Reprendre la main en France et en Europe : notre feuille de route pour les élections européennes

La Gauche Républicaine et Socialiste a choisi de s’engager avec la liste de rassemblement conduite par Léon Deffontaines aux élections européennes du 9 juin prochain.

Pour se mettre enfin au service des peuples, l’Union européenne doit profondément changer. Son orientation néolibérale, son austérité budgétaire, la concurrence et le libre-échange généralisés, sont des échecs cuisants. Depuis la crise de 2008, l’Europe décroît économiquement et technologiquement face à la Chine et aux États-Unis, qui eux, soutiennent massivement leur industrie. Les inégalités se creusent en son sein et la pauvreté atteint des sommets.

L’Europe a besoin d’un autre logiciel. Au lieu de tout centraliser à Bruxelles, elle doit redonner des marges de manœuvre aux États, qui sont les mieux placées pour organiser et relocaliser la production, réaliser les grands travaux nécessaires à la transition écologique, développer les services publics et garantir notre souveraineté industrielle, énergétique, alimentaire et culturelle.

L’Europe qu’attendent nos concitoyens n’a pas vocation à dépouiller les États de leurs prérogatives, particulièrement en matière de politique étrangère et de défense. Notre priorité pour les années qui viennent, c’est le développement économique et la cohésion sociale, et pas un nouvel élargissement qui ne permettrait qu’accélérer les délocalisations et rendre l’Union politiquement ingérable.

Chacun sait que les projets qui seront défendus par d’autres partis de gauche ne peuvent pas s’agréger  : les écologistes (EELV) et le Parti socialiste s’entendent sur un nouveau saut fédéral ; le groupe S&D a validé un nouveau pacte budgétaire qui perpétue l’austérité ; la majorité des écologistes européens ne semble guère préoccupée par la question agricole (ils ont voté pour le traité avec la Nouvelle Zélande) ; la France insoumise défend – avec les écologistes – une ligne décroissante qui frappait en premier les classes populaires, s’entête à vouloir sortir du nucléaire alors que l’urgence est d’en finir avec le charbon, le gaz et le pétrole, et de De manière inexplicable, refuser les grands projets d’infrastructures fluviales et ferroviaires. Sur l’Europe, l’idée d’une liste unique n’a donc aujourd’hui pas de sens.

La liste conduite par Léon Deffontaines propose pour sa part une forme inédite de rassemblement  : aux côtés de candidats communistes reconnus comme André Chassaigne, Hélène Bidard ou Fabien Roussel, nous comprons de nombreux camarades de la GRS avec Emmanuel Maurel (en 3 e position) ou Sophie Camard mais aussi de L’Engagement, des Radicaux de Gauche (LRDG) et d’anciens insoumis.

Mais c’est surtout l’alliance avec les représentants des travailleurs qui apportent sa singularité à notre rassemblement, avec Sigrid Gérardin (en 2 e position) du Snuep-FSU, Fabien Gache ancien leader CGT-Renault du Mans, Marylène Faure de la CGT -énergie ou encore Manon Ovion, syndicaliste CGT qui a mené la grève victorieuse chez Verbaudet.

Notre rassemblement aux élections européennes propose un vrai chemin pour réconcilier les travailleurs avec la démocratie.

Conférence de presse : Reprenons la Main – 10 janvier 2024, élections européennes

L’année 2024 semble annoncer des vents mauvais et les sorties de crises peinent à se dessiner. Le 9 juin, pour le monde du travail, pour la souveraineté industrielle, alimentaire & culturelle, aux côtés du Parti Communiste Français, de L’Engagement et de représentants du monde du travail, il est temps de “Reprendre la Main en France et en Europe”.

Retrouvez ici l’intervention d’Emmanuel Maurel le 10 janvier 2024, lors de la présentation des premiers axes de la liste que nous mènerons avec nos partenaires aux prochaines élections européennes.

Monsieur le Président : renoncez !

L’Appel du 20 décembre 2023 de plusieurs associations, organisations politiques et syndicales demandant au Président de la République de renoncer à son texte sur l’immigration.

Monsieur le Président, Ce soir, à l’occasion de votre intervention télévisuelle, nous vous demandons solennellement de prendre la seule décision qui vaille : vous devez renoncer à une loi qui porte une atteinte fondamentale aux valeurs de notre République et qui, au-delà de fracturer votre propre majorité, va fracturer notre pays.

Vous avez été élu et réélu face à l’extrême droite. Vous vous étiez même posé en ultime barrage contre les idées du Rassemblement National. C’est la raison pour laquelle de très nombreux Français ont voté pour vous, non par adhésion à votre politique, mais pour éviter le pire.

Mais hier soir, une digue a lâché. Loin de régler quoi que soit aux désordres du monde, à l’exil face aux guerres et au changement climatique, à la crise de l’accueil et ses conséquences, la loi sur l’immigration adoptée hier, la plus régressive depuis des décennies, consacre la préférence nationale, remet en cause le droit du sol et les droits fondamentaux affirmés dans le préambule même de notre constitution, issu du Conseil national de la résistance. Le texte voté est un désastre moral, une trahison de notre Histoire, de ce qu’est notre pays et l’esprit des Lumières, et une reddition devant l’extrême droite qui peut légitimement évoquer une victoire idéologique.

Nous, forces politiques, syndicales, associatives, ne nous résignons pas. Nous sommes là pour résister à l’arbitraire et à l’inhumain. Nous appelons l’ensemble des organisations de la société civile, toutes les forces progressistes et républicaines à agir face à cette attaque majeure contre notre République et sa Constitution, et à construire ensemble des initiatives dans les jours et les semaines qui viennent.

Monsieur le Président : renoncez !

Signataires :

Associations et syndicats : ATTAC, ANVITA, Confédération paysanne, Confédération Générale du Travail, CRID, Droit Au Logement, EMMAUS France, Fédération Syndicale Unitaire, Jeune Garde, MRAP, Les Amis de la Terre, Ligue des Droits de l’Homme, SOS Racisme, Union étudiante, Union syndicale Lycéenne

Partis politiques : La France Insoumise, L’Engagement, Les Écologistes – EELV, Les Radicaux De Gauche, Génération·S, Gauche Républicaine et Socialiste, Mouvement Républicain et Citoyen, Parti Communiste Français, Parti de Gauche, Parti Radical de Gauche, Parti Socialiste, Place Publique, REV.

La question fondamentale, c’est “Où on produit ? Qu’est-ce qu’on produit et que veut-on produire ?”

Vendredi 25 août, Emmanuel Maurel participait au débat organisé à Blois pour les universités d’été du Parti Socialiste « Climat, fins de mois, mêmes combats ? ».

L’occasion de rappeler que, pour agir de pair pour la Justice sociale et la transition écologique, il était indispensable de travailler à son acceptabilité sociale pour faire reculer les forces du « grand refus » qui marquent aujourd’hui des points…

Et surtout la nécessité d’agir sur nos modes de production, nos conditions de production contre le libre-échange morbide du capitalisme et le choix de ce que l’on veut produire. Une source de combats communs essentiels pour la gauche française, si elle le veut.

Les autres participants au débat étaient Sébastien Vincini, Sophie Taillé-Polian, Elsa Faucillon, Benoît Hamon, Marie Toussaint et Aurélie Trouvé ; il était animé par Chloé Ridel.

« Tant d’autres choses encore » là tu me surprends un peu quand même. Bon, c’est « vendredi confessions », c’est comme les alcooliques anonymes : « oui j’ai longtemps été militant socialiste », comme Benoît [Hamon] « ça fait longtemps que je n’ai pas parlé devant les socialistes, je suis très ému » et en plus c’est vrai.

C’est un sujet qui est absolument passionnant et qui devrait faire la Une de l’actualité aujourd’hui.

On peut regretter d’ailleurs, puisqu’on parlait du rapport de la gauche et des classes populaires, on peut regretter que parfois la gauche ait un peu trop tendance à se regarder le nombril et à s’interroger sur des sujets un peu secondaires voire picrocholins, plutôt que parler de ce qui aujourd’hui interpelle et inquiète les Français, c’est-à-dire l’inflation, la rentrée scolaire qui s’annonce mal et bien sûr la guerre, les questions écologiques auxquelles ce débat est consacré.

Moi je pense qu’on est tous – et je crois que ça a été dit par Aurélie [Trouvé, députée LFI] –, on est tous aujourd’hui à peu près d’accord sur le « logiciel écosocialiste ». On pense qu’il ne faut pas séparer le combat social du combat écologique, on pense qu’en effet les pauvres sont les plus concernés par la pollution, et donc nécessairement la transition écologique s’accompagne de mesures sociales.

J’ai même envie de dire qu’on est tous d’accord, les socialistes compris – surtout quand ils sont dans l’opposition – pour dire qu’on se mobilise contre l’extension de la société de marché qui a une logique de prédation, une logique d’exploitation, une logique d’hyper consommation qui révèlent la nature profondément morbide du capitalisme. ça on est tous d’accord.

Et donc on est tous d’accord forcément sur le fait que si on fait la transition écologique ça ne peut pas aller à l’encontre de la justice sociale.

Est-ce que majoritairement dans le pays on est d’accord là-dessus ? Je n’en suis pas sûr. Je n’en suis pas sûr pour plein de raisons.

D’abord il y a – Benoît y a fait allusion dès le début – il y a les forces du « grand refus ». C’est-à-dire les gens qui, contre le réel, continuent à affirmer que ça peut continuer comme aujourd’hui et qu’on peut continuer à vivre comme aujourd’hui – tu parlais de Trump mais Trump c’est la version exacerbée de ce phénomène – mais c’est George Bush, dès la conférence de Rio, qui avait dit cette phrase qui a été reprise après par les différents présidents républicains, “notre mode de vie n’est pas négociable”. Si tout le monde vivait comme les États-Unis ça ferait 5 planètes, mais « ce n’est pas négociable ». Et donc on a en face de nous des gens qui sont dans un déni de réalité assez stupéfiant. Et pourtant, ils marquent des points !

Je ne vous parle même pas du délire climato-sceptique qui a envahi les réseaux sociaux depuis quelques mois maintenant, mais ils marquent des points avec leurs épigones européens. Regardez le programme de l’AFD en Allemagne, l’extrême-droite allemande, elle reprend exactement le programme de Trump, avec la négation totale de la question écologique et le refus des politiques européennes en la matière.

Mais c’est le cas aussi du FN. On n’a pas parlé du RN depuis tout à l’heure mais ils ont, il y a trois jours, fait une conférence de presse sur ce qu’ils appellent « l’écologie du bon sens ». Il n’y avait pas beaucoup d’écologie et encore moins de bon sens. Mais, n’empêche, eux, ils ont bien vu qu’il y avait un sillon à marquer et ils ne vont pas nous lâcher là-dessus et c’est pour ça que l’adversité elle est quand même forte.

Et elle est forte d’autant plus qu’il y a parfois, y compris dans les classes populaires, même si ce qu’a dit Elsa Faucillon [députée PCF] à l’instant est très important. D’ailleurs ça me faisait penser à une ministre macroniste qui avait dit « les pauvres, ils sont dans la sobriété subie ». C’est nier complètement la conscience politique des pauvres et toute façon c’est bien ils étaient déjà dans un mode de vie écolo parce que de toute façon ils n’avaient pas le choix. Non évidemment ce n’est pas le cas.

Mais je reviens sur ce qu’a dit très fortement Sébastien [Vincini, président PS du Conseil départemental de Haute-Garonne] parce que c’est important. Il y a eu des moments, on va dire, de perception un peu décalée. Par exemple au moment de la taxe carbone on a eu beaucoup de gens – et c’est la naissance du mouvement des « Gilets Jaunes » – qui étaient en désaccord avec la façon dont c’était fait et la façon dont c’était présenté.

De la même façon, sur les ZFE [Zones à Faibles Émissions] c’est un sujet qu’on devra affronter et que les élus affrontent dès maintenant.

Je vois par exemple en Île-de-France, il y a une perception, un ressentiment de certains habitants de Grande banlieue, qui n’ont pas d’autre choix que prendre leur voiture au diesel et qui ont l’impression qu’ils vont être sanctionnés pour ça.

Et ça il faut le prendre en compte, parce que dans le livre de Bruno Latour, auquel vous faites allusion qui est en effet un livre passionnant, il parle quand même de ça. Il dit qu’il faut prendre en compte ce ressentiment, ces appréhensions, parce que l’acceptabilité sociale des politiques écologiques c’est fondamental. C’est très important.

Il y a une deuxième chose – Elsa faisait référence à « l’imaginaire » – et en effet, lors de sa campagne présidentielle, Benoît Hamon avait dit « on élabore ensemble un imaginaire puissant pour un futur désirable. » Je sais pas si tu te souviens, Benoît … tu t’en souviens sûrement ! Mais c’était très juste ! Sauf qu’on a en face de nous aussi un imaginaire très puissant, ce n’est pas seulement l’imaginaire droitier auquel il était fait allusion, c’est l’imaginaire de la société de consommation, les grosses bagnoles, la « fast fashion », la mode pas chère, les posts sur Instagram – je rappelle que tous ceux qui postent sur Instagram des photos de bouffe, ça consomme l’équivalent de deux centrales nucléaires par an !

Donc tout ça, c’est l’imaginaire de la société d’hyper consommation capitaliste, c’est pas toujours facile à affronter.

Donc moi je pense, parce que le futur désirable c’est une société sobre et décente, on a un gros boulot de bataille culturelle. C’est assez facile de s’attaquer au mode de vie des riches, parce que ça, évidemment, c’est tellement caricatural, arrogant, mais pour d’autres choses à mon avis c’est plus dur.

Consommer autrement, mais aussi produire autrement !

Moi, c’est ça dont je voulais parler aujourd’hui, parce que la question pour moi qui est fondamentale : c’est où on produit et qu’est-ce qu’on produit, qu’est-ce qu’on veut produire !

Et là, j’en viens à l’Europe parce que c’est un bon exemple…

En Europe, on vote – dans l’allégresse et dans l’enthousiasme – plein de textes pour « écologiser » les politiques européennes : le Green New Deal, le Net Zero Industry… Sylvie Guillaume [eurodéputée PS] est là … il y en a plein d’autres, tu pourrais m’aider toi [Marie Toussaint, eurodéputée EELV] parce que tu les connais tous… On vote tout ça et on se félicite parce qu’il y a une diminution des gaz à effet de serre depuis quelques années. Et on dit « l’objectif c’est moins 55%, c’est formidable on va y arriver ».

Sauf que pourquoi il y a une baisse des émissions de gaz à effet de serre en Europe ? C’est parce qu’on les a totalement délocalisées ! Le symbole de la mondialisation c’est le porte-containers ou le camion. C’est-à-dire qu’en fait on a exporté notre pollution, et ça continue !

Parce que c’est ça le problème, cette hypocrisie que je veux dénoncer : ça continue !

Je vais donner 3 exemples.

Premier exemple du « ça continue », on vote le Green New Deal. On dit « l’Europe va être un continent vertueux au niveau écologique », on s’adresse aux classes populaires « vous allez voir ce que vous allez voir en termes de production et de consommation », et en même temps on est en train de négocier, voire de voter – et j’attends de voir, là pour le coup ça peut être un combat commun pour la gauche française, là c’en est un –, en même temps on va voter un accord de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande ! On a un pays qui est à près de 20 000 bornes de l’Europe mais on veut importer toujours davantage – quoi ? – de l’agneau et du lait ! Je m’excuse mais, ça, c’est le symbole de l’absurdité libre-échangiste du système capitaliste.

Ça c’est la première chose.

Je veux donner un deuxième exemple : on est super content parce qu’en Europe on a de plus en plus de photovoltaïque… sauf qu’on a pris du retard et 90% des panneaux photovoltaïques ce sont des panneaux chinois. Pourquoi ? parce qu’au nom de la « concurrence libre et non faussée », on n’avait pas mis de barrières douanières à l’entrée ! Résultat : l’industrie européenne du photovoltaïque s’est cassée la gueule et maintenant il n’y a que du photovoltaïque chinois. Et c’est quoi le photovoltaïque chinois ? C’est construit avec des centrales électriques à charbon, avec une empreinte carbone 50% de plus qu’un produit européen ! Là aussi on marche sur la tête.

Voilà un combat européen : on veut du photovoltaïque européen ! On veut des batteries européennes, parce que là c’est pareil, je vous l’annonce, les voitures électriques c’est super on a voté dans 10 ans on passe tous aux voitures électriques. Mais s’il n’y a pas de barrières douanières et si on ne met pas de subventions publiques puissantes pour aider les entreprises européennes, alors ça sera 100% chinois ! et pour les classes populaires, ça sera plus de chômage et ça sera des produits fabriqués dans des conditions déplorables et dégueulasses.

Voilà encore un combat commun qu’on peut mener tous, à gauche, pour justement allier combat social et combat écologique.

Dernier point et je finis là-dessus, parce que ça c’est l’actualité.

L’inflation des prix alimentaires et de l’énergie, ça vient d’un truc tellement fou, qui s’appelle le marché de l’électricité européen. Le marché de l’électricité européen quand il a été fait, il y a plusieurs décennies, on a dit « on a une super idée » – enfin ce sont surtout les Allemands qui avait la super idée – on va indexer le prix de l’électricité … sur quoi ? Sur le gaz !

Il se trouve que vous connaissez la situation : le prix du gaz explose et l’Europe n’est toujours pas capable de dire « on s’est peut-être trompé ». D’abord, l’électricité ce n’est pas forcément un marché : au nom de l’ouverture à la concurrence, on a pété EDF et on a créé des concurrents totalement fantoches qui ne produisent rien ! Mais, par contre, qui achètent de l’électricité à prix coûtant à EDF et donc ça pose des problèmes à la boîte !

Et puis surtout, la situation c’est qu’aujourd’hui on achète du gaz américain et du gaz qatari, qui coûtent 4 fois plus cher que ce que coûtait le gaz auparavant et qui, en plus, ont une empreinte carbone 2 fois plus importante.

Alors si on veut des combats à mener en Europe, au niveau de la gauche, moi je suis d’accord : Made in Europe, Made in France, sortie du marché européen de l’électricité !… Bref il y a plein de choses à faire pour concilier la justice sociale et les questions écologiques, mais il faut qu’on se bouge !

Mémoires militantes #1 – de quoi est fait l’engagement militant ?

La Gauche Républicaine et Socialiste ouvre aujourd’hui une série d’articles sur les mémoires militantes. Nous nous sommes entretenus avec Pierre Chambeux et Jean-Paul Cadeddu, militants de gauche et syndicalistes de Seine-et-Marne. Dans cet entretien, ces deux militants au parti communiste et syndicalistes à la CGT reviennent sur leur parcours.

propos par Gurvan Judas

Quand et comment est né votre engagement politique et syndicaliste ?

Jean-Paul : J’ai adhéré aux Jeunesses communistes italiennes en 1953, l’engagement était prêt, mon père était résistant et mon oncle viré de l’éducation nationale italienne car communiste. Il m’a formé politiquement. On était abonnés à l’Unita Italia, on écoutait Radio Moscou tous les soirs.

Donc j’ai évolué dans ce milieu communiste.

En 1953 j’ai mon certificat d’étude et je suis demandeur d’emploi. En Italie comme les dockers, nous étions des journaliers. Quand l’employeur voulait quelqu’un pour arroser les betteraves etc… on était désigné pour travailler pour telle personne. Le Secrétaire général était communiste et j’ai donc adhéré à ce moment. Je suis arrivé en France en 1960 dans le Nord, en tant que conducteur de machine agricole et en 1962 j’ai quitté le Nord. Ou plutôt j’ai été autorisé à quitter le Nord car à l’époque on ne pouvait pas quitter sa fédération de travail. En 1963 je suis allé en Lorraine où j’ai eu une carte de séjour chez un agriculteur.

Ensuite on demandait du monde comme mineur. Je suis donc devenu mineur dans le bureau des mines, puis il y a eu les grèves de 1963 et j’ai été gréviste. J’ai rejoint la CGT mais Pompidou nous a réquisitionné. J’ai rejoint le mouvement ouvrier en 1963 avec les grèves des mineurs. Puis j’ai quitté les mines car ma femme attendais un fils, je suis retourné dans le Nord dans le milieu agricole, puis en 1965 à Dunkerque où on a mis en place un syndicat CGT face à la CFDT, puis la section du Parti Communiste de Dunkerque. J’étais secrétaire général de cette section communiste.

Du côté flamand, il y avait peu de communistes, donc on a créé notre section avec 270 adhérents. Ensuite, j’ai été Secrétaire de la CGT dans les usines du Nord à Dunkerque, puis permanent aux métaux Paris en 1974 à 32 ans.

Pierre : À 14 ans j’étais au boulot, pâtissier, avec des horaires à n’en pas finir, un repos par semaine, je suis tombé sur un maître d’apprentissage et j’ai appris. Je suis né « révolutionnaire », en colère et à 16 ans, vues les horaires et le boulot qui était demandé pour 5 000 anciens francs, j’ai demandé une augmentation de 50 nouveaux francs. Et à cette époque, je sortais des pétrins de brioche. Mon patron avait viré le boulanger et je faisait tout. Il m’a dit « non » à l’augmentation et je lui ai mis sur la tête la brioche puis je suis parti… La colère a commencé là. Après, de patron en patron, j’ai appris plein de métiers, glacier, chocolatier, etc. Je ne voulais pas faire l’armée, je suis arrivé à Vincennes avec les crosses en l’air avec tous les journaux « révolutionnaires » : l’Humanité, Libération [NDLR : à l’époque Libération était un journal post-maoïste], Charlie Hebdo, etc. pour qu’ils me virent mais je suis parti en taule, j’ai été crapahuter et j’ai eu 6 mois de rab.

Je reviens de l’armée à 18 ans, je reprends le travail, j’ai envie de rien faire et, en même temps, je rentre à la MJC à Denfert-Rochereau.

Je fais connaissance de la CGT, du responsable, Guyeux, délégué dans le XIIème pour les éboueurs de Paris.

Je ne voulais pas reprendre le travail et il me prend en éboueur. Dans ma trajectoire de vie, j’ai toujours voulu connaître d’autres gens et métiers. À la retraite, au moment de faire le dossier, j’avais fait 53 métiers : on n’y croyait pas. C’était le plein emploi, j’ai fait des métiers par mes relations et grâce au bouche à oreille.

Je rentre aux éboueurs de Paris avec les grèves. Je me syndique à 19 ans à la CGT. Je n’était pas au PCF, mais j’allais à la MJC.

À 4 heures, je fais les poubelles. Je me suis impliqué, je deviens permanent mutualiste travailleur immigré à la Bourse du travail. J’y reste 4 ans puis j’ai continué et enchaîné les métiers. Je me suis encarté PCF puis je n’ai rien fait ensuite. Puis j’ai ouvert un restaurant. Je n’était plus syndiqué alors. J’ai déchiré ma carte du PCF devant le Maire d’Elbeuf par colère pour un désaccord. J’ai toujours été syndiqué mais il y a eu des trous. J’ai fais 53 métiers sans rien connaître.

Quand j’ai ouvert mon restaurant, des camarades de la CGT y venaient manger puis me disent ce que je vais faire et m’accompagnent. Ils m’emmènent chez Renault Créon et 3-4 mois après un mouvement de contestation, usines bloquées, boulons sur les CRS, j’ai été mis à la chaîne. Mais ça n’a pas duré longtemps, les chefs d’équipes me gavaient donc je suis resté 6 mois après le mouvement. Je ne suis pas resté et je suis parti. J’ai fait de nouvelles connaissances. Je n’ai vécu que par relations.

On m’emmène à Lyon, dans la zone industrielle pour y créer un comité d’ entreprise. On vendait des tablettes et des livres pour Noël et je fais ça. Je suis parti là-bas, je me suis refait une santé financière, 50 francs pour 3 livres, des livres de cuisine, de jardinage et des livres pour enfants en nouveau francs. J’avais Grenoble, Marseille et Lyon en secteur. J’ai fais ça 1 an, le temps d’avoir de l’argent. Puis j’ai fait de nouvelles connaissances et ainsi de suite.

Puis j’en avais marre, je vais à Paris au Sainte-Louise, je fais des soirées, je reste un an et demi, je fais connaissance d’un futur ami.

Je suis resté 9 ans et demi comme commercial aussi, je travaillais avec les marchés de la Seine-Saint-Denis. Un frère revend ses parts.

Puis je vais à Saint-Helle, je suis responsable de service technique et achat pendant 6 ans.

Je suis revenu ensuite. J’ai été syndiqué CGT ici à Coulommiers à l’Union Locale et l’Union Départementale et je travaille pendant 9 ans à la presse à Montreuil. Il ne me reste que quelques années avant la retraite.

J’ai travaillé dans la presse donc, par relation, je prends la permanence au Syndicat du livre à Auguste-Blanqui (XIIIème arrondissement de Paris) pendant 4 ans et demi, puis je suis parti en pré-retraite à 58 ans.

Votre engagement au Parti communiste allait-il nécessairement avec l’engagement syndical à la CGT, est-ce naturel ? Et quelles différences entre les deux engagements ?

Jean-Paul : Le mouvement est inverse, tu es ouvrier, exploité tu te syndicalise car l’injustice n’est pas normale, c’est contre-nature l’injustice. On veut vivre normalement. Dans l’entreprise, la réponse est le syndicalisme qui est la première marche et permet de te faire une culture et de te faire voir les choses possibles. Et chemin faisant, tu deviens militant politique quand tu comprends que l’exploitation n’est pas obligatoire, tu te révoltes contre ça. Tu protestes et te dis que le syndicalisme a une barrière. Le syndicat ne sera jamais dirigeant du pays et cela limite la démarche pour le bien être des salariés. Et tu comprends que pour faire aboutir ses revendications, il y a besoin du vote pour les représentants du pays. Donc on devient politiquement un sympathisant et on choisi un parti car dans le mouvement ouvrier, il y a plein de partis et de traditions, des socialistes, des communistes, etc.

J’ai choisi le parti qui veut changer le monde pour ne pas juste accompagner la conquête sociale comme syndicaliste. Le PC porte ta revendication et la fait aboutir par des lois. Le parti fait aboutir et conquiert des droits nouveaux et là tu décides. Le syndicalisme ne choisit pas, le politique oui.

Pierre : Quand tu étais à la CGT, ça tombait sous le sens d’être au PC car le CNR (Conseil National de la Résistance) a tout créé, il y avait des cégétistes, le PCF, ils ont tout créé : la sécurité sociale, la retraite, les colonies de vacances, etc. Il y avait des gaullistes aussi [NDLR : et des socialistes, dont notamment Daniel Mayer, responsable du parti socialiste recréé dans la clandestinité, qui ont été les principaux inspirateurs du programme du CNR quoi qu’on en dise]. La CGT a des revendications toujours reprises par le Parti communiste. Les socialistes n’ont rien créé [NDLR : les mémoires militantes sont souvent partiales, ce propos en est une démonstration]. Ça me paraît donc naturel quand on est à la CGT d’être au PC, ça tombe sous le sens par rapport à l’histoire et ce qui a été créé et détruit ensuite depuis Valérie Giscard d’Estaing.

Vous vivez dans un territoire rural avec des pertes emplois, une forte désindustrialisation dans la Vallée du Grand Morin. Des fermetures d’usines comme Villeroy-&-Boch à la Ferté-Gaucher et ArjoWiggins à Jouy-sur-Morin. Comment faire vivre votre engagement sur ce territoire rural et agricole ? Quel engagement particulier ici, quelles différences avec un militantisme à Paris par exemple ? Comment s’articule votre engagement sur le territoire ?

Jean-Paul : Quand je suis devenu permanent, j’ai quitté l’usine, je suis arrivé en région parisienne, j’ai construit une maison car mon rêve c’était une maison, pas un appartement à Champigny. Donc j’ai vendu la maison à Dunkerque et j’ai acheté un terrain à Guérard avec la même société. J’avais des rapports avec le directeur, député gaulliste, et j’ai pris contact avec lui. Je suis arrivé a Guérard et j’allais travailler tous les jours à la Fédération de Paris des Métaux à Montreuil. J’ai milité ici, j’ai adhéré à la CGT Pommeuse/Faremoutier, la cellule Ambroise-Croizat, en plus un ancien ouvrier des métaux et ministre communiste, créateur de la sécurité sociale ! Donc j’ai connu ici des communistes, j’ai cherché à m’inscrire dans la bataille du coin. J’ai connu un communiste ici. Un professeur d’histoire au lycée Jules Ferry à Coulommiers. Il y avait la Jeunesse Communiste qui faisait des fêtes aux Templiers et je me suis inscrit dans l’environnement politique du coin.

Ma responsabilité était l’industrie lourde. Je me suis inscrit de cette manière et j’ai côtoyé des personnes du coin qui militaient. J’étais CGT et PC ici, on devait rester syndiqué à notre usine d’origine mais l’usine origine était à Dunkerque… compliqué pour aller en réunion…

Donc après, avec le système ou tu pouvais adhérer où tu voulais, j’ai pu adhérer à Guérard à Cité Usine.

L’histoire est venue avec l’accession de Mitterrand au pouvoir avec les années des ministres communistes que je connaissais personnellement. J’ai été déçu par eux… Avec les histoires de l’URSS. Car il y avait dans le parti le débat sur le socialisme à la française. Le siège était à Prague pour les métaux et certains exigeaient que le siège soit à Moscou, je suis allée à Moscou pour les réunions, et ce n’était pas vraiment l’idéal communiste de faire le bonheur des gens.

Le système soviétique ça ne m’allait pas. Je l’ai déclaré publiquement et on est rentré en désaccord avec des personnes importantes. J’ai milité à la commission de la main-d’œuvre immigrée dans les années 1972-73. J’étais responsable avec d’autres copains dans le Nord et le Dunkerquois.

En 1989, on a eu un débat violent dans la Fédération des Métaux. J’ai fait l’école centrale du Parti Communiste. Parmi les gens qui, dans la Fédération des Métaux fréquentaient cette école, il y avait un débat entre être ferme et loin des masses ou ne pas être ferme et proche des masses, et je me disais comme Duclos « il faut être devant les masses mais pas trop loin devant, car les masses font l’histoire » donc j’ai démissionné de la Fédération des Métaux. J’avais 50 ans. J’avais refusé le plan social de la métallurgie, donc je pouvais partir en pré-retraite avec un salaire et je me suis dit que je n’étais pas un profiteur donc que je ne voulais pas du plan.

Avec les amis avec qui ont a eu cette réflexion, il y en a un qui est devenu eurodéputé.

On construisait des dossiers cadres industrialisation de l’Europe de l’Est. Ils ont vécu comme ça ???

Je ne pouvais pas écrire 150 pages de documents politiques. J’étais juste militant. Eux sont sortis des grandes écoles et étaient militants politiques. Moi j’étais un militant venu du milieu ouvrier.

C’était l’époque ou les pizzeria marchaient bien, donc j’en ai ouvert une. Donc je rentre dans un restaurant et le patron est sarde comme moi, de la même province. Je cherchais du boulot. Il m’a fait travailler, j’ai appris le métier puis j’ai ouvert mon restaurant que j’ai fermé en 2003. Les réunions du parti se faisaient là. Voilà comment je me suis inscrit dans le territoire.

Tu as fait beaucoup de choses !

Pierre : À l’époque, on pouvait faire plein de choses, ce n’est plus possible aujourd’hui. Ca fait 25 ans qu’on habite ici (Saint-Siméon). J’étais à Champigny, à l’amicale des locataires. J’ai crée le syndicat CGT, j’ai rencontré mes camarades, j’ai fait plein d’actions, mon implication a été a 100% ! Ce n’était plus cyclique comme avant. Ici j’ai connu Jean-Paul à l’Union Locale de Coulommiers et je me suis impliqué ici.

On a fait énormément d’actions sur le territoire !

Quelles actions avez-vous menées sur le territoire, des échecs, des réussites ?

Pierre : Des réussites mais aussi des échecs, les luttes entamées avec des camarades comme Villeroy-&-Boch, un échec. Syndicalement on a fait beaucoup.

À Bruxelles, on a soutenu l’aéronautique, dans le Nord on a eu des réussites. Mais plus d’échecs… Il y a eu des luttes grandes et importantes, des revendicatives, salariales, etc. Toutes les luttes sont enrichissantes même quand on perd, on sait qui nous a trahi comme pour Villeroy-&-Boch ou ArjoWiggins. Les élus qui ne voulaient pas que cela ferme et finalement on laissé les sites fermés. Il n’y a pas eu d’échec de notre part, ils ont voulu que tout ferme, nous on a monté des dossiers, et ils nous ont planté un coup de couteau dans le dos.

Jean-Paul : C’est la division le problème. Territorialement parlant, il y a eu 3 évidences : Les usines comme Brodart, la lutte anarchique parfois, certains voulaient faire sauter l’usine avec du gaz…

Mais s’il y a un acquis, c’est d’avoir permis aux salariés d’occuper leur poste le plus longtemps possible alors que les patrons voulaient fermer le site. Les salariés démissionnaient et on est resté pauvres dans la lutte, assez peu nombreux ; notre parti est intervenu à ArjoWiggins avec Alain Janvier, nous avons monté un dossier. À Brodart on a présenté un dossier aussi mais ils voulaient transférer l’usine à Malesherbes, donc on a retardé la fermeture de 2 ans. Mais l’objectif de l’employeur a abouti, même avec parfois 7 semaines de grèves.

Au fur et à mesure, avec les primes de départ des patrons, les employés les prenaient et on a dû mener une bataille sans soldats comme sur les piquets de grève à Villeroy-&-Boch. Il y a eu une trahison des Ministères des Finances et de l’Industrie. Villeroy-&-Boch n’aurai jamais dans la fédération des métaux !????

Dans notre démarche, en tant que syndicat de changement, on n’était pas dans l’accompagnement. Nous voulions aider les gens à avoir le maximum. On a réussi avec la création d’un centre de recherche sur l’aluminium. Ils voulaient fermer l’usine mais on a réussi à y faire travailler 50 ingénieurs. C’était une réussite mais le site est depuis parti au États-unis et a fermé…

Donc pas de victoire, mais sur la situation territorialement parlant nous sommes les seuls, le PC et la CGT, qui réclamons la réindustrialisation de la Vallée du Grand Morin : 7-8 années à mener cette bataille seuls.

Pierre : On est venu avec des projet montés !

Jean-Paul : Il voulaient diviser les salariés, on a dû fermer l’usine d’ArjoWiggins qui n’aurait jamais du être fermée. On s’est disputé avec le syndicat de l’usine. Il parlait de faire un musée, je lui dit « Tu aurais du faire un piquet de grève au lieu d’un musée, la France des musées et des cimetières industriels on en a marre ! » On a besoin d’emplois pas d’un lieu pour se souvenir.

On jette ce territoire dans les mains du RN. Comme à Jouy-sur-Morin ou la Ferté-Gaucher ou il n’y a plus d’emploi, plus de gare. Marine Le Pen à fait 60% au second tour. On parle de communes de 2 000 et 5 000 habitants où on a détruit des centaines d’emplois : 280 emplois détruits à Jouy-sur-Morin sur une population de 2 000 habitants… On détruit un territoire. À Jouy-sur-Morin, le site du Marais, l’ancienne papeterie est un bel exemple de friche industrielle. À Boissy-le-Châtel, on a fait de l’ancienne usine une galerie d’art contemporain. On aurait préféré garder les emplois. Comment après toutes ces années, ces décennies, ces échecs, faites-vous pour rester infatigables. Comment garder espoir et continuer à se battre et à retourner sur les piquets de grève ?

Pierre : Pour sauvegarder quelque chose pour notre jeunesse. Préserver le marché du travail, préserver le peu qui nous reste pour la jeunesse, qu’il y ait quelque chose et qu’ils ne finissent pas leur études et direction Pôle Emploi. C’est dans nos gènes aussi d’aider le monde du travail. Nous sommes retraités, mais il faut préserver les emplois, les salaires nous ne sommes pas là pour philosopher. C’est juste ça.

Il y aurait tellement à dire, mais pour faire court, qu’est-ce qu’un jeune peut avoir à part un emploi précaire dans la grande distribution, ou dans la logistique, payé au lance-pierre et cela même parfois avec un bac +5, 7 ou 8 ? On vous avait dit à 16 ans qu’il le fallait mais c’est fini aujourd’hui. Maintenant, c’est la logistique, les bas salaires. On se bat pour l’avenir de la jeunesse. Préserver les emplois, les salaires, le monde du travail car si on baisse les bras ça ne va pas être beau.

Jean-Paul : Je pense que l’affrontement capital/travail n’est pas éteint, et j’ai espoir. Pourquoi lutter ? Car c’est le moteur de la société, le travail va l’emporter sur le capital, c’est mon guide. Le travail deviendra majoritaire dans l’esprit de la société.

Je ne suis pas pour une société dictatoriale, une majorité de gens vont se dire un jour qu’ils sont effectivement des serviteurs du capital et ils vont vouloir être maître des affaires. Il y a des Cycles. Le RN n’est pas nouveau, Poujade avait 80 députés déjà. Mais on a connu des années où les luttes rapportaient. Aujourd’hui elles ne rapportent plus.

Pierre : En mai 68, on a eu 35% d’augmentation de salaire et cela tous milieux professionnels confondus. On n’a ruiné aucune entreprise et fermé aucune entreprise dans la fédération des métaux.

Jean-Paul : Une augmentation du Smic de 36 % !

J’ai des enfants, ils travaillent. Ma petite fille ne peut pas payer son entrée à l’École des Beaux-Arts à Paris car c’est 8 000 euros. Et les parents ont un loyer à payer de 1 200 euros… J’explique la réalité d’une société dépassée. Quand on discute avec eux de ça, ils ne viennent pas manifester ! Il devraient !

Moi je suis âgé. J’ai peur de la police, des coups de matraques. Mais ce qui me fait continuer, c’est que je suis sûr que le marxisme un jour l’emportera ! Pas comme l’URSS, et je considère le marxisme à part de la révolution armée, le vrai marxisme interviendra dans des pays formés et avancés, car les gens pauvres ont une idée de la Révolution mais ce n’est pas le marxisme. Le communisme soviétique n’est pas à l’ordre du jour, l’URSS croyait avoir réussi et regarde aujourd’hui les milliardaires en Russie, etc.

Pierre : Je suis convaincu que ce sont les jeunes qui voient la réalité des injustices dans le monde du travail. Je ne crois plus au monde d’aujourd’hui, je crois en la jeune génération c’est eux qui vont changer les choses. J’ai 3 voitures, je vis à la campagne, j’ai un loyer à payer, je ne vais pas faire grève je vais perdre de l’argent…

Mais dans les manifestations qui arrivent on va voir qui va être dans la rue, le RN n’est jamais en manifestation.

Jean-Paul : Les crises du capitalisme sont de plus en plus courtes, ça va éveiller la conscience des gens et les jeunes vont être confrontés de plus en plus aux crises du capitalisme qui veut se maintenir et va de plus en plus exploiter les gens. La jeunesse et les salariés de toute la classe des travailleurs. La classe ouvrière et tous les travailleurs qui vont au boulot, peu importe leur travail, même les ingénieurs, c’est la classe ouvrière !

Mon espoir c’est de dire que j’ai connu des crises, la crise du pétrole, etc. Mais les durées de repos du capitalisme sont de plus en plus courtes. On va demander des réformes, des mouvements vont se créer comme les « Gilets Jaunes » ou des émeutes ouvrières.

Mais l’histoire ne se répète jamais, on n’est pas en 1789. Le capitalisme est une pieuvre maléfique dont les tentacules vont continuer à nous faire mal.

En France, aujourd’hui, sans le parti communiste et la CGT, nous n’aurions pas été un pays latin, mais un pays nordique politiquement ????

Qu’est ce qui a changé dans la situation actuelle dans le militantisme et l’époque ou vous êtes engagés ?

Jean-Paul : À l’époque où je me suis engagé on partait de rien, on voulait aller vers tout, on avait un environnement qui le permettait. On a eu cette capacité d’élever au bien être des gens. Déja, on avait des emplois donc pas le besoin de beaucoup revendiquer mais si nous n’avions pas tout on continuait de revendiquer. Aujourd’hui, les gens se contentent de peu et ne revendiquent pas non plus. Le changement est là. Quand on parlait de la grève avant d’y aller, on avait des mouvements aux portes de l’usine, des centaines de personnes, on était soutenus, les gens avaient espoir. Aujourd’hui la démarche fondamentale qui amène au changement n’est plus là. Heureusement il y a le PC, car beaucoup tombent dans la collaboration sociale, comme la CFDT, etc.

Pierre : Le monde du capital et du patronat on été plus forts que nous, ils ont tout compris, il sont plus forts car à l’époque des grandes usines avec 2 500 salariés c’était plus facile de se syndiquer et d’avoir des revendications.

Le chef de l’usine et ses cadres savaient que 2 500 personnes pouvaient bloquer l’usine mais le monde du patronat et du CAC40 a tout cassé. Les usines ont été détruites, maintenant il y a plein de pôles, plus d’usines avec 2 500 personnes, maintenant c’est réparti. On a cassé les syndicats et dans toutes ces usines tu avais des partis politiques, des gens vendaient l’Humanité à la sortie.

Il y avait des cellules du PC dans les usines, des cégétistes, donc le monde du capital a tout cassé. Ils ont été plus fort, ils ont décentralisé.

On a crée l’entreprise sans ouvriers et usines…

Pierre : Ça n’allait pas encore, à l’époque par exemple la fabrication des billets de banque était un secret d’État dans un coffre fort. Aujourd’hui, ce secret a été donné aux Indiens. Ils ont détruit notre savoir-faire, ils ont été plus fort que nous, ils ont tout compris ; ils ont détruit à la CGT la cellule politique dans les usines. Aujourd’hui les centrales d’achats sont partout robotisées, avant il y avait dix personnes, maintenant trois.

La nano-technologie dans les années à venir va générer des millions de gens à la rue sans emplois et personne n’en parle. Des centaines de millions de chômeurs.

Les jeunes qui se politisent c’est très important car ils voient la réalité des choses, cette réalité.

Comment donner envie à des jeunes de continuer ce que vous avait fait toutes ces années ? Le parcours syndical, politique, ça se perd, il y a de moins en moins de gens syndiqués et encartés, surtout les jeunes Quels mots avez-vous pour donner envie aux gens, dans cette période difficile, de continuer le combat ?

Jean-Paul : Avec les camarades, on a été devant les lycées, Cormier à Coulommiers ou le lycée agricole de la Bretonnière à Chailly-en-Brie.

Il faut être près des gens, pas trop loin, leur dire que c’est possible de faire et leur démontrer que ça a été possible, trouver le moyens d’être avec eux le plus souvent possible et montrer que c’est possible car autrement il n’y a pas d’autres voie.

Dans les manifestations, on le voit actuellement entre les croyances et le passage à l’acte, ce n’est pas facile et la jeunesse à d’autres formes de préoccupation que nous avons eues. Leur faire croire que vivre heureux c’est possible, être des êtres humains dans le respect de la société, et pour soi, nous guide.

Le fait est qu’aujourd’hui, le plus grand cadeau qui peut être fait au capitalisme français, le plus mauvais cadeau qui peut être fait aux jeunes serait que le Parti Communiste disparaisse. Car demain, l’environnement sera dur, et sans perspective de se battre ça sera très difficile. Mais nous sommes faits pour vivre ensemble c’est la paix qui fait avancer. Il faut des moyens, des hommes, des militants. Personne ne naît avec la carte de la CGT et du PC dans la poche.

Pierre : Il faut s’intéresser aux choses pour l’avenir de l’emploi, le monde du travail.

Avons-nous fait assez vis-à-vis de notre jeunesse ? Les lycéens, les universitaires, les avons-nous assez impliqués, avons nous fait le job ? On a fait plusieurs actions ici au lycée Cormier, etc. Ils ne sont jamais revenus vers nous.

Ont-ils des moyens ou avons-nous fait le travail par rapport à la jeunesse du lycée ou du milieu universitaire par rapport au niveau vie, sur le plan syndical ou de la vie politique, etc. J’aurai pu, une fois que ma situation était normale avec un travail et de quoi manger, etc. ne pas manifester, ne pas me mobiliser et ne m’intéresser à rien d’autre.

S’intéresser à la politique c’est s’intéresser aux autres… c’est l’individualisme qui domine aujourd’hui, quand tout va bien on ne s’intéresse pas.

Pierre : Nous devons intéresser et mobiliser notre jeunesse à la vie sociale. Là nous aurons réussi.

C’est la vie publique, en commun et en communauté…

Pierre : On a peut-être loupé le train par rapport à ça…

Jean-Paul : Que le travail devienne un moteur de la société. On s’est battu pendant la campagne pour Fabien Roussel, mais est-ce que ça intéresse les gens ?

La trahison politique de François Hollande a renvoyé les idées de gauche dans le champ de l’utopie pour nombre de nos concitoyens

Notre camarade Rémi Lefebvre, politiste à l’université Lille 2 et essayiste, était hier 16 février 2022 l’invité de la Midinale du magazine Regards. L’occasion pour lui de présenter son livre à paraître Faut-il désespérer de la gauche ? et de décrypter pourquoi – au-delà des divisions partisanes – la gauche est si faible électoralement en prévision des élections présidentielle et législatives alors que la conscience des inégalités sociales n’a peut-être jamais été aussi fortes.

Il n’y a peut-être jamais eu depuis 40 ans une telle demande d’égalité et de justice sociale. La gauche en elle-même n’est parallèlement pas si atone intellectuellement, selon Rémi Lefebvre, qu’on veut bien le dire. Elle ne manque pas d’idées (le programme de la GRS et ceux d’autres organisations le démontrent) mais assurément manque de “médiation” pour les défendre. Les idées de gauche existent et circulent dans la société, mais elles ne se transforment pas en adhésion ou en vote pour les différentes organisations qui composent la gauche “institutionnelle”.

La crédibilité de ces idées est devenue par ailleurs problématique : les citoyens qui adhèrent intellectuellement et politiquement à ces propositions considèrent dans le même temps qu’elles ne peuvent être – la plupart du temps – mises en œuvre. Selon Rémi Lefebvre et nous le rejoignons encore ici, la responsabilité du quinquennat de François Hollande est à ce titre écrasante, car en trahissant ses électeurs par la conduite de politiques sociales-libérales ou néolibérales, il a tué l’idée de gauche, la crédibilité des idées de gauche.

La gauche n’arrive donc plus à imposer sa vision du monde, non plus à convaincre de sa capacité pratique et réelle à agir concrètement pour la mettre en œuvre. Nous devons donc mener une bataille culturelle, sans doute de longue haleine, pour rétablir l’idée que la transformation sociale, la possibilité d’un autre monde, est non seulement souhaitable mais politiquement et concrètement crédible.

Pour nous, cela passera également par la reconstruction d’un pôle puissant autour des idées de la gauche républicaine qui devra répondre en priorité aux préoccupations essentielles de nos concitoyens, notamment issus des classes populaires.

Après trois ans, notre ambition est intacte !

Cette semaine, la Gauche Républicaine et Socialiste a fêté ses trois ans d’existence… Trois années particulières car fortement marquées par deux années de crise sanitaire dont nous ne sommes toujours pas sortis. Trois années marquées également par des combats forts face à l’offensive autoritaire et néolibérale qui caractérise la présidence d’Emmanuel Macron : combat pour obtenir l’organisation d’un référendum contre la privatisation d’Aéroports de Paris, combat contre la réforme des retraites, combat contre la réforme de l’assurance chômage, combat contre les reculs incessants imposés aux libertés publiques, combat pour la levée des brevets sur les vaccins COVID, combat pour rappeler la priorité de la justice sociale et de la dignité des travailleurs qui avait été rappelée de manière pressante par la mobilisation des « Gilets Jaunes »…

Le 3 février 2019, alors que la Gauche Républicaine et Socialiste naissait des Rencontres Fondatrices de Valence, nous avions fait le pari que le Peuple français ne voulait plus se laisser conduire comme un troupeau soumis aux coups violents du macronisme triomphant… Un mouvement social dont rien n’annonçait la forme, inattendue, les modalités d’action, inédites, les mots d’ordre, divers et denses, venait de secouer le pays ! Profondément ! Le mouvement des « Gilets Jaunes », c’était bien l’effraction du réel. Il rendait visible, tout d’un coup, ce que le langage managérial, qui euphémise et déshumanise, avait jusque-là dissimulé tant bien que mal. La crise sanitaire est passée par là, elle a également douloureusement et profondément secoué le pays : les Français sont fatigués et souvent démoralisés, l’Hôpital public et tous ses acteurs sont épuisés et exsangues… nous ne parierons pas sur l’explosion de la révolte, mais elle est pourtant bien présente, elle sourde mais intense ; elle risque de se traduire par une grève civique puissante lors des élections nationales du printemps 2022, prolongement des grèves du vote précédentes. Elle se nourrit des humiliations encaissées depuis de trop nombreuses années et de la démonstration violente des conséquences terribles des politiques austéritaires et néolibérales appliquées sans discontinuer depuis 2002 : casse des services publics – au premier rang, notre système de santé – , casse de notre appareil productif – au point que notre souveraineté industrielle et alimentaire a paru vaciller –, casse de notre protection sociale…

La colère dans le Peuple de France est intense et elle est légitime. Elle doit être prise en charge et nos concitoyens méritent plus que jamais des réponses à leurs besoins et à leurs attentes. Une grande partie de la gauche ressemble aujourd’hui un personnage ivre, une sorte de Narcisse qui ne comprend pas qu’il est devenu Dorian Gray, qui se perd dans des débats accessoires et oublie les gens, leurs vies et leurs difficultés concrètes et quotidiennes. C’est là une posture dangereuse car on sait depuis longtemps que la colère d’un peuple peut être prise en charge par de mauvais génies, qui préfèrent l’attiser que la soigner pour la retourner contre des boucs émissaires dont la liste s’élargit toujours un peu plus…

En février 2019, nous nous étions engagés à renouveler l’espérance socialiste et républicaine, nous avions considéré qu’il fallait prendre le parti du vivant – face à la crise climatique et écologique, il fallait porter les couleurs de l’écosocialisme –, prendre le parti du travail – face à la mondialisation libérale et financière, nous devions renverser un rapport de force devenu défavorable –, prendre le parti de la citoyenneté et de la République – face aux entrepreneurs de la haine et de l’égoïsme, nous devions rendre aux principes de Liberté, d’Égalité et de Fraternité leur caractère concret avec le retour d’une puissance publique aux services des citoyens. Notre projet était à nouveau « la République jusqu’au bout » ! Cela n’a jamais été autant d’actualité ! Les trois années qui se sont écoulés ont démontré que cette ambition était plus que jamais nécessaire et qu’il fallait persévérer dans notre combat pour régénérer une Gauche Républicaine apte à porter les espérances de la Nation toute entière…

La Gauche Républicaine et Socialiste reste encore aujourd’hui un petit parti, elle n’a que trois ans, mais elle ne baisse pas les bras… alors que le cours du monde pourrait conduire tant d’autres à désespérer, elle persévère, elle travaille et relève le drapeau tombé à terre et oublié au milieu des querelles futiles. Notre ambition n’a pas changé, nous serons le ferment de la reconstruction d’une gauche républicaine et de transformation sociale, dont notre pays a besoin.

100 ans de Parti Communiste Français

vers une maison commune de la Gauche Républicaine ?

Depuis vendredi, le Parti Communiste Français fête ses 100 ans . C’est en effet du 25 au 30 décembre 1920 que se tint le fameux congrès de Tours qui scinda durablement le mouvement ouvrier français en deux, avec d’un côté les partisans du socialisme démocratique et de l’autre ceux du communisme tel qu’il était alors défini par Lénine et Trotski. C’était un temps d’avant les congés payés, et les formations ouvrières et socialistes devaient profiter des fêtes religieuses chômées pour organiser leurs congrès.

De la SFIO au PC-SFIC

Cette scission profonde vient à la fois de loin et fut en même temps un coup de tonnerre ; elle représente plus une puissante réplique intellectuelle, idéologique et psychologique du déclenchement de la Première Guerre Mondiale que des débats internes et anciens qui précédèrent et accompagnèrent la vie tumultueuse de la première SFIO ou même des Révolutions russes de 1917. Il fallait solder l’échec de l’Internationale ouvrière qui n’avait pas su empêcher le conflit par une action concertée, solder la trahison bien concrète du SPD – cœur du marxisme international – et, à sa suite, d’à peu près toutes les représentations parlementaires socialistes qui avaient voté les crédits de guerre puis se s’étaient engagées dans les Unions Sacrées et autres Burgfrieden.

Les conséquences démographiques de la Grande Guerre sont également déterminantes : le parti qui sort de la guerre n’a plus les mêmes adhérents et n’a plus les mêmes responsables. Jean Jaurès a été assassiné ; Édouard Vaillant, le vieux militant blanquiste, est mort en 1915 ; Jules Guesde est malade. Les effectifs militants de la SFIO ont été comme toute la société française durement frappés par l’hécatombe des tranchées ; les adhérents de 1918 sont donc plus jeunes et regardent évidemment depuis février 1917 vers la Révolution en Russie qui vient de prendre un tournant radical en novembre avec le « putsch » bolchevique.

Ces jeunes militants sont donc plus enclins à écouter les arguments de Fernand Loriot, Boris Souvarine et Pierre Monatte, principaux animateurs du courant pro-bolcheviques. Ils veulent régénérer idéologiquement et presque spirituellement un parti qui a failli comme le reste des partis sociaux-démocrates face à la guerre. Le sentiment de culpabilité et de trahison incite également des parlementaires comme Marcel Cachin à abandonner leur « social-chauvinisme » de 1914 pour retrouver une forme de pureté politique dans la transformation du parti.

Il y avait en réalité de multiples malentendus autour des fameuses conditions d’admission du parti français à l’Internationale Communiste. Ces conditions s’élevaient à 9 lors du voyage à Moscou ; elles sont portées à 21 en août après le départ des deux délégués français1 L.-O. Frossard et M. Cachin. Ces conditions, principalement rédigées par Lénine, imposent un mode de fonctionnement autoritaire, excluant tous les réformistes et imposant un soutien sans faille envers Moscou pour la révolution prolétarienne mondiale. Bien des responsables de la majorité de la SFIO, qui se prépare à rejoindre la nouvelle internationale, considèrent que ces conditions sont de pure forme et qu’ensuite le parti poursuivra sa vie : c’était sans compter la volonté des plus bolcheviques de construire non seulement un nouveau parti, mais aussi un militant nouveau et un Homme nouveau sur les décombres de la civilisation bourgeoise, et des dirigeants de l’Internationale.

C’est le 27 décembre 1920 que Léon Blum prononça son fameux discours qui restera une référence essentielle à la définition du socialisme démocratique français dans la lignée de Jean Jaurès durant plusieurs décennies. Il oppose au centralisme démocratique et la primauté des « directions clandestines » dans le parti, que veulent imposer Lénine et le parti bolchévique, la représentation proportionnelle et la démocratie dans le parti ; il oppose à la dictature du parti, avant-garde déconnectée de la réalité du peuple, sur la société une analyse de la « dictature du prolétariat » qui la rend compatible avec la démocratie représentative en tant que « dictature » de la majorité sur la minorité pour peu que cette majorité soit cohérente avec l’expression populaire ; il oppose la transformation de la société conduite par cette avant-garde léniniste, par la violence politique si nécessaire, à une transformation de la société qui commence avant la prise du pouvoir par la conquête progressive de ce qui sera conceptualisé plus tard par Gramsci comme une hégémonie culturelle, permettant la transformation économique révolutionnaire. Selon Léon Blum, le bolchevisme s’est détaché du socialisme et du marxisme parce qu’il confond la prise du pouvoir avec la Révolution, le moyen avec la fin, qu’il oriente toute sa tactique vers cette conquête du pouvoir, sans tenir compte ni du moment, ni des circonstances, ni des conséquences, parce qu’il tend vers la conservation du pouvoir politique absolu bien qu’il se sache hors d’état d’en tirer la transformation sociale. Lui qui n’était pourtant pas un intellectuel marxiste à l’origine mène durant son discours une démonstration marxiste implacable pour démontrer à quel point le Léninisme s’en détache. Blum affirme que le bolchévisme est une doctrine entièrement nouvelle et il aura de nombreux accents prophétiques dans lesquels nombreux sont ceux qui y voient l’annonce des terribles dévoiement staliniens et de l’implacable marche vers un césarisme sanglant rendu inéluctable pour contraindre un peuple qui ne voudrait plus du parti bolchévique.

« Sur tous les terrains, au point de vue doctrinal comme au point de vue tactique, [le congrès de l’Internationale Communiste] a énoncé un ensemble de résolutions qui se complètent les unes les autres et dont l’ensemble forme une sorte d’édifice architectural, entièrement proportionné dans son plan, dont toutes les parties tiennent les unes aux autres, dont il est impossible de nier le caractère de puissance et même de majesté. Vous êtes en présence d’un tout, d’un ensemble doctrinal. »

« Je ne connais, pour ma part, en France qu’un socialisme, celui qui est défini par les statuts, et qui est un socialisme révolutionnaire. Personnellement, je ne connais pas deux espèces de socialisme, dont l’un serait révolutionnaire et dont l’autre ne le serait pas. Je ne connais qu’un socialisme, le socialisme révolutionnaire, puisque le socialisme est un mouvement d’idées et d’action qui mène à une transformation totale du régime de la propriété, et que la révolution, c’est, par définition, cette transformation même. […] Révolution, cela signifie, pour le socialisme traditionnel français : transformation d’un régime économique fondé sur la propriété privée en un régime fondé sur la propriété collective ou commune. C’est cette transformation qui est par elle-même la révolution, et c’est elle seule, indépendamment de tous les moyens quelconques qui seront appliqués pour arriver à ce résultat. […] Mais l’idée révolutionnaire comporte ceci : qu’en dépit de ce parallélisme, le passage d’un état de propriété à un autre ne sera pas par la modification insensible et par l’évolution continue, mais qu’à un moment donné, quand on en sera venu à la question essentielle, au régime même de la propriété, quels que soient les changements et les atténuations qu’on aura préalablement obtenus. Il faudra une rupture de continuité, un changement absolu, catégorique. […] Cette rupture de continuité qui est le commencement de la révolution elle-même a, comme condition nécessaire, mais non suffisante, la conquête du pouvoir politique. »

« Ouvrez votre carte du Parti. Quel est l’objet que le parti socialiste jusqu’à présent se donnait à lui-même ? C’est la transformation du régime économique. Ouvrez les statuts de l’Internationale communiste. Lisez l’article dans lequel l’Internationale définit son but. Quel est ce but ? La lutte à la main armée contre le pouvoir bourgeois. »

« Quand il y a juxtaposition d’organes publics ou clandestins, à qui appartient nécessairement l’autorité réelle ? Où réside-t-elle ? Par la force des choses, dans l’organisme clandestin. Cela est fatal, et les thèses reconnaissent cette nécessité. Paul Faure vous a lu les textes : c’est toujours l’organisme clandestin qui doit contrôler effectivement l’organisme public. Comment ces organismes se formeront-ils ? Est-ce qu’à l’issue de ce congrès, après avoir nommé votre comité directeur public, vous allez procéder à la nomination du comité clandestin ? Est-ce que vous allez mettre aux voix la désignation de cet organisme ? Votre comité directeur occulte ne pourra donc pas naître d’une délibération publique de votre congrès, il faudra qu’il ait une autre origine. Il faudra que sa constitution vous soit apportée du dehors. Ceci revient à dire que, dans le Parti qu’on veut nous faire, le pouvoir central appartiendra finalement à un comité occulte désigné – il n’y a pas d’autre hypothèse possible – sous le contrôle du comité exécutif de l’Internationale elle-même. Les actes les plus graves de la vie du Parti, ses décisions seront prises par qui ? Par des hommes que vous ne connaîtrez pas. »

« Nous pensons que tout mouvement de prise du pouvoir qui s’appuierait sur l’espèce de passion instinctive, sur la violence moutonnière des masses profondes et inorganiques, reposerait sur un fondement bien fragile et serait exposé à de bien dangereux retours. Nous ne savons pas avec qui seraient, le lendemain, les masses que vous auriez entraînées la veille. Nous pensons qu’elles manqueraient peut-être singulièrement de stoïcisme révolutionnaire. Nous pensons qu’au premier jour où les difficultés matérielles apparaîtraient, le jour où la viande ou le lait arriveraient avec un peu de retard, vous ne trouveriez peut-être pas chez elles la volonté de sacrifice continu et stoïque qu’exigent, pour triompher jusqu’au bout, les mouvements que vous envisagez. Et ceux qui auraient marché derrière vous la veille seraient peut-être, ce jour-là, les premiers à vous coller au mur. Non, ce n’est pas par la tactique des masses inorganiques entraînées derrière vos avant-gardes communistes que vous avez des chances de prendre le pouvoir. Vous avez des chances de prendre le pouvoir dans ce pays, savez-vous comment ? Par de vastes mouvements ouvriers à caractère organique, supposant une éducation et une puissance de moyens poussés aussi loin que possible. Vous ne ferez pas la révolution avec ces bandes qui courent derrière tous les chevaux. Vous la ferez avec des millions d’ouvriers organisés, sachant ce qu’ils veulent, quelles méthodes ils emploieront pour aller au but, prêts à accepter les souffrances et les sacrifices nécessaires. »

Léon Blum conclut en espérant que la rupture ne soit pas définitive : « Nous sommes convaincus, jusqu’au fond de nous-mêmes, que, pendant que vous irez courir l’aventure, il faut que quelqu’un reste garder la vieille maison. […] Dans cette heure qui, pour nous tous, est une heure d’anxiété tragique, n’ajoutons pas encore cela à notre douleur et à nos craintes. Sachons nous abstenir des mots qui blessent, qui déchirent, des actes qui lèsent, de tout ce qui serait déchirement fratricide. Je vous dis cela parce que c’est sans doute la dernière fois que je m’adresse à beaucoup d’entre vous et parce qu’il faut pourtant que cela soit dit. Les uns et les autres, même séparés, restons des socialistes ; malgré tout, restons des frères qu’aura séparés une querelle cruelle, mais une querelle de famille, et qu’un foyer commun pourra encore réunir. »

La motion Paul Mistral sur le refus de s’engager dans la voie des exclusions réclamées par Zinoviev sera logiquement repoussée le 30 décembre par 3247 voix contre 1398. Les minoritaires quittent alors le congrès avant son achèvement, laissant la salle à la majorité communiste qui fonde la Section Française de l’Internationale Communiste (SFIC, rapidement rebaptisée PC-SFIC).

Le nouveau parti connut des débuts difficiles, violemment ballotté dans les luttes de pouvoir qui suivent le retrait de Lénine du devant de la scène dès 1922 puis sa mort en janvier 1924. La « bolchevisation du parti », exigée par les jeunes du congrès de Tours contre les « vieux socialistes » comme le secrétaire général Frossard, finira par leur être fatale quand celle-ci deviendra synonyme de mise au pas du PC-SFIC par la troïka Kamenev-Zinoviev-Staline puis par Staline seul. Ainsi six ans après le congrès de Tours, des principaux acteurs qui ont obtenu l’adhésion de la SFIO à l’Internationale Communiste il ne reste plus que Cachin. Cette période n’en fut pas moins riche de combats courageux et légitimes contre l’occupation de la Ruhr en 1923 ou la Guerre du Rif en 1925, qui valurent à plusieurs des dirigeants du parti d’être emprisonnés. Mais le PC-SFIC sur les ordres du Komintern s’enfonça dans une impasse politique avec la stratégie « classe contre classe » qui assimilait socialistes et fascistes, les alliés potentiels et anciens frères aux ennemis mortels. De 1926 à 1928, Pierre Sémard tenta la stratégie de « front unique » à un moment où la bride du parti russe s’était relâchée ; mais alors que ses efforts commençaient à payer et que le PC-SFIC remontait la pente, fin 1926, Staline évinça définitivement ses anciens alliés Zinoviev, Kamenev et son rival de toujours Trotski, qui participaient encore à la direction collégiale depuis la mort de Lénine. La stratégie « classe contre classe » de rupture avec les socialistes eut donc de nouveau les faveurs d’un Komintern s’appuyant sur les Jeunesses communistes, alors dirigées par Jacques Doriot, également député de Saint-Denis, pour mettre en œuvre cette ligne ultra sectaire. Sémard n’y résista pas.

Le PCF, parti de la classe ouvrière … vraiment !

Cette stratégie perdura jusqu’en 1934 et jusqu’à la prise de conscience du danger fasciste en France, et de la menace géopolitique nazie par Staline : les intérêts géopolitiques du dictateur soviétique et la nécessité politique du parti rebaptisé PCF correspondaient enfin. Entre temps, Doriot converti à l’alliance avec la gauche avait été exclu par Maurice Thorez pour des questions de discipline (on connaît ensuite son parcours vers le fascisme et la collaboration active avec l’occupant nazi). Sans cette conversion soudaine et bienvenue, jamais la réunification de la CGT n’eut été possible, jamais le Front populaire n’eut été possible, jamais le mouvement social n’eut été victorieux dans la foulée d’élections législatives qui donnaient pour la première fois à la SFIO la première représentation parlementaire et au PCF 72 députés (contre 23 en 1932). Il est frappant de constater la modération du programme du PCF à cette occasion qui répond à la modération du programme officiel du Front populaire, alors que le programme électoral propre de la SFIO était beaucoup plus radical et sera de fait largement mis en application lors de l’été 1936 : sans cette modération du PCF et sa « main tendue aux catholiques », les résultats auraient été différents.

C’est le début de la « nationalisation » du PCF, son intégration complète dans l’échiquier républicain. Si l’on écarte la parenthèse désastreuse du pacte germano-soviétique – conséquence des errements géostratégiques de Staline et de l’incapacité psychologique et politique des partis communistes de cette époque à désobéir à Moscou –, c’est la renaissance du Parti Communiste Français comme organisation essentielle à la République française. Dès avant l’été 1941 et l’opération Barbarossa, les cadres communistes vont s’impliquer dans la Résistance d’abord par des initiatives spontanées puis dès l’été 1941 par une volonté concertée et de plus en plus efficace qui en fit un des atouts majeurs dans la Libération du pays – en tant que parti et au travers des mouvements de Résistance qui lui sont liés (Front National, Francs Tireurs et Partisans, MOI) – et dans le rapport de force nécessaire à l’indépendance de la France face aux intentions initiales des Anglo-saxons dans la reconstruction de l’Europe.

Si le programme du Conseil National de la Résistance – qui continue d’être une référence historique et pratique pour l’ensemble de la gauche – doit plus dans son élaboration à Daniel Mayer et ses camarades socialistes, sa mise en œuvre à la Libération et l’effort nécessaire pour la Reconstruction du pays ont une dette immense à l’égard du PCF. À jamais, la création de la Sécurité Sociale restera associée à l’action et à la mémoire d’Ambroise Croizat. Malgré la rupture de 1946-1947 – une nouvelle fois sur ordre de Moscou, au prétexte du rejet du Plan Marshall et de défendre l’indépendance nationale – et l’échec des grèves insurrectionnelles de 1947, le PCF et la CGT – passée dans l’orbite communiste – ont contribué comme aucun autre parti français à cette époque à « nationaliser » la classe ouvrière française, à donner une représentation politique à ses aspirations et à l’incarner humainement, pratiquement, depuis les conseils municipaux jusqu’à l’Assemblée nationale, mais aussi dans les usines. C’est le PCF que cela plaise ou non qui a apporté – bien que tous les ouvriers français ne soient pas communistes – aux ouvriers français leur pleine dignité et leur pleine place dans notre pays comme citoyens.

Malgré les ambiguïtés politiques de la direction nationale du PCF, il faut aussi souligner l’engagement parfois au prix de leur vie de nombreux militants, cadres et intellectuels communistes pour les indépendances et contre la guerre civile en Algérie. Le PCF a eu également une attitude irréprochable face à la constitution de la Cinquième République et aux dérives inévitables qu’elle allait générer surtout après sa modification en 1962 pour faire élire le président de la République au suffrage universel. Il y a évidemment les retards à reconnaître la réalité du rapport Kroutchev sur les crimes de Staline, mais la normalisation politique fit rapidement son effet.

Pour des socialistes, la conception de l’union de la gauche c’est le congrès d’Epinay de juin 1971, le choix du PS avec Mitterrand de mettre fin au préalable de la réduction des écarts idéologiques avec le PCF avant l’élaboration d’un programme commun de la gauche pour privilégier cette dernière. Ce n’est pas faux, mais ce n’est pas toute la vérité. Il y a évidemment le choix de soutenir François Mitterrand comme candidat unique de la gauche à l’élection présidentielle de 1965 ; il y a ensuite le « manifeste de Champigny » avec lequel le Comité central du PCF tirait la leçon de Mai-68 et de la Bérézina électorale qui l’a suivi en avançant vers l’union de la gauche et en ouvrant la voie à l’eurocommunisme ; c’est Guy Mollet qui refusa la reconduction de l’expérience présidentielle de 1965 en 1969 et lors des élections municipales de mars 1971 c’est le PCF qui fut souvent unitaire pour deux, soutenant parfois des maires socialistes là où ses résultats électoraux auraient pu l’inciter à prendre le leadership.

Il est faux de dire que la stratégie d’union de la gauche fut fatale au PCF : dans le bastion de gauche qu’étaient les Bouches-du-Rhône dans les années 1970, c’est lui qui en profita face à un PS Deferriste qui n’avait pas renoncé à être une nouvelle forme de SFIO. Le PS ne prend le leadership que là où les socialistes ont compris qu’un nouvelle ère s’ouvrait, qu’il fallait être inventif et dynamique. Évidemment, l’élection présidentielle de 1981 entérina définitivement la prééminence du PS sur la gauche. Mais le PCF ne fut jamais remplacé politiquement dans la population française. La crise de la sidérurgie fut le début d’un nouveau processus de rupture entre le PS et la classe ouvrière ; rupture qui, après le presque rejet du traité de Maastricht en 1992, allait coûter la qualification au second tour de l’élection présidentielle de Lionel Jospin en 2002. La gauche – au-delà de toutes les considérations sur les modifications sociologiques parmi les ouvriers – en fait toujours les frais.

Le soviétisme est mort, mais l’idéal de la République sociale vit

Entre temps, l’URSS s’était effondrée ; la guerre d’Afghanistan avait démoralisé l’empire soviétique et la chute du Mur de Berlin l’avait dépouillé de ses « satellites ». C’était le sens de l’histoire : la course à l’armement avec les États-Unis d’Amérique ont sans doute donné le coup de grâce économique à Moscou, mais la nature même du régime, dictature héritière du totalitarisme stalinien, n’était pas tenable, car c’était un dévoiement total de l’idéal socialiste et communiste né au XIXème siècle et qu’il prétendait pourtant réduire à lui seul. Ce régime était d’ailleurs à mille lieux de la réalité politique, militante, municipale et parlementaire que vivaient et défendaient les militants et les élus du PCF. Ce parti et ces militants ont sûrement pâti de leur incapacité à rompre avec l’Union soviétique lorsqu’elle n’avait pas engagé son dégel… mais d’une manière générale, c’est l’ensemble de la gauche européenne qui subit les contrecoups de l’effondrement soviétique : d’une part, parce que la faillite du modèle soviétique et bolchevique a semblé signifier pour beaucoup d’acteurs et de commentateurs intéressés la preuve de la déchéance de toute espérance socialiste, de toute vision de gauche ; d’autre part, parce que les social-démocraties occidentales et (même) les eurocommunismes – pas si éloignés que cela au bout du chemin – n’étaient que des propositions politiques de compromis – ni le capitalisme américain débridé, ni le dirigisme autoritaire soviétique. Une fois le second tombé, la faiblesse idéologique interne de ces compromis les empêcha de résister au néolibéralisme et à son « petit frère » le social-libéralisme, la « troisième voie ».

C’est peut-être là une des chances de la gauche française, qui incarne une particularité historique toujours d’actualité politique : la République et la fusion Jauressienne entre le Socialisme et la République, continuation ambitieuse de l’idéal révolutionnaire. Elle peut s’y ressourcer. L’évolution du PCF après guerre le fait très largement converger avec la tradition de la gauche républicaine. Ce parti est aujourd’hui traversé comme toute la gauche française de débats fébriles au regard de l’évolution de la société française. Mais tous les éléments de rupture qui avaient séparé communistes et socialistes français en 1920 n’ont, eux, plus aucune actualité.

Plutôt que de faire un « Congrès de Tours à l’envers », plutôt que de sommer les militants communistes de revenir à une « vieille maison » qu’ils n’ont jamais connue, le temps pourrait venir d’être constructifs et de bâtir une large et grande maison de la Gauche Républicaine, abritant toutes celles et tous ceux qui ont pas abandonné leur foi dans l’idéal révolutionnaire et dans la République sociale.

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