelé à actualiser la Charte des droits fondamentaux de l’Union pour la rendre « plus explicite sur la reconnaissance du droit à l’avortement ou sur la protection de l’environnement ». Exercice louable mais en contradiction avec le vote, la veille, des députés européens de son propre parti en faveur d’une Présidente du Parlement européen qui n’a jamais caché ses positions anti-IVG.

Ensuite, alors que la pandémie de Covid-19 a mis en évidence les dépendances d’une Europe qui se voit encore uniquement comme un supermarché, Emmanuel Macron est resté dans une conception mercantile désuète.
Il s’est satisfait d’un plan de relance européen modeste largement en deçà des besoins des États membres et qui ne correspond qu’à la moitié du plan voté dans un consensus généralisé par le Parlement européen auparavant. Nous sommes loin du choc de relance espéré par les Européens.
Il n’a pas fermé la porte au projet d’accord d’investissement avec la Chine, faute politique à l’encontre des emplois européens et morale au regard de l’attitude de Pékin à Hong Kong ou vis-à-vis des Ouïghours. Le Président aura beau vanter autant qu’il le voudra le concept d’« autonomie stratégique européenne », accepter cet accord serait aggraver la dépendance de l’Union Européenne à la Chine.
Enfin, il n’a pas évoqué ni les déséquilibres économiques qui s’accroissent entre les États membres de l’Union, ni la question du dumping fiscal et social notamment à travers la question du travail détaché.

Ce discours aurait pu être l’occasion de donner un nouveau souffle à une Union européenne emplie de doutes. Cet objectif n’a pas été tenu.

L’Allemagne et ses alliés refusent de réformer le marché européen de l’électricité au mépris des consommateurs

communiqué de presse d’Emmanuel Maurel, député européen Gauche Républicaine et Socialiste – mercredi 27 octobre 2021

L’Allemagne et huit alliés refusent toute réforme du marché de l’électricité, qu’ils estiment… « efficace » et « compétitif » !

L’envolée des prix de l’énergie frappe de plein fouet les consommateurs européens. Le mégawatt/heure atteint des niveaux insensés sur le marché. Mardi 26 octobre 2021, il valait 190€. Le 26 octobre 2019, il en valait… 25 (source : RTE).

Cette folie trouve sa cause dans un marché européen de l’électricité régi par des règles absurdes. En effet, les cours du mégawatt/heure sont fixés par la dernière source de production nécessaire pour couvrir les besoins.

Or en cette période de reprise très forte de l’activité, les sources d’électricité bon marché comme l’hydraulique (15 à 20€ le MWh) ou le nucléaire (40 à 50€ le MWh) ne suffisent plus. Il faut allumer et faire tourner les centrales à gaz à plein régime ; et le prix de l’électricité s’ajuste automatiquement sur leur coût. Or le gaz a augmenté de 70% depuis le début de l’année.

À court terme, le marché européen de l’électricité est donc une catastrophe pour tout le monde, ménages, entreprises, administrations. Mais à long terme, ce marché est tout aussi déplorable. Depuis 2007, la facture moyenne d’électricité pour un « Français moyen » est passée de 319€ à 501€ (août 2021, juste avant la montée en flèche de septembre-octobre), soit +57%.

Dans les mois qui viennent, les besoins en électricité demeureront très élevés selon tous les analystes. Pourtant, l’Allemagne et huit alliés (dont l’Autriche, les Pays-Bas et la Finlande) se satisfont de ce fiasco. Ces pays ont signifié dans un communiqué au ton brutal et sans équivoque leur refus catégorique de réformer le marché de l’électricité.

Défiant tout sens commun, l’Allemagne et ses alliés ne souhaitent pas seulement « conserver ce marché tel qu’il a été conçu », mais « l’intégrer davantage, car des marchés compétitifs procurent efficacité et prix bas aux consommateurs finaux » ! Cet aveuglement idéologique ne sera pas payé au « prix bas » par les Européens et plus particulièrement les 72 millions en situation de précarité (source : Eurostat), mais au prix fort.

Entièrement focalisé sur le court-terme et ses fluctuations erratiques, le marché européen de l’électricité ne reflète pas les coûts de production, beaucoup plus stables (et bas !) des infrastructures existantes (hydrauliques, nucléaires, éoliennes, photovoltaïques). L’Allemagne doit revenir à la raison. Il faut faire table rase et permettre aux Européens de s’approvisionner durablement en électricité bon marché.

Retraites et Assurance Chômage : des réformes coordonnées entre la Commission et l’Élysée

Depuis quelques jours, des ministres, des sous ministres, la macroniste en chef au parlement européen, la porte-parole en France de la Commission européen et des essayistes macronisés ont décidé de monter au créneau pour dénoncer la liaison faite, faussement selon eux, entre la réforme des retraites et le plan de relance européen. Le lien entre les exigences de la Commission européenne et la réforme des retraites, ou encore celle de l’assurance chômage qui a été imposée après plusieurs reports (et malgré la censure partielle du Conseil d’État) ce 1er octobre, a été depuis longtemps étayé par de nombreux responsables politiques de la gauche française, mais cela n’avait pas donné lieu jusqu’ici à une charge aussi forte et coordonnée de la Macronie

Le débat a resurgi quand Arnaud Montebourg, ancien ministre du redressement productif puis de l’économie de François Hollande, et candidat à l’élection présidentielle, a dénoncé ce lien. Il faut croire que la proximité de l’élection présidentielle et les états de service du candidat ont contraint le camp Macron, allié à la Commission, à réagir avec violence et panique… panique, car les arguments de l’exécutif et de ses soutiens sont faibles.

En effet, tout le monde sait que la réforme des retraites engagées en 2019 par Emmanuel Macron répond, au moins en partie (ne négligeons pas non plus la cécité idéologique de l’impétrant), aux recommandations de la Commission européenne adressée à la France la même année dans le cadre du « semestre européen »1, c’est la recommandation CSR 2019.1.4. Une telle recommandation n’a pas été spécifiquement répétée en 2020 alors que la planète était en pleine crise pandémique, mais la Commission européenne n’a jamais abandonnée son exigence.

Dès l’adoption en février 2021 des règles visant à répartir les fonds du plan de relance européen, intitulé en globish recovery and resilience facility2 (RRF), ce texte fait référence près de 20 fois aux recommandations annuelles adressées à la France. La recommandation la plus importante mise en avant est celle numérotée 1.4 en 2019, que nous avons citée au paragraphe précédent.

Chaque État membre a dû ensuite présenter son propre Plan National de Résilience et de Relance (PNRR) pour démontrer que leurs initiatives et projets répondent bien au RRF de la Commission. Ainsi, dans le PNRR français présenté le 27 avril 2021 (un document de plus de 800 pages), la réforme des retraites est citée une bonne dizaine de fois.

La réforme de l’assurance chômage est citée elle une bonne quarantaine de fois ; le gouvernement s’excuse d’ailleurs de n’avoir pu la mettre en œuvre plus tôt et plus vite à cause de la crise sanitaire…

Cette insistance à propos de l’assurance chômage démontre que le gouvernement français joue autant que possible au « bon élève » de l’Union européenne, en cohérence avec tout ce qu’Emmanuel Macron a défendu pendant sa campagne électorale : la France sera forte si elle est exemplaire, c’est-à-dire si elle se plie avec enthousiasme à toutes les règles ordo-libérales et néolibérales actuelles de l’Union européenne que nous jugeons absurdes et qui nous affaiblissent. Le gouvernement français n’a pas (encore ?) les moyens politiques de mettre en œuvre la réforme des retraites ? Qu’à cela ne tienne ! ils réaffirment avec force leur attention d’aller au bout sur les retraites et montrent leur bonne volonté européenne en mettant en avant qu’ils cognent comme des sourds sur l’assurance chômage. Cette bonne volonté sur l’assurance chômage est là pour rassurer la commission : ce « bon élève » ira au bout sur les retraites.

Voici donc l’analyse du PNRR français par la commission, publiée fin juin 2021: https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/HTML/?uri=CELEX:52021SC0173&from=EN

Il est écrit noir sur blanc : « Le système de retraite reste complexe. Plus de 40 régimes de retraite différents coexistent en France. Ces régimes s’appliquent à différents groupes de travailleurs et de fonctions selon différents ensembles de règles. Le Gouvernement s’est engagé dans une réforme visant à unifier progressivement les règles de ces régimes, en vue de simplifier le fonctionnement du système de retraite notamment pour en améliorer la transparence, l’équité et l’efficacité. La réforme a été suspendue par la crise du COVID-19. […] Le plan français de relance et de résilience est globalement conforme aux enjeux et priorités identifiés dans le dernier projet de recommandation du Conseil sur la politique économique de la zone euro 26 (AER). Le plan contribue à l’EAR 1, en assurant une orientation politique qui soutient la reprise, car il met en œuvre des mesures contribuant à la résilience du système de santé et de sécurité sociale, notamment par le renforcement des secteurs sanitaire et socio-médical (volet 9 R&D, santé, territoires), ainsi que des mesures sociales de soutien à l’emploi (volet 8 Emploi, Jeunesse, Handicap, Formation professionnelle). Les actions axées sur la qualification de la main-d’œuvre (composante 8) contribuent à atténuer l’impact social et du travail de la crise. La qualité de la gestion des finances publiques du pays devrait, entre autres, être renforcée par la numérisation de l’administration publique et les réformes structurelles fiscales (Volet 7 Numérisation de l’État, des territoires, des entreprises et appui au secteur culturel). »

Cependant la Commission semble dire que le gouvernement français ne lui donne pas assez d’assurance sur les retraites – ce qui explique sans doute que le gouvernement français ait démontré une brutalité particulière dans sa façon d’imposer au forceps la réforme de l’assurance chômage (« si si, je vous assure, la France est un « bon élève ») :

« Le système de retraite français (CSR 2019.1.4) est coûteux mais les dépenses ne devraient pas augmenter à long terme en pourcentage du PIB. La réforme envisagée (centrée sur l’unification de plus de 42 régimes) est abordée dans la partie I (principaux objectifs et cohérence) du plan de relance et de résilience, où les autorités françaises expliquent qu’elles envisagent de reprendre les discussions parlementaires suspendues sur la réforme des retraites dans le but de créer un système universel plus équitable. La réforme du système de retraite n’est pas inscrite dans une mesure du plan français et n’est donc pas associée à un livrable (jalon ou cible) au titre de la Facilité pour la Récupération et la Résilience. Compte tenu de son importance capitale pour la mobilité et la productivité de la main-d’œuvre, la réforme des retraites prévue sera étroitement surveillée, y compris ses implications en termes d’équité et de durabilité. »

À la fin, la commission donne un satisfecit à Macron : « Dans l’ensemble, le plan constitue un ensemble complet de réformes et d’investissements visant à relever les défis identifiés dans les recommandations par pays, avec quelques lacunes qui sont partiellement comblées par des mesures extérieures à la Facilité. Le plan répond bien aux recommandations et aux enjeux dans les domaines de l’environnement des affaires, de l’emploi, de la santé, des transitions vertes et numériques. Le plan comprend un engagement à renforcer la viabilité des finances publiques lorsque les conditions économiques le permettent et des réformes pour soutenir cet objectif. Cependant, l’engagement de reprendre les discussions sur la réforme du système de retraite ne s’accompagne pas de jalons et d’objectifs pour la mise en œuvre de la réforme. En outre, des mesures supplémentaires peuvent être nécessaires pour relever les défis du marché du travail auxquels sont confrontés les groupes vulnérables autres que les jeunes (CSR 2019.2). […] Compte tenu des réformes et des investissements envisagés par la France, son plan de redressement et de résilience devrait contribuer à relever efficacement l’ensemble ou un sous-ensemble important des défis identifiés dans les recommandations par pays, ou des défis dans d’autres documents pertinents officiellement adoptés par la Commission dans le cadre le semestre européen, et le plan de relance et de résilience représente une réponse adéquate à la situation économique et sociale de la France. »

Au bout de ce processus politico-technocratique, dont l’Union Européenne a le secret, il ne reste plus qu’à faire un dernier tour de bonneteau (ou de Beaune-teau?) : dans son communiqué du mois de juillet 2021, saluant l’accord de la Commission pour le PNRR français, Bruno Le Maire se garde de bien de citer la réforme des retraites puisque formellement elle ne fait pas partie des projets immédiats, le gouvernement ayant expliqué à la commission qu’il n’en avait pas encore les moyens, ce dont la commission se plaint…

En conclusion :

1️⃣ Les recommandations de 2019 de la commission qui exigent une réforme des retraites ne sont pas renouvelées d’une année sur l’autre (surtout pas en 2020 avec la crise sanitaire), mais elles restent actives et considérées comme pertinentes et appropriées par la commission Van der Leyen deux ans plus tard puisque citées 20 fois dans le RRF ;

2️⃣ Macron et ses gouvernements appliquent une stratégie cohérente depuis le départ : « La France sera grande si elle est ordolibéralement exemplaire », c’est-à-dire selon nous si elle abandonne toute prétention à exercer sa souveraineté sur des dossiers comme la reconquête industrielle ou le modèle social ;

3️⃣ La commission attend bien de la France encore aujourd’hui une réforme des retraites et regrette que le gouvernement ne puisse pas aller plus vite et surveillera donc ses efforts en ce sens.

1 Le « semestre européen » est la procédure qui conduit chaque les États membres et la Commission européenne a échangé sur les exigences de cette dernière quant à la politique budgétaire des premiers.

2 En français, on parle de « plan(s) de relance », en anglais on parle de « plan » mais aussi de facility… il faut se garder des « faux amis » d’une langue à l’autre… mais cela montre quand un état d’esprit est différent et cela décrit qu’une bonne part du plan de relance européen ne sont pas des crédits sonnant et trébuchant mais des « facilités d’emprunt »…

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