« France 2030 » : un plan insuffisant et aujourd’hui la désindustrialisation se poursuit – par Marie-Noëlle Lienemann

Le président de la République annonce à grand renfort de communication un plan en direction de l’industrie à l’horizon 2030 avec un somme de 30 milliards d’euros sur 5 ans. C’est à dire sur la durée du futur quinquennat. Au final, cela fait 6 milliards d’euros par an (à comparer aux crédits d’impôt non ciblés et non conditionnés comme le CICE qui a coûté quelques 18 Mds€ en 2016 et jusqu’à 40 Mds€ pour la seule année 2019 !). Au-delà de cette somme globale au demeurant assez modeste, les crédits alloués à chaque « programme » apparaissent dans bien des cas très éloignés de ce qui serait nécessaire pour créer réellement un choc d’innovation et de réindustrialisation. De plus, aucun argumentaire précis n’est venu justifier concrètement le niveau des crédits retenus, dont on peut craindre qu’ils s’avéreront rapidement de vrais feux de paille.

6 milliards d’euros par an, cela n’est pas suffisant !

Voir loin et à une échéance compatible avec la durée de grands projets industriels n’a rien de choquant en soi. Mais ce programme décidé par l’exécutif seul a forcément un déficit de crédibilité. Or cet handicap pourrait être levé si le Parlement – après un débat sérieux avec les forces vives du pays – votait un plan précis, pluriannuel, engageant de fait bien au-delà de l’actuel locataire de l’Élysée une telle perspective. Ce serait d’ailleurs l’occasion de réinventer la planification à la française – on notera le silence et l’absence de François Bayrou, le fantomatique « Haut-Commissaire au Plan ». Au demeurant, il serait éclairant que l’exécutif nous explique comment ces crédits seront activés, lui qui ne s’oppose jamais aux contraintes que la commission européenne impose à notre politique industrielle (ou ce qu’il en reste), ce qu’il faudrait pourtant faire notamment concernant la très mauvaise directive « aides d’État ».

Cette annonce d’Emmanuel Macron n’échappe pas non plus, du point de vue budgétaire, à l’éternelle « entourloupe » par laquelle les sommes conséquentes ne sont pas valables pour l’immédiat et les premières années. Ainsi pas plus de 4 milliards d’euros seulement devaient être inscrits à la prochaine loi de finances. Et comme d’habitude on reporte aux dernières années du plan présenté, d’hypothétiques inscriptions budgétaires.

Et pendant ce temps-là, le gouvernement laisse fermer des usines, partir des industries, racheter nos savoir-faire…

Dans tous les cas, ce plan « France 2030 » ne peut seul faire office de stratégie de réindustrialisation, de politique industrielle, alors que le gouvernement continue à laisser fermer ou partir nos industries. Il y manque au moins deux volets…

Le premier serait une action défensive pour s’opposer aux prédateurs, aux menaces de délocalisation et de fermetures des usines et activités industrielles dans nos territoires. Or hélas ce mouvement continue ses dégâts sans réaction suffisante des pouvoirs publics. Les exemples sont nombreux malheureusement : le site de production de moteurs de fusée ArianeGroup à Vernon dans l’Eure ; les bouteilles d’oxygène Luxfer en Auvergne (en pleine pandémie) ; Technip, spécialiste des forages en haute mer… ce ne sont que les exemples les plus récents et les plus marquants, sans parler de la bérézina Alstom/General Electric !…

De la même façon, nulle politique publique n’accompagne suffisamment les relocalisations (l’exemple des masques est hélas caricatural de cette incurie) ou les mutations de process de production dans les secteurs et entreprises existantes (mutation des sous-traitants de l’automobile, accélération de la numérisation, économie d’énergie, etc.) comme l’accompagnement de nos PMI et ETI (notamment l’accès au capital et au crédit) qui sont encore aujourd’hui souvent freinés dans leur développement.

La réindustrialisation doit concerner TOUS les secteurs !

Des plans de filières, secteurs par secteurs (et dans tous les secteurs), doivent être préparés avec les acteurs concernés – au premier chef, les partenaires sociaux –, tant pour favoriser les mutations indispensables qu’envisager les relocalisations, en réorientant toute une série d’interventions publiques (allégement de cotisations, CICE, crédit impôt recherche, amortissements pour modernisation, etc.), des financements dans la recherche, la formation, des commandes publiques, aides aux exportations…

Oui la réindustrialisation de notre pays exige d’importants efforts, un travail de longue haleine mais aussi une mobilisation permanente dans presque tous les domaines.

Une de nos faiblesse est d’avoir trop souvent misé sur quelques secteurs (dont le nombre s’est au cours du temps réduit comme peau de chagrin) et négligé un tissu varié de production.

Une mobilisation générale, un développement des compétences qui soit associer les salariés !

La logique du Made in France, les opportunités du numérique, l’enjeu des circuits courts et de l’économie circulaire doivent permettre en lien avec les régions, les territoires de faire émerger des PMI set ETI qui ont toujours été un maillon faible de nos industries.

Tous ces enjeux doivent mobiliser le pays, les partenaires sociaux, les élus locaux, la commande publique, mais aussi développer une culture plus solidaires entre acteurs économiques en particulier dans nos territoires. Dans certains d’entre eux cela fonctionne mais trop rarement.

Enfin, il y a un énorme défi de ressources humaines. Il nous faut former davantage d’ingénieurs qui ont confiance dans l’engagement industriel durable du pays, des entrepreneurs mais aussi des salariés, de différentes qualifications, formés, compétents, motivés, correctement rémunérés et considérés dans un pays qui doit engager une grande mutation pour réussir le défi d’une économie mixte dans laquelle l’État intervient en bonne intelligence avec le secteur privé autour d’objectifs communs et dans tous les cas en associant les salariés.

La stratégie de relance de Renault doit être Made in France

Le groupe automobile français Renault a annoncé ce matin qu’il dévoilerait, jeudi 14 janvier 2021, sa feuille de route pour affronter la révolution du secteur automobile. Le groupe devait d’abord présenter, mardi 12 janvier, ses chiffres de vente mondiales pour 2020, une année marquée par une chute inédite des ventes de voitures liée à la crise sanitaire. En France, le groupe a ainsi vu ses ventes de voitures particulières dévisser de 24,9%, selon le comité des constructeurs français, à 412.000 exemplaires et 25% de part de marché.
La crise a frappé un groupe qui était déjà en difficulté. La firme au Losange a annoncé fin mai 2020 un plan d’économies de plus de 2 milliards d’euros sur trois ans, prévoyant quelques 15.000 suppressions de postes dans le monde, dont 4.600 en France.
L’annonce de cette nouvelle feuille de route du groupe automobile est donc un moment important pour permettre que « Renault sorte de la salle des urgences » selon l’expression d’un des représentants syndicaux de l’entreprise.
Face à la crise sanitaire et économique que nous subissons encore et qui préfigure vraisemblablement des modifications structurelles à long terme des habitudes de consommation des Français et de notre tissu industriel, il est important que les orientations prises par l’un des principaux groupes industriels français soient cohérentes avec l’intérêt national et celui des salariés français – au premier rang desquels ceux du groupe concerné. Or l’État est (encore) actionnaire à hauteur de 15% de l’ex-Régie et qu’il lui a accordé en mai dernier une aide massive, via sa garantie sur un prêt bancaire de 5 milliards d’euros (PGE). À l’époque nous avions défendu l’idée qu’une prise de participation au capital de l’entreprise serait préférable à un PGE, afin que l’entreprise n’accumule pas de dettes supplémentaires mais consolide son capital. Nous considérons d’ailleurs toujours qu’alors que notre pays doit s’engager dans une transition écologique, écologique et industrielle radicale il est souhaitable que l’État se dote des leviers nécessaires pour piloter une indispensable planification écologique. Le choix de peser dans le capital de Renault et d’Air France (la compagnie aérienne avait reçu un PGE de 7 Mds €) aurait constitué un pas utile dans cette direction.
Un comité central social et économique (CCSE), puis un conseil d’administration (CA), sont convoqués mercredi 13 janvier 2021 au soir, à la veille de la présentation de M. Luca De Meo, directeur général du groupe.
Nous considérons donc que l’État doit engager de toute urgence des discussions avec la direction de Renault avant le CCSE et prendre des mesures pour s’assurer de la construction en France de ces nouveaux modèles électriques enfin de garantir la pérennité des sites industriels du groupe Renault dans notre pays et engager ainsi une nouvelle phase de créations d’emplois.

Veolia-Suez : une fusion négative

Une profonde transformation du paysage des entreprises du secteur de l’eau, des déchets et de l’économie circulaire est en cours. C’est un secteur clef pour notre souveraineté nationale et pour la vie quotidienne de nos concitoyens. Or cette transformation s’est jouée en quelques jours dans un Monopoly capitalistique, face auquel la puissance publique s’est montrée impuissante.

Cette situation est d’autant plus inacceptable que l’État détient 23,64 % du capital d’ENGIE et 34,3 % des droits de vote théoriques. L’intervention et la vigilance publique étaient d’autant plus nécessaires que les activités concernées impactent la gestion de Biens Communs.

Voilà des mois que Bruno Le Maire est moqué sur les réseaux sociaux avec le mot-dièse #BrunoDemande ; la parole de l’État en matière industrielle a donc atteint un niveau de démonétisation terminale : ses admonestations à ne pas se précipiter dans cette affaire, tout en en soutenant de manière contradictoire l’intérêt, ont donc fini « en eau de boudin » : les instances d’ENGIE ont fini par accéder à l’exigence de VEOLIA avec le soutien des représentants CFDT. Cette démonétisation est d’autant plus dramatique que la parole du ministre de l’économie fut tout au long des négociations sapée par celle de l’Élysée. C’est la conséquence d’un déséquilibre institutionnel donnant plus de pouvoir à un fonctionnaire au cabinet présidentiel qu’à un ministre, qu’on avait déjà observé lorsque le secrétaire général adjoint Macron sapait les efforts du ministre Montebourg sur le dossier des hauts fourneaux.

Le rachat de Suez par Veolia aboutira de fait en France à la constitution d’un grand monopole privé dans la gestion de l’eau et des déchets. Or, s’il y a situation de monopole – surtout dans ce secteur –, celui-ci doit être public. Et si tel n’était pas le cas, il était préférable qu’il existe une concurrence saine entre entreprises françaises capables d’organiser une stimulation positive plutôt qu’une compétition destructrice.

Mais plus encore, la logique qui sous-tend le projet de Veolia conduira à court et moyen termes à l’introduction d’opérateurs étrangers qui occuperont l’espace de la libre concurrence. Tous les exemples précédents démontrent que cela aboutit à un accroissement significatif de la pénétration des entreprises étrangères en France. Cela ne sera pas sans conséquences négatives sur nos recettes fiscales, sur l’emploi et les conditions sociales des salariés français de ces entreprises et enfin sur la maîtrise technologique et la Recherche & Développement (car Veolia pour respecter les règles de la concurrence se séparera d’une partie des activités de Suez à l’international qui avait permis à cette société de construire des coopérations mondiales dans ce domaine).

Toute cette affaire pose donc une grave question de souveraineté nationale :

  • d’une part, une pénétration accrue de notre marché par des sociétés étrangères ;
  • d’autre part, et paradoxalement, une mise à mal des synergies qu’ont su construire Veolia et Suez entre activités nationales et internationales, en particulier en matière de développement technologique.

Ce regroupement aura des conséquences négatives pour l’emploi, que ce soit pour les fonctions « support » nationales ou régionales mais aussi dans les agences locales.

Il fait enfin porter un risque important sur la nécessaire diversité des solutions à mettre en œuvre dans le domaine de l’économie circulaire, où un modèle unique pourrait s’imposer, en choisissant de privilégier un modèle hyper-mécanisé et spécialisé, plutôt que de le faire cohabiter avec des centres locaux, plus diffus, plus mixtes mais dont le spectre des produits traités est plus large. Or ce sont des choix majeurs sur le chemin pour engager la transition écologique, pour favoriser l’emploi et les compétences, et pour soutenir le développement local.

La Gauche Républicaine et Socialiste exprime donc son opposition à l’absorption de Suez par Veolia. Elle défend l’idée qu’il ne saurait être possible d’imposer un monopole privé sur la gestion de l’eau et des déchets, tout monopole en ces matières ne pouvant être que public. Enfin elle promeut le retour à une véritable politique industrielle de la France, totalement abandonnée depuis 2014, qui seule peut stopper la désindustrialisation, permettre les relocalisations et engager notre pays vers des stratégies d’avenir en lien avec la nécessaire transition écologique. Il sera du devoir du prochain gouvernement de gauche de nationaliser le nouveau groupe, dans le cadre d’une stratégie offensive de reconquête industrielle.

Le coût du travail n’existe pas !

Il n’y a plus de véritable politique de l’emploi en France.

Celle-ci se confond depuis maintenant de nombreuses années avec l’idée simpliste qu’il suffirait de baisser les coûts de production pour que le taux de chômage diminue. On assiste ébahi à un empilement de mesures visant à réduire le « coût » du travail (CICE, Pacte de responsabilité etc.) sans que cela ait le moindre effet pérenne sur le marché de l’emploi.

Cette non-politique a en revanche des conséquences directes et franchement absurdes sur notre appareil productif : multiplication des plans de réductions des effectifs, recours excessifs à la sous-traitance, développement d’emplois atypiques favorisant la précarité (CDD, interim, etc.).

Plutôt que de continuer dans cette voie la crise actuelle nous fournit l’opportunité d’entamer une bifurcation digne de ce nom, de rompre avec l’idée malsaine et faussée selon laquelle le travail est un coût qu’il faut baisser.

Rappelons-le, le travail n’est ni un coût ni une marchandise comme les autres.

Il est un investissement et constitue, au même titre que la monnaie, l’une des conditions indispensables de l’échange économique. Parler du coût du travail a donc aussi peu de sens que de parler du coût de la monnaie et est révélateur du renversement sémantique à l’œuvre depuis 30 ans qui vise à culpabiliser les travailleurs.

Leur précarisation croissante n’a par ailleurs jamais été une solution au chômage de masse. Au lieu de favoriser l’émergence d’un cercle vertueux dans lequel l’efficacité économique serait directement corrélée à la stabilité de l’emploi et à une revalorisation des salaires, les partisans de la « flexisécurité » pratiquent la dynamique inverse et créent de véritables trappes à pauvreté desquelles il sera particulièrement complexe d’extraire les travailleurs précarisés.

L’enjeu est donc de taille : il ne s’agit rien de moins que de construire une nouvelle stratégie économique orientée vers une véritable transition sociale et écologique dont les deux piliers seraient l’investissement dans des emplois de qualité et la réduction du temps de travail.

Contrairement donc à l’idéologie libérale, la baisse d’un prétendu « coût » du travail ne constitue pas un levier d’action adéquat. Une politique de l’emploi digne de ce nom ne pourra jamais se contenter d’une telle chimère ; elle doit se construire sur une série d’instruments allant de la politique industrielle au marché du travail en passant par l’éducation et la formation professionnelle. Et tous ces instruments doivent être animés par un objectif partagé : celui d’un appareil productif qui valorise des emplois plus qualifiés et de meilleure qualité.

L’urgence sociale et écologique nous force à tourner la page d’un hyperproductivisme low-cost qui ne survit que par la compression des coûts et la précarisation des travailleurs. La crise sanitaire du Covid-19 a d’ailleurs fait rejaillir le problème fondamental de l’utilité sociale des emplois :

comment ne pas s’insurger devant le traitement réservé à celles et ceux qui ont fait tourner le pays pendant ces deux derniers mois (personnels hospitaliers, ouvriers du bâtiment, travailleurs des services publics, conducteurs de métros et de bus etc…) ?

La question de la répartition du travail se pose également avec une intensité croissante.

Révolution numérique et persistance du chômage nous mettent face au défi de trouver une configuration du marché de l’emploi qui ne soit excluante pour personne. Le risque d’une société à deux vitesses où cohabiteraient des citoyens intégrés par le travail et d’autres vivant à sa marge existe bel et bien et montre l’impérieuse nécessité de relancer une dynamique d’aménagement et de réduction du temps de travail.

Faire le pari de l’emploi c’est également viser sa juste répartition :

le passage au 39h a entraîné la création de 145 000 emplois sur trois ans, avec les 35h il s’agit de 350 000 sur quatre ans. Certes la réduction du temps de travail n’est pas une fin en soi, elle doit s’accompagner d’une réflexion plus large sur la place du travail dans notre société, il n’en reste pas moins qu’elle constitue une politique de l’emploi redoutablement efficace quand elle est bien menée.

Face à la faillite sociale, économique et écologique du néolibéralisme il est encore temps d’engager nos politiques de l’emploi vers un futur plus souhaitable et soutenable, vers une vision qualitative de la production économique qui soit respectueuse des travailleurs et de l’environnement.

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