Face à l’incompétence économique des néolibéraux, reprenons la main !

Une journaliste, Manon Romain, s’est penchée dans Le Monde sur les évolutions à long terme des questions de dette, déficit, recettes et dépenses en France. Cet article1 est censé « décrypter les faits » pour permettre d’analyser les récentes communications du gouvernement français de monsieur Attal, surpris par un énorme dérapage du déficit en 2023.

Madame Romain a bien soupçonné que des évolutions de long terme se jouent, mais n’a pas dit B après avoir dit A. Dans un premier tableau, elle constate que depuis 1980 le déficit et la dette dérapent toujours suite à des crises exogènes de dimension mondiale.

1https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2024/03/26/visualisez-l-evolution-de-la-dette-et-du-deficit-francais-depuis-1980_6224326_4355770.html?


L’article du Monde souligne bien que ce sont des crises exogènes, mondiales, qui accélèrent le ratio de dépenses publiques par rapport au PIB. La part des recettes publiques rapportée au PIB progresse aussi, reflet de la croissance démographique.

C’est un phénomène que nous avons souvent décrit, c’est une réalité que les technocrates des ministères des finances documentent depuis les années 1970, et que nous constatons au moins depuis 1905. Nous l’évoquions dans un article intitulé A propos de la part des dépenses publiques dans le PIB en 20191.

Dans les commentaires de l’article du Monde, un conservateur s’interroge : “Sarkozy n’est quand même pas à l’origine de la crise des subprimes de 2008” – et bien indirectement, lui et ses alliés idéologiques, tant aux États-Unis qu’en Europe, ont facilité par leur idéologie de privatisation et de dérégulation de la finance les conditions d’apparition de la crise financière de 2007-2008… Crise qui rappelle des mécanismes déjà vus à l’œuvre en 1987, mais qui surviens sans les outils de contrôle et d’action disponibles encore en 1987.

Pire : c’est la politique de l’alliance Cameron-Merkel-Sarkozy-Rutte qui aggrave encore la crise financière mondiale en la laissant contaminer sans aucune raison la dette publique européenne, puis, par une politique de rigueur menée trop tôt avec le traité Merkozy en zone Euro, une récession européenne en 2012-2013, entièrement fabriquée par les européens en pleine reprise de la croissance mondiale.

Seule l’Allemagne, grâce au maintien de son industrie orientée vers l’exportation, et la subvention du maintien des emplois qualifiés de ses filières industrielles, s’en tirera un peu mieux que le reste de l’Europe, les Pays Bas choisissant de se transformer en paradis fiscal européen, le Royaume Uni de quitter l’Union.

1https://librechronique.net/2019/04/08/a-propos-de-la-part-des-depenses-publiques-dans-le-pib/


La croissance des pays européens connaît après le rebond de 2009/2010 une nouvelle plongée en 2012 et 2013, décrochant des États-Unis et du reste du monde. L’Allemagne en sort plus vite, et sauve son niveau d’emploi quand les autres pays connaissent un fort chômage

Il faudra la chute des prix du pétrole et du gaz en 2015, due à la concurrence entre Russie et OPEC d’une part, et États Unis avec les gaz de schiste d’autre part, pour relancer l’économie européenne, et notamment française. Nous défendions déjà en 2017 l’idée que les tenants de la baisse du ratio des dépenses publiques par rapport au PIB devraient d’abord se concentrer sur la prévention de crises mondiales exogènes telles que guerre mondiale, crise financière ou autres type de crise mondiale, pour empêcher de brutales accélération de ce taux.

Madame Romain, dans son article « décrypteur », s’accroche à une explication classique et non vérifiée de l’explosion de la dépense publique en point de PIB sans s’interroger sur l’évolution du PIB lui même.

Avec la baisse des taux, un taux d’endettement à 100% du PIB est plus soutenable en 2023 qu’un taux d’endettement à 60% en 1981.

De plus, elle sous estime un fait majeur du quart de siècle depuis 1997 : la baisse continue des taux d’intérêts en Europe qui a presque divisé par deux le poids de la charge de la dette en point de PIB, alors même que la dette doublait presque en points de PIB. La réalité, c’est que même avec un taux de dette à 110%, et un déficit qui a dérapé à 5,5% du PIB, les comptes publics et la dette sont PLUS soutenables en 2024 qu’en 1997 (ou en 1981). Les critère dits de Maastricht ont été définis à une époque où la charge de la dette, c’est à dire son prix, était supérieur à 3% du PIB. Aujourd’hui, elle est de 2% seulement. C’est tout à fait raisonnable, et plutôt dans la moyenne européenne. C’est pourquoi les marchés financiers n’ont pas du tout réagi aux annonces du dérapage, comme Le Monde le constate par ailleurs, et au grand désespoir des Ifrap et autres Coe Rexecode qui appellent de leurs vœux des cataclysmes prophétiques autoréalisateurs1.

1https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/03/26/malgre-le-derapage-du-deficit-francais-aucune-tension-sur-les-marches-financiers_6224257_823448.html?


C’est ce qu’illustre cette statistique : le coût de la dette s’est effondrée alors que son montant a presque doublé. La remontée de 2022-2023 s’explique par la légère remontée des taux, mais en même temps, l’inflation baisse la part de la dette rapportée au PIB en 2023 (-1 point de PIB).

La France a fait moins bien que l’Allemagne ou d’autres pays dans l’amélioration de la charge de la dette. L’Allemagne, en 1997, suite à la réunification, fait face à une charge de la dette supérieure à la France en points de PIB. Aujourd’hui, cette charge est même inférieure à 1,5%.

Ce qui a sauvé l’Allemagne, ce n’est pas la baisse des dépenses, elles n’ont pas baissées, mais une politique orientée sur l’exportation par le maintien des bassins industriels, en utilisant l’avantage monétaire de l’euro et l’abondance d’énergie fossile pas chère russe ou allemande (charbon), dans un marché européen de l’énergie structuré à l’avantage de l’industrie allemande et au désavantage de l’industrie française.

Entre 1997 et 2023, la principale évolution négative pour la France, c’est qu’alors que le pays étant toujours en démographie positive, les besoins en infrastructures publiques augmentent, son taux d’industrialisation passe de 18% à 8%, et sa balance commerciale, d’un excédent de 39 milliards à un déficit de 100 milliards ! C’est ce qu’illustre cette statistique : le coût de la dette s’est effondrée alors que son montant a presque doublé. La remontée de 2022-2023 s’explique par la légère remontée des taux, mais en même temps, l’inflation baisse la part de la dette rapportée au PIB en 2023 (-1 point de PIB). Ainsi, la croissance de la dépense publique est surtout tirée par les dépenses sociales, conséquences de la croissance démographique.

Le solde démographique des naissances et des décès reste en France largement positif entre 1975 et 2024. Il est négatif dès 1975 en Allemagne.

L’accroissement naturel de la population française reste supérieur à 3,5% tout ce quart de siècle ! Les dépenses augmentent au rythme de cette croissance démographique de 3,7% par an pendant 25 ans. Cette évolution remarquablement synchrone n’a pourtant JAMAIS été thématisée dans le débat public.

Rappelons le : la croissance démographique allemande sur la période est entièrement due à des migrations extérieures d’adultes déjà formés. Le poids social et en termes de finances publiques n’est pas porté par l’Allemagne, dont la population et le nombre d’enfants baissent sur la période, mais par les pays d’émigration. La France, elle, a du créer des écoles, des crèches, des cliniques pédiatriques, etc. pour près de 2000 milliards de plus que l’Allemagne entre 1975 – le solde démographique des naissances et des décès reste en France largement positif entre 1975 et 2024, il est négatif dès 1975 en Allemagne, les deux Allemagne passent en déficit démographique, il y meurt plus qu’il n’y nait – et 2024.

La pyramide des âges en France n’est pas ce sapin inversé que les démographes craignent depuis 1975, et que les bourgeoisies françaises appellent de leur cœur depuis 1990. Du coup, la France a trahit sa jeunesse, trahit l’énergie même de la Nation, en sous investissant dans l’éducation, la santé, les services publics, et en ne travaillant pas à créer des secteurs productifs hautement qualifiés pour absorber les jeunes actifs. La conséquence, c’est la persistance du chômage, et la dégradation de la démocratie.

Mais les élites françaises ont eu peur dès 1993 et une réforme des retraites portée par le ministre du budget de monsieur Balladur, un certain Nicolas Sarkozy, d’un effondrement démographique français à l’allemande. Depuis le début des années 1990, la politique française passe à un discours malthusien en complète contradiction avec la réalité des évolutions démographiques et des besoins économiques et sociaux du pays.

La première crise d’intégration, c’est que la France n’a pas voulu investir pour intégrer les nombreux enfants nés en France, de Français, entre 1990 et 2024. D’ailleurs, l’extrême droite dissimulera le sujet en faisant croire que tous les Français qui naissent en France seraient des étrangers, assimilant la jeunesse française à un obstacle pour démanteler l’Etat.

C’est le Grand Mensonge : le bilan démographique français rendait superflu l’immigration du travail, qui s’effondre dès les années 1990. Il n’y a pas eu de grand remplacement, mais un grande ignorance de la jeunesse de ce pays.


L’immigration n’est pas l’explication du solde démographique dynamique des
Français. Jusqu’en 2015, les français voulaient des enfants, voulaient investir dans l’avenir de la Nation et dans la vie. Depuis, la bourgeoisie libérale fait tout pour dégoûter les français de maintenir une démographie dynamique : ça coûte trop cher. La France a en effet dû investir, sur la base du calcul de l’Insee évaluant à 180 000 euros les dépenses sociales et privées pour éduquer un enfant et en faire un adulte citoyen et productif, 2000 milliards de plus que l’Allemagne entre 1975 et 2023. L’Allemagne, elle, est en déficit démographique depuis 1975, compensant par l’immigration, c’est à dire, en faisant porter le poids économique et social de l’éducation d’un enfant jusqu’à l’âge adulte à d’autres pays.

S’il y a eu un grand remplacement, c’est celui de l’industrie, délocalisée avec ses emplois hautement qualifiés bien rémunérés, mais souvent syndiqués, par des emplois de service à qualification interchangeable, faibles revenus et faiblement syndiqués. Le PIB voit un remplacement d’emplois dans des secteurs à forte augmentation de la productivité à des secteurs de service à faible augmentation de la productivité. De plus, le déficit commercial coûte chaque année 4 points de PIB à l’économie française.


Les privatisations, les aides aux entreprises, la libéralisation du droit du travail et la baisse des rémunérations du travail n’ont pas permis de rendre l’économie française plus compétitive, au contraire ! Le solde commercial s’effondre pour atteindre 100 milliards en 2023, et s’explique notamment par les choix économiques des années 1990-2010 favorisant la baisse des industries et activités de production, et le retrait de l’État comme architecte de l’économie.

Résultat : alors que les dépenses, poussées par la démographie, augmentent de 3,7% par an, le PIB connaît une progression moyenne de long terme de seulement 3%. C’est cela, l’explication de l’augmentation du poids des dépenses publiques dans le PIB, et non un “Etat communiste”. Si la démographie française avait été conforme à l’allemande, nous aurions 6 millions d’habitants en moins, c’est à dire le montant du nombre de chômeurs et de précaires, et des dépenses publiques inférieures de près de 12 points de PIB – comparable à la moyenne de l’Union. Toute la bourgeoisie libérale française a gouverné contre les enfants de la France. Les privatisations, les aides aux entreprises, la libéralisation du droit du travail et la baisse des rémunérations du travail n’ont pas permis de rendre l’économie française plus compétitive, au contraire ! Le solde commercial s’effondre pour atteindre 100 milliards en 2023, et s’explique notamment par les choix économiques des années 1990-2010 favorisant la baisse des industries et activités de production, et le retrait de l’État comme architecte de l’économie. L’évolution des dépenses publiques en période de croissance démographique ne pouvaient pas être le principal axe d’action pour contrôler le déficit et l’évolution de la dette. Et pourtant, c’est ce qui s’est passé ! Tout le discours politique, et on voit l’influence que cela a pris y compris sur la journaliste du Monde, s’est concentré sur la réduction des dépenses. Ajoutant que l’article, comme d’ailleurs beaucoup d’éditorialistes, n’interrogent pas l’explosion de la dépense publique à destination des entreprises.


C’est lorsque l’État possède des entreprises privées, lorsqu’il est interventionniste, que notre balance commerciale fut excédentaire. Depuis les recettes libérales, et les privatisations, notre solde s’effondre. L’économie française, la sphère privée, doit s’endetter chaque année de 100 milliards pour compenser ce déficit commercial.

Elle est passée, alors même que l’actionnariat public passait de plus de 20 % du PIB et à moins de 4%, de moins de 1% du PIB en 1979 à 5% du PIB en 2023 ! Dit autrement : on a vendu les entreprises publiques, mais le budget de l’Etat continue de refinancer les actionnaires privés à des montants largement supérieurs aux revenus que l’Etat ne perçoit plus de ses dividendes, ou, indirectement, par le soutien de l’activité, par l’augmentation des recettes fiscales.

Si monsieur Attal et monsieur Le Maire parlent de baisser les dépenses sociales, ils oublient que les français modestes ont été durement touchés par l’inflation. C’est une recette infaillible pour détruire la cohésion nationale, abîmer la démocratie, et favoriser l’arrivée au pouvoir de madame Le Pen. Macron et ses alliés n’ont rien appris de l’histoire, notamment de l’avant seconde guerre mondiale.

Pourtant, dans l’histoire de France, toute tentative dans le sens d’une baisse des déficits par la baisse de la dépense a toujours été déflationniste : les salaires dans leur ensemble ont perdu du pouvoir d’achat, le chômage augmenté, et l’activité économique en a été ralentie. La crise sociale a toujours favorisée des partis politiques non républicains, et la conscience démocratiques en est affaiblie. De plus, le ralliement des élites technocratiques françaises au consensus libéral européen les ont amené à privilégier les filières non productives dans l’économie, privant celle-ci de moteurs de croissance privée. La privatisation des activités privée en main publique est un très bon exemple de ce fiasco économique sur la création de valeur et de croissance du PIB. L’investissement privé d’ailleurs est bien loin d’augmenter au rythme des aides aux entreprises : au contraire, ce sont les dividendes et les rachats d’actions qui ont exploses, au profit d’un actionnariat que Nicolas Sarkozy, des 1993 sous Balladur, voulait voir s’internationaliser.

Le retour sur investissement des aides publiques aux entreprises est pour le moins tenu. Dans n’importe quelle entreprise privée, un tel résultat a un tel coût entraînerait le licenciement des dirigeants. Macron avec son CICE pérennisé, Le Maire et avant eux Sarkozy qui avait lancé les crédits d’impôts et exemptions fiscales, ne méritent que l’opprobre et la honte. Pierre Moscovici, en ne permettant que des audits très partiels des aides publiques aux entreprises par la cour des comptes qu’il préside, protège surtout sa propre réputation, lui qui en 2012-2013 mis en place l’un des pires plan en la matière, et qui en resta un adepte en tant que commissaire européen.

Nous rémunérons avec nos impôts des fonds d’investissement étrangers. Maintenant, l’histoire de France nous enseigne, qu’après des périodes de crise mondiale augmentant la dépense publique, c’est par l’action volontaire, souveraine, et industrielle publique que la France a stimulée sa croissance de telle manière qu’elle dépasse celle de ses dépenses, réduisant la part du public dans le PIB. C’est la leçon des années 1937-39, de 1944-1972, de 1997-2003.

Revenons un moment sur les privatisations. En 1983, après les nationalisations qui répondaient à un moment de crise profonde de l’économie privée française et visait à recapitaliser en l’adossant à l’actionnaire immortel qu’est l’état, le poids du secteur public concurrentiel représentait 20% du secteur privé, 25% de l’industrie, mines, chimie, 70% de l’énergie, et 35% des exportations. Le poids de l’état passe ainsi de 1985 à 2023 de 25% de la valeur ajoutée, 12% des effectifs salariés totaux, à moins de 5% de la valeur ajoutée et des effectifs salariaux.

Il ne reste plus que trois grands secteurs où l’Etat est encore présent : la Poste et les transports publics, l’électricité avec EDF. Les privatisations ont rapportées entre 1986 et 2020 près de 130 milliards d’euros à l’Etat. C’est en moyenne 4 milliards par an, mais avec de gros pics, et surtout, ces revenus ne sont pas renouvelables. Elles l’ont privé cependant du revenu généré par ces activités qui s’établissait en 2005 encore à plus de 4 milliards de dividendes par an. Enfin, l’Etat s’est privé d’un levier sur l’économie réelle.

La chute de l’industrie et la chute du commerce extérieur sont ainsi directement liés aux privatisations et au retrait de l’Etat de la sphère productive.

En conclusion : l’article du Monde est partial. La journaliste a bien trouvé des informations pertinentes, mais n’a pas su contextualiser l’élément le plus important de sa démonstration : l’évolution du PIB.

Comment en effet construire une argumentation sur le ratio de dépenses, de dette ou de déficit au PIB sans se pencher sur le PIB lui même ? Enfin, un point n’aura été traité ni dans l’article du Monde, ni ici, ou seulement par allusion: le facteur récessif de la baisse des dépenses, notamment des dépenses sociales. En effet, on sait que l’une des erreurs gravissimes du FMI et des organisations internationales au moment des attaques sur les dettes publiques européennes en 2010, ce fut de sous estimer combien la baisse des dépenses, en accélérant la baisse du PIB, fera s’effondrer encore plus vite les recettes.

Olivier Blanchard, chef économiste du FMI, en publiera même une note demandant pardon. L’exemple de cette erreur gravissime est la Grèce : la dette représentait 110% du PIB en 2010 quand la crise de son refinancement commence. En 2023, la dette, après 13 ans de baisse des dépenses, de privatisation forcées, et de saccage social avec des conséquences humaines tragiques, est à … 200% du PIB. Les politiques menées de baisse des dépenses ont été contre productives. Il aurait été de meilleur conseil d’investir en Grèce. Par ailleurs, la démocratie grecque en est ressortie profondément affaiblie.

Revenons maintenant à nos affaires françaises :

1. Le dérapage du budget était prévisible. Certains avaient mis en garde dès Juillet, notamment dans une note de la direction du Trésor. Des économistes, le FMO, l’OCDE s’étaient inquiétés de la baisse des recettes dès la fin de l’été. Le refus du gouvernement et de la majorité relative de se saisir du sujet renforce le soupçon, terrible, qu’ils savaient avoir forcé de faire voter un budget insincère à coup de 49.3, se privant d’ailleurs des amendements adoptés par une majorité transpartisanne en commission des finances. Non seulement ils sont nuls sur leur principal argument de compétence, mais en plus, ils le font sciemment.

2. La cour des comptes a évalué très partiellement le principal facteur d’explosion des dépenses et de réduction des recettes depuis 2013, c’est à dire les aides aux entreprises et les crédits d’impôts aux entreprises. Si la cour des comptes considère comme « efficaces » les aides exceptionnelles de 2020-2022, sans préciser les critères d’efficacité, elle regrette l’absence de contrôles et de ciblage. Elle note que la loi, qui interdisait d’utiliser les aides pour payer des dividendes ou faire des rachats d’actions, n’a pas été suffisamment mise en œuvre. Mais c’est depuis 2013 en cumulé 600 milliards de dépenses et d’abandon de recettes à destination des entreprises que l’on ne voit ni dans l’investissement, ni dans l’emploi, ni dans la ré-industrialisation, ni dans la compétitivité, ni dans le commerce extérieur. On retrouve l’essentiel de ces montants par contre dans l’augmentation des dividendes – 10 milliards de plus que ce que l’Allemagne distribue chaque année – et des rachats d’actions.

3. Contrairement aux cris austéritaires de LR et du RN – qui prévoient la même politique en plus dure, le RN prévoyant un volume pour une petite partie de sa clientèle électorale qui est différente de celle des macronistes – contrairement donc aux Cassandre de la réduction des dépenses publiques, le coût de la dette et la réaction des marchés est … neutre. Les marchés avaient déjà intériorisé cette possibilité et ont confiance dans les capacités du pays d’honorer sa dette à court et long terme. Les taux sont restés stables, et en dessous de la moyenne européenne, l’écart avec l’Allemagne (le spread) l’un des plus faibles de l’eurozone1. C’est l’avantage de la réduction du poids de la charge de la dette depuis 25 ans.

Les conséquences : La compétence du « Mozart de la Finance » est révélée : le roi est nu. Comme le disait Ian Brossat ce matin du 28 mars : « il a fallu un président banquier pour ruiner la France ! » Bien sûr, il y a exagération : la France n’est pas ruinée, pas encore.

1https://www.mtsmarkets.com/european-bond-spreads

Helen Stratton (1899)

Par contre, tant Attal, ministre du budget au moment du vote par 49.3, Le Maire et Cazenave, responsables de l’exécution de ce budget, que Macron ont prouvé leur incompétence. On pourrait encore penser que, s’ils étaient pragmatiques et compétents, ils apprendraient de leurs erreurs répétées. Mais les premières mesures annoncées, 20 milliards de baisse des dépenses, une nouvelle réforme de l’assurance chômage, prouvent qu’ils n’ont tiré AUCUNE leçon de 40 ans d’erreurs économiques.

On l’a démontré plus haut : Pierre Moscovici est juge et partie et ne peut donc engager depuis la cour des comptes la révision de ces politiques désastreuses sans remettre en compte sa propre politique ministre de l’économie de François Hollande.

On peut même voir dans le tournant libéral initié trois fois par Laurent Fabius, depuis président du conseil constitutionnel, les prémices des corrections vers l’erreur de politiques de relance en cours de réussite. Ce sont des décennies de fausse route économique, industrielle, sociale, et finalement également législative qu’il va falloir corriger. Cela suppose de Reprendre la main !

L’alliance du CNR se retrouve dans la liste des Européennes de la Gauche Unie, avec les socialistes de la GRS, les radicaux de LRDG, les syndicalistes, les communistes du PCF et les républicains souverainistes de l’engagement

Si l’histoire ne se répète pas, il apparaît évident que les facteurs et les principes régissant le programme du conseil national de la résistance ont façonné à la fois la période de croissance justement partagée la plus longue de l’histoire de France, et construit les institutions, notamment l’Unédic et la sécurité sociale, expliquant la bonne résilience de l’économie française malgré le régime incompétent des libéraux.

C’est pourquoi nous envisageons de reprendre la main en alliance avec ceux qui avaient participé au CNR – les radicaux socialistes, les communistes, et que ce rassemblement initial a vocation à grandir.

Mathias Weidenberg

Nouveaux accords commerciaux : quels sont les dangers ?

Alors que les agriculteurs dénoncent depuis des semaines les conséquences néfastes des accords de libre-échange pour l’agriculture européenne et l’environnement, l’Union européenne s’apprête à entériner deux nouveaux accords commerciaux avec le Chili et le Kenya. Quelles seront les conséquences de ces accords ultra libéraux, aussi bien pour l’Europe que pour les pays concernés ? Analyse détaillée et débat le mercredi 28 février 2024 avec deux députés européens, spécialistes des questions économiques et agricoles : Emmanuel Maurel (GRS, La Gauche), et François Thiollet (Les écologistes, Les Verts).

Emmanuel Maurel dans “La Faute à l’Europe” : l’Europe resserre la vis – 23 février 2024

Emmanuel Maurel était l’invité de l’émission de France Info, France 24 et TV5 Monde “La Faute à l’Europe” le vendredi 23 février 2024 pour répondre aux questions des journalistes sur la situation européenne. Les règles budgétaires européennes avaient été suspendues avec la pandémie. Elles sont de retour, à peine modifiées. D’un côté il y a ceux qui disent que ce n’est pas le moment de se serrer la ceinture. De l’autre, il y a ceux qui montrent les chiffres : la dette de la France, par exemple, a explosé.

Cette émission a été aussi l’occasion de rappeler que nous, Républicains socialistes, nous nous engageons sur une liste de gauche unie pour le monde du travail aux élections européennes, conduite par Léon Deffontaines (PCF).

Présentation : Yann-Antony Noghès.

avec la participation de Jade Grandin de l’Éprevier, journaliste à L’Opinion et de Jean Quatremer, journaliste à Libération

Budget : est-il tenable de ne pas augmenter les impôts ? “C’est un choix irrationnel” – David Cayla, dans La Croix

Face à la dégradation des comptes publics, le ministre de l’économie et des finances Bruno Le Maire a annoncé, dimanche soir, des économies à hauteur de 10 milliards d’euros sur le budget de l’État. Il a en revanche explicitement écarté toute hausse d’impôt. David Cayla, économiste, décrypte dans La Croix.

propos recueillis par Laurent de Boissieu et Janice Bouhuon, publié dans La Croix le 19 février 2024

C’est un des tabous du macronisme : les impôts ne peuvent que baisser, jamais augmenter. Emmanuel Macron fera donc sans doute tout pour éviter une hausse des impôts. Mais à quel prix ?

Ne pas augmenter les impôts est un choix irrationnel, qui ne peut s’expliquer que par l’idéologie ou par un souci d’image dans l’opinion publique. D’un côté on promet deux milliards de baisses d’impôts pour les ménages, de l’autre on engage dix milliards de diminutions des dépenses publiques.

C’est un en même temps incohérent. Le principe de baisser les dépenses publiques peut relever d’un choix gouvernemental assumé de remettre en cause telle ou telle politique publique. On le voit sur le Compte personnel de formation (CPF) ou sur le dispositif « Ma Prime Rénov’ ». Ce pourrait judicieusement être le cas, selon moi, sur le crédit d’impôt recherche ou des aides à l’apprentissage, qui ont explosé depuis qu’Emmanuel Macron a été élu à l’Élysée.

Mais le choix d’un coup de rabot sur l’ensemble des dépenses de l’État est en réalité un non-choix inquiétant. Il aura des conséquences désastreuses sur des services publics qui ont déjà du mal à fonctionner : l’hôpital, l’éducation nationale et l’université ou encore la justice. Il s’agit de dépenses publiques directement utiles aux Français.

Autre inquiétude : ce coup de rabot d’ensemble révèle l’impréparation du gouvernement, visiblement surpris par une érosion de la croissance pourtant annoncée depuis longtemps. Il est d’ailleurs étonnant que l’annonce en ait été faite par le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, et non par le chef du gouvernement, Gabriel Attal.

Dans une conjoncture difficile, agir sur la fiscalité est pourtant bien plus pertinent que d’agir sur les dépenses publiques. Les économistes ont montré que dix milliards de dépenses publiques ont plus d’effet que la même somme restituée fiscalement. Ainsi, baisser les dépenses publiques de dix milliards représente une perte nette de recette dans l’économie réelle, ce qui risque d’approfondir la récession dans un processus sans fin.

À l’inverse, augmenter les impôts c’est prélever de l’argent dont une partie n’aurait pas irrigué l’économie française, qu’il s’agisse de l’imposition des entreprises (dont les dividendes profitent souvent à des actionnaires à l’étranger) ou des hauts revenus (dont une grande partie est épargnée sous forme de placement financiers ou immobiliers). Bref, en politique économique il faut faire des choix.

C’est pourquoi la comparaison entre l’État et un ménage ne tient pas. D’une part, l’État est un acteur macroéconomique, ce qui signifie que ses décisions ont un impact sur l’ensemble de l’économie. D’autre part, contrairement à un ménage, l’État peut décider de ses recettes… à travers justement les prélèvements obligatoires.

Décréter comme Emmanuel Macron qu’il ne faut pas augmenter les impôts, c’est-à-dire que l’État ne peut pas décider de ses recettes, ne relève que d’un choix politique, et non d’une contrainte économique.

La fabrique des pauvres pour rendre les riches plus riches

La pauvreté a augmenté en 2021 et en 2022 en France, les 10% les plus riches ont profité tant de l’inflation que des réformes fiscales.

L’Insee a publié en novembre 2023 une batterie de rapports et de tableaux statistiques (que vous retrouverez en bas de l’article) dont les conclusions sont sans appel : la France va mal, la majorité des Français perd en niveau de vie, seuls les 10% les plus riches et les habitants des centres urbains profitent des évolutions économiques et de la politique “pro-business” du gouvernement.

Hélas, une partie de la presse économique tord les faits pour masquer sa vision néolibérale. Même La Tribune, pourtant réputée pour sa rigueur d’analyse, s’acharne à vouloir y déceler une augmentation du niveau de vie des plus modestes – laquelle augmentation serait même plus élevée que celle des riches – et bien plus élevée que celle des classes moyennes1, en 2022. C’est faux !

Ce mensonge alimente la campagne de la droite et de l’extrême droite qui fustigent « les pauvres » comme étant à la fois « des immigrés », vivant « dans les banlieues criminelles des grands centres urbains », volant le niveau de vie « des classes moyennes des villes moyennes et des villages », tout en étant « ingrats » à la société et l’identité française en la rejetant. En clair des vrais « parasites de la société ».

L’Insee décrit évidemment une toute autre réalité : les classes populaires des villes périphériques et des villages partagent le (mauvais) sort de leurs concitoyens des classes moyennes inférieures et des habitants des banlieues, tandis qu’un groupe beaucoup plus restreint – moins de 10% des Français – vivant principalement au cœur des grandes villes (notamment à l’ouest de Paris et de l’île de France) tire objectivement profit du système.

1 https://www.latribune.fr/economie/france/les-classes-moyennes-grandes-perdantes-des-mesures-du-gouvernement-en-2022-983965.html


L’Insee dit où sont, géographiquement comme socialement, les profiteurs de l’après Covid et de l’inflation

Le Rapport sur l’état social de la France en 2021 ne laisse aucune place au doute : « eb 2021, les inégalités et la pauvreté augmentent », « le niveau de vie des ménages les plus aisés augmente plus fortement, tiré par la reprise de l’activité », « le taux de pauvreté augmente en 2021 et dépasse son niveau de 2019 ».

L’Insee conclut que 2021 fut pour la majorité des Français aussi douloureuse que 2011 et 2018, années de crises sociales aiguës – dont la seconde vit naître le mouvement des Gilets Jaunes.

Le taux de pauvreté – un français sur 7 – dépasse en 2021 les niveaux de 2017 et 2019 ; et les indicateurs d’inégalité retrouvent à la fin 2020 les records atteints en 2011 et 2018. On ne peut qu’y voir un résultat incontestable de la maltraitance du Gouvernement contre les français.

En 2022, l’Insee, toujours à rebours de La Tribune, dit qu’« au total, la hausse du niveau de vie (monétaire) a compensé une part importante des dépenses additionnelles, 90% en moyenne pour l’ensemble de la population. Cette part varie néanmoins selon le niveau de vie ou selon le lieu de vie. Elle oscille entre 80% et 85% pour les 80% les plus modestes et pour les habitants des communes hors unités urbaines ou des unités urbaines de moins de 200 000 habitants. Elle est sensiblement plus haute, autour de 90% en moyenne, pour les personnes aux niveaux de vie entre le 8e et le 9e décile et les habitants des communes de plus de 200 000 habitants hors Paris. Elle dépasse en moyenne 100% pour les 10% les plus aisés et pour les habitants de l’agglomération parisienne. »

Traduisons : les habitants des villes moyennes et des villages, les classes populaires dans leur ensemble, ont perdu 20 points de niveau de vie réel après inflation et réformes fiscales.


Tout le monde perd, sauf les 10% les plus riches, gagnants de l’inflation et des réformes fiscales

Les habitants prospères des grandes villes ont eux vu leur niveau de vie réel augmenter, parvenant à esquiver l’inflation, particulièrement grâce aux réformes sur la fiscalité du capital. Ces grands gagnants sont bien peu de monde : 6 millions de gagnants, 60 millions de perdants.


Le solde est négatif pour tous les territoires, sauf Paris

À la lumière (crue) de ces données, on comprend mieux pourquoi la droite, le RN et le gouvernement s’acharnent tant à marteler leurs préjugés stupides sur les chômeurs qui piquent dans l’assiette de ceux qui travaillent. Sauf que les vrais pique-assiettes, ce sont en réalité les détenteurs de capitaux et les rentiers de Versailles et du 7ème arrondissement de Paris, par la grâce du néolibéralisme aussi « assumé » qu’agressif de Macron.

Malheureusement, on n’entend plus la gauche rappeler ces évidences, ni la vieille social-démocratie ni même le parti soi-disant insoumis, qui ont abandonné toute analyse matérialiste (au sens philosophique) de la société, préférant passer leur temps à copier-coller des élucubrations intersectionnelles venues d’Outre-Atlantique et qui n’ont pas la moindre prise sur la vie quotidienne de nos compatriotes de toutes origines, cultures et orientations sexuelles.

Le prolétariat et la petite-bourgeoisie des villes moyennes et des villages sont tout autant maltraités que le prolétariat et même la petite-bourgeoisie des grandes villes. Les statistiques de l’INSEE nous donnent les clés pour engager vraiment le débat : faire prendre conscience aux 60 millions de travailleurs et à leur famille qu’ils s’appauvrissent au profit d’à peine 10% des Français ; et qu’il est grand temps qu’ils défendent leurs propres intérêts matériels et moraux.

Le 15 novembre dernier Bruno Le Maire déclarait sur Cnews : « Notre modèle social tel qu’il existe aujourd’hui ne nous permettra pas d’arriver à 5% de taux de chômage ».

Le ministre de l’économie n’a pas choisi cette chaîne par hasard, qui comme tout robinet d’infos met en scène à longueur de « talks shows » la fausse opposition entre « réactionnaires » et « libéraux progressistes », qui sont en dernière analyse d’accord sur l’essentiel : défendre leurs privilèges et mettre au pas les classes populaires en détruisant l’État social. Tout cela, bien sûr, pour le bien des Français : quand on appauvrit un chômeur de plus de 55 ans comme le souhaite le ministre de l’économie, ça l’incite à trouver un emploi, même si aucun employeur ne lui en proposera un.

Il est vraiment urgent de revenir au réel – contre lequel, à force de désagrégation sociale, finiront aussi par se cogner les gagnants (provisoires) de la crise : défendons les intérêts économiques et sociaux de 80 % des Français ! Pour vaincre Zemmour, Le Pen et Macron, la voie identitaire est une impasse. La seule issue qui nous préservera de la guerre de tous contre tous sera de forger un nouveau contrat social pour la France.

Mathias Weidenberg

Peut-on financer la transition écologique par l’émission de monnaie « sans dette » ?

Un certain nombre de personnalités et d’économistes affirme que les montants faramineux nécessaires pour organiser la transition écologique pourraient être payés sans coût en instaurant un mécanisme de création d’une monnaie « libre », sans endettement. Dans sa chronique mensuelle pour Le Temps des Ruptures, David Cayla contestait le 17 novembre 2023 cette solution et met en garde la gauche contre les promesses illusoires qui entendent nier le coût pour les ménages du financement de la transition. Nous republions cette chronique avec leur accord.

En février 2021, en pleine pandémie de Covid, 150 économistes et personnalités européennes, dont Thomas Piketty et l’ancien ministre belge Paul Magnette, signaient une tribune dans Le Monde ainsi que dans d’autres journaux pour demander à la BCE d’annuler la part de la dette publique qu’elle détenait en échange d’un montant similaire d’investissements « dans la reconstruction écologique et sociale ». La proposition avait tournée court, Christine Lagarde ayant répondu dès le lendemain qu’une telle mesure était « inenvisageable » et qu’elle violerait les traités européens.

Savoir si annuler la dette publique détenue par la BCE est contraire ou non aux traités est une question à laquelle il est difficile de répondre tant que les autorités compétentes (en l’occurrence la Cour de justice de l’Union européenne) ne l’ont pas tranchée. Ce qui est certain, en revanche, c’est que les traités garantissent à la BCE une parfaite indépendance dans l’application d’un mandat dont l’élément principal est la stabilité des prix. De ce fait, lorsque l’inflation en zone euro a franchi la barre des 2% au cours de l’été 2021, il n’était plus du tout question d’exiger de la BCE d’assouplir sa politique monétaire.

Le reflux de l’inflation qu’on constate depuis quelques mois pourrait-il être l’occasion de relancer ce débat ? Cela semble être le cas puisque plusieurs voix se sont faites à nouveau entendre récemment à ce sujet.

Interrogé lors de la matinale de France Inter le 19 octobre dernier à l’occasion de la sortie de son dernier ouvrage, le banquier d’affaire Matthieu Pigasse estime par exemple que la seule manière de répondre aux besoins sociaux et écologiques serait « de faire plus de création monétaire ».

« Une part très importante de la dette publique française, de l’ordre d’un tiers, est détenue par la BCE et la Banque de France. Cette dette pourrait très facilement être annulée sans aucun effet négatif économique ou financier. […] On peut créer plus de monnaie pour financer les grands programmes d’investissement, pour la transition énergétique, pour le climat ou pour construire des écoles ou des hôpitaux d’une part, et d’autre part pour distribuer un revenu minimum. C’est ce qui a été fait pendant la crise du COVID. Le fameux ‘‘quoi qu’il en coûte’’, les centaines de milliards qui ont été versés sur l’économie française l’ont été en réalité non par de la dette mais par de la création monétaire. »

Quelques jours plus tard, dans une chronique publiée par Le Monde, l’économiste Jézabel Couppey-Soubeyran, cosignataire de la tribune de 2021 renchérissait dans la même logique en citant justement Pigasse. Comment faire pour financer les investissements non rentables de la transition écologique tels que la collecte des déchets océaniques ou la création de réserves de biodiversité, s’interroge-t-elle ? Le creusement de la dette ou la hausse de la fiscalité n’étant selon elle pas possible, « c’est donc vers une forme nouvelle de création monétaire, sans dette, qu’il faut se tourner pour financer l’indispensable non rentable ».

Le raisonnement est similaire, enfin, pour Nicolas Dufrêne, fonctionnaire à l’Assemblé nationale et directeur de l’Institut Rousseau, également cité par Couppey-Soubeyran. Dans La Dette au XXIe siècle. Comment s’en libérer (Odile Jacob), il dénonce « le discours parfois dogmatique de la gauche selon lequel il est nécessaire de taxer les riches et les entreprises pour faire du social » (p. 175). Dufrêne estime également que creuser la dette publique serait insoutenable, puisque la charge de la dette pourrait, selon lui, dépasser les 100 milliards d’euros à l’horizon 2030 (p. 44), on comprend assez vite qu’il faut trouver d’autres moyens pour financer la transition écologique et le bien être social. Et pour ce faire, la « solution » est simple : créer de la monnaie et annuler les dettes publiques détenues par la BCE. En effet, pour Dufrêne, « l’annulation est indolore » et permettrait de mettre en œuvre un « plan d’investissement gratuit » (p. 189).

DE L’ARGENT MAGIQUE À L’ÉCONOMIE MAGIQUE

La lecture du livre de Dufrêne est édifiante. Son auteur est manifestement persuadé d’avoir trouvé la martingale économique ultime. Les conservateurs qui critiquent son idée seraient des esprits étroits, incapables de penser « en dehors du cadre ». « La monnaie est une institution sociale, elle est donc un peu ‘‘magique’’ par nature puisqu’elle repose sur la confiance du corps social et non sur des limites physique » écrit-il (p. 178). Dès lors, il suffirait de « permettre au Parlement de décider d’une introduction régulière d’une certaine somme de monnaie libre de dette de manière ciblée sur des tâches d’intérêt général » pour « redonner ses lettres de noblesse à la politique économique » (p. 179). « Soyons audacieux » s’enflamme-t-il plus loin dans la même page : « À terme, il ne serait pas impossible d’imaginer une complète disparition de l’impôt comme moyen de financer les dépenses publiques ».

Mazette ! La logique est imparable. Puisque la création monétaire est susceptible de financer tout ce dont nous avons besoin, et puisqu’on peut créer de la monnaie sans limite et autant qu’on le juge nécessaire, alors laissons le Parlement financer tout ce dont rêve la gauche.

« Une fois le mécanisme rodé, il pourra monter en puissance et prendre une part plus importante dans le financement des dépenses publiques, voire des dépenses sociales. Il pourra alors servir de socle à des projets ambitieux dont la simple évocation se heurte pour l’instant à des considérations insurmontables, au regard de leur coût potentiel sur les finances publiques : un revenu universel, une garantie d’emploi généralisé, une sécurité sociale de l’alimentation permettant à chacun de se nourrir de produits bio, une protection généralisée des biens communs à l’échelle nationale, voire mondiale » (p. 180).

Dans la logique de la « monnaie libre » telle qu’elle est imaginée par Dufrêne, les contraintes de financement n’existent pas et l’impôt n’est donc plus nécessaire. On peut ainsi tout avoir sans payer. « Il s’agit de passer d’une vision où l’on considère que les finances publiques ne sont qu’un moyen de mettre en commun et de répartir les richesses créées par l’activité des citoyens et des entreprises à une vision où les finances publiques deviennent l’un des moteurs de la création de cette richesse, sans avoir à piocher dans la richesse créée par les citoyens et les entreprises » (p. 180). « Notre proposition de monnaie libre revient à donner à l’État, c’est-à-dire à la collectivité, les moyens de s’en sortir par elle-même, sans avoir à contraindre qui que ce soit, du moins par (sic !) pour des raisons tenant à l’obligation de financement des dépenses publiques » (p. 182).

LE RÊVE ET LA RÉALITÉ

Arrivé à ce stade du raisonnement, le lecteur bien intentionné ne peut être que perplexe. Il serait donc possible de financer des centaines de milliards d’euros d’investissement sans que cela ne coûte rien à personne ? Sans travailler davantage et sans réduire ses revenus ? Par le simple mécanisme de la création monétaire ? Si c’était vrai et si les économistes le savaient, alors ce serait un véritable scandale. Le plus étrange dans cette affaire est que ce soit un non-économiste qui révèle le pot-au-rose. La conjuration des économistes aurait-elle empêché l’humanité de se libérer de la dette de manière définitive alors que la solution était évidente ? Émettre de la « monnaie sans dette », de la « monnaie libre ». Avec un peu de chance on, pourrait même se passer de travail puisque l’argent, qu’on peut créer de manière illimitée, travaillerait pour nous.

Revenons sur terre. Et pour cela, revoyons quelques bases concernant le fonctionnement de l’économie.

La première chose qu’il faut dire c’est que la monnaie n’est pas de la richesse. En économie, on peut raisonner à plusieurs niveaux en étudiant les flux « monétaires », les flux « financiers » ou les flux « réels ». Les flux réels sont constitués des biens et des services que nous produisons et que nous échangeons. C’est ce qu’on appelle la richesse. Quant à la monnaie, elle représente et elle quantifie la richesse, mais elle n’en est pas elle-même. En effet, elle n’a de valeur que dans la mesure où elle peut être convertie en richesses réelles. On peut ainsi observer que dans une transaction marchande classique il y a bien deux flux de nature différente. Un flux « réel » qui va du vendeur vers l’acheteur (c’est la marchandise), et un flux monétaire qui va lui de l’acheteur vers le vendeur.

Pour appréhender les conséquences de cette représentation, il suffit de revenir aux propos cités plus haut. Pourrait-on, en créant de la monnaie « libre », instaurer « une sécurité sociale de l’alimentation permettant à chacun de se nourrir de produits bio » ? Si l’on a une vision naïve de l’économie, on pourrait croire qu’en donnant suffisamment de monnaie aux consommateurs, ces derniers pourraient acheter une quantité potentiellement illimitée de produits bios. Le problème est qu’on ne peut acheter avec de la monnaie que des biens qui ont été produits dans la sphère réelle. Or, pour produire des aliments bios il faut des terres, des agriculteurs et du travail.

D’après une étude du ministère de l’agriculture, les rendements par hectare de l’agriculture biologique sont entre 28 et 57% inférieurs à ceux de l’agriculture conventionnelle. Cela signifie qu’en convertissant en bio l’ensemble des surfaces cultivées, la France diminuerait de plus d’un tiers sa production agricole. Donc sauf à recourir massivement à des importations, on ne pourra pas nourrir tout le monde. Comment la création monétaire pourrait-elle résoudre ce problème ? La réponse est simple : elle ne le peut pas.

Ni l’économie ni la monnaie ne sont « magiques ». Tout ce qui est vendu et consommé est nécessairement le résultat d’une transformation productive. Cette transformation a un coût « réel ». Le travail, le temps, les matières premières, les ressources qui ont été nécessaires à la production. Si les produits bios sont plus chers en monnaie que les produits de l’agriculture conventionnelle, c’est pour une raison qui tient à la sphère réelle. C’est tout simplement parce que pour produire une tomate bio il faut plus de terre et de travail que pour produire une tomate conventionnelle.

Au XVIe siècle, les élites espagnoles avaient une vision bullioniste de l’économie. Elles pensaient que la richesse d’une nation était strictement dépendante des quantités d’or et d’argent qu’elle détenait. C’est pour cela que les colonies espagnoles du Nouveau monde avaient pour principal objectif d’exploiter les mines d’or et d’argent qui s’y trouvaient. Pourtant, en dépit des flux de métaux précieux considérables qui se déversèrent sur l’Espagne à cette époque, le pays s’est globalement appauvri durant la période coloniale.

LE COÛT RÉEL DE L’INVESTISSEMENT

Dans une économie, la richesse réelle a différents usages. Elle peut être consommée ou investie. Lorsqu’elle est consommée, elle est utilisée par les ménages au profit de leur propre bien-être. Lorsqu’elle est investie, elle est utilisée par l’État et les entreprises principalement pour améliorer le moyens de production, les bâtiments et les infrastructures productives.

D’un point de vue formel on peut résumer l’économie à cette équation simplifiée :

PIB = Consommation + Investissement

Dans toute société, un arbitrage existe entre consommer et investir. En termes réels, ce choix se traduit de la manière suivante : soit on investit des ressources, du travail et du temps pour produire des machines et des bâtiments productifs, soit on décide que ces ressources et ce temps doivent être consacrés à la consommation. À moins de penser que les ressources naturelles et le temps de travail soient illimités, ce qui est absurde, on ne peut pas à la fois augmenter l’investissement et la consommation. De fait, augmenter la masse monétaire ne changera pas les données de cette équation. Si vous avez une main d’œuvre, vous pouvez soit lui faire produire des biens de consommation, soit lui faire produire des biens de production. Mais vous ne pouvez pas créer ex nihilo de nouveaux travailleurs, pas plus que vous ne pouvez faire apparaitre du pétrole et des terres cultivables.

On sait que la transition écologique va nécessiter un énorme effort collectif d’investissement. Concrètement, cela signifie qu’il va falloir rénover notre parc de logements, construire de nouvelles voies de chemin de fer, décarboner notre système énergétique. Il faudra changer presque tous nos véhicules, remplacer nos centrales électriques à gaz et à charbon, produire de l’acier sans charbon… Tout cela aura un coût réel considérable. Des millions d’emplois devront être consacrés à construire concrètement ces investissements. Des ressources énergétiques et des matières premières devront être orientées à cet usage. Le problème est que toutes les ressources qui seront consacrées à produire davantage de biens d’investissements ne pourront être utilisées pour produire des biens de consommation. Autrement dit, pour organiser la transition écologique il va falloir réorienter notre économie vers plus d’investissement et moins de consommation.

À partir de là, deux scénarios sont possibles. Si l’on est optimiste, on peut se dire que la croissance suffira à rendre indolore la transition écologique pour les ménages. Cela suppose que la croissance du PIB soit entièrement consacrée à augmenter l’investissement sans prélever sur la consommation des ménages. Le problème est que, dans ce cas, le rythme de la transition sera dépendant du niveau de croissance économique. Or, celle-ci n’est pas assurée. Aussi, le scénario le plus réaliste et le plus responsable serait de ne pas trop compter sur la croissance. Dans ce cas, pour s’assurer que les investissements soient réalisés le plus rapidement possible, il faudra réorienter des ressources productives de la consommation vers l’investissement. Cela se traduira, sur le plan monétaire, par une baisse des revenus et du pouvoir d’achat des ménages.

Aucune solution magique n’existe pour résoudre les paramètres de cette équation. La transition écologique sera d’autant plus rapide et efficacement mise en œuvre que le pouvoir d’achat des ménages sera globalement réduit. Ainsi, la seule manière d’organiser politiquement cette réduction et d’y introduire un minimum de justice sociale sera de faire en sorte que les ménages les plus aisés supportent l’essentiel de cette baisse. Et la façon la plus simple de baisser le pouvoir d’achat des catégories aisées c’est encore par la fiscalité. Pardon de tenir un « discours dogmatique », mais promouvoir de fausses solutions aux naïfs est encore le moyen le plus sûr de ne jamais organiser une transition écologique ambitieuse.

Boulangerie, artisanat et énergie

C’est la nouvelle année, le temps des « bonnes résolutions » et le gouvernement vient donc de découvrir que les boulangeries françaises étaient au bord de l’asphyxie. Pourtant, depuis plusieurs semaines et même plusieurs mois, il n’était pas bien compliqué de s’en rendre compte pour qui va lui-même acheter son « pain quotidien » : les prix flambaient (au rythme de plusieurs augmentations pour un même produit en quelques mois), certaines boutiques choisissaient de fermer leur devanture une journée supplémentaire par semaine quand d’autres mettaient tout simplement la clef sous la porte… après les « déserts médicaux », les pénuries de médicaments, nous voici à l’orée de créer des « déserts boulangers ».

Le prix du pain est rentré dans l’imaginaire des Français comme ce qui a déclenché la Révolution (la grande et aussi les suivantes) – et on se souvient du slogan du Front Populaire « Pain, Paix, Liberté » –, tous les exécutifs sont conscients que ce sujet est à la fois symbolique et terriblement concret : le pain doit rester accessible, et pas trop cher. Quand la baguette ne coûte plus 1€, mais 1,10€ ou 1,20€, les Français le voient tout de suite ; souvent la boulangerie est le dernier commerce ouvert dans un village, sa disparition provoque automatiquement un sentiment d’abandon, sentiment d’abandon (et perte de pouvoir d’achat) qui voici un peu moins de 5 ans avait nourri le mouvement des « Gilets Jaunes ».

Panique gouvernementale

Voici pourquoi en catastrophe, Bruno Le Maire a mis en scène mardi 3 janvier 2023 sa mobilisation au secours des artisans boulangers (il aura donc fallu attendre la rentrée scolaire), dans un point presse qui a suivi un échange avec les représentants du secteur de la boulangerie. Les 33 000 artisans auront donc l’immense plaisir de recevoir « courrier personnalisé » pour « leur préciser les aides auxquelles ils ont droit ».

Rassurez-vous d’autres mesures suivent… Les boulangers pourront « demander le report du paiement de leurs impôts et cotisations sociales » (merci la sécurité sociale) ; ils auront droit à une remise sur l’électricité « pouvant aller jusqu’à 40% de remise sur leur facture » ; ils pourront enfin résilier leurs contrats d’énergie sans frais, lorsque l’évolution des prix pratiqués sera « prohibitive » – les experts comptables des artisans concernés devront faire preuve de talent et de subtilité pour définir le niveau à partir duquel cette évolution sera “prohibitive” (on ne sait toujours pas s’il y aura un décret pour encadrer la mesure). Dominique Anract, le président de la Confédération Nationale de la Boulangerie-Pâtisserie Française, qui avait participé à la réunion du matin s’est évidemment réjoui de ces nouvelles mesures, mais il lui fallait forcément nuancer : « pour une facture (d’énergie) qui va être multipliée par dix ou douze, rien ne sera suffisant »… c’est mieux que si c’était pire, donc.

Nous avons également eu droit à une nouvelle saison de #BrunoDemande : « Aujourd’hui, je le dis clairement : les fournisseurs n’aident pas suffisamment les boulangers et les PME » avant de rencontrer les “énergéticiens” dont Engie, EDF ou TotalEnergies. Il leur « demande » de « faire plus, de faire mieux, et de le faire tout de suite ». Alors même que début octobre 2022, ils ont signé une charte les engageant à protéger les entreprises de la hausse des pris de l’énergie, « un certain nombre de fournisseurs ne respectent absolument pas les engagements qu’ils ont pris », selon l’aveu du ministre de l’économie lui-même. S’ils ne « corrigent » pas le tir, Bruno promet de prendre « les mesures nécessaires pour faire respecter ces engagements et nous assurer que les fournisseurs jouent aussi le jeu » : « On peut toujours prélever davantage sur les fournisseurs d’énergie que ce que nous faisons aujourd’hui ». Dans le budget pour 2023, le gouvernement a mis en place un mécanisme qui doit lui permettre de collecter une partie des bénéfices des énergéticiens et lui rapporter, selon ses estimations, 11 milliards d’euros. Pourquoi ne pas agir maintenant alors que les défaillances sont ouvertement constatés ? Sans doute pour la même raison que les super-profits d’un certain nombre d’entre eux ne sont pas taxés, car ils n’existeraient pas.

Enfin, « dans chaque département, dans chaque préfecture, un point d’accueil des boulangers, avec des équipes dédiées, qui non seulement accueilleront tous les boulangers qui ont des questions et qui se demandent comment bénéficier des aides mais qui viendront aussi à la rencontre des boulangers » a souhaité préciser le même jour sur France Info, la première ministre Élisabeth Borne. Sauf que son ministre déplorait quelques minutes plus tard « nous avons à peine une cinquantaine de PME par jour seulement, je ne parle même pas des boulangers, qui viennent solliciter une aide à laquelle ils ont droit » : dans des préfectures et sous préfectures qui ne disposent déjà pas des moyens nécessaires pour effectuer correctement leurs missions habituelles, on doute que les boulangers se précipitent, alors qu’ils se plaignent déjà du caractère ubuesque des procédures à respecter pour obtenir ces aides – une dépense d’« énergie supérieure aux quelques centaines d’euros obtenues en bout de course » (sans jeu de mots).

Concours Lépine du faux-nez politique

Les boulangers vont-ils marcher sur Paris ? Certains en rêvent. Le 23 janvier, un Collectif pour la survie de la boulangerie et de l’artisanat appelle à manifester dans la capitale. Un autre collectif, La boulangerie à poil, va participer. Ces professionnels invitent d’autres artisans à les rejoindre et accusent l’État de ne pas les soutenir suffisamment. Ils affirment qu’ils veulent « changer le cours de l’histoire », rien de moins. On sent la reprise des codes du mouvement des “Gilets Jaunes” que nous évoquions plus haut.

Or, Frédéric Roy, le boulanger niçois qui a créé le premier de ces collectifs, est ouvertement engagé en politique. Dans ses interviews, il ne se contente pas de montrer ses factures. Il a tout un discours sur l’échec de l’Europe dans le domaine de l’énergie, et sur la souveraineté française qu’il faudrait retrouver. Qui le soutient ? Localement, Eric Ciotti, le député des Alpes-Maritimes, qui est aussi… président de LR. Il est particulièrement savoureux de voir LR – qui a accompagné toutes les décisions néolibérales et technocratiques décidées par le Conseil et la Commission européennes (donc le gouvernement français) – se révolter aujourd’hui… si quelques-uns peuvent parfois (difficilement) se prévaloir d’une lointaine filiation gaulliste ou séguiniste, pour la plupart on se vautre dans la caricature.

La palme revient sans doute à Valérie Boyer, sénatrice LR des Bouches-du-Rhône qui fut députée pour le même camp de 2007 à 2020, qui citant Loïk Le Floch-Prigent – « Le fait de produire de l’énergie d’origine nucléaire à 40 €, de la vendre à 42, et ensuite de la racheter le 21 juillet à 397 € devrait faire s’interroger tous les Français » – conclue par « Le fiasco énergétique de Hollande-Macron » : pour quelqu’un qui a voté en 2010 la loi NOME (qui introduit le processus aboutissant à l’impasse actuelle) à la demande du président Nicolas Sarkozy, c’est assez gonflé… Or la flambée des prix de l’énergie qui étrangle les boulangers, les TPE et plus généralement les Français, trouve aussi et d’abord son origine ici.

Démondialisation et marché européen

Les boulangeries avaient déjà subi une poussée de fièvre sur les prix fin 2021-début 2022 à cause de l’augmentation des prix du blé. On avait même vu dans certaines boutiques s’afficher des graphiques explicatifs pour justifier une première augmentation de 10 % de la « baguette tradition ». La guerre en Ukraine – qui a évidemment aggravé le phénomène – ne l’explique pourtant pas ou pas totalement. Depuis plus de 20 ans, le blé est une « matière première » hautement spéculative… Or aujourd’hui, si un producteur français voulait vendre à des prix plus accessibles que les cours actuels du marché, il ne pourrait pas car ce marché justement est mondialisé : tout est négocié à … Chicago. La construction d’un marché international régulé des céréales n’est évidemment pas à remettre en cause – c’est un des acquis des grands objectifs de régulation de la communauté internationale construite après la seconde guerre mondiale –, mais justement la « régulation » n’existe plus ou peu car la réglementation a sauté ligne par ligne avec le processus de libéralisation des marchés engagé depuis les années 1990. La « mondialisation heureuse » des néolibéraux aboutit au dysfonctionnement total du marché… Mais là, l’exécutif français reste coi, au niveau international comme au niveau européen.

L’échelle européenne, parlons en justement… car, en pratique, face à la crise, le gouvernement répond avec des aides ciblées en craignant la contagion des revendications. La peur n’ayant jamais écarté le risque, déjà, d’autres professionnels réclament, eux aussi, des aides supplémentaires. Les restaurateurs expliquent qu’ils ont du mal, comme les boulangers, à payer leur facture. Le gouvernement macroniste craint donc d’avoir ouvert la boîte de Pandore, alors que, depuis quelques mois, il essaie de diminuer son soutien à l’économie hérité de la crise sanitaire. Officiellement, la politique du « quoi qu’il en coûte » est derrière nous – l’État n’en aurait plus les moyens au moment où les taux d’intérêts nominaux remontent. Comment soutenir alors ceux qui ont des problèmes, sans faire chaque jour de nouveaux chèques ?

La solution est systémique et c’est celle que le gouvernement et la haute fonction publique de Bercy – aveuglés par le foi néolibérale – se refusent encore à mettre totalement en œuvre : c’est exiger (après avoir défendu l’inverse pendant des décennies) la fin du « marché » européen de l’énergie. La sortie du traité de la charte de l’énergie ne saurait satisfaire les Français avides de solutions concrètes. Pourquoi proposer au TPE et aux artisans de revenir temporairement aux tarifs réglementés (la gauche voudrait y adjoindre les collectivités), quand on sait que c’est le système actuel qui dysfonctionne en soi ?

Nous avons longuement écrit sur le sujet et vous pourrez vous référez à nos articles… l’idée fait son chemin pourtant, et il est un moment où personne ne pourra encore la différer : il fallait écouter le journaliste Jean-Sébastien Ferjou, le mardi 3 janvier au soir dans l’émission Les informés de France Info, expliquer que, tout en se revendiquant libéral et affirmant « croire au marché », lorsqu’il n’existe qu’un seul producteur – EDF en l’occurrence – il n’y a pas de marché et que les dispositifs mis en place par les institutions européennes pour en créer un artificiellement étaient tout simplement absurdes.

Espérons que l’inéluctable ne soit donc pas mis en œuvre trop tard.

Frédéric Faravel

François Geerolf : « Il se passe dans la réalité l’inverse de ce que prévoient les modèles »

François Geerolf est économiste à l’Université de Californie ainsi qu’à Sciences Po. Polytechnicien de formation, il soutient sa thèse d’économie en 2013, puis fait un post-doctorat à l’école d’économie de Toulouse en 2013-2014. Spécialiste de macroéconomie et de finance, il fustige les modèles économiques abstraits qui sont contredits par les faits et qui nourrissent alors des choix politiques peu pertinents. Propos recueillis par David Cayla

GRS : Vous avez récemment écrit un article pour fustiger la manière dont des économistes très réputés ont quantifié les effets économiques d’un embargo du gaz russe par l’Union européenne. Selon ces économistes, la rupture de l’approvisionnement en gaz russe pèserait finalement assez peu sur l’économie allemande, générant une perte moyenne de 0,3% du PIB, pour l’une de ces études, et une perte entre 0,5 et 3% du PIB pour l’autre, tandis que le coût moyen pour l’UE ne serait que de 0,2 à 0,3% du PIB, soit environ 100 euros par adulte. Comment parviennent-ils à une telle estimation ?

François Geerolf : Deux méthodes sont utilisées, qui aboutissent à des résultats très différents. La première consiste à faire tourner un modèle macroéconomique assez sophistiqué, qui prétend modéliser les interactions entre les différents secteurs de production, le commerce international, etc. Le modèle est ensuite « calibré » à partir de données provenant de tables entrées-sorties internationales. Ce que nous dit ce modèle, c’est qu’une rupture totale et immédiate (en mars 2022 !) d’approvisionnement en énergie russes (gaz et autres) aboutirait à une baisse de 0,3% du PIB en Allemagne et en Europe, ce qui représente en effet moins de 100 euros par an, donc moins de 10 euros par mois et par adulte.1 Je pense que même des non-économistes peuvent voir intuitivement que ce chiffrage ne tient pas debout : la hausse des prix de l’énergie pour les citoyens européens coûte déjà beaucoup plus que cela, et les instituts de conjoncture allemands ont déjà révisé leurs prévisions de croissance pour l’Allemagne de 4-5% depuis que les approvisionnements énergétiques russes sont plus limités ! Peut-être parce que ces résultats leur semblent également trop faibles, ces universitaires utilisent ensuite une méthode plus simple, qui ne repose que sur l’estimation d’un paramètre (une élasticité de substitution entre le gaz et les autres facteurs de production). Selon eux, cette deuxième méthode garantit dans tous les cas que les pertes de PIB ne dépasseront jamais les 3% du PIB en Allemagne dans le cas d’une rupture d’approvisionnement (ce qui est déjà un ordre de grandeur supérieur à ce qui est obtenu par la méthode plus sophistiquée).

GRS : Selon vous, quelles sont les failles principales du raisonnement de ces économistes ? Pourquoi pensez-vous que les effets d’un embargo du gaz russe pourraient être bien plus coûteux ?

FG : Très franchement, je ne sais pas par où commencer : dans mon article, je passe par 23 points de critique.2 Le problème principal, c’est sans doute qu’ils raisonnent en économistes néoclassiques, c’est-à-dire en supposant que le gaz russe sera substituable dans l’industrie, et pourra être remplacé par d’autres intrants permettant de maintenir le niveau de production. Or, il n’y a pas lieu ici de faire ce type d’hypothèse : dans beaucoup de secteurs de l’industrie, la substitution n’est tout simplement pas possible. C’est le cas évidemment lorsque le gaz est utilisé non comme source d’énergie mais comme matière première, comme dans la chimie. Mais c’est le cas aussi pour beaucoup d’autres industriels qui utilisent le gaz comme source d’énergie principale, et qui auraient besoin de temps pour remplacer, par exemple, leurs fours au gaz par des fours à l’électricité. Ils supposent de même que l’énergie peut être remplacée par d’autres intrants lorsqu’elle devient trop cher : or l’énergie ne peut le plus souvent pas être remplacée par la force de travail, sauf à un coût prohibitif. Lorsque le prix de l’énergie augmente, les entreprises n’utilisent pas davantage la force de travail : au contraire, elles diminuent la production car elles sont moins compétitives, et mettent une partie de leurs salariés au « chômage partiel ». Bref, il se passe dans la réalité l’inverse de ce que prévoient les modèles qu’ils utilisent. Tout ceci implique que les économistes ont très fortement minimisé les coûts d’une rupture d’approvisionnement par le gaz russe.

Ils nous expliquent également que le phénomène de substitution ne se produit pas seulement au niveau micro-économique, mais également au niveau macro-économique. Lorsque le gaz se fait plus rare, son prix augmente de sorte que les entreprises qui utilisent plus de gaz font faillite et sont remplacées par d’autres selon un processus de « destruction créatrice » (un de leurs concepts-phare !). De la même façon, ils voient la possibilité de substituer la production nationale par les importations comme une opportunité (par exemple, pour les engrais). Or, ces deux mécanismes par lesquels l’économie s’ajusterait à une raréfaction de l’offre de gaz ne sont pas des opportunités, mais peuvent au contraire être considérés comme néfastes pour l’économie allemande, en tout cas sur le long terme : d’une part, la prospérité allemande s’est construite en grande partie sur le développement d’une industrie chimique à haute valeur ajoutée, qu’il n’est pas si aisé de remplacer du jour au lendemain : en cela, on peut craindre une « destruction destructrice » plutôt que créatrice. D’autre part, le remplacement de la production nationale par des importations est vu par les industriels comme une menace, dans la mesure où les concurrents de l’Allemagne (en Chine, mais aussi aux États-Unis) pourraient gagner des parts de marché pendant ce temps. Or, le secteur industriel se distingue par une forme d’irréversibilité, qui fait qu’il est souvent très difficile de reconquérir des parts de marché perdues.

Un troisième point, peut-être : fidèles à leur croyance dans l’optimalité des mécanismes de marché, ces économistes n’envisagent pas d’alternative au système de prix pour gérer le rationnement du gaz : c’est-à-dire qu’ils préconisent de laisser les prix de l’énergie augmenter jusqu’à ce que particuliers et industriels soient suffisamment découragés de l’utiliser, ce qui provoquera selon eux la réduction de demande voulue. Ce qui est « amusant », c’est que cela les conduit à envisager des hausses de prix de 1300% (c’est-à-dire une multiplication par 14), voire de 3400% (multiplication par 35) qui resteraient selon eux compatibles avec une baisse du PIB atteignant 1,6% ou 2,3% du PIB respectivement. Quand on voit l’effet qu’a déjà eu un doublement ou un triplement du prix sur les ménages britanniques ou sur les industriels allemands, on se demande vraiment dans quel monde vivent ces économistes…

GRS : À la fin de votre article, vous expliquez que l’énergie et la production industrielle sont « spéciaux » ? Qu’entendez-vous par là ?

FG : En effet, l’énergie et l’industrie ont cela en commun qu’ils sont un point aveugle de l’analyse économique néoclassique. D’abord, ces deux secteurs sont caractérisés par des coûts fixes importants, ce qui implique des rendements croissants. Qui dit rendements croissants dit monopoles naturels, place pour l’intervention publique, pour la promotion de « champions nationaux », pour la politique industrielle, etc. toutes choses qui mettent les économistes néolibéraux très mal à l’aise (et qui mettent en défaut beaucoup de leurs résultats). Ensuite, l’énergie et la production industrielle sont plus essentiels que ce que ne laisse entendre le poids relativement modeste qu’ils pèsent dans le Produit Intérieur Brut ou dans l’emploi total. Pour les économistes néoclassiques, le poids dans le PIB donne une bonne idée de l’importance d’un secteur dans l’économie : si l’énergie ne représente que 2% du PIB, alors une baisse de la quantité d’énergie de 50% ne fera baisser le PIB que de 1% (on appelle cela le « théorème de Hulten »). Or, comme le remarque fort justement Jean-Marc Jancovici, cela revient à dire que le cerveau humain ne représentant que 2% du poids du corps, en enlever la moitié n’est pas si grave puisque cela ne représente qu’1%. Ce raisonnement n’est pas plus valide pour ce qui est de l’industrie : l’industrie pèse bien plus dans l’économie allemande que ses 20% de PIB. Or c’est ce genre de raisonnements qu’ils tiennent pour expliquer que si l’Allemagne se désindustrialise, ce ne sera pas si grave.

Par ailleurs, l’énergie comme l’industrie font l’objet d’une grande attention de la part des politiques, et dans le débat public, à raison. L’énergie, car on s’attache à sécuriser les approvisionnements, et on s’inquiète de sa raréfaction, notamment lorsque les énergies fossiles viendront à manquer. L’industrie, car depuis très longtemps bien des politiques s’inquiètent de la désindustrialisation et des délocalisations vers les pays émergents. Dans les deux cas, le discours des économistes néoclassiques se veut rassurant : pour l’énergie, ils considèrent que la crainte d’un tarissement de l’énergie relève du malthusianisme. D’ailleurs, dans le modèle de Solow qui sert de base à la réflexion macroéconomique, l’énergie ou les ressources naturelles n’apparaissent même pas comme un facteur de production à part. Pour l’industrie, les économistes néoclassiques dénoncent depuis très longtemps le « fétichisme industriel » des politiques. C’est encore le cas aujourd’hui, même après la crise du Covid-19 qui a pourtant amené à une prise de conscience chez beaucoup de décideurs. En cela, leur position sur la relative innocuité d’une rupture d’approvisionnement du gaz russe s’inscrit dans une certaine forme de cohérence.

GRS : Pensez-vous que cette étude a eu un impact sur les décisions politiques ? Les autorités européennes et françaises lui ont-elles accordé du crédit ?

FG : Cette étude a en tout cas bénéficié d’un fort effet de légitimité, car elle émane de chercheurs très réputés dans leur domaine (l’un d’entre eux est par exemple lauréat 2017 du très prestigieux« prix Bernácer », remis au meilleur macroéconomiste européen de moins de 40 ans) et qu’elle a reçu l’appui des prix « Nobel » d’économie Paul Krugman ainsi que Esther Duflo and Abhijit Banerjee, ce qui a évidemment renforcé sa crédibilité auprès des politiques. Les économistes mainstream se sont rangés comme un seul homme derrière cette étude, accusant ses détracteurs d’incompétence et d’illégitimité, voire d’un positionnement « anti-science ».

En Europe, cette étude a été brandie par plusieurs parlementaires européens pour réclamer un embargo immédiat et rapide des énergies russes, et faire pression sur la Commission Européenne. La Commission a d’ailleurs décidé de « couper la poire en deux » en annonçant une sortie complète des énergies russes dans le futur, ce qui a fait augmenter les prix de l’énergie via des phénomènes spéculatifs… et ce qui a paradoxalement aidé la Russie plutôt que de la sanctionner. En France, l’étude a été reprise par le Conseil d’Analyse Économique qui conseille le gouvernement et le premier ministre français. Cela a à mon avis contribué à rendre le gouvernement français très optimiste sur la situation économique future : en septembre, et après la fermeture de Nord Stream, les économistes du Trésor prévoyaient encore une croissance de 1% pour la France, de 0.8% pour l’Allemagne en 2023. Par ailleurs, le gouvernement français est seulement en train de prendre la mesure des difficultés que la hausse des prix de l’énergie va causer sur le tissu industriel, notamment en termes de compétitivité par rapport aux concurrents chinois et américains, mais aussi européens (les gouvernements peuvent aider leur industrie de manière très inégale).

En Allemagne, les économistes ont dès le départ dû faire face à une plus forte opposition politique. Malgré leur pression insistante, le chancelier allemand Olaf Scholz n’a pas décidé en mars 2022 d’embargo immédiat et brutal sur toutes les énergies russes, en particulier sur le gaz ! Les médias ont demandé des comptes aux politiques sur la base de cette étude : interrogé à propos de l’étude des neuf économistes par Anne Will (qui présente le talk-show le plus regardé en Allemagne), Olaf Scholz s’est agacé : « Ces économistes ont tort !  Il est irresponsable d’affirmer des choses pareilles à partir de modèles mathématiques qui ne fonctionnent pas vraiment. » J’espère avoir montré qu’il avait entièrement raison sur ce point. En juin 2022, Robert Habeck, le vice-chancelier allemand en charge de l’économie, s’est également moqué de ces économistes “rassuristes” lors d’une réunion publique, en remarquant qu’ils étaient devenus bien plus silencieux depuis que tout le monde avait compris que les effets seraient bien plus graves que ce que ne disaient leurs modèles. De manière générale, j’en viens à me demander si les résultats économiques de l’Allemagne, notamment en termes de maintien du tissu industriel, ne tiennent pas beaucoup à ce qu’ils sont capables de tenir les économistes néolibéraux à bonne distance.

GRS : Plus largement, qu’est-ce que cette étude révèle de la science économique contemporaine, selon vous ?

FG : Là encore, je ne sais pas où commencer, tant je pense que cette étude révèle énormément de choses de la « profession » ! D’abord, je l’ai déjà dit, un rapport tout particulier aux sujets énergétiques et industriels, en décalage total avec la vision des ingénieurs mais aussi des politiques et tout simplement, du « bon sens ». Ensuite, une certaine forme d’hubris voire d’arrogance de la part des « économistes stars » : pour penser que les ingénieurs travaillant dans l’industrie allemande, le gouvernement allemand ont tous tort sur les possibilités de substitution du gaz russe, alors qu’on n’a pas particulièrement travaillé sur ce sujet complexe, il faut avoir une sacrée confiance en soi. Ensuite, une forme de corporatisme des économistes (qu’ils sont très prompts à dénoncer pour les autres professions), avec une critique très forte des ingénieurs et des industriels allemands, défendant nécessairement la vision de leur « lobby ». L’usage de l’argument d’autorité, également : la plupart des économistes qui ont relayé le papier et pris la défense de cette étude ne le faisaient pas en argumentant à partir de l’article, mais se fondaient sur la seule réputation de ces chercheurs. L’incapacité à répondre à une réponse argumentée, ensuite : à plusieurs reprises, j’ai tenté d’engager la discussion avec ces économistes, sur Twitter, par oral (via l’organisation d’un séminaire au Conseil des experts économiques allemands), ou via l’écriture de cet article, mais en vain.

Mais peut-être, ce qui me frappe le plus dans cette histoire, c’est de voir à quel point l’utilisation des mathématiques par les économistes a non seulement rendu plus difficile la critique, mais a aussi amené ces économistes à se fourvoyer. (L’article contient plusieurs erreurs de raisonnement dues aux mathématiques, ce que l’économiste Paul Romer appelle « mathiness ».) S’ils avaient été davantage contraints d’expliquer leurs résultats dans le langage commun, ces économistes comme leurs lecteurs auraient peut-être davantage pu voir que quelque chose n’allait pas.

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1 Voir Bachmann, R., Baqaee, D., Bayer, C., Kuhn, M., Löschel, A., Moll, B., Peichl, A., Pittel, K., & Schularick, M. (2022). What if? The Economic Effects for Germany of a Stop of Energy Imports from Russia. In EconPol Policy Reports (No 36; EconPol Policy Reports). ifo Institute – Leibniz Institute for Economic Research at the University of Munich. En France, cette étude a été reprise et étendue par le Conseil d’Analyse Économique ainsi que par le CEPREMAP. Voir Baqaee, D., Landais, C., Martin, P., Moll, B. (2022). “The Economic Consequences of a Stop of Energy Imports from Russia.” Focus du Conseil d’Analyse Economique (CAE). Langot, F., Tripier F., « Le coût d’un embargo sur les énergies russes pour les économies européennes », Observatoire Macro du CEPREMAP, n°2022-2, avril 2022.

2 Voir Geerolf, François. The “Baqaee-Farhi approach” and a Russian gas embargo – some remarks on Bachmann et al. Sciences Po OFCE Working Paper, n° 14/2022.

Les Jours Heureux : Les nationalisations sont un outil pour redresser notre pays

Hors parenthèse du « quoi qu’il en coûte », les États sont contraints à toujours plus de restrictions budgétaires, tandis que le capitalisme accumule sans cesse plus de profits et pratique l’évasion fiscale à grande échelle. L’idéologie néolibérale – et sa variante juridico-politique européenne « ordo-libérale » – ont justifié ce recul des États au nom de la concurrence et du libre-échange.

Mais la crise du Covid a remis sous les projecteurs la légitimité d’une action publique disposant de moyens suffisants pour se déployer. Il est temps de récupérer le Capital. Il est temps de retrouver du pouvoir.

Certes la présence de l’État au capital d’une entreprises ne garantit pas automatiquement la capacité de la puissance publique à s’opposer au départ des activités, au manque d’investissements ; cela dépend largement du taux de possession du capital (en dessous ou au-dessus de 33% et des minorités de blocage) mais dans la plupart des cas, cela permet néanmoins d’anticiper l’évolution de l’entreprise et de veiller à son devenir.

Tout dépend aussi des représentants que l’État envoie dans les conseils d’administration et le point de vue qu’ils y défendent : le meilleur cours de l’action pour satisfaire Bercy qui veut accroître les recettes immédiates de l’État ou l’avenir industriel et de l’emploi. Jusqu’à présent, la première préoccupation a prévalu avec des représentants du ministère des finances souvent complices de choix contestables au regard de l’intérêt national. C’est pourquoi il est essentiel de modifier radicalement la gouvernance publique et de confier au ministère de l’industrie cet enjeu.

Avec Fabien Roussel, nous soutenons un candidat qui n’aura pas peur s’il est élu président de la République de prendre des décisions fortes pour que l’État récupère le capital et engage les réorientations nécessaires de notre économie, face aux défis de la réindustrialisation et de la transformation écologique.

RESTAURER LA PUISSANCE DU CAPITAL PUBLIC ET COOPÉRATIF

  • Dégager des moyens substantiels pour tripler en 5 ans notre capital public (c’est le moment de le faire car les taux d’intérêt sont bas, les actions peu chères). C’est un élément important du plan de relance qui n’appauvrirait pas l’État car il s’agit d’actifs et qui dans bien des cas rapportent chaque année des sommes substantielles ;
  • Prévoir la capacité à lancer rapidement des nationalisations temporaires pour assurer les transitions (trouver des repreneurs, réorganiser l’activité, stopper les prédations, empêcher la vente…) ;
  • Stopper les privatisations (ADP, Françaises des Jeux…) et renationaliser les sociétés d’autoroute ;
  • Transformer des aides ou prêts aux entreprises en prise de capital (banques, Air France, etc.) ;
  • Permettre à la BPI de prendre des parts en capital, en particulier pour aider au démarrage de nouvelles activités ou développement et arrêter d’obliger que d’autres banques s’engagent pour soutenir le projet ;
  • Renforcer les capacités des collectivités locales, en particulier des régions, de pouvoir entrer au capital des entreprises.
  • Retour à la Nation des moyens de production d’énergie et de distribution des eaux :
    • Nationaliser EDF, Engie, et Areva, et créer un pôle public de l’énergie ;
    • Nationaliser Veolia et Suez, créer un pôle public de l’eau qui favorisera la création de régies publiques locales de l’eau.
      Il faut protéger ces secteurs des logiques de rentabilité qui se font sur le dos des usagers et ainsi amorcer l’indépendance de notre secteur énergétique.

POUR UN PÔLE PUBLIC DU MÉDICAMENT

  • Relocaliser la production des principes actifs en Europe ;
  • En France, structurer les entreprises pharmaceutiques produisant les produits médicaux vitaux ou de première nécessité en Sociétés coopératives d’intérêt collectif ;
  • Mettre en place un Conseil national des produits médicaux, chargé de contrôler les prix, de lancer les productions impératives et d’effectuer des réquisitions en cas d’urgence ;
  • Taxer 1% du bénéfice des entreprises pharmaceutiques pour financer le pôle public.

METTRE DES FREINS AUX EXCÈS DE LA FINANCE ET S’ATTAQUER À LA SPÉCULATION QUI ENRICHIT CERTAINS EN VOLANT LE TRAVAIL DES AUTRES

Nous ferons voter une loi bancaire qui :

  • taxera à 15% les bénéfices réalisés par les banques ;
  • interdira le trading à haute fréquence et l’échange de produits financiers toxiques afin d’éviter la ruine des épargnants, des ménages endettés et de limiter les bulles financières ;
  • dotera l’État de moyens judiciaires et répressifs supplémentaires pour combattre la fraude et l’évasion fiscales ;
  • séparera banque de dépôt et banque d’investissement ;
  • interdira aux banques françaises d’exercer dans des paradis fiscaux ;
  • augmentera les impôts sur les placements spéculatifs, les transactions financières tout comme sur les paradis fiscaux, les GAFAM.

Enfin, un pôle financier public sera constitué, grâce à la nationalisation des grandes banques et compagnies d’assurances privées.

Où est le plan? Où est la relance?

La présentation, par le Premier ministre le 3 septembre, du plan « France Relance » destiné à surmonter les conséquences économiques du confinement, laisse une impression mitigée, pour ne pas dire un goût amer, tant il repose, à partir de postulats voire de mesures qui pourraient être largement partagés, sur des présupposés idéologiques qui, eux, ne changent pas et confirment l’orientation néolibérale du pouvoir macroniste. Rien ne sera plus comme avant « et en même temps » presque tout sera finalement comme avant.

I. Une ampleur aussi large… qu’insuffisante

Tout d’abord, le montant total. 100 milliards d’euros, soit 4 fois le montant affiché de la « relance Sarkozy » consécutive à la crise financière de 2008 ; et 3 fois les dépenses réalisées (le solde de ce plan avait en effet été arrêté en 2012 à 34 milliards).

C’est énorme, serait-on tenté de dire. Plus de 4 points de PIB : la mobilisation par la puissance publique de telles ressources financières ne s’était effectivement plus vue depuis le plan Marshall de 1947.

Mais sorti de cette première sidération, on doit nécessairement comparer l’ampleur du remède à l’ampleur du désastre. Or la récession attendue en France en 2020 dépasse 10 points de PIB, soit… une perte sèche de 250 milliards d’euros ! La plupart des économistes, même les libéraux les plus acharnés contre toute intervention de l’État dans l’économie (lesquels libéraux sont généralement moins rigides quand il s’agit de sauver les profits), ont été déçus par cette somme de 100 milliards, d’autant plus qu’il s’agit en réalité d’un « plan triennal », dont les crédits seront décaissés en 2020, 2021 et 2022.

Le Gouvernement a justifié cette timidité par deux arguments, une contre-vérité et une prédiction en forme de méthode Coué.

La contre-vérité, c’est l’affirmation selon laquelle le plan « France Relance » serait, selon Jean Castex, « le plus ambitieux de toute l’Europe ». Il n’en est rien. Premièrement l’Allemagne va mobiliser la somme colossale de 1000 milliards d’euros (certes en comptant la garantie d’État sur les prêts exceptionnels aux entreprises, qui comme en France ne sont pas du « vrai argent » mais juste une promesse de rembourser à leur place en cas de faillite).

Deuxièmement, l’Italie (dont le PIB est inférieur de 15% au nôtre), qui bénéficiera à plein du plan de relance européen du 24 juillet dernier, pourra compter sur 80 milliards de subventions et 120 milliards de prêts de la Commission, sur la période 2021-2023. Il en est quasiment de même pour l’Espagne (dont le PIB est inférieur de 40% au nôtre).

La prédiction en forme de méthode Coué, c’est la croyance selon laquelle le rebond de l’économie française l’année prochaine sera d’au moins +7%, comme anticipé par Bercy, l’Insee et la Banque de France. Le raisonnement tenu par le Gouvernement est donc qu’aux -10% de 2020, les +7% de 2021 seront « raboutés » par les +4% du plan de relance. Les éléments de langage du Premier ministre le confirment : il s’agit seulement de « reconstituer » ce qui a été perdu.

Il n’est évidemment pas dans mon propos d’accuser les prévisionnistes de ces vénérables institutions d’optimisme démesuré, encore moins d’avoir fumé la moquette. Mais les prévisions doivent toujours être prises avec une extrême prudence et la part d’impondérable demeure très élevée. Une série de spirales négatives pourraient bloquer la reprise « spontanée » de 2021 bien en-deçà de +7% (accumulations de plans sociaux, reprise de l’emploi en-dessous des estimations, rupture de confiance des ménages qui continueraient de « thésauriser » leur épargne de précaution, krachs boursiers puis financiers etc..).

Dans cette macro-économie aussi inédite que catastrophique, mieux vaut prévenir que guérir et donc, contrairement à la politique sanitaire et hospitalière qui nous a menés là où nous en sommes, prévoir vraiment le pire.

Une nouvelle loi de finances rectificative pour 2020 devrait concentrer davantage de crédits sur le semestre à venir, sans attendre la loi de finances pour 2021. La communication gouvernementale pourrait ainsi tenir (pour une fois) la ligne éditoriale du Président de la République, au lieu de se contredire en permanence, en annonçant d’emblée que la France « fera tout, quoi qu’il en coûte » pour rétablir puis relancer son économie.

Une telle vision des choses, beaucoup plus volontariste et proactive, ne risquerait strictement rien en terme de « crédibilité de la signature de la France », puisque la Banque Centrale Européenne a d’ores et déjà fait savoir, presque explicitement, qu’elle rachèterait la totalité des dettes émises pour lutter contre la crise. Pourquoi ne pas en profiter ? Tout porte à croire que les avares de Bercy ont, comme d’habitude, été trop écoutés.

II. Un plan de relance, sans… relance de la consommation ?!

L’avant-dernière fois que la France avait conçu un plan de relance (avant celui de Sarkozy, donc), c’était sous… Lionel Jospin.

Le dernier Premier ministre français véritablement socialiste (à tout le moins, « social-démocrate ») avait bâti sa politique économique sur quatre piliers : des baisses d’impôts pour les entreprises intelligentes (celles de Castex le sont beaucoup moins), une hausse immédiate du SMIC de 4%, 500.000 créations « d’emplois jeunes » et le démarrage de la réduction du temps de travail à 35h payées 39. Résultat : grâce à Jospin, la croissance économique était repartie de manière foudroyante et 1 million d’emplois avaient été créés.

Les très importants revenus supplémentaires générés entre 1997 et 2000 par la hausse du SMIC et les « emplois jeunes » ; ainsi que le climat de confiance entourant la généralisation progressive des 35h et ses nouvelles opportunités de consommation, avaient « fait le job ».

Mais en 2020, nulle trace d’une reprise vigoureuse de l’emploi public (alors que la quasi-totalité des services publics sont anémiés), presque rien sur les salaires (hormis les hausses de rémunérations dans la fonction publique hospitalière, qui ne font que rattraper partiellement ce qui a été perdu depuis 10 ans) et rien sur le temps de travail : Macron, emboîtant le pas du MEDEF, s’apprête même à faire le contraire de Jospin. Personne ne nie que l’investissement, privilégié dans « France Relance », soit décisif pour la bonne santé d’une économie, mais la consommation ne l’est pas moins, qui représente près de 70% du PIB français…

La presse de droite se réjouit bruyamment : le Gouvernement a promis de ne pas annuler sa relance par des augmentations d’impôts. En réalité… il ment.

Macron, Castex et le sous-ministre aux retraites ont confirmé plusieurs fois qu’il y aura bien une « réforme » des retraites avant 2022. Cela veut donc dire que les actifs devront se préparer à payer plus (longtemps) pour gagner autant (voire moins, si par malheur le système « universel » de retraites est instauré). Même chose pour l’assurance chômage : à cotisations inchangées, les revenus de transfert baisseront. Tout cela, financièrement, équivaut à une augmentation d’impôt. En réalité, l’austérité a déjà commencé.

III. Un plan focalisé sur l’investissement et les entreprises, pour le pire et le « un peu moins » pire

Commençons par les quelques rares sur lesquels on peut se montrer raisonnablement satisfait : la rénovation énergétique des bâtiments, la composante « verdissement » à 30 milliards et le soutien au ferroviaire

Transition écologique, belles annonces, faibles moyens….

Le Plan « France Relance » comporte une partie « rénovation énergétique des bâtiments » intéressante. 5 milliards iront aux bâtiments publics (administrations, mairies, écoles etc.) et cela est bon non seulement pour le BTP, fortement pourvoyeur d’emplois, mais aussi, bien sûr, pour la lutte contre le changement climatique (les déperditions de chaleur des bâtiments sont à l’origine de plus de 20% des émissions de gaz à effets de serre). On se demande simplement si au regard de l’urgence, les moyens sont correctement calibrés, car pour isoler par exemple 700.000 logements par an, les besoins de financement sont estimés à 20 milliards (pour les bâtiments privés, le plan Castex en prévoit… 2).

Enfin, songeons à une autre déperdition, qui pourrait fortement affecter l’effet-emploi de ces mesures, celles du travail détaché. Pour créer vraiment des emplois en France, il est plus que temps d’en finir avec ce dumping social !

On peut faire le même constat globalement positif au sujet du ferroviaire. La sous-partie « transports » de la partie « verdissement » consacre des sommes importantes au développement des trains de nuit, des petites lignes et du fret ferroviaire. Il s’agit là d’un progrès qu’il faut reconnaître, mais à sa juste mesure. Ici aussi, il est à craindre que les quelques 7 milliards de crédits suffiront peu au regard des pertes (au moins 4 milliards) enregistrées par la SNCF du fait du confinement. Une mesure complémentaire qui pourrait avoir un effet « coup de fouet » sur l’activité de la SNCF, serait que l’État reprenne le reliquat de dettes (12 milliards) non reprises après la « réforme » de 2018.

Baisser les coûts, encore, toujours, sans réelles contreparties…

D’autres mesures, notamment pour l’innovation, retiennent notre attention. En particulier les aides aux entreprises pour réduire leur empreinte carbone (environ 10 milliards) et le développement de la filière hydrogène : 7 milliards (soit un ordre de grandeur comparable, lui, au plan de relance allemand).

Il serait cependant pleinement rassurant que contrairement à ce qui se passe en coulisses depuis plusieurs mois, les grands donneurs d’ordres de la filière (notamment Air Liquide) cessent de sous-traiter leurs programmes de recherche à l’étranger, y compris… à la Chine ! Nous avons besoin de garanties solides sur cette question cruciale pour notre avenir industriel ; et si les experts comptables de Bercy tiennent tant que ça à l’argent des Français, autant que cet argent serve à développer des entreprises françaises !

Nous gardons le pire pour la fin. Sur les 100 milliards, un cinquième serviront à baisser les « impôts de production », à savoir les impôts locaux qui ont succédé à la taxe professionnelle. Il n’est même pas caricatural de constater qu’il s’agit là d’un véritable « cadeau au MEDEF ». Pourquoi ? Parce que cette baisse, qui prend une place énorme dans l’effort budgétaire de « France Relance », est sans contreparties.

C’est pour cette raison que nous disions plus haut que la baisse des impôts des entreprises projetée par Jean Castex n’est « pas intelligente ». En 1997 aussi, les impôts des entreprises avaient baissé. Il s’agissait du taux d’impôt sur les sociétés. Mais il y avait eu une contrepartie, inconcevable pour nos technocrates français contemporains : le taux réduit d’IS n’était appliqué qu’en cas de réinvestissement du bénéfice, et pas en cas de redistribution aux actionnaires (résultat, l’investissement des entreprises avait bondi entre 1997 et 2000).

Sur 20 milliards, combien iront se perdre dans la poche des propriétaires des entreprises et n’iront donc ni à l’emploi, ni à l’investissement – ce qui est tout de même un comble pour un plan censé être focalisé sur l’investissement ? Il aurait été par exemple judicieux d’assortir cette baisse d’engagements fermes pour la modernisation de l’appareil productif (qui, comme on l’observe au nombre de robots industriels, est très en retard en France, par rapport à des pays ayant conservé une très forte industrie, comme l’Allemagne ou la Corée du Sud).

Enfin, si le Gouvernement veut soutenir les entreprises, la meilleure chose à faire est qu’il reprenne à sa charge les Prêts Garantis par l’État (PGE), réduisant ainsi le mur de dettes contre lequel tant d’entre elles menacent de s’écraser ? Nul besoin d’être « économiquement irréaliste » et encore moins « socialiste » ou « de gauche » pour consentir un tel effort au nom de la Nation : à cette heure, les trois Gouvernements ayant plus ou moins clairement indiqué aux entreprises que leurs « dettes Covid » seraient reprises par l’État puis effacées par leur banque centrale sont l’Allemagne, le Japon et les États-Unis.


Le plan « France Relance » est une politique imaginée « toutes choses égales par ailleurs », comme disent les économistes. C’est-à-dire que si tout se passe exactement comme prévu, si aucun paramètre ne dévie de la trajectoire anticipée, ce plan pourrait avoir des chances pas trop déraisonnables de rétablir la situation économique française d’avant-mars 2020. Autrement dit : ça passe ou ça casse, ni plus ni moins. Mais sur le fond, beaucoup de questions resteront posées, y compris celles de la conversion écologique de l’appareil productif et de la réindustrialisation, car les crédits demeurent insuffisants.

Certains ont pris l’habitude de comparer la « France en guerre » de 2020 avec celle de 1940. Bien sûr, ils exagèrent, mais l’on est parfois saisi par les ressemblances d’état d’esprit entre ces deux moments terribles : imprévision, arrogance et surtout conformisme d’une stratégie bien trop statique. Le plan Castex est dimensionné comme un plan de relance normal en creux de cycle économique normal. Or rien n’est « normal » dans cette crise, et même si ces 100 milliards impressionnent à première vue, on espère vraiment, sans trop y croire hélas, qu’ils ne connaîtront pas le même sort que les impressionnants édifices de la Ligne Maginot.

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