Marché européen de l’électricité : des millions de Français et des milliers d’entreprises sont pris à la gorge !

Des millions de Français sont pris à la gorge et des milliers d’entreprises mettent la clé sous la porte à cause de l’explosion de leur facture d’électricité. Le marché européen de l’électricité est un fiasco absolu dont il faut sortir le plus vite possible. Pourquoi ? Emmanuel Maurel, député européen et animateur national de la Gauche Républicaine et Socialiste, vous l’explique très simplement dans cette vidéo.

La question fondamentale, c’est “Où on produit ? Qu’est-ce qu’on produit et que veut-on produire ?”

Vendredi 25 août, Emmanuel Maurel participait au débat organisé à Blois pour les universités d’été du Parti Socialiste « Climat, fins de mois, mêmes combats ? ».

L’occasion de rappeler que, pour agir de pair pour la Justice sociale et la transition écologique, il était indispensable de travailler à son acceptabilité sociale pour faire reculer les forces du « grand refus » qui marquent aujourd’hui des points…

Et surtout la nécessité d’agir sur nos modes de production, nos conditions de production contre le libre-échange morbide du capitalisme et le choix de ce que l’on veut produire. Une source de combats communs essentiels pour la gauche française, si elle le veut.

Les autres participants au débat étaient Sébastien Vincini, Sophie Taillé-Polian, Elsa Faucillon, Benoît Hamon, Marie Toussaint et Aurélie Trouvé ; il était animé par Chloé Ridel.

« Tant d’autres choses encore » là tu me surprends un peu quand même. Bon, c’est « vendredi confessions », c’est comme les alcooliques anonymes : « oui j’ai longtemps été militant socialiste », comme Benoît [Hamon] « ça fait longtemps que je n’ai pas parlé devant les socialistes, je suis très ému » et en plus c’est vrai.

C’est un sujet qui est absolument passionnant et qui devrait faire la Une de l’actualité aujourd’hui.

On peut regretter d’ailleurs, puisqu’on parlait du rapport de la gauche et des classes populaires, on peut regretter que parfois la gauche ait un peu trop tendance à se regarder le nombril et à s’interroger sur des sujets un peu secondaires voire picrocholins, plutôt que parler de ce qui aujourd’hui interpelle et inquiète les Français, c’est-à-dire l’inflation, la rentrée scolaire qui s’annonce mal et bien sûr la guerre, les questions écologiques auxquelles ce débat est consacré.

Moi je pense qu’on est tous – et je crois que ça a été dit par Aurélie [Trouvé, députée LFI] –, on est tous aujourd’hui à peu près d’accord sur le « logiciel écosocialiste ». On pense qu’il ne faut pas séparer le combat social du combat écologique, on pense qu’en effet les pauvres sont les plus concernés par la pollution, et donc nécessairement la transition écologique s’accompagne de mesures sociales.

J’ai même envie de dire qu’on est tous d’accord, les socialistes compris – surtout quand ils sont dans l’opposition – pour dire qu’on se mobilise contre l’extension de la société de marché qui a une logique de prédation, une logique d’exploitation, une logique d’hyper consommation qui révèlent la nature profondément morbide du capitalisme. ça on est tous d’accord.

Et donc on est tous d’accord forcément sur le fait que si on fait la transition écologique ça ne peut pas aller à l’encontre de la justice sociale.

Est-ce que majoritairement dans le pays on est d’accord là-dessus ? Je n’en suis pas sûr. Je n’en suis pas sûr pour plein de raisons.

D’abord il y a – Benoît y a fait allusion dès le début – il y a les forces du « grand refus ». C’est-à-dire les gens qui, contre le réel, continuent à affirmer que ça peut continuer comme aujourd’hui et qu’on peut continuer à vivre comme aujourd’hui – tu parlais de Trump mais Trump c’est la version exacerbée de ce phénomène – mais c’est George Bush, dès la conférence de Rio, qui avait dit cette phrase qui a été reprise après par les différents présidents républicains, “notre mode de vie n’est pas négociable”. Si tout le monde vivait comme les États-Unis ça ferait 5 planètes, mais « ce n’est pas négociable ». Et donc on a en face de nous des gens qui sont dans un déni de réalité assez stupéfiant. Et pourtant, ils marquent des points !

Je ne vous parle même pas du délire climato-sceptique qui a envahi les réseaux sociaux depuis quelques mois maintenant, mais ils marquent des points avec leurs épigones européens. Regardez le programme de l’AFD en Allemagne, l’extrême-droite allemande, elle reprend exactement le programme de Trump, avec la négation totale de la question écologique et le refus des politiques européennes en la matière.

Mais c’est le cas aussi du FN. On n’a pas parlé du RN depuis tout à l’heure mais ils ont, il y a trois jours, fait une conférence de presse sur ce qu’ils appellent « l’écologie du bon sens ». Il n’y avait pas beaucoup d’écologie et encore moins de bon sens. Mais, n’empêche, eux, ils ont bien vu qu’il y avait un sillon à marquer et ils ne vont pas nous lâcher là-dessus et c’est pour ça que l’adversité elle est quand même forte.

Et elle est forte d’autant plus qu’il y a parfois, y compris dans les classes populaires, même si ce qu’a dit Elsa Faucillon [députée PCF] à l’instant est très important. D’ailleurs ça me faisait penser à une ministre macroniste qui avait dit « les pauvres, ils sont dans la sobriété subie ». C’est nier complètement la conscience politique des pauvres et toute façon c’est bien ils étaient déjà dans un mode de vie écolo parce que de toute façon ils n’avaient pas le choix. Non évidemment ce n’est pas le cas.

Mais je reviens sur ce qu’a dit très fortement Sébastien [Vincini, président PS du Conseil départemental de Haute-Garonne] parce que c’est important. Il y a eu des moments, on va dire, de perception un peu décalée. Par exemple au moment de la taxe carbone on a eu beaucoup de gens – et c’est la naissance du mouvement des « Gilets Jaunes » – qui étaient en désaccord avec la façon dont c’était fait et la façon dont c’était présenté.

De la même façon, sur les ZFE [Zones à Faibles Émissions] c’est un sujet qu’on devra affronter et que les élus affrontent dès maintenant.

Je vois par exemple en Île-de-France, il y a une perception, un ressentiment de certains habitants de Grande banlieue, qui n’ont pas d’autre choix que prendre leur voiture au diesel et qui ont l’impression qu’ils vont être sanctionnés pour ça.

Et ça il faut le prendre en compte, parce que dans le livre de Bruno Latour, auquel vous faites allusion qui est en effet un livre passionnant, il parle quand même de ça. Il dit qu’il faut prendre en compte ce ressentiment, ces appréhensions, parce que l’acceptabilité sociale des politiques écologiques c’est fondamental. C’est très important.

Il y a une deuxième chose – Elsa faisait référence à « l’imaginaire » – et en effet, lors de sa campagne présidentielle, Benoît Hamon avait dit « on élabore ensemble un imaginaire puissant pour un futur désirable. » Je sais pas si tu te souviens, Benoît … tu t’en souviens sûrement ! Mais c’était très juste ! Sauf qu’on a en face de nous aussi un imaginaire très puissant, ce n’est pas seulement l’imaginaire droitier auquel il était fait allusion, c’est l’imaginaire de la société de consommation, les grosses bagnoles, la « fast fashion », la mode pas chère, les posts sur Instagram – je rappelle que tous ceux qui postent sur Instagram des photos de bouffe, ça consomme l’équivalent de deux centrales nucléaires par an !

Donc tout ça, c’est l’imaginaire de la société d’hyper consommation capitaliste, c’est pas toujours facile à affronter.

Donc moi je pense, parce que le futur désirable c’est une société sobre et décente, on a un gros boulot de bataille culturelle. C’est assez facile de s’attaquer au mode de vie des riches, parce que ça, évidemment, c’est tellement caricatural, arrogant, mais pour d’autres choses à mon avis c’est plus dur.

Consommer autrement, mais aussi produire autrement !

Moi, c’est ça dont je voulais parler aujourd’hui, parce que la question pour moi qui est fondamentale : c’est où on produit et qu’est-ce qu’on produit, qu’est-ce qu’on veut produire !

Et là, j’en viens à l’Europe parce que c’est un bon exemple…

En Europe, on vote – dans l’allégresse et dans l’enthousiasme – plein de textes pour « écologiser » les politiques européennes : le Green New Deal, le Net Zero Industry… Sylvie Guillaume [eurodéputée PS] est là … il y en a plein d’autres, tu pourrais m’aider toi [Marie Toussaint, eurodéputée EELV] parce que tu les connais tous… On vote tout ça et on se félicite parce qu’il y a une diminution des gaz à effet de serre depuis quelques années. Et on dit « l’objectif c’est moins 55%, c’est formidable on va y arriver ».

Sauf que pourquoi il y a une baisse des émissions de gaz à effet de serre en Europe ? C’est parce qu’on les a totalement délocalisées ! Le symbole de la mondialisation c’est le porte-containers ou le camion. C’est-à-dire qu’en fait on a exporté notre pollution, et ça continue !

Parce que c’est ça le problème, cette hypocrisie que je veux dénoncer : ça continue !

Je vais donner 3 exemples.

Premier exemple du « ça continue », on vote le Green New Deal. On dit « l’Europe va être un continent vertueux au niveau écologique », on s’adresse aux classes populaires « vous allez voir ce que vous allez voir en termes de production et de consommation », et en même temps on est en train de négocier, voire de voter – et j’attends de voir, là pour le coup ça peut être un combat commun pour la gauche française, là c’en est un –, en même temps on va voter un accord de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande ! On a un pays qui est à près de 20 000 bornes de l’Europe mais on veut importer toujours davantage – quoi ? – de l’agneau et du lait ! Je m’excuse mais, ça, c’est le symbole de l’absurdité libre-échangiste du système capitaliste.

Ça c’est la première chose.

Je veux donner un deuxième exemple : on est super content parce qu’en Europe on a de plus en plus de photovoltaïque… sauf qu’on a pris du retard et 90% des panneaux photovoltaïques ce sont des panneaux chinois. Pourquoi ? parce qu’au nom de la « concurrence libre et non faussée », on n’avait pas mis de barrières douanières à l’entrée ! Résultat : l’industrie européenne du photovoltaïque s’est cassée la gueule et maintenant il n’y a que du photovoltaïque chinois. Et c’est quoi le photovoltaïque chinois ? C’est construit avec des centrales électriques à charbon, avec une empreinte carbone 50% de plus qu’un produit européen ! Là aussi on marche sur la tête.

Voilà un combat européen : on veut du photovoltaïque européen ! On veut des batteries européennes, parce que là c’est pareil, je vous l’annonce, les voitures électriques c’est super on a voté dans 10 ans on passe tous aux voitures électriques. Mais s’il n’y a pas de barrières douanières et si on ne met pas de subventions publiques puissantes pour aider les entreprises européennes, alors ça sera 100% chinois ! et pour les classes populaires, ça sera plus de chômage et ça sera des produits fabriqués dans des conditions déplorables et dégueulasses.

Voilà encore un combat commun qu’on peut mener tous, à gauche, pour justement allier combat social et combat écologique.

Dernier point et je finis là-dessus, parce que ça c’est l’actualité.

L’inflation des prix alimentaires et de l’énergie, ça vient d’un truc tellement fou, qui s’appelle le marché de l’électricité européen. Le marché de l’électricité européen quand il a été fait, il y a plusieurs décennies, on a dit « on a une super idée » – enfin ce sont surtout les Allemands qui avait la super idée – on va indexer le prix de l’électricité … sur quoi ? Sur le gaz !

Il se trouve que vous connaissez la situation : le prix du gaz explose et l’Europe n’est toujours pas capable de dire « on s’est peut-être trompé ». D’abord, l’électricité ce n’est pas forcément un marché : au nom de l’ouverture à la concurrence, on a pété EDF et on a créé des concurrents totalement fantoches qui ne produisent rien ! Mais, par contre, qui achètent de l’électricité à prix coûtant à EDF et donc ça pose des problèmes à la boîte !

Et puis surtout, la situation c’est qu’aujourd’hui on achète du gaz américain et du gaz qatari, qui coûtent 4 fois plus cher que ce que coûtait le gaz auparavant et qui, en plus, ont une empreinte carbone 2 fois plus importante.

Alors si on veut des combats à mener en Europe, au niveau de la gauche, moi je suis d’accord : Made in Europe, Made in France, sortie du marché européen de l’électricité !… Bref il y a plein de choses à faire pour concilier la justice sociale et les questions écologiques, mais il faut qu’on se bouge !

+10% des prix de l’électricité : merci le marché européen !

+10% de hausse des prix de l’électricité au 1er août ! Le marché européen de l’électricité a encore frappé. Les ménages précaires et les PME industrielles en difficulté en sont les premières victimes.
Urgence sociale, urgence économique, urgence souveraine: nous devons reprendre le contrôle des prix de l’énergie.
Le vrai “bouclier tarifaire” pour la France, c’est de sortir IMMÉDIATEMENT du marché européen de l’énergie conçu au seul bénéfice des centrales à gaz allemandes. Ainsi nous pourrions vendre notre électricité à 60€ le Mwh et pas 190€ comme il est fixé ce jour aux heures pleines.
Une réorientation de notre politique énergétique est absolument indispensable.
C’est assez des milliards d’euros d’argent public déversés à perte sur les actionnaires des producteurs privés d’électricité !
Rétablissons le monopole d’EDF, rien qu’EDF, toujours EDF !

Les Jeudis de Corbera – Sortir du Marché européen de l’électricité – 30 mars 2023

Les Jeudis de Corbera, c’est le nouveau rendez-vous d’échanges et de débats proposé par la Gauche Républicaine et Socialiste (GRS) à ses adhérents, militants, sympathisants et curieux de notre mouvement, le dernier jeudi soir de chaque mois, au 3 avenue de Corbera à Paris.

C’est deux heures d’échanges avec des acteurs du mouvement social, des intellectuels, des grands témoins pour questionner autrement des enjeux au cœur de l’actualité et de notre programme. C’est renouer avec un rendez-vous convivial et ouvert à tous, avec la possibilité de le suivre, en différé, via une captation vidéo. C’est surtout l’occasion de se retrouver pour renouer avec une « pensée en action », loin des dogmatismes et du prêt à penser médiatique ; pour un débat d’idées au service de l’engagement.

Depuis un an et demi, une envolée inquiétante des prix de l’électricité entraine une crise économique et sociale majeure avec des répercussions multiples sur les entreprises, les territoires, les collectivités et les usagers.

Cette augmentation n’est pas liée à une explosion des coûts de production de l’électricité en France mais au mode de fixation du prix qui relève du marché européen de l’énergie. Marché européen qui aligne le prix de l’électricité sur celui du gaz et met à mal la filière nucléaire française et qui s’avère surtout être est une impasse totale. Depuis plusieurs années, la GRS appelle à en sortir, comme l’Espagne et le Portugal.

Enjeu de pouvoir d’achat, enjeu de souveraineté et enjeu environnemental se recoupent dans ce débat central pour l’avenir de notre pays.

Comprendre comment nous nous retrouvons pris dans le piège de la libéralisation du secteur de l’énergie et tracer des perspectives alternatives, c’est le sujet de ce premier Jeudi de Corbera pour lequel Carole Condat, animatrice du pôle thématique “fonction publique et services publics” de la GRS accueillait :

➡️ Anne Debrégeas, Ingénieure- chercheuse sur le fonctionnement et l’économie du système électrique à EDF et économiste en électricité, Porte-parole du syndicat Sud Énergie.

➡️ Laurent Miermont, membre du pôle idées de la GRS, ancien adjoint au maire du 13ème arrondissement, assistant parlementaire européen.

Sortir du marché européen de l’électricité – Podcast du 1er “Jeudi de Corbera”

Depuis un an et demi, une envolée inquiétante des prix de l’électricité entraine une crise économique et sociale majeure avec des répercussions multiples sur les entreprises, les territoires, les collectivités et les usagers.

Cette augmentation n’est pas liée à une explosion des coûts de production de l’électricité en France mais au mode de fixation du prix qui relève du marché européen de l’énergie.
Marché européen qui aligne le prix de l’électricité sur celui du gaz et met à mal la filière nucléaire française et qui s’avère surtout être est une impasse totale.

Depuis plusieurs années, la Gauche Républicaine et Socialiste appelle à en sortir, comme l’Espagne et le Portugal. Enjeu de pouvoir d’achat, enjeu de souveraineté et enjeu environnemental se recoupent dans ce débat central pour l’avenir de notre pays.

Comprendre comment nous nous retrouvons pris dans le piège de la libéralisation du secteur de l’énergie et tracer des perspectives alternatives, c’est le sujet de ce premier Jeudi de Corbera pour lequel Carole Condat accueillait :
➡️ Anne Debrégeas, Ingénieure- chercheuse sur le fonctionnement et l’économie du système électrique à EDF et économiste en électricité, Porte-parole du syndicat Sud Énergie.
➡️ Laurent Miermont, membre du pôle idées de la GRS, ancien adjoint au maire du 13ème arrondissement, assistant parlementaire européen.

Livraison de chars : jusqu’où entrer dans le conflit en Ukraine ?

Emmanuel Maurel, député européen et animateur national de la GRS, était l’invité samedi 4 février de France 24 et Public Sénat dans l’émission “Ici l’Europe” avec Roza Thun und Hohenstein, députée européenne (Renew, Pologne).
Après des semaines d’hésitations, plusieurs pays alliés de l’Ukraine, dont les États-Unis et la Grande-Bretagne, ont décidé d’acheminer des tanks, tant réclamés par Volodymyr Zelensky. Mais les pays européens ne sont pas en reste. L’Allemagne a ainsi annoncé l’envoi de 14 chars Leopard et la Pologne livrera 60 chars supplémentaires. Le Portugal et l’Espagne sont non seulement aussi disposés à fournir des blindés, mais également à participer à la formation des soldats ukrainiens pour leur utilisation. Les Pays-Bas, quant à eux, réfléchissent à l’envoi d’avions de chasse F16. La course à l’armement des Ukrainiens s’accélère, au risque d’une dangereuse escalade.

Industrie, retraites : la faute à l’Europe ?

Emmanuel Maurel, député européen et animateur national de la Gauche Républicaine et Socialiste, était l’invité mercredi 1er février 2023 de La Faute à l’Europe sur France Télévision aux côtés de Clothilde Goujard de Politico Europe, Jean Quatremer de Libération et de Stéphanie Yon-Courtin, députée européenne renaissance.

Au sommaire :
📍 vers un “vrai” plan industriel européen ?
📍 la réforme des retraites est-elle demandée par l’UE ?

Nous constatons que les libéraux européens refusent de soutenir nos entreprises quand les Américains les incitent à délocaliser outre-Atlantique à coup de subventions massives. Oui agir de la sorte revient à tendre l’autre joue face aux mesures de prédation économique pratiquées par les États-Unis.

La commande de la réforme des retraites, avec celle de l’assurance chômage) au travers des “recommandations européennes” et de la mise en œuvre du “plan de relance” européen ne sont un secret pour personne (nous l’avions expliqué en octobre 2021). La Commission et les macronistes sont prêts à sacrifier tous nos acquis sociaux sur l’autel du marché et de la sacro-sainte “compétitivité”.
Chômage, retraites, même combat : précariser, stigmatiser les plus fragiles.
La présidence Macron restera celle de la grande régression.

Prix de l’énergie : la Faute à l’Europe

Face à la flambée des prix de l’énergie dans tous les pays d’Europe, l’Union européenne ne prend aucune décision, mettant en péril artisans, PME et certaines entreprises. En cause, le marché unique de l’énergie, réforme libérale qui a mené à la privatisation du secteur de l’énergie, et se montre incapable aujourd’hui de faire face à la crise.

Le point sur la situation et les pistes pour en sortir avec Emmanuel Maurel, député européen GRS (membre du groupe La Gauche), qui répond aux questions de L’Humanité.

“Transferts de nos données personnelles aux États-Unis : pourquoi la Commission est-elle si laxiste ?”

Sans sourciller, comme ça, presque entre deux portes, la Commission de Bruxelles vient d’autoriser le transfert des données personnelles des Européens vers les États-Unis. Qui a bien négocié ? Et qui a fermé les yeux ? Et, surtout, est-il trop tard pour faire machine arrière ? Marianne fait le point sur le dossier, alors que la Commission européenne a lancé en décembre dernier un processus d’adoption de la décision d’adéquation* concernant le cadre de protection des données entre l’Europe et les USA. Emmanuel Maurel y revient longuement sur ce dossier.

Qu’est-ce qui a poussé Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, à passer un accord avec Joe Biden, en septembre, pour que les données personnelles de tous les Européens soient transférées aux États-Unis ? « Cela fait partie des choses que l’on ne s’explique pas, assure Emmanuel Maurel, député européen rattaché au groupe de gauche. Cet accord ne respecte pas le RGPD [Règlement général sur la protection des données] et nous pensions que les Allemands, qui sont très tatillons en matière de droit, s’y opposeraient. Ne mentionnons pas la France, qui parlait d'”autonomie stratégique”, d'”indépendance industrielle” et de “cloud européen”. »

Côté américain, l’appropriation de ces données, de tous les éléments se rapportant à notre vie publique comme privée, fait sens. Les Gafam comme les sociétés d’Elon Musk réclament – pour bâtir le nouveau monde de l’intelligence artificielle, qui doit prédire les besoins des individus et, parfois même, les inventer – de disposer des données personnelles d’un maximum d’individus. « C’est l’or noir de ces sociétés : sans lui, Musk ne peut pas construire son rêve poursuit notre eurodéputé. Joe Biden a considéré – c’est tout à fait certain – que les intérêts économiques des Gafam prévalaient sur tout le reste. Il y a forcément un lien entre cet accord et le lancement de cette “intelligence artificielle”. »

Côté européen, l’abandon de cette souveraineté numérique ne répond à aucune logique, au regard des engagements pris, sauf si l’on applique la nouvelle clé de compréhension issue de la guerre russo-ukrainienne. « La Commission européenne, dans sa très grande majorité, considère que l’on a besoin du soutien des États-Unis non seulement pour aider les Ukrainiens, mais aussi pour nous protéger, estime Emmanuel Maurel. Il convient, dès lors, d’être solidaire de leur politique dans tous les domaines. Quitte à prendre des dispositions irréversibles en remettant les questions de fond à plus tard ! » Les pays scandinaves, les pays de l’Est, proches géographiquement de la Russie, sont sur cette ligne, comme l’Italie de Giorgia Meloni, qui se fait d’autant plus atlantiste qu’elle veut légitimer son gouvernement, dominé par l’extrême droite. « N’oublions pas non plus que ce pays – comme l’Allemagne – compte sur les États-Unis pour suppléer ses besoins en gaz » renchérit Philippe Latombe, député MoDem.

ADIEU LE CLOUD EUROPÉEN

Les entreprises européennes participent également de ce soutien à la politique économique américaine. La SAP SE, société allemande en pointe dans le domaine du progiciel, veut développer ses relations avec les sociétés américaines dont elle est le fournisseur. « Elle pèse d’autant plus fort sur son gouvernement que l’Allemagne fonctionne en écosystème ouvert avec ses entreprises, à la différence du système français, où tout cela est plus feutré » considère Philippe Latombe. Et le français Thales, qui vient de racheter OneWelcome, un logiciel de gestion des identités et des accès clients, outil essentiel dans le monde de la cybersécurité, serait aussi favorable à l’accord Biden-von der Leyen. Une société de cyber­sécurité doit théoriquement exploiter le plus de données personnelles possible pour être efficace. Si l’on sait que 42 % des entreprises françaises sont dotées aujourd’hui d’un système de protection cyber et que 72 % le seront dans dix ans, la position de Thales s’explique mieux. « N’oublions pas non plus que Thales a passé un partenariat avec Google pour créer un cloud de confiance, ce qui condamne la naissance d’un cloud européen pourtant appelé de ses vœux par Emmanuel Macron. Le mal était déjà fait » tranche Emmanuel Maurel. Cap Gemini et Orange, qui ont également passé un accord avec Microsoft en vue de créer un cloud de confiance, ne sont pas non plus hostiles à cet arran­gement. Pour leur défense, ces sociétés françaises assurent qu’elles conserveront la maîtrise de la clé d’accès à nos données.

Isolée sur la question, la France reste donc bien silencieuse sur ce dossier crucial. Thierry Breton, commissaire au Marché intérieur, que l’on a vu plus bavard sur le sujet, n’a pas fait connaître sa position. On sait seulement qu’il ne veut pas participer aux négociations informelles menées par Valdis Dombrovskis, commissaire en charge de l’Économie et du Commerce, et par la vice-présidente chargée du Numérique, Margrethe Vestager, avec les Américains Antony Blinken, secrétaire d’État, et Gina Raimondo, secrétaire au Commerce. Breton ne cautionnerait pas ces rencontres, qui se déroulent en dehors de tout mandat délivré par les États membres. Un peu de courage politique ne nuirait pas. Il est tout de même question de commerce mondial, de normes technologiques et d’administration des données. Rien ne semble donc contrarier l’adoption, au début de 2023, d’un accord dit « d’adéquation » sur le transfert des données. Celui-ci sera d’autant plus facile à mettre en œuvre qu’il ne répond pas, contrairement à un accord commercial, à la règle de l’unanimité.

Le terme « adéquation » prête d’ailleurs à sourire, car il suggère qu’il puisse y avoir convergence entre le droit américain et le droit européen. Ce qui n’est pas le cas. Cela provoque donc des réactions. Ainsi, Maximilian Schrems, l’avocat autrichien qui a fait invalider par la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) deux accords précédents ­passés avec les États-Unis sur le même thème, le « Safe Harbor », en 2015, et le « Privacy Shield », en 2020, déclare : « On a vraiment l’impression que la Commission européenne prend sans cesse des décisions identiques sur la question, en violation de nos droits fondamentaux s’emporte le défenseur européen de la vie privée, fondateur de l’association None of Your Business (« Ce n’est pas votre affaire »). Je ne vois pas comment tout cela pourrait survivre à l’examen de la Cour de Justice. C’est un peu comme si les banques suisses vous disaient : “Donnez-nous votre or”, et que, une fois que vous leur auriez transféré, elles vous informeraient que vous n’avez plus aucun droit dessus car vous êtes étranger. » Me Schrems précise en guise d’explication : « Nous avons un conflit de juridictions : l’une, européenne, qui demande la protection de la vie privée ; et l’autre, américaine, qui prône la surveillance. Les sociétés qui gèrent les centres de données sont broyées entre les deux systèmes. » Et le député européen Emmanuel Maurel de renchérir : « Depuis l’adoption du Patriot Act, nous ne sommes plus certains que nos droits fondamentaux soient respectés par les États-Unis. Nous n’avons pas, avec les Américains, la même notion de ce que l’on appelle la sécurité. Nous n’avons pas, en conséquence, assez de garanties sur les protections et les droits de recours. Aux États-Unis, quand vous saisissez la justice sur ces problèmes de protection de données, vous devez saisir au préalable un médiateur, qui est un fonctionnaire des services des renseignements. » Me Schrems prédit : « La surveillance de masse va continuer, mais, à la fin, l’opinion de la CJUE l’emportera et tuera une nouvelle fois cet accord. »

LE PIÈGE PARFAIT

Le temps de la justice n’étant pas, et de très loin, aligné sur celui des technologies, 90 % des données personnelles des Européens auront été transférées aux États-Unis quand la Cour rendra son verdict. C’est le piège parfait, celui qui ne laisse aucune échappatoire, mais donne l’impression qu’on nous a donnés, à nous, les Européens, notre chance. Il sera alors certain que les entreprises du Vieux Continent ne voudront plus changer leurs modes de fonctionnement, leurs codes sources, investir du temps et de l’argent pour rapatrier et gérer les données personnelles. « C’est pourquoi je demande que des préconisations soient prises au moment où nous saisirons la Cour afin d’empêcher que le transfert des données soit irréversible, souhaite Emmanuel Maurel. À écouter les députés, aussi longtemps que le conflit russo-ukrainien perdurera, cela ne pourra pas être le cas. »

ON NE BADINE PAS AVEC LE CONSENTEMENT

Accepter de partager ses données personnelles, c’est permettre à des entreprises de connaître l’intégralité de sa vie. Famille, réseau d’amis, déplacements, loisirs, situation médicale, maritale, tout peut être connu à partir de la géolocalisation, de l’historique de recherche, de la lecture des courriels comme des messages postés sur les réseaux sociaux. Sur le marché mondial des données personnelles, ces informations ont un prix. Les sociétés qui les achètent les utilisent pour vendre de la publicité, des produits ou pour influencer des choix culturels et politiques. En acceptant l’installation de cookies, c’est-à-dire de fichiers espions, l’internaute autorise que sa personnalité, sa vie dans toutes ses composantes, soit vendue aux enchères à des sociétés qui vont la monnayer. L’obtention du consentement exigé par le Règlement européen sur la protection des données est la seule garantie dont l’internaute dispose. Google avait installé sur les 310 millions de téléphones Android un identifiant unique facilitant l’envoi de publicités ciblées sans que les internautes puissent s’y opposer, mais la firme de Mountain View a dû renoncer à l’exploiter pour respecter le droit européen, suffisamment exigeant en la matière. En janvier 2022, la Commission de la protection de la vie privée, autorité belge de protection des données, dont la décision s’impose à toutes les Cnil en vertu du principe du « guichet unique », a exigé que le consentement de l’internaute ne soit pas obtenu par défaut, sans que celui-ci soit clairement informé. Si tel est le cas, toutes les données recueillies à son insu doivent être supprimées.

Le modèle allemand en fin de vie ?

La crise industrielle allemande

Un rapport de la Deutsche Bank met en garde contre une désindustrialisation accélérée de l’Allemagne. En effet, l’un des piliers les plus importants du modèle économique soutenu par Angela Merkel, c’était l’accès constant à une énergie carbonée abondante et peu chère, aidant l’Allemagne à conserver un avantage compétitif et ses usines localement.

Ce n’est plus le cas. L’industrie pourrait reculer de 5 points de PIB en 3 ans.

La première pénurie, c’est la main d’œuvre. Dès 2014 cependant, un facteur de coût apparaissait : le manque de main d’œuvre qualifiée, combiné à une démographie atone et un défaut massif d’investissement dans la formation, entraînait une progressive reprise à la hausse des salaires. Les syndicats patronaux allemands ont imploré le gouvernement de mettre en œuvre des politiques agressives d’immigration de personnels bien formés par d’autres pays pour limiter ces coûts, soit de financement des formations, soit d’augmentation des salaires.

C’est ce qui explique en partie la décision brutale d’Angela Merkel en septembre 2015 de s’asseoir sur un traité international, l’accord de Dublin, pour ouvrir les frontières allemandes. C’est aussi ce qui explique qu’entre 2016 et 2020 l’industrie commence un recul dans la part de la richesse nationale produite, passant de 22,6% à 20% : le manque de main d’œuvre.

Le SPD tenta en 2016 de répondre au besoin de main d’œuvre en revalorisant les salaires par l’instauration d’un SMIC, et cette mesure, loin de coûter “un million d’emplois” comme le prétendait le patronat allemand avant le vote de cette loi, contribua à en créer 200 000 et permettre la poursuite des gains de productivité.

L’industrie en panne de carburant

La Deutsche Bank pense que l’explosion des coûts de l’énergie carbonée, ainsi qu’en corollaire les pénuries menant le gouvernement à privilégier le chauffage des habitations sur le maintien des lignes de production industrielle pourrait entraîner une vague massive de délocalisations et de faillites – qui sont des délocalisations d’emplois vers des concurrents.

La question de l’énergie est au cœur du renversement de paradigme économique en Allemagne.

Dans ce contexte, la décision du chancelier Scholz du 17 octobre 2022 de maintenir les trois centrales nucléaires encore en activité jusqu’en avril 2023 au moins est logique : entre transition énergétique et coupure avec son « allié russe », l’Allemagne n’a pas le choix.

Mais toutes les infrastructures ont été conçues pour une consommation massive de gaz, et non d’électricité nucléaire, ou d’électricité renouvelable. En Allemagne, le nucléaire est une emplâtre, pas une solution pérenne.

En octobre 2021, à la présentation du contrat de gouvernement, la nouvelle coalition SPD-Verts-Libéraux se félicite d’avancer la sortie du charbon à 2035 en fondant toute sa stratégie sur le gaz naturel comme énergie de transition vers une énergie 100% renouvelable. Il était prévu de doubler les capacités énergétiques fondées sur le gaz russe pour supplanter le lignite, très polluant, mais extrait d’Allemagne.

Dès cette date, Poutine organise le débit des pipelines de telle manière que le prix recommence à augmenter. Le dépendance géopolitique de l’Allemagne à la Russie, organisée par Merkel tout au long de ses 4 mandats, en dépit de la crise de 2014 et l’annexion de la Crimée, rendait impensable à Poutine un ralliement de son principal client et partenaire à un front unifié au moment de l’invasion de l’Ukraine. D’ailleurs, l’Allemagne hésita les premiers jours.

Pénurie et Pénurie

Entre mars et septembre 2022, la consommation allemande de gaz est certes en recul de 30% ; et la vague de chaleur tardive de ce mois d’octobre à plus de 20 degrés, s’il est le signe d’une accélération dramatique du réchauffement climatique, va réduire mécaniquement la consommation. Mais cette baisse reflète également une crise larvée de la production en Allemagne, déjà engagée avant même la pandémie.

La crise est structurelle, et antérieure au Covid.

On l’a oublié, mais dès le troisième trimestre 2019, on s’inquiétait d’une récession possible en Allemagne avec la conjonction des problèmes structurels d’approvisionnement en matières premières et en composants de base des produits industriels. La pénurie est antérieure à la pandémie, et touche déjà les puces micro-électroniques, les capacités de stockage des données, les métaux et terre rares.

La pandémie, accélérateur de la crise de la globalisation

La pandémie a profondément bouleversé les équilibres économiques de la période 2010-2019.

En Chine, les fermetures des gigantesques centres de production des composants de base des produits manufacturés de l’économie mondiale, dans le cadre d’une politique de zéro Covid stricte, a exposé la vulnérabilité des capitaux étrangers placés dans ce pays. En fin de compte, c’est le gouvernement de Xi Jinping qui décide de l’ouverture et la fermeture des usines, et non l’investisseur allemand.

La reprise en main idéologique et politique des géants de la haute technologie chinoise reflète également la lutte entre classes dominantes dans ce pays, avec une nouvelle classe qui s’est crue proche de pouvoir prendre une influence politique mais qui a été rappelée brutalement à la réalité des rapports de force d’un régime despotique.

La classe bureaucratique reste en Chine plus puissante que la classe capitaliste qui s’est formée depuis 1978. Cependant, ces nombreuses convulsions chinoises ont aussi des conséquences en Allemagne sur les manufactures spécialisées dans l’exportation.

L’exportation, richesse stérile allemande

Sans marché intérieur – toute la politique d’Angela Merkel consista à restreindre la croissance du marché intérieur pour en expurger toute tentation inflationniste, maintenir la compétitivité extérieure et garantir la paix sociale par la déflation des produits de première consommation – l’Allemagne produisait encore en 2021 un tiers de ses richesses en vue de l’exportation.

Les revenus de ce commerce excédentaire n’étaient pas réinjectés dans l’économie nationale, par l’investissement public, privé, ou la hausse des revenus: non ! Des quantités gigantesques de liquidités ont été accumulées et … stockées dans des trappes improductives, ou empilées dans le marché immobilier, et la dette publique en euros. Près de 1000 Mds € seraient ainsi stockés sur des comptes courants non rémunérés, de quoi financer une transformation énergétique allemande en trois ans. Les Allemands, d’après une enquête de la Bundesbank de 2020, conserveraient chez eux plus de 150 milliards en liquide !

S’il y a un peuple prouvant par l’absurde la justesse du système keynésien, c’est bien l’allemand.

Toutes ces liquidités accumulées ne servent à rien. Cette épargne, contrairement à un présupposé des économistes “dominants” n’a pas créé une croissance d’investissements pas plus, par une consommation accrue, ou une augmentation des salaires, qu’elle a été inflationniste.

Le mercantilisme merkellien, tragédie de l’Europe des années 2010

Merkel a été une mercantile acharnée et obstinée. Début octobre 2022, interrogée au Portugal sur les enseignements tirés depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février de la même année, Angela Merkel donna en une phrase toute l’étendue de son mercantilisme : la décision de se rendre dépendant du gaz russe dès 2011 était à ses yeux toujours justifiée “parce que c’était le moins cher”, et la guerre de 2022, enjambant tout ce qui s’est passé entre 2014 et cette date, “une césure”, un changement de paradigme.

Le mercantilisme – par exemple celui des colbertistes conduisant la transition du féodalisme au capitalisme, libéral en Angleterre, encadré par l’État absolutiste en France – suppose une économie produisant des excédents commerciaux pour en financer des investissements publics et privés attributs de puissance d’une Nation.

Merkel a bien produit des excédents, qu’elle a bien utilisés comme attribut de puissance au sein de l’Union Européenne, mais sans jamais passer aux investissements par peur de faire partager les classes populaires à cette prospérité, et de déséquilibrer les ressorts profonds, déflationnistes, du commerce extérieur.

Mais c’est aussi ce mercantilisme, fondé une vision souverainiste de la politique allemande toute cette décennie, qui amène de fait l’Allemagne à s’allier d’abord avec le Royaume Uni de Cameron contre la France et les pays du Sud, puis avec la Turquie contre la Grèce, avec la Hongrie contre le fédéralisme et la mutualisation des dettes, avec les Pays Bas, le Luxembourg, l’Irlande, contre l’harmonie fiscale européenne, et avec toutes les droites contre l’Europe sociale.

Évidemment, la “chancelière climat” comme l’appelaient les éditorialistes conservateurs après sa décision, politicienne et soudaine, de sortir du nucléaire, n’a rien fait pour le climat, le choix d’investir dans les énergies renouvelables étant cohérent avec la vision mercantile d’une industrie énergivore allemande nécessitant un minimum de diversification de l’approvisionnement.

Le triomphe de la raison stupide, taux d’intérêt et commission européenne

L’ancien directeur de la banque centrale américaine Bernanke a été récompensé du “Nobel” d’économie pour ces travaux sur la crise financière de 1929, où il était arrivé à la conclusion que ce n’est pas un excès de liquidité, mais un déficit de monnaie, qui avait accéléré la crise et provoqué l’inflation. C’est ce qui le conduit en 2008 à ouvrir les vannes de la planche à billets, politique menée aussi par la banque centrale européenne depuis 2013, et qui a financé la reprise des années 2010-2020 sans contagion monétaire par l’inflation.

Pourtant, à l’approche d’une inflation structurelle, de production, les banques centrales, l’européenne en tête, montent les taux d’intérêts et pensent qu’il est préférable de plonger l’économie dans une profonde récession plutôt que d’augmenter les salaires. La commission européenne ne cesse, dans ce contexte de crise inflationniste par contagion des pénuries apparues dès 2019 et des prix de l’énergie, de rappeler les nécessités de respecter la “règle d’or” austéritaire.

Or, on sait comment on sort de crises profondes comme celles de 1929 : par le fascisme et la guerre. C’est le triomphe de la raison stupide.

Un mercantilisme infectieux, une Allemagne malade

Ce qui n’a pas été fait, c’est préparer l’industrie allemande à un marché de l’énergie sans carbone, et à une indépendance géostratégique énergétique. Ceci a eu des conséquences politiques dramatiques tant pour les Allemands – les classes populaires allemandes sont parmi les grandes perdantes de la période 2000-2022 en Europe – que pour les Européens.

La paupérisation des classes populaires allemandes est un poison démocratique. Dès lors que l’Allemagne encaissait chaque année plus de 6% de sa richesse nationale en excédent commercial, alimentant en recette fiscale l’État, lui permettant même d’emprunter à taux négatif, les classes populaires auraient été légitimes à réclamer une partie de cette prospérité auxquelles elles contribuaient par leur travail.

C’est l’inverse qui s’est produit : le niveau de vie, le niveau de pouvoir d’achat réel des classes populaires a reculé, au mieux stagné, entre 1998 et 2018.

Le plein emploi obtenu entre 2008 et 2016 ne l‘a pas été en multipliant le nombre d’emplois : le nombre d’heures travaillées en Allemagne a baissé de 5% sur la période, reflet de la crise démographique.

Le nombre d’heures salariées travaillées a aussi baissé. Nous l’avons régulièrement relayé dans nos analyses depuis les élections de 2017, la réduction du chômage en Allemagne est essentiellement le produit d’un double phénomène :

1. Une réduction contrainte du temps de travail et du nombres d’heures rémunérées des emplois populaires. Le temps de travail effectif moyen est passé de 38 à 33 heures pour les emplois en dessous du médian salarial. Les salariés gagnent par tête moins qu’avant parce qu’on les oblige à accepter des contrats à temps partiels. Les cadres et les professions intellectuelles supérieures ont elles maintenues leur temps de travail au delà de 41 heures payées 41 heures, et ont vu leur taux horaire fortement progresser sur la période.

2. La réforme du minimum social conditionné à un contrôle de tous les aspects de la vie intime menée par Schröder et approfondie par Merkel – et qui sert en réalité de modèle à Macron pour ses réformes de l’assurance chômage – a piégé près de 5 millions d’actifs dans des statuts de “prolétariat en guenille”, payés parfois 1 euro l’heure travaillée, pendant plus de dix années consécutives, sans véritable travail de formation professionnelle qui exigerait des investissements publics. En 2020, les estimations du déficit en investissements publics en Allemagne oscillaient entre 250 Mds € (uniquement pour les infrastructures) à 600 Mds € tout confondu.

Crise de l’industrie, pénuries, paupérisation, guerres : le terreau de la bête immonde

La conséquence politique a été visible dès la fin des années 2010 : la défaite du SPD et l’échec des Linke à incarner une meilleure gauche entraîne des comportements électoraux des classes populaires et moyennes inférieures très différents des 50 premières années de la république fédérale.

Ces tâtonnements électoraux ont profité en alternance au NPD néonazi ou aux Pirates (parti laïc et libertaire). L’électorat cherche un débouché, et les Linke, empêtrés dans des débats sur le sexe des anges entre intersectionnalistes, communautaristes, adeptes de la théorie des “milieux” (le terranovisme allemand) et matérialistes marxistes, sabotent eux-mêmes la tentative de Aufstehen de capter cette colère populiste dans un mouvement progressiste. Pourtant, le lancement du mouvement, au printemps 2018, intéressait “36% des Allemands” d’après un sondage du magazine Focus, et enregistrait 100 000 adhésions en ligne. Tout l’été 2018, les apparatchiks du parti vont mener une campagne acharnée qui tuera dans l’œuf le mouvement.

La marche en avant de l’extrême droite en Europe et en Allemagne

Ce sont les néofascistes qui vont sauter sur cette occasion.

Finalement, tous les parlements allemands, dans les Länder comme au Bundestag, vont connaître une weimarisation : explosion des votes pour des petits partis y compris lorsqu’ils n’ont aucune chance d’être élus, multiplication du nombre de partis représentés dans les parlements, émiettement des coalitions majoritaires traditionnelles, multiplication des “Grandes Coalitions”, et, depuis 2017, enracinement d’une extrême droite parlementaire à plus de 10%.

En 2013, manquant encore de peu l’entrée au Bundestag, l’AfD “l’alternative pour l’Allemagne” grossit sur le dos des grandes coalitions pour entrer au parlement européen en 2014, dans des parlements régionaux, et en 2017, pour la première fois depuis 1951, au Bundestag avec 90 députés, conservés en 2021.

L’AfD compte autant de députés que le RN en France, mais la maladie démocratique n’est pas aussi avancée que la septicémie française.

Ce phénomène s’accompagne d’un effondrement des effectifs militants dans les partis comme des effectifs syndicalistes. L’ensemble des corps intermédiaires s’affaiblissent.

L’Allemagne cependant n’a pas eu l’histoire conflictuelle de la France entre 1945 et 1968 : pas de guerre de décolonisation, pas de guerres civiles larvées, pas de tentatives de coup d’État militaire, et une stabilité constitutionnelle autour d’un régime parlementaire.

Les institutions ont mis du temps à s’extraire de personnels formés – et souvent adhérents – sous le nazisme. Mais depuis, elles sont plus solides qu’en France pour limiter le pouvoir exécutif et maintenir le respect du droit et des libertés fondamentales. Cependant, l’Allemagne est aujourd’hui mûre pour une aventure populiste. La crise de l’énergie ne touche pas que l’industrie, mais tous les ménages.

Au début du mois d’octobre, le Land de Basse Saxe, où se trouve Volkswagen, mais aussi les grands éleveurs et abattoirs allemands, l’ancien bastion de Schröder, a voté. Les deux grands partis, SPD (-4%) et CDU (-8%) ont continué de reculer. Les deux partis en progression sont les Verts (15%) et l’extrême droite (11,5% et +5%). Si le SPD peut conserver la présidence du Land dans une coalition avec les verts, les libéraux du FDP ont été éjectés du parlement.

Les Libéraux en tirent la leçon que la coalition nationale au Bundestag ne les sert pas. Le 17 octobre, ils ont poussé la coalition au bord d’une crise existentielle en exigeant l’investissement dans le nucléaire. Le chancelier Scholz a donc tranché la poire en deux entre Verts et Libéraux.

Un gouvernement Scholz affaibli

Les sondages nationaux sont très mauvais pour la coalition, avec une droite menée par un ultra-libéral populiste, Merz, dénonçant un “tourisme social des réfugiés ukrainiens” – un million d’Ukrainiens se sont réfugiés en Allemagne, et les classes populaires allemandes, qui avaient déjà vues en 2015-2016 l’État mobiliser d’importants moyens pour accueillir un million de réfugiés venus du Proche Orient se demandent bien pourquoi ces moyens n’existent pas pour améliorer leur propre situation matérielle – et une extrême droite AfD à plus de 15%.

Or, Scholz est vulnérable : une enquête judiciaire pourrait le lier au scandale Warburg, nom de la banque de Hambourg, ville dont il fut maire, qui a fait déjà tomber le député et chef de l’aile droite du SPD Kahrs.

L’échec moral du mercantilisme merkellien allemand

Wandel durch Handel”: La transformation par le commerce. Le mercantilisme, et la foi dans le commerce comme moteur des transformations positives des relations entre États et Nations, sont autant au cœur de la construction européenne que de la politique allemande, notamment d’Angela Merkel entre 2005 et 2021.

Aujourd’hui, le patron du SPD Lars Klingbeil regrette que même son parti “ait mis l’accent sur ce qui nous reliait” – le commerce – “ et refusé de voir ce qui nous séparait” avec Poutine.

Aucun des régimes avec lesquels l’Allemagne a commercé intensément depuis 2005, cherchant l’alliance mercantile d’abord, puis des accords politiques, ne s’est développé vers des formes plus démocratiques, progressistes, ou tolérantes sur la période, bien au contraire.

Les avantages économiques tirés du commerce avec l’Allemagne ont enrichi des classes corrompues de plus en plus autoritaires.

Russie, Chine, Turquie : comparez les situations politiques intérieures entre 2005 et 2022. En 2005, Merkel explique que Erdogan est un “Musulman-démocrate” comme il existe des chrétiens-démocrates, et salue son libéralisme économique. Elle envisage un rapprochement avec l’Union Européenne. En 2016, malgré les transformations du régime et sa répression des manifestations de 2014, son implication dans les groupes islamistes de Syrie, sa lutte contre nos alliés qui ont battu Daesh, elle choisit la Turquie plutôt que la Grèce pour accorder plusieurs milliards par an pour bloquer les réfugiés, donnant à la Turquie une formidable arme de chantage.

La Chine reçoit l’essentiel des investissements économiques allemands financés par ses excédents. Ils passent de 29 milliards par an en 2010 à 90 milliards par an en 2019. Voilà des milliards qui auraient pu aider l’intégration européenne et faire de l’Allemagne ce consommateur de dernier ressort.

Les joint venture se développent. Dans le même temps, XI Jinping a engagé la répression la plus meurtrière et massive, criminelle et raciste, des Oighours, mets au pas la démocratie à Hong Kong, mets en camp les milliardaires et les leaders d’opinion des classes montantes de la prospérité Chinoise, engage une politique coloniale agressive et hostile à l’Europe en Asie et en Afrique, et finalement, après une politique AntiCovid sans aucun égards pour les conséquences sur l’économie allemande, renforce, en 2022, ses pouvoirs vers le pouvoir absolu, effaçant les ouvertures du régime depuis 1978. Les transferts de technologie et de capitaux préparent son invasion de Taïwan.

En Russie, l’Allemagne a non seulement investie en se liant pieds et poings à Poutine, pour le meilleur et pour le pire, en faisant tout pour affaiblir les sources d’énergies alternatives hors d’Allemagne au gaz russe, et en premier lieu le potentiel de la France tant pour l’électricité nucléaire que pour les pipelines venus d’Afrique du Nord où les terminaux de gaz liquide, et en décidant de sauter l’Ukraine avec les deux pipeline Nord Stream – l’Allemagne a sous Merkel toujours choisie son intérêt à court terme égoïste sur les partenaires européens – que dans l’économie russe. Le régime de Poutine lui est devenu de plus en plus autoritaire, réactionnaire, anti-LGBT, anti droits des femmes, et impérialiste, s’alliant avec Assad, avec le régime iranien, tolérant l’écrasement des Arméniens par les Azéris pour maintenir l’Arménie dans son espace de contrôle, soutenant le pourtant haï Lukashenko pour empêcher un exemple réussi de transition démocratique dans sa zone d’influence.

Entre 2015 et 2020, par exemple, l’industrie de la microélectronique allemande a investi 9 milliards par an en Chine, 2 milliards en Russie, 1,3 milliards en Turquie, et seulement, tendance à la baisse sur toute la période, moins d’un milliard en France.

Il y a quelques années, avant la pandémie, nous nous interrogions sur les raisons pour lesquelles les industriels allemands, tout occupés à pleurer à la chancellerie sur les pénuries de main d’œuvre qualifiée et les difficultés locales pour développer leurs usines, ne venaient jamais, au sein d’un espace monétaire homogène, avec une sécurité d’un droit commun et d’une compréhension du droit commun, investir en France, que la même la Deutsche Bank qualifiait d’attractive, disposant d’une main d’œuvre plutôt formée abondante.

Angela Merkel préférait les incertitudes des régimes autoritaires et les maximisations des gains économiques immédiats. Comme elle l‘a redit encore début octobre 2022, elle ne voit rien de mal à sa politique énergétique entre 2010 et 2021 car “le gaz russe était le moins cher.”

Tout est dit.

En 2020, les Chinois ont ouvert et fermé les usines construites avec des capitaux allemands comme bon leur semblaient : les propriétaires du capital n’avaient rien à dire. Le droit ne protège pas l’investisseur étranger lorsque le régime autoritaire serre les boulons.

Nous n’avons pas besoin de revenir sur la situation russe et les gigantesques transformations que l’absence de commerce imposent à l’Allemagne maintenant. C’est l’ironie tragique du “Wandel durch Handel” : la Russie maintenant transforme l’Allemagne, et non l’inverse.

Notons l’échec moral complet de Merkel : Son mercantilisme a accompagné la radicalisation des formes autoritaires et islamistes des trois partenaires privilégiés, pendant que sa politique concurrentielle en Europe a fait monter l’extrême droite partout, y compris en Suède, en Allemagne même.

C’est une débâcle économique, politique, morale, philosophique et personnelle.Le mercantilisme merkellien restera comme l’épisode le plus frappant et dramatique du triomphe de la raison stupide. Longtemps présenté en modèle pour la France, le mercantilisme merkellien se révèle être fondé sur trop de dépendances à des pouvoirs corrompus autoritaires, et par conséquent sans aucune fiabilité. L’Allemagne, en choisissant systématiquement la Russie, la Turquie et la Chine contre la France, l’Italie, l’Espagne, et la prédation de l’excédent commercial sur la coopération et la solidarité, découvre bien tard avoir été la cigale.

Scholz, la semaine dernière, a ouvert la voie, pour la première fois depuis une déclaration commune de Martine Aubry et Sigmar Gabriel en septembre 2011 laissée sans suite, à une mutualisation des dettes européens pour affronter solidairement, en coopération européenne, la crise énergétique. Ce ne fut pourtant pas le cas pendant la crise pandémique, ni pendant aucune des crises des années 2008-2020. C’est que l’Allemagne y est contrainte. Elle a besoin de la solidarité européenne qu’elle refusait par principe pendant vingt ans.

Il est donc logique que ce soit à ce moment que Grèce et Pologne relancent leurs exigences d’indemnisation pour les destructions de la seconde guerre mondiale.

Un effet d’aubaine ?

Si l’Allemagne est profondément déstabilisée, en doute profond sur les paradigmes des 20 dernières années, c’est une fenêtre d’opportunité pour la France. Malheureusement, celle-ci est gouvernée par des élites encore enivrées à la chimère opiacée d’une “amitié franco-allemande” que Merkel n’a jamais honorée.

Elle refusait encore en novembre 2015 les moyens budgétaires à Hollande pour se protéger du terrorisme islamiste, ne l’oublions jamais, ne lui pardonnons jamais.

Pourtant, jamais les visions françaises, mitterrandiennes, de l’Europe n’ont été aussi proches de trouver un terrain de réalisation. C’est le moment de pousser l’avantage, de l’exploiter sans compromis, sans pitié : Mutualisation des dettes, contrôle politique de la BCE, défense européenne sous leadership technologique et politique français, toutes ces idées pourraient être mises en avant.

Mais Macron, provincialiste tout occupé à améliorer l’argent de poche de Bolloré et Bernard Arnault, préfère cliver son opinion publique sur les retraites, l’assurance chômage, les salaires des employés de l’énergie. Quel gâchis ! Si le mercantilisme merkellien est une tragédie, le libéralisme macronien est une farce. Comme le disait Engels en 1844, il parlait de Saint-Simon, dont la vision de l’Europe continue d’inspirer justement les libéraux français, “tout ce qui en France est touché une fois par le ridicule est perdu à jamais”.

C’est exactement ce qui touche le président actuel, dans l’époque la plus dramatique depuis la chute du rideau de fer.

La République sociale européenne ?

Nous sommes attachés à une vision universaliste ancrée dans l’histoire de France. Nos révolutions ont fondé l’idée républicaine et l’espoir que celle-ci sera l’instrument de la justice sociale, avec le moteur de la fraternité pour surmonter les crises et les agressions extérieures. Ces valeurs et ces principes, autant que la méthode républicaine, sont les inspirations nécessaires pour formuler les réponses aux crises contemporaines.

Il est temps de mettre fin à l’expérience d’une union douanière allemande en confédération d’États germanique, une répétition européenne de 1834 en Allemagne.

Il est temps de porter le flambeau d’une république sociale et européenne, construite sur les principes français d’égalité et de fraternité, et non sur les principes mercantiles d’une Allemagne en échec total.

Nous avons besoin de vous !

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