Atonie de la croissance française : ce qu’il faut changer

Nous sommes revenus fréquemment, depuis 2010, sur l’erreur économique dramatique commise avec le « tournant de l’offre » ; notons cependant que ce que l’on a appelé « tournant » en novembre 2012 n’en était pas un, mais la continuité de la politique économique de Nicolas Sarkozy, alignée sur le consensus des droites européennes.

Nicolas Sarkozy a mené en 2008-2009 une des politiques de relance face à la crise financière les moins efficaces d’Europe. Refusant de remettre du pouvoir d’achat et de l’investissement directement, il a préféré mobiliser d’énormes moyens dans des baisses d’impôts, de TVA, pour relancer la consommation, sans cibler ni conditionnalités. Une bonne partie de cette relance a financé… l’industrie allemande.

En 2010, face à la dégradation des comptes et du commerce extérieur, Sarkozy a décidé de se rallier au plan d’Angela Merkel de faire de la consolidation budgétaire. L’économie européenne n’était pas encore repartie d’une manière harmonieuse. De nombreux pays avaient découvert des systèmes particulièrement nocifs et désastreux pour les finances publiques laissés par les gouvernements de droite précédents en Italie, en Grèce, en Irlande, au Portugal. La relance du système financier laissait aussi d’énormes liquidités en recherche d’investissements.

Couper les politiques de relance, c’était se priver de ces liquidités, c’était prendre le risque d’une récession en pleine croissance mondiale, c’était également rendre la dette publique européenne vulnérable à des attaques spéculatives. L’équivalent du ministre des finances d’Obama, Timothy Geithner, a raconté dans ses mémoires comment il a essayé, sans succès, de convaincre Sarkozy, Trichet, Barroso et Merkel de ne pas s’engager dans cette voie. A la sortie de son livre, un magazine a révélé qu’il avait qualifié en réalité cette politique de « stupide ».

Des excédents commerciaux allemands inutiles

Nous sommes dans la continuité de cette politique depuis. L’Allemagne stagne. Depuis 2019, l’Allemagne n’a pas connu de croissance ! Ah, les excédents commerciaux sont là, mais ils ne servent à rien, n’étant pas transmis aux Allemands mais confisqués par les plus riches du pays. L’extrême droite, inexistante en 2010, est dans les sondages le premier parti d’Allemagne en 2025.

La France stagne à son tour. Citons la dépêche AFP sur les chiffres de la croissance :
« Au premier trimestre, la croissance de la deuxième économie de la zone euro a souffert d’une consommation des ménages sans dynamisme, stable après une progression de 0,2% au cours des trois mois précédents. Les investissements ont continué à évoluer en territoire négatif (-0,2% après -0,1%): tant pour les entreprises que les ménages et les administrations publiques.
Contexte politique instable
La contribution du commerce extérieur est également négative (-0,4 point) en raison d’une nette diminution des exportations (-0,7%) alors que les importations ont augmenté de 0,4%.
»

Depuis 15 ans, ce sont les mêmes paradigmes qui sont employés, en France et en Europe, pour un échec complet. En France aussi, l’extrême droite est devenue le premier parti en voix. Le RN ne sait pas comment construire des alliances majoritaires, espérant devenir seule hégémonique, et cette médiocrité profonde est la seule bonne nouvelle de la période. Il s’est pourtant aligné sur les positions économiques sur les idées de Sarkozy, de Hollande et Moscovici, de Macron, Le Maire, Bayrou ou Retailleau.

Ne pas tirer toutes les conséquences de l’échec

Au départ, Mario Draghi est un banquier classiquement néolibéral. Mais il a eu au moins un mérite : éviter la catastrophe économique à la zone euro en faisant adopter à la BCE, contre l’Allemagne, une politique monétaire accommodante et moins austéritaire. En ce sens, il a forcé les tenants de la rigueur à s’éloigner d’une lecture stricte des traités. Et il en est même arrivé à la conclusion des Américains : il faut aussi actionner le levier budgétaire pour relancer l’économie, mais sans se départir, comme les Américains, de l’obsession de la dérégulation, c’est-à-dire d’une déformation durable du partage de la valeur ajoutée en faveur du capital.

Au final, lui aussi reconnaît dans le rapport qu’il a remis un retard d’investissement de 5 points de PIB pendant dix ans en Europe. Mais, loin de constater que la politique menée depuis 15 ans n’a de vainqueur qu’une seule catégorie d’Européens, ceux gagnant plus de 10 000 euros net par mois, ou accumulant du capital pour ne plus vivre de leur travail, Draghi veut investir en continuant de favoriser le capital contre le travail.

C’est cela le changement de paradigme dont on a besoin : remettre la politique fiscale, budgétaire, publique, et l’investissement au service des forces vives du travail. Même la contribution dite de « nouveau socialisme » de Philippe Brun ne le dit pas dans le débat du PS. La gauche radicale refuse d’en parler, pensant que la lutte culturelle, partant des discriminés, se suffit à elle-même pour dénoncer les abus du capitalisme contemporain. Or, en se concentrant sur ces luttes, nécessaires par ailleurs, on manque la big picture.
La lutte au niveau des conséquences micro-économiques des politiques ne permet pas de révéler le tableau dans son ensemble, ni de proclamer la solidarité des intérêts de toutes les classes qui travaillent – les 99%.

Ce changement de paradigme doit s’accompagner d’une réflexion profonde sur la nature des crises des 25 dernières années. Le néolibéralisme et le rêve d’une « globalisation heureuse » est une doctrine de navigation sur un lac par beau temps, et non un manuel pour survivre au Vendée Globe Challenge. L’équilibre des marchés est censé créer un monde où la crise est impossible. Dans ce modèle, le chômeur est forcément responsable de son chômage, le modèle en équilibre proclamant l’impossibilité du chômage.

Mais ce monde parfait n’existe pas.

Les théories manquent de prédire, de modéliser les crises. Ces modèles pensent l’homo economicus, le modèle du comportement rationnel de l’agent humain, immortel, et considère l’Etat, l’agent public, mortel. C’est ainsi que l’acteur humain est privé de considérations liées à sa nature, pendant que l’on exige de l’Etat de se gérer comme un ménage devant rembourser ses dettes. Ces modèles rejettent l’idée que l’homme, face à la mort, choisisse le réconfort de la solidarité. Ils veulent des individus isolés, égoïstes, jouisseurs. La réflexion morale est absente des modèles.

A partir de là, le refus des exigences du vivant prend des tours accablants. Le marché agro-alimentaire est traité comme s’il n’y avait ni saison, ni climat, ni maladies. La crise géopolitique n’existe pas dans les modèles. La rationalité économique exclut pour la Russie d’envahir l’Ukraine, alors on anticipe pas l’impact économique de ce choix géopolitique.
On peut dérouler longtemps.

Retrouver les fondements d’une alternative

Le penseur économique qui a donné des théories explicatives des crises s’est confronté aux trois événements dramatiques du demi-siècle où il a vécu. En 1914, il sauve le système financier britannique à la déclaration de guerre, qu’aucun économiste n’avait prévu, la guerre étant rationnellement une perte économique. C’est lui qui conseille le gouvernement dans la mise en place de l’économie de guerre qui permettra la victoire.
Il critique dès 1919 le traité de Versailles comme « stupide » et son livre prévoit les crises qui suivirent. Cela lui coûte en crédit, on le mets de côté. C’est ce qui lui permet de théoriser la pratique de gestion des crises qu’il vient de mener en pratique.

En 1929 il a des idées pour surmonter la crise mondiale, mais les théoriciens du marché et de la consolidation budgétaire n’en veulent pas. C’est Roosevelt, aux Etats-Unis, qui s’inspire de cet économiste pour la relance de l’économie. En 1940, il devient de nouveau une voix écoutée face à l’énorme défi de l’économie de guerre face à Hitler et au militarisme japonais. Il construira des esquisses de plan de reconstruction européenne mais meurt prématurément après la victoire.

Cet économiste, c’est Keynes.

Voilà les changements de paradigmes :

  1. Reconnaître la brutalité extrême, déséquilibrée, du capitalisme après 25 ans de consensus néolibéral, de foi dans le marché comme régulateur des sociétés humaines, et du commerce comme facteur de paix et de progrès.
  2. Reconnaître l’absence totale de fiabilité des modèles économiques dominants face aux crises, qu’elles soient externes au système économique (attentat de 2001, guerre de 2022), conséquences indirectes d’un système où le contrôle public est désavoué (pandémie COVID en 2020, pour les éleveurs les répétitions de pandémies animales), où internes (crise financière de 2008). La crise de 2025 est à la conjonction de toutes ses crises et enfonce le clou dans le cercueil néolibéral.
  3. Rallier les retours d’expériences et les théories de gestion de crise et de prévision de celles-ci ; c’est-à-dire, les théories écartées depuis 40 ans des chaires académiques. Le keynésianisme est un système de départ.
  4. Dénoncer le partage inouï en faveur du capital contre le travail, car c’est ce qui permet de retrouver les solidarités et les universalités des intérêts dans toutes les Nations. Oui, il s’agit d’empêcher une oligarchie mondiale de s’imposer. Oui, cela dépasse la somme de toutes les luttes car cela concerne même des classes, travaillant, qui pensent être elles-mêmes dominantes, alors qu’elles-aussi stagnent dans le partage des richesses.

Il nous faut repenser tout le système, toute la méthodologie quotidienne de l’action, et mettre à genoux les puissances d’argent.

Mathieu Pouydesseau et Laurent Miermont

La dette a remplacé l’impôt au profit des plus riches

Voici la représentation la plus saisissante sur combien la politique de l’offre, en appauvrissent l’Etat, enrichit les riches.

L’épargne des ménages a progressé du montant des recettes fiscales manquant à l’Etat.

Les ménages riches n’ont pas consommé ni investi l’épargne dans l’économie privée.

Ils ont acheté des bons du trésor (Le mécanisme est beaucoup plus complexe, mais en fin de compte ça revient à ça) : au lieu de lever l’impôt, l’État a redonné l’argent de l’impôt aux riches qui prêtent cet argent à l’État contre des taux d’intérêts. Ce serait plus simple et moins coûteux de revenir à l’imposition

Par ailleurs, la théorie selon quoi l’épargne finance l’investissement des entreprises est ici contredite (une nouvelle fois) de manière éclatante. L’État aurait investi ces fonds, l’impact sur l’économie privée aurait été plus bénéfique que ce que prévoyait la « politique de l’offre ».

La politique de l’offre n’a pas « libéré les énergies productives » ni « redonné de la compétitivité » et encore moins « rétabli les marges des entreprises pour qu’elles puissent investir ». Elle a alimenté la reconstitution du grand facteur de consolidation bourgeoise du XIXème siècle : la rente.

Notons par ailleurs que les politiques « pro business » ont créé des dizaines de mécanismes d’évitement de l’impôt sur les sociétés des multinationales.

C’est ce qui permet aux entreprises du CAC40 d’être 3 fois moins imposées que la PME artisanale, le restaurateur, ou la boulangerie.

Pour la France seulement, dans un papier écrit par le ministre des finances danois, le banquier central et l’économiste Gabriel Zucmann, le manque à gagner est de 23 milliards d’euros. C’est plus de la moitié de ce que le gouvernement français, en avril 2025, dit chercher comme économies pour boucler son prochain budget.

Créer des mécanismes d’évitement de l’impôt n’a pas suscité des investissements dans l’économie privée. En augmentant la rémunération du capital par le dividende et l’augmentation des valeurs boursières, la politique de l’offre a transformé la recette fiscale en réserves de liquidités accumulées par les plus riches, qui l’utilisent pour … prêter à l’État contre des intérêts.

C’était avant la première guerre mondiale un des arguments des bourgeois rentiers refusant l’impôt sur le revenu : ils participaient déjà au financement de l’État en achetant des bons du trésor. Les imposer leur ferait fuiter les capitaux et l’État perdrait en financement.

La réalité fut bien sûr toute autre. D’ailleurs, la période la plus longue de prospérité équitablement partagée entre travail et capital dans le monde démocratique a lieu lorsque les taux d’impôts sur le revenu sont confiscatoires pour les plus riches, les obligeant à investir plutôt qu’à accumuler de l’épargne : les trente glorieuses 1945-1975.

Il fallut plusieurs crises financières, dont celle de 1905 et celle, moins connue, de 1914, pour qu’un économiste bourgeois se rende compte du caractère suicidaire du système et propose une nouvelle manière d’agir et de penser : la politique de la demande.

Appliquée dès 1914, ses recommandations permirent à la Grande Bretagne de financer l’effort de guerre des alliés.

Elles ont ensuite accompagné le plan de reconstruction de l’Europe dès 1945. Cet économiste bourgeois et libéral, c’était John Maynard Keynes.

Mathieu Pouydesseau

Mathieu Pouydesseau à la Friedrich-Ebert Stiftung : la « règle d’or » tue économiquement l’Europe

Notre camarade Mathieu Pouydesseau est intervenu mercredi 9 avril 2025 dans le forum pour une économie politique progressiste organisé par la Friedrich-Ebert-Stiftung (la fondation rattachée au SPD) à Berlin, en ce même jour où devait être annoncé la formation d’une grande coalition CDU-CSU/SPD.

Les débats s’étant déroulés en allemand, nous avons sous-titré les échanges.

Alors que le débat traitait de politique fiscale, la représentante du syndicat patronal BDI Dr Monika Wünnemann a déroulé son mantra éculé sur « l’impôt sur le patrimoine qui ruine des familles, l’impôt sur l’héritage qui détruit des emplois, l’impôt sur les dividendes qui réduit l’investissement. » A côté d’elle, une chercheuse, Martyna Berenika Linartas, démontait point à point ces « narratifs » avec des faits. Mais la représentante des « intérêts des entreprises » refusait toute argumentation factuelle.

Mathieu Pouydesseau vit en Allemagne depuis près de 30 ans et il y est chef d’une entreprise de 60 salariés dans le numérique et les hautes technologies. Pour lui comme pour nous, il y a un moyen de concilier les résultats de la recherche et les soucis de sa « représentante » patronale (notez l’ironie) : la productivité. Et pour augmenter la productivité, il faut faire payer aux plus aisés et aux entreprises plus d’impôts!

D’abord, Les entreprises ont besoin d’une sécurité juridique, c’est à dire d’un État de droit, démocratique. Sans un État fonctionnel, c’est l’AfD qui prendra tôt ou tard le pouvoir et elle ne garantit qu’une chose : l’arbitraire juridique !

Deuxièmement, le résultat de 20 ans de discours de règle d’or et de refus d’imposer les riches, les infrastructures sont devenues catastrophiques. Combien d’heures perdues par les gens, cadres, employés, parce qu’un pont s’effondre sur une voie ferrée ? La transformation numérique est ridicule, l’Allemagne perd ici en productivité.

Ensuite, la représentante du patronat allemand a parlé bureaucratie : mais combien de formulaires restent en papier parce qu’on a pas investi dans la numérisation des administrations ?

Enfin, pour contrer l’AFD , il faut de nouveau un marché intérieur dynamique, donc de l’investissement public et des salaires dignes. Refuser cela pour s’épargner 2 points d’imposition est un suicide, y compris pour les 1% les plus riches !

Il existe un bel article dans la constitution allemande, l’article 14 : « le droit de propriété donne des devoirs. » Il nous faut plus de solidarité, en France, en Allemagne, partout en Europe.

La gauche peut-elle combattre le néolibéralisme ? – Éclairages – GRS Landes et David Cayla

Considérant qu’il est nécessaire de s’interroger, de sortir de l’impuissance, d’explorer les possibles et faire vivre le débat public, la Gauche Républicaine et Socialiste a mis en place, dans les Landes, une initiative dénommée « Éclairages », faisant ainsi par la même occasion un clin d’œil aux Lumières. Il s’agit d’une sorte d’université populaire ouverte à toutes et tous ayant pour objectif que tout un chacun s’informe et échange en réfléchissant collectivement. Les modalités seront variées (conférences, tables rondes, ateliers de travail…) et les sessions organisées dans différentes communes du département (urbaines/rurales, littorales/forestières…).

Éclairages a ouvert son premier cycle de rencontres publiques en décembre 2024 sur le thème : « Être de Gauche : c’est quoi ? ». La première session de ce premier cycle a réuni une quarantaine de personnes vendredi 6 décembre 2024 Saint-Paul-lès-Dax avec la conférence-débat animée par l’économiste David Cayla (enseignant-chercheur à l’Université d’Angers, spécialiste en économie politique, membre des économistes atterrés) : « La Gauche peut-elle combattre le néolibéralisme ? »

Ces dernières années, la Gauche a semblé impuissante à répondre à la régression sociale. Quel projet la Gauche peut-elle proposer afin d’agir concrètement en faveur des classes populaires et de reconstruire un État social ?

Après avoir brossé le tableau de la situation politique des 30 dernières années relevant que la gauche ne progresse plus électoralement depuis 2012, David Cayla a d’abord défini le néolibéralisme en soulignant bien ses différences d’avec le libéralisme et en pointant les conséquences (économiques, sociales et politiques) négatives de cette doctrine tout à la fois économique et anthropologique.

Il a ensuite rappelé qu’une partie de la Gauche ne l’a pas combattue ; au contraire, c’est même elle, avec Jacques Delors et à partir de l’Acte unique en 1986, qui l’a accompagnée et accentuée (libéralisation et privatisations ont augmenté sous le mandat de Lionel Jospin). David Cayla précise que, si une gauche plus radicale a pu avoir un discours souverainiste et anti-néolibéral, ce discours est aujourd’hui plus atténué, car elle met en avant aujourd’hui prioritairement des combats relevant plus du sociétal et de la mobilisation des affects.

David Cayla a ensuite présenté les propositions qu’il préconise pour sortir du néolibéralisme, notamment une véritable stratégie de réindustrialisation, mettre en place un nouveau modèle agricole, développer les services publics, réguler davantage. Plus généralement, il faut encastrer le marché dans la société, et non le contraire comme actuellement.

Un budget français « cadenassé » par les traités européens ?

L’arrivée à Matignon de l’ancien commissaire européen Michel Barnier coïncide avec une surveillance accrue du budget français par la Commission européenne, qui a initié en juillet une procédure concernant le déficit public excessif de la France. Afin de comprendre l’influence de l’Union européenne (UE) sur le budget de notre pays, nous avons interviewé l’économiste David Cayla, qui vient de publier La gauche peut-elle combattre le néolibéralisme ? Propos recueillis par Fabien Rives et publiés dans Off Investigation le jeudi 19 septembre 2024

Annoncé par la Commission européenne au début de l’été, le retour de la France dans une procédure pour déficit excessif rappelle que la gestion du budget fait partie des domaines où, de droite comme de gauche, le pouvoir français s’est, depuis des décennies, volontairement engagé à rendre des comptes à Bruxelles. Imprégnée d’une constante néolibérale, cette complicité entre notre gouvernement et l’exécutif européen est à l’origine d’orientations politiques massivement rejetées par la population.

Michel Barnier, c’est la garantie du respect scrupuleux des règles européennes par la France

Dans ce contexte, comment interpréter l’arrivée à Matignon de Michel Barnier, notamment connu pour avoir exprimé sa volonté de contourner la souveraineté populaire après le référendum de 2005, lors duquel les Français s’étaient majoritairement opposés à la ratification d’un traité constitutionnel européen ? Alors que le Premier ministre tarde à communiquer au Parlement des documents cruciaux concernant les futures dépenses du gouvernement, quelle est aujourd’hui la véritable marge de manœuvre de la France en matière budgétaire ? A quelles politiques économiques peuvent s’attendre les Français qui ont récemment été appelés aux urnes après la dissolution de l’Assemblée nationale, le 9 juin dernier, par Emmanuel Macron ?

Autant de questions autour desquelles Off-investigation a souhaité s’entretenir avec l’économiste David Cayla, auteur d’un récent ouvrage aux éditions Le Bord de l’eau : La gauche peut-elle combattre le néolibéralisme ?

Dans le contexte politique actuel, comment interprétez vous l’arrivée à Matignon de Michel Barnier, qui a servi pendant plus d’une décennie et demie l’exécutif européen ?

David Cayla : Clairement, Emmanuel Macron entend donner des gages. Il a choisi un Premier ministre qui ne risquait pas de remettre en cause ses réformes, notamment la réforme des retraites, mais il a aussi désigné un Européen convaincu qui a été membre de la Commission et a conduit les négociations du Brexit. Michel Barnier, c’est la garantie du respect scrupuleux des règles européennes par la France, notamment des règles budgétaires. Comme, en même temps, le RN menace de censurer le gouvernement en cas de hausse d’impôt, le Premier ministre sera contraint d’engager une politique d’austérité dans la droite ligne de ce qu’a fait Macron depuis 2017. La précarité de l’assise parlementaire du gouvernement est la garantie que ce dernier s’inscrira davantage dans la continuité que dans la rupture.

Lors de sa dernière audition à l’Assemblée nationale, Bruno Le Maire a expliqué avoir observé sur les recettes de 2023 un décalage de 20 milliards d’euros qu’il résume comme un « accident ». Que pensez-vous de cette formule dans la bouche de celui qui vient de quitter ses fonctions ? Et comment résumeriez-vous son mandat au regard de la procédure dont la France fait désormais l’objet ?

L’effondrement des recettes publiques qu’on a constaté dans les derniers budgets est un phénomène inédit et inquiétant. C’est inédit parce que, même si les budgets votés à l’automne sont rarement exécutés comme prévu, les écarts sont dû en général à des différences entre la croissance économique anticipée et la croissance réelle. Ainsi, on peut avoir des écarts dans les deux sens en fonction de la conjoncture économique. Là, c’est différent.

Le Parlement a, intentionnellement ou non, été trompé. Il a voté un budget en trompe-l’œil

La croissance française était en ligne avec les prévisions et si les recettes se sont effondrées c’est clairement parce que les rendements de certains prélèvements ont été très mal évalués par les services de Bercy. Cela pose deux questions inquiétantes. La première est démocratique. Le Parlement a, intentionnellement ou non, été trompé. Il a voté un budget en trompe-l’œil en comptant sur des ressources fiscales qui ne se sont jamais réalisées. L’exemple de la taxe sur les énergéticiens est symptomatique.

Comment peut-on se tromper à ce point sur les recettes attendues ? Est-ce de l’incompétence ou de la malhonnêteté ? La seconde question est liée à la source de ces pertes. Ce n’est pas l’impôt sur le revenu ou la TVA qui ne rentrent pas, ce sont les recettes fiscales des entreprises qui s’effondrent. Il y a donc sans doute derrière ce phénomène des stratégies d’optimisation ou de fraude. Comment savoir ce qu’il en est réellement ? Il faudrait une enquête des services du ministère des finances, mais ces derniers la mènent-elle ? On n’en a aucune idée.

Et ce ne sont pas les paroles lénifiantes de l’ancien ministre de l’Économie qui peuvent nous rassurent. Evoquer un « accident » comme il le fait est proprement irresponsable.

Votre livre pose la question de la capacité de la gauche à s’opposer au néolibéralisme inscrit dans les traités européens. Vous rappelez qu’au pouvoir, elle s’est volontairement soumise aux injonctions du marché et de la finance. Pourriez-vous résumer en quoi la « gauche de pouvoir » a contribué à façonner le néolibéralisme au sein de l’UE, et quelle en a été la conséquence pour la France ?

Dans les années 1980, le Parti socialiste a dû choisir entre son projet de transformation économique et son appartenance à la CEE et au respect de ses traités. Comme on le sait, il a fait le choix de l’Europe.

Pour éviter toute dévaluation et réduire l’inflation, le gouvernement arrime le franc au mark. Cette politique du franc fort coûte très cher à l’industrie française et au budget de l’État. Les taux d’intérêt explosent et les usines ferment, notamment la sidérurgie. Face à cette catastrophe, les socialistes font un pari : celui de réorganiser l’économie européenne et mondiale autour de nouvelles règles collectives pour rendre ce tournant néolibéral irréversible. Ils vont alors investir des organismes internationaux influents : la Commission européenne, le FMI et l’OCDE, et engager le monde dans un processus de mondialisation financière et commerciale.

Les mouvements de capitaux sont libéralisés, ce qui accentue la concurrence entre les économies et alimente les paradis fiscaux. En Europe, la Commission Delors engage la création du marché unique, acté en 1986, dont l’objectif est de créer et d’organiser les marchés européens du travail, du capital et des services publics. Quelques années plus tard, c’est encore un socialiste Pascal Lamy, ancien directeur de cabinet de Jacques Delors, qui prend la tête de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et accompagne la grande vague de libéralisation commerciale des années 1990-2000.

Vous évoquez dans votre ouvrage « l’impuissance économique d’Emmanuel Macron, prisonnier d’un carcan idéologique dans lequel il a enfermé la France ». Pour illustrer ce propos, quelles postures et/ou décisions de notre actuel président vous viennent à l’esprit ?

Toute la stratégie d’Emmanuel Macron est fondée sur le principe de l’attractivité territoriale. En économie ouverte, si l’on n’agit pas de manière interventionniste et si l’on ne mène pas de politique industrielle et commerciale, on en est réduit à attirer les investissements productifs privés pour se développer. Mais on est alors confronté à la concurrence des autres économies.

Pour gagner ce genre de concours de beauté il faut apparaître « attractif », c’est-à-dire promettre des avantages fiscaux et autres en assurant aux industriels un taux de profit supérieur à celui qu’ils pourraient obtenir dans un pays voisin. C’est la raison pour laquelle Macron a diminué la fiscalité des entreprises, réformé le code du travail et allégé les cotisations sociales.

Emmanuel Macron essaie, sans succès, de faire de la France la meilleure élève de la mondialisation

On retrouve cette même philosophie lorsqu’il organise chaque année le forum « Choose France » qui s’adresse aux capitalistes internationaux pour les convaincre d’investir en France. Il a ainsi dressé le tapis rouge à Elon Musk en 2023 et a accordé la nationalité française au fondateur russe de la messagerie Telegram. Sans succès dans les deux cas. L’usine géante de Tesla a été construite en Allemagne, près de Berlin, et Pavel Durov n’a jamais rapatrié ses locaux opérationnels de Dubaï.

En créant le marché unique, on a dû transférer à Bruxelles des pans entiers de la souveraineté nationale

Le Président essaie, sans succès, de faire de la France la meilleure élève de la mondialisation au lieu d’user de son influence politique pour la transformer ou en contourner la logique. Il mène finalement la même politique que ses prédécesseurs ; une politique dogmatique qui a plombé les ressources fiscales du pays et qui explique en grande partie les problèmes budgétaires actuels. Quant à la réindustrialisation promise, elle n’arrive jamais. Les nouvelles usines s’installent en Pologne, en Espagne ou au Vietnam, mais très peu en France. Et celles qui le font sont gavées de subventions publiques.

Vous notez dans votre livre qu’au sein de l’Union européenne, « les gouvernements nationaux perdent les capacités d’orienter leurs économies nationales ». Vous utilisez le terme d’« impuissantisation des politiques économiques ». Vous estimez encore que « les traités européens cadenassent toute politique économique ambitieuse ». Pourriez-vous synthétiser ce processus qui, comme vous le décrivez dans votre livre, éloigne les citoyens de décisions qui les concernent directement ?

En créant le marché unique on a dû transférer à Bruxelles des pans entiers de la souveraineté nationale. Un marché unique signifie des règles uniques et uniformément appliquées. Cette uniformisation aurait dû faciliter le commerce et libéraliser les flux pour rendre l’économie européenne plus productive. Mais ce n’est pas vraiment ce qui s’est passé. Le rapport Draghi publié récemment montre le décrochage économique de l’UE par rapport aux États-Unis.

Les politiques monétaires et de concurrence sont décidées à l’échelle de l’UE et non pas par les États

En pratique, le marché unique conduit à une concentration des pouvoirs à l’échelle communautaire. C’est au niveau de l’Union que sont négociés et ratifiés les traités commerciaux ; c’est à cette échelle que se décident les normes sur les moteurs thermiques, par exemple, ou le cadre réglementaire de l’industrie numérique. De même, les politiques monétaires et de concurrence sont décidées à l’échelle de l’UE et non pas par les États. Il ne reste en fin de compte aux États que les politiques budgétaires et fiscales. Mais, comme on l’a vu plus haut, en économie ouverte la politique fiscale peut difficilement se départir de la stratégie d’attractivité qui consiste à déplacer la charge fiscale des entreprises (qui peuvent investir partout dans le monde) vers les ménages (qui eux sont attachés à leur territoire). Quant à la politique budgétaire, elle est elle-même très contrôlée par les autorités européennes qui surveillent de près tout déficit.

Un gouvernement élu n’a plus la main sur presque rien

En fin de compte, le citoyen a du mal à se faire entendre. Il peut s’amuser à voter à gauche ou à l’extrême droite en espérant « envoyer un message », mais le fait est qu’un gouvernement élu n’a plus la main sur presque rien et est condamné à réinventer sous une forme ou une autre des politiques de pure gestion incapables de répondre aux attentes populaires et d’inverser le cours des choses.

Vous évoquez à la page 118 le fait que « la France insoumise a proposé en 2022 un blocage des prix sans compensation ». Vous interrogez l’applicabilité d’une telle mesure puisque vous expliquez qu’elle serait sanctionnée à la fois par le Conseil constitutionnel, mais aussi par les autorités européennes. De façon générale, quelles sont les principaux moyens de pression de l’exécutif européen pour influencer les politiques nationales d’un Etat membre ? Avez-vous un exemple qui permette d’illustrer cette influence ?

La principale limite qui encadre les politiques économiques nationales est le droit. Les traités s’appliquent en France et la loi française leur est subordonnée. La France ne peut donc pas revenir sur la libéralisation du marché de l’électricité, par exemple ; ce serait renoncer à ses engagements européens. La justice administrative et le Conseil d’Etat rendraient une telle loi inapplicable dans le cas improbable où elle échapperait à la censure du Conseil constitutionnel. De même la France ne peut imposer qu’une partie de la commande publique soit réservée à ses entreprises nationales, comme cela existe aux États-Unis par exemple. Ce serait contraire aux règles du marché unique et une telle loi serait immédiatement considérée comme nulle, non pas par la justice européenne, mais par les tribunaux français.

A l’automne 2018, le projet de budget du gouvernement italien a été retoqué par la Commission européenne car il prévoyait un avancement de l’âge de départ en retraite. [L’Italie] à dû se soumettre alors même que le déficit prévu par son budget était inférieur à la barre des 3%.

En somme, la Commission européenne n’a pas besoin d’intervenir pour que les règles européennes les plus fondamentales soient respectées par les États. Elle doit juste vérifier que les principes d’indépendance de la justice soient garantis. Dans certains domaines néanmoins, les États gardent leurs prérogatives. C’est le cas de la politique budgétaire ou de la politique sociale, par exemple. Les gouvernements nationaux peuvent alors plus ou moins coopérer avec Bruxelles. Dans ces domaines, la Commission peut intervenir pour imposer la coopération des gouvernements récalcitrants. Si un pays est soumis à une procédure de déficit excessif, il peut être sanctionné financièrement. S’il ne respecte pas les principes de l’État de droit, ses aides peuvent être bloquées.

C’est ainsi que la Hongrie n’a pu bénéficier dans l’immédiat des fonds européens qu’elle était censée recevoir dans le cadre du Grand emprunt. De même, à l’automne 2018, le projet de budget du gouvernement italien, soutenu par des partis dits populistes, a été retoqué par la Commission européenne car il prévoyait un avancement de l’âge de départ en retraite. Le gouvernement de Giuseppe Conte à dû se soumettre alors même que le déficit prévu par son budget était inférieur à la barre des 3%.

Page 158, vous expliquez : « Les traités garantissent à la BCE une totale indépendance dans l’application d’un mandat dont l’élément principal est la stabilité des prix. Aucun pouvoir politique ne peut la contraindre à agir contre sa volonté. » Pourriez-vous expliciter ce que cela peut induire pour la France ?

Cela signifie que la France ne peut imposer quoi que ce soit à la Banque centrale européenne. Au cours de la crise Covid, la BCE a mis en place une politique monétaire qui a permis aux États d’emprunter sans coût ou presque. Cela a sauvé l’économie européenne en permettant aux gouvernements nationaux de compenser les pertes liées aux mesures sanitaires.

En vertu de son indépendance garantie par les traités européens, personne en Europe ne peut imposer quoi que ce soit à Christine Lagarde

Aujourd’hui, alors que tous les économistes insistent pour que l’Europe engage une politique d’investissement massive afin de rattraper son retard sur les États-Unis et d’accélérer la transition écologique, la BCE maintient des taux d’intérêt élevés et renonce à aider les États à investir. Or, en vertu de son indépendance garantie par les traités, personne en Europe ne peut imposer quoi que ce soit à Christine Lagarde, même pas la Commission. De fait, la BCE est limitée dans son action par un mandat très restrictif centré sur la stabilité des prix. Ainsi, tant que l’inflation reste supérieure à 2% elle ne peut rien faire d’autre que d’appuyer sur le frein pour espérer limiter la hausse des prix. Pendant ce temps, l’économie européenne prend du retard et n’investit plus, notamment dans la construction immobilière, car le coût de l’argent est trop élevé.

Augmentation des impôts : la fin d’un tabou pour les macronistes ? Non ils défendent les riches…

Lors d’une interview dans la matinale de France 2 le mercredi 18 septembre, le ministre de l’Intérieur démissionnaire, Gérald Darmanin, a jeté un pavé dans la marre qui pourrait bien perturber la formation du nouveau gouvernement. Il a affirmé qu’il était « hors de question » pour lui d’intégrer une équipe qui mettrait en place une hausse d’impôts. Il a ainsi laissé entendre que cette hypothèse avait été évoquée à plusieurs reprises par le nouveau Premier ministre, Michel Barnier. L’accroissement de la dette française peut-elle justifier une augmentation des impôts ? Si oui, qui doit payer ?

Pour en débattre, Myriam Encaoua avait invité sur LCP :

  • – David Amiel, député « Ensemble pour la République » de Paris
  • François Geerolf, économiste à l’OFCE
  • Marc Vignaud, journaliste économique à L’Opinion
  • Emmanuel Maurel, député (GRS) « Gauche Démocrate et Républicaine » du Val-d’Oise
  • En duplex : Véronique Louwagie, députée « Droite républicaine » de l’Orne

« La France a été mal gérée » : Emmanuel Maurel a accablé le bilan du ministre de l’Économie démissionnaire et finalement incompétent Bruno Le Maire. Bien sûr qu’il faut faire des économies. Exemple : les aides aux entreprises sont colossales et pas toujours efficaces. Ça a été dit par la Cour des Comptes. On a des milliards à économiser là-dessus. Mais il faudra aussi mettre à contribution les ménages les plus riches, ce que refusent la droite et les macronistes. Nous ne sommes pas d’accord quand on nous dit que notre modèle social coûte trop cher et qu’il nuit à l’«attractivité», notamment industrielle. Ce n’est pas une réussite que nos boîtes se fassent racheter par des Chinois ou des Américains !

David Cayla : « Pour sortir du néolibéralisme, il faut proposer un autre modèle et convaincre de sa faisabilité »

Dans son dernier ouvrage, La gauche peut-elle combattre le néolibéralisme ? (éditions du Bord de l’eau), l’économiste David Cayla analyse les faiblesses de la gauche dans son combat face au néolibéralisme, tout en esquissant des pistes. Entretien réalisé par Kévin Boucaud-Victoire et publié le 18 septembre 2024 dans Marianne.

Le 15 mai 2012, François Hollande entre à l’Élysée, au terme d’une campagne qui l’a amené à affirmer que « [son] ennemi, c’est la finance » et à proposer de taxer à 75% les revenus supérieurs à 1 million par an. Cinq ans plus tard, le bilan du président socialiste est tout autre, tant il a mené la même politique que ses prédécesseurs. Depuis, la gauche est cantonnée à l’opposition. Le camp qui entendait « changer la vie » est-il condamné à l’impuissance ?

Dans son dernier ouvrage1, l’économiste David Cayla analyse ce qu’est le néolibéralisme et met en lumière ses échecs. Pour lui, malheureusement, le « populisme de gauche », incarné par Jean-Luc Mélenchon est encore loin du compte et ne constitue pas une alternative crédible…

Marianne : Pouvez-vous revenir sur la définition du néolibéralisme ?

David Cayla : Le néolibéralisme est une doctrine visant à aider les gouvernants dans leurs choix politiques. Son idée centrale est que les prix de marché doivent guider les comportements économiques. Par exemple, pour savoir quoi acheter ou dans quel secteur investir il faut observer les prix et faire un calcul économique. Ainsi, si un État ou une entreprise se mettait à contrôler les prix, il serait capable d’influencer les comportements et les choix. Voilà pourquoi les néolibéraux insistent pour que les prix soient le résultat des dynamiques concurrentielles et ne soient en aucun cas sous l’influence des États.

Cela ne signifie pas que l’État doit être passif. Les néolibéraux s’opposent au laissez-faire ; c’est ce qui les distingue des libéraux classiques. L’État doit favoriser les institutions qui permettent au marché de fonctionner correctement. Ainsi, ils recommandent d’organiser le libre-échange via des traités commerciaux, de mettre en place des autorités de régulation de la concurrence, une politique monétaire favorisant la stabilité des prix et insistent sur l’équilibre des comptes publics. Ce n’est pas qu’ils craignent la dette publique, mais ils veulent éviter que son financement ne détourne une partie de la sphère financière du secteur privé.

En quoi celui-ci est-il en train d’échouer ?

Il n’y a qu’à voir l’actualité ! Il échoue sur pratiquement tous les plans. D’abord, la régulation de la concurrence s’avère bien plus compliquée que prévu. De Microsoft à Google, en passant par Amazon, Apple, Uber… la révolution numérique a vu l’émergence d’une multitude de plateformes qui sont capables d’imposer leurs prix aux consommateurs et à leurs partenaires. Ces plateformes démontrent que, dans de nombreux secteurs, il est vain de chercher un prix de marché, surtout quand le marché lui-même est remplacé par des espaces privés détenus par les géants du numérique.

La neutralité de la politique monétaire n’existe plus depuis la crise financière de 2008. L’idée d’une banque centrale neutre et dépolitisée a vécu. En mettant en œuvre des politiques « non conventionnelles » elles sont devenues de véritables acteurs politiques qui n’hésitent pas à intervenir au sein des marchés financiers.

Enfin, il est devenu pratiquement impossible d’atteindre l’équilibre des comptes publics. Le problème ne se limite pas à la France. Aux États-Unis, la dette publique atteint des sommets et le déficit dépasse systématiquement les 5 % du PIB depuis 2020. Les économies développées ont en permanence besoin de stimulus budgétaires pour absorber l’excès d’épargne mondiale.

En quoi lutter contre l’inflation n’est pas en soi de gauche ?

Comme je l’ai souligné, la lutte contre l’inflation constitue l’un des piliers de la doctrine néolibérale. Les néolibéraux ont fini par convaincre les populations que lutter contre l’inflation, c’était défendre leur pouvoir d’achat. Mais il n’y a rien de plus faux ! L’inflation est neutre sur le pouvoir d’achat car les prix des uns sont les revenus des autres. Le problème ne vient pas de l’inflation mais des rapports déséquilibrés qui se jouent sur les marchés. Si l’inflation pèse sur le pouvoir d’achat des ménages, c’est uniquement parce que ces derniers ne parviennent pas à négocier des hausses salariales.

Pour répondre aux problèmes de pouvoir d’achat, la gauche devrait mettre en avant, non pas la lutte contre l’inflation – ce qui légitime l’austérité salariale, la hausse des taux d’intérêt et avantage en fin de compte les détenteurs de capital financier – mais défendre la cause des services publics, de la gratuité et des logements accessibles. Le combat politique prioritaire ne devrait pas être le niveau d’inflation mais de limiter la sphère marchande et de mieux répondre aux besoins fondamentaux du plus grand nombre.

Selon vous, le « populisme de gauche » n’arrive pas à mettre en échec le néolibéralisme, parce qu’il s’appuie sur un agrégat de luttes et de colères et qu’il a substitué les affects à la raison. En quoi cela est-ce problématique ?

Pour sortir du néolibéralisme, il faut proposer un autre modèle de société et convaincre de sa faisabilité. Ce modèle doit avoir des éléments positifs, il doit tracer un chemin crédible vers une nouvelle société. Le danger avec la stratégie populiste telle qu’elle ait été définie par la philosophe Chantal Mouffe est qu’elle part du principe que toutes les revendications sont légitimes ; c’est la thèse de la « chaîne d’équivalence ». Mais si on veut bâtir un nouveau modèle il faut être capable de discriminer entre les revendications qui émanent du mouvement social. Par exemple, il faut savoir si on priorise l’émancipation des femmes ou si l’on tolère les pratiques religieuses qui tendent à les inférioriser.

Choisir ses luttes ne peut pas se faire en se reposant sur les affects, car toute lutte est, d’une certaine manière, légitime. S’opposer à la construction d’un barrage qui menace un écosystème peut sembler tout autant légitime que de le construire pour favoriser la production d’électricité renouvelable. Alors comment décider ? C’est là qu’intervient la rationalité politique. Puisqu’on ne peut pas contenter tout le monde il faut bâtir une doctrine qui permette de trancher. Le populisme de gauche ne dispose pas d’une telle doctrine du fait de son refus de prioriser les luttes. C’est une stratégie utile dans l’opposition pour rassembler les mécontents, mais elle ne peut permettre de gouverner.

Vous pointez la critique virulente des institutions… Mais cela n’est-il pas consubstantiel à la gauche, à l’instar de Karl Marx qui qualifie l’État d’« avorton surnaturel de la société » et de « parasite »« qui se nourrit sur la société et en paralyse le libre mouvement » (dans La guerre civile en France?

Le néolibéralisme s’incarne dans nos institutions. Les règles budgétaires ou la libéralisation des services publics sont inscrites dans les traités européens et le droit français. Pour sortir du néolibéralisme, il faut donc repenser en profondeur nos institutions et les critiquer. Marx avait parfaitement compris que le capitalisme s’appuie sur l’État. D’ailleurs, l’État moderne est né avec l’avènement du capitalisme.

Néanmoins, je crois qu’on ne peut limiter l’État au capitalisme. D’ailleurs, tous les régimes socialistes qui se sont historiquement développés au XXe siècle l’ont fait à partir de l’État et de son renforcement. Inversement, le régime nazi a lui organisé un dépérissement de l’État tout en préservant une forme de capitalisme. Donc on ne peut pas tirer un trait d’égalité entre État et capitalisme.

Quoi qu’il en soit, ni Marx ni les marxistes ne rejettent le principe des institutions sociales (qu’elles soient légales ou non). Les seuls théoriciens qui s’en méfient par principe sont les libertariens, lesquels ne croient qu’aux individus et aux marchés. Aussi, la gauche ne peut se contenter de critiquer les institutions, car cela risque de nourrir la défiance et de renforcer l’extrême droite.

Vous relevez néanmoins qu’il y a de bonnes choses dans le programme économique du NFP. Lesquelles ?

Le programme du NFP a été conçu en quelques jours en réponse à la dissolution surprise du Président. Dans ces conditions, il ne pouvait être parfait. Pour autant, j’ai noté de nombreuses avancées par rapport au programme de la NUPES. D’abord, il est beaucoup plus court et n’a pas hésité à hiérarchiser ses priorités, au contraire du programme de 2022 qui était un indigeste catalogue de mesures.

Ensuite, il ne se contente pas d’en appeler à davantage de redistribution sociale. Certaines propositions impliquent de véritables ruptures, comme celle consistant à engager un bras de fer avec les autorités européennes pour sortir du marché européen de l’électricité et rétablir un monopole public. Enfin, il affiche sa volonté de mettre fin aux traités de libre-échange et de modifier le droit de la concurrence. Il conteste donc des éléments importants de la doctrine néolibérale.

  1. La gauche peut-elle combattre le néolibéralisme ?, David Cayla, Bord de l’eau, 168 p., 15 € ↩︎

L’Europe néolibérale contre les intérêts fondamentaux des Français

La France s’effondre en Europe ! Deux régions sont même passées sous le seuil des 75% à la moyenne UE.

Nos territoires régressent et rejoignent les régions les plus pauvres d’Europe de l’Est et du Sud qui … elles progressent mais sont dépossédées de leurs souverainetés économiques par des investissements étrangers (UE et non UE) via l’optimisation des fonds européens dont elles disposent.

Il y a 10-15 ans (bien après les derniers élargissements en Europe de l’Est en 2007), plus des deux-tiers des régions françaises étaient au-dessus de la moyenne européenne. Faute de croissance significative des PIB, ces données traduisent même un appauvrissement en France.

La France dispose de grandes qualités et pourrait être compétitive en Europe, notamment en raison de sa productivité du travail supérieure à la moyenne européenne.

Le réarmement économique du pays commande de sortir des discours mièvres sur l’Europe pour construire des stratégies nationales et territoriales conquérantes, secteurs public et privé, dans le marché intérieur européen comme à l’appui des accords conclus par l’UE avec des pays.

💰En 2022, le PIB régional par habitant dans l’UE, en standards de pouvoir d’achat, variait de 30% de la moyenne de l’UE à Mayotte à 286% pour le sud de l’Irlande. Source : Eurostat février 2024… Cela traduit un des problèmes de la France (et des prix des logements franciliens) en une carte : l’Île-de-France est très riche (et de plus en plus inabordable) quand le reste de la France a décroché.
PIB régional/habitants en 2015
PIB régional/habitants en 2009

Face à l’incompétence économique des néolibéraux, reprenons la main !

Une journaliste, Manon Romain, s’est penchée dans Le Monde sur les évolutions à long terme des questions de dette, déficit, recettes et dépenses en France. Cet article1 est censé « décrypter les faits » pour permettre d’analyser les récentes communications du gouvernement français de monsieur Attal, surpris par un énorme dérapage du déficit en 2023.

Madame Romain a bien soupçonné que des évolutions de long terme se jouent, mais n’a pas dit B après avoir dit A. Dans un premier tableau, elle constate que depuis 1980 le déficit et la dette dérapent toujours suite à des crises exogènes de dimension mondiale.

1https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2024/03/26/visualisez-l-evolution-de-la-dette-et-du-deficit-francais-depuis-1980_6224326_4355770.html?


L’article du Monde souligne bien que ce sont des crises exogènes, mondiales, qui accélèrent le ratio de dépenses publiques par rapport au PIB. La part des recettes publiques rapportée au PIB progresse aussi, reflet de la croissance démographique.

C’est un phénomène que nous avons souvent décrit, c’est une réalité que les technocrates des ministères des finances documentent depuis les années 1970, et que nous constatons au moins depuis 1905. Nous l’évoquions dans un article intitulé A propos de la part des dépenses publiques dans le PIB en 20191.

Dans les commentaires de l’article du Monde, un conservateur s’interroge : “Sarkozy n’est quand même pas à l’origine de la crise des subprimes de 2008” – et bien indirectement, lui et ses alliés idéologiques, tant aux États-Unis qu’en Europe, ont facilité par leur idéologie de privatisation et de dérégulation de la finance les conditions d’apparition de la crise financière de 2007-2008… Crise qui rappelle des mécanismes déjà vus à l’œuvre en 1987, mais qui surviens sans les outils de contrôle et d’action disponibles encore en 1987.

Pire : c’est la politique de l’alliance Cameron-Merkel-Sarkozy-Rutte qui aggrave encore la crise financière mondiale en la laissant contaminer sans aucune raison la dette publique européenne, puis, par une politique de rigueur menée trop tôt avec le traité Merkozy en zone Euro, une récession européenne en 2012-2013, entièrement fabriquée par les européens en pleine reprise de la croissance mondiale.

Seule l’Allemagne, grâce au maintien de son industrie orientée vers l’exportation, et la subvention du maintien des emplois qualifiés de ses filières industrielles, s’en tirera un peu mieux que le reste de l’Europe, les Pays Bas choisissant de se transformer en paradis fiscal européen, le Royaume Uni de quitter l’Union.

1https://librechronique.net/2019/04/08/a-propos-de-la-part-des-depenses-publiques-dans-le-pib/


La croissance des pays européens connaît après le rebond de 2009/2010 une nouvelle plongée en 2012 et 2013, décrochant des États-Unis et du reste du monde. L’Allemagne en sort plus vite, et sauve son niveau d’emploi quand les autres pays connaissent un fort chômage

Il faudra la chute des prix du pétrole et du gaz en 2015, due à la concurrence entre Russie et OPEC d’une part, et États Unis avec les gaz de schiste d’autre part, pour relancer l’économie européenne, et notamment française. Nous défendions déjà en 2017 l’idée que les tenants de la baisse du ratio des dépenses publiques par rapport au PIB devraient d’abord se concentrer sur la prévention de crises mondiales exogènes telles que guerre mondiale, crise financière ou autres type de crise mondiale, pour empêcher de brutales accélération de ce taux.

Madame Romain, dans son article « décrypteur », s’accroche à une explication classique et non vérifiée de l’explosion de la dépense publique en point de PIB sans s’interroger sur l’évolution du PIB lui même.

Avec la baisse des taux, un taux d’endettement à 100% du PIB est plus soutenable en 2023 qu’un taux d’endettement à 60% en 1981.

De plus, elle sous estime un fait majeur du quart de siècle depuis 1997 : la baisse continue des taux d’intérêts en Europe qui a presque divisé par deux le poids de la charge de la dette en point de PIB, alors même que la dette doublait presque en points de PIB. La réalité, c’est que même avec un taux de dette à 110%, et un déficit qui a dérapé à 5,5% du PIB, les comptes publics et la dette sont PLUS soutenables en 2024 qu’en 1997 (ou en 1981). Les critère dits de Maastricht ont été définis à une époque où la charge de la dette, c’est à dire son prix, était supérieur à 3% du PIB. Aujourd’hui, elle est de 2% seulement. C’est tout à fait raisonnable, et plutôt dans la moyenne européenne. C’est pourquoi les marchés financiers n’ont pas du tout réagi aux annonces du dérapage, comme Le Monde le constate par ailleurs, et au grand désespoir des Ifrap et autres Coe Rexecode qui appellent de leurs vœux des cataclysmes prophétiques autoréalisateurs1.

1https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/03/26/malgre-le-derapage-du-deficit-francais-aucune-tension-sur-les-marches-financiers_6224257_823448.html?


C’est ce qu’illustre cette statistique : le coût de la dette s’est effondrée alors que son montant a presque doublé. La remontée de 2022-2023 s’explique par la légère remontée des taux, mais en même temps, l’inflation baisse la part de la dette rapportée au PIB en 2023 (-1 point de PIB).

La France a fait moins bien que l’Allemagne ou d’autres pays dans l’amélioration de la charge de la dette. L’Allemagne, en 1997, suite à la réunification, fait face à une charge de la dette supérieure à la France en points de PIB. Aujourd’hui, cette charge est même inférieure à 1,5%.

Ce qui a sauvé l’Allemagne, ce n’est pas la baisse des dépenses, elles n’ont pas baissées, mais une politique orientée sur l’exportation par le maintien des bassins industriels, en utilisant l’avantage monétaire de l’euro et l’abondance d’énergie fossile pas chère russe ou allemande (charbon), dans un marché européen de l’énergie structuré à l’avantage de l’industrie allemande et au désavantage de l’industrie française.

Entre 1997 et 2023, la principale évolution négative pour la France, c’est qu’alors que le pays étant toujours en démographie positive, les besoins en infrastructures publiques augmentent, son taux d’industrialisation passe de 18% à 8%, et sa balance commerciale, d’un excédent de 39 milliards à un déficit de 100 milliards ! C’est ce qu’illustre cette statistique : le coût de la dette s’est effondrée alors que son montant a presque doublé. La remontée de 2022-2023 s’explique par la légère remontée des taux, mais en même temps, l’inflation baisse la part de la dette rapportée au PIB en 2023 (-1 point de PIB). Ainsi, la croissance de la dépense publique est surtout tirée par les dépenses sociales, conséquences de la croissance démographique.

Le solde démographique des naissances et des décès reste en France largement positif entre 1975 et 2024. Il est négatif dès 1975 en Allemagne.

L’accroissement naturel de la population française reste supérieur à 3,5% tout ce quart de siècle ! Les dépenses augmentent au rythme de cette croissance démographique de 3,7% par an pendant 25 ans. Cette évolution remarquablement synchrone n’a pourtant JAMAIS été thématisée dans le débat public.

Rappelons le : la croissance démographique allemande sur la période est entièrement due à des migrations extérieures d’adultes déjà formés. Le poids social et en termes de finances publiques n’est pas porté par l’Allemagne, dont la population et le nombre d’enfants baissent sur la période, mais par les pays d’émigration. La France, elle, a du créer des écoles, des crèches, des cliniques pédiatriques, etc. pour près de 2000 milliards de plus que l’Allemagne entre 1975 – le solde démographique des naissances et des décès reste en France largement positif entre 1975 et 2024, il est négatif dès 1975 en Allemagne, les deux Allemagne passent en déficit démographique, il y meurt plus qu’il n’y nait – et 2024.

La pyramide des âges en France n’est pas ce sapin inversé que les démographes craignent depuis 1975, et que les bourgeoisies françaises appellent de leur cœur depuis 1990. Du coup, la France a trahit sa jeunesse, trahit l’énergie même de la Nation, en sous investissant dans l’éducation, la santé, les services publics, et en ne travaillant pas à créer des secteurs productifs hautement qualifiés pour absorber les jeunes actifs. La conséquence, c’est la persistance du chômage, et la dégradation de la démocratie.

Mais les élites françaises ont eu peur dès 1993 et une réforme des retraites portée par le ministre du budget de monsieur Balladur, un certain Nicolas Sarkozy, d’un effondrement démographique français à l’allemande. Depuis le début des années 1990, la politique française passe à un discours malthusien en complète contradiction avec la réalité des évolutions démographiques et des besoins économiques et sociaux du pays.

La première crise d’intégration, c’est que la France n’a pas voulu investir pour intégrer les nombreux enfants nés en France, de Français, entre 1990 et 2024. D’ailleurs, l’extrême droite dissimulera le sujet en faisant croire que tous les Français qui naissent en France seraient des étrangers, assimilant la jeunesse française à un obstacle pour démanteler l’Etat.

C’est le Grand Mensonge : le bilan démographique français rendait superflu l’immigration du travail, qui s’effondre dès les années 1990. Il n’y a pas eu de grand remplacement, mais un grande ignorance de la jeunesse de ce pays.


L’immigration n’est pas l’explication du solde démographique dynamique des
Français. Jusqu’en 2015, les français voulaient des enfants, voulaient investir dans l’avenir de la Nation et dans la vie. Depuis, la bourgeoisie libérale fait tout pour dégoûter les français de maintenir une démographie dynamique : ça coûte trop cher. La France a en effet dû investir, sur la base du calcul de l’Insee évaluant à 180 000 euros les dépenses sociales et privées pour éduquer un enfant et en faire un adulte citoyen et productif, 2000 milliards de plus que l’Allemagne entre 1975 et 2023. L’Allemagne, elle, est en déficit démographique depuis 1975, compensant par l’immigration, c’est à dire, en faisant porter le poids économique et social de l’éducation d’un enfant jusqu’à l’âge adulte à d’autres pays.

S’il y a eu un grand remplacement, c’est celui de l’industrie, délocalisée avec ses emplois hautement qualifiés bien rémunérés, mais souvent syndiqués, par des emplois de service à qualification interchangeable, faibles revenus et faiblement syndiqués. Le PIB voit un remplacement d’emplois dans des secteurs à forte augmentation de la productivité à des secteurs de service à faible augmentation de la productivité. De plus, le déficit commercial coûte chaque année 4 points de PIB à l’économie française.


Les privatisations, les aides aux entreprises, la libéralisation du droit du travail et la baisse des rémunérations du travail n’ont pas permis de rendre l’économie française plus compétitive, au contraire ! Le solde commercial s’effondre pour atteindre 100 milliards en 2023, et s’explique notamment par les choix économiques des années 1990-2010 favorisant la baisse des industries et activités de production, et le retrait de l’État comme architecte de l’économie.

Résultat : alors que les dépenses, poussées par la démographie, augmentent de 3,7% par an, le PIB connaît une progression moyenne de long terme de seulement 3%. C’est cela, l’explication de l’augmentation du poids des dépenses publiques dans le PIB, et non un “Etat communiste”. Si la démographie française avait été conforme à l’allemande, nous aurions 6 millions d’habitants en moins, c’est à dire le montant du nombre de chômeurs et de précaires, et des dépenses publiques inférieures de près de 12 points de PIB – comparable à la moyenne de l’Union. Toute la bourgeoisie libérale française a gouverné contre les enfants de la France. Les privatisations, les aides aux entreprises, la libéralisation du droit du travail et la baisse des rémunérations du travail n’ont pas permis de rendre l’économie française plus compétitive, au contraire ! Le solde commercial s’effondre pour atteindre 100 milliards en 2023, et s’explique notamment par les choix économiques des années 1990-2010 favorisant la baisse des industries et activités de production, et le retrait de l’État comme architecte de l’économie. L’évolution des dépenses publiques en période de croissance démographique ne pouvaient pas être le principal axe d’action pour contrôler le déficit et l’évolution de la dette. Et pourtant, c’est ce qui s’est passé ! Tout le discours politique, et on voit l’influence que cela a pris y compris sur la journaliste du Monde, s’est concentré sur la réduction des dépenses. Ajoutant que l’article, comme d’ailleurs beaucoup d’éditorialistes, n’interrogent pas l’explosion de la dépense publique à destination des entreprises.


C’est lorsque l’État possède des entreprises privées, lorsqu’il est interventionniste, que notre balance commerciale fut excédentaire. Depuis les recettes libérales, et les privatisations, notre solde s’effondre. L’économie française, la sphère privée, doit s’endetter chaque année de 100 milliards pour compenser ce déficit commercial.

Elle est passée, alors même que l’actionnariat public passait de plus de 20 % du PIB et à moins de 4%, de moins de 1% du PIB en 1979 à 5% du PIB en 2023 ! Dit autrement : on a vendu les entreprises publiques, mais le budget de l’Etat continue de refinancer les actionnaires privés à des montants largement supérieurs aux revenus que l’Etat ne perçoit plus de ses dividendes, ou, indirectement, par le soutien de l’activité, par l’augmentation des recettes fiscales.

Si monsieur Attal et monsieur Le Maire parlent de baisser les dépenses sociales, ils oublient que les français modestes ont été durement touchés par l’inflation. C’est une recette infaillible pour détruire la cohésion nationale, abîmer la démocratie, et favoriser l’arrivée au pouvoir de madame Le Pen. Macron et ses alliés n’ont rien appris de l’histoire, notamment de l’avant seconde guerre mondiale.

Pourtant, dans l’histoire de France, toute tentative dans le sens d’une baisse des déficits par la baisse de la dépense a toujours été déflationniste : les salaires dans leur ensemble ont perdu du pouvoir d’achat, le chômage augmenté, et l’activité économique en a été ralentie. La crise sociale a toujours favorisée des partis politiques non républicains, et la conscience démocratiques en est affaiblie. De plus, le ralliement des élites technocratiques françaises au consensus libéral européen les ont amené à privilégier les filières non productives dans l’économie, privant celle-ci de moteurs de croissance privée. La privatisation des activités privée en main publique est un très bon exemple de ce fiasco économique sur la création de valeur et de croissance du PIB. L’investissement privé d’ailleurs est bien loin d’augmenter au rythme des aides aux entreprises : au contraire, ce sont les dividendes et les rachats d’actions qui ont exploses, au profit d’un actionnariat que Nicolas Sarkozy, des 1993 sous Balladur, voulait voir s’internationaliser.

Le retour sur investissement des aides publiques aux entreprises est pour le moins tenu. Dans n’importe quelle entreprise privée, un tel résultat a un tel coût entraînerait le licenciement des dirigeants. Macron avec son CICE pérennisé, Le Maire et avant eux Sarkozy qui avait lancé les crédits d’impôts et exemptions fiscales, ne méritent que l’opprobre et la honte. Pierre Moscovici, en ne permettant que des audits très partiels des aides publiques aux entreprises par la cour des comptes qu’il préside, protège surtout sa propre réputation, lui qui en 2012-2013 mis en place l’un des pires plan en la matière, et qui en resta un adepte en tant que commissaire européen.

Nous rémunérons avec nos impôts des fonds d’investissement étrangers. Maintenant, l’histoire de France nous enseigne, qu’après des périodes de crise mondiale augmentant la dépense publique, c’est par l’action volontaire, souveraine, et industrielle publique que la France a stimulée sa croissance de telle manière qu’elle dépasse celle de ses dépenses, réduisant la part du public dans le PIB. C’est la leçon des années 1937-39, de 1944-1972, de 1997-2003.

Revenons un moment sur les privatisations. En 1983, après les nationalisations qui répondaient à un moment de crise profonde de l’économie privée française et visait à recapitaliser en l’adossant à l’actionnaire immortel qu’est l’état, le poids du secteur public concurrentiel représentait 20% du secteur privé, 25% de l’industrie, mines, chimie, 70% de l’énergie, et 35% des exportations. Le poids de l’état passe ainsi de 1985 à 2023 de 25% de la valeur ajoutée, 12% des effectifs salariés totaux, à moins de 5% de la valeur ajoutée et des effectifs salariaux.

Il ne reste plus que trois grands secteurs où l’Etat est encore présent : la Poste et les transports publics, l’électricité avec EDF. Les privatisations ont rapportées entre 1986 et 2020 près de 130 milliards d’euros à l’Etat. C’est en moyenne 4 milliards par an, mais avec de gros pics, et surtout, ces revenus ne sont pas renouvelables. Elles l’ont privé cependant du revenu généré par ces activités qui s’établissait en 2005 encore à plus de 4 milliards de dividendes par an. Enfin, l’Etat s’est privé d’un levier sur l’économie réelle.

La chute de l’industrie et la chute du commerce extérieur sont ainsi directement liés aux privatisations et au retrait de l’Etat de la sphère productive.

En conclusion : l’article du Monde est partial. La journaliste a bien trouvé des informations pertinentes, mais n’a pas su contextualiser l’élément le plus important de sa démonstration : l’évolution du PIB.

Comment en effet construire une argumentation sur le ratio de dépenses, de dette ou de déficit au PIB sans se pencher sur le PIB lui même ? Enfin, un point n’aura été traité ni dans l’article du Monde, ni ici, ou seulement par allusion: le facteur récessif de la baisse des dépenses, notamment des dépenses sociales. En effet, on sait que l’une des erreurs gravissimes du FMI et des organisations internationales au moment des attaques sur les dettes publiques européennes en 2010, ce fut de sous estimer combien la baisse des dépenses, en accélérant la baisse du PIB, fera s’effondrer encore plus vite les recettes.

Olivier Blanchard, chef économiste du FMI, en publiera même une note demandant pardon. L’exemple de cette erreur gravissime est la Grèce : la dette représentait 110% du PIB en 2010 quand la crise de son refinancement commence. En 2023, la dette, après 13 ans de baisse des dépenses, de privatisation forcées, et de saccage social avec des conséquences humaines tragiques, est à … 200% du PIB. Les politiques menées de baisse des dépenses ont été contre productives. Il aurait été de meilleur conseil d’investir en Grèce. Par ailleurs, la démocratie grecque en est ressortie profondément affaiblie.

Revenons maintenant à nos affaires françaises :

1. Le dérapage du budget était prévisible. Certains avaient mis en garde dès Juillet, notamment dans une note de la direction du Trésor. Des économistes, le FMO, l’OCDE s’étaient inquiétés de la baisse des recettes dès la fin de l’été. Le refus du gouvernement et de la majorité relative de se saisir du sujet renforce le soupçon, terrible, qu’ils savaient avoir forcé de faire voter un budget insincère à coup de 49.3, se privant d’ailleurs des amendements adoptés par une majorité transpartisanne en commission des finances. Non seulement ils sont nuls sur leur principal argument de compétence, mais en plus, ils le font sciemment.

2. La cour des comptes a évalué très partiellement le principal facteur d’explosion des dépenses et de réduction des recettes depuis 2013, c’est à dire les aides aux entreprises et les crédits d’impôts aux entreprises. Si la cour des comptes considère comme « efficaces » les aides exceptionnelles de 2020-2022, sans préciser les critères d’efficacité, elle regrette l’absence de contrôles et de ciblage. Elle note que la loi, qui interdisait d’utiliser les aides pour payer des dividendes ou faire des rachats d’actions, n’a pas été suffisamment mise en œuvre. Mais c’est depuis 2013 en cumulé 600 milliards de dépenses et d’abandon de recettes à destination des entreprises que l’on ne voit ni dans l’investissement, ni dans l’emploi, ni dans la ré-industrialisation, ni dans la compétitivité, ni dans le commerce extérieur. On retrouve l’essentiel de ces montants par contre dans l’augmentation des dividendes – 10 milliards de plus que ce que l’Allemagne distribue chaque année – et des rachats d’actions.

3. Contrairement aux cris austéritaires de LR et du RN – qui prévoient la même politique en plus dure, le RN prévoyant un volume pour une petite partie de sa clientèle électorale qui est différente de celle des macronistes – contrairement donc aux Cassandre de la réduction des dépenses publiques, le coût de la dette et la réaction des marchés est … neutre. Les marchés avaient déjà intériorisé cette possibilité et ont confiance dans les capacités du pays d’honorer sa dette à court et long terme. Les taux sont restés stables, et en dessous de la moyenne européenne, l’écart avec l’Allemagne (le spread) l’un des plus faibles de l’eurozone1. C’est l’avantage de la réduction du poids de la charge de la dette depuis 25 ans.

Les conséquences : La compétence du « Mozart de la Finance » est révélée : le roi est nu. Comme le disait Ian Brossat ce matin du 28 mars : « il a fallu un président banquier pour ruiner la France ! » Bien sûr, il y a exagération : la France n’est pas ruinée, pas encore.

1https://www.mtsmarkets.com/european-bond-spreads

Helen Stratton (1899)

Par contre, tant Attal, ministre du budget au moment du vote par 49.3, Le Maire et Cazenave, responsables de l’exécution de ce budget, que Macron ont prouvé leur incompétence. On pourrait encore penser que, s’ils étaient pragmatiques et compétents, ils apprendraient de leurs erreurs répétées. Mais les premières mesures annoncées, 20 milliards de baisse des dépenses, une nouvelle réforme de l’assurance chômage, prouvent qu’ils n’ont tiré AUCUNE leçon de 40 ans d’erreurs économiques.

On l’a démontré plus haut : Pierre Moscovici est juge et partie et ne peut donc engager depuis la cour des comptes la révision de ces politiques désastreuses sans remettre en compte sa propre politique ministre de l’économie de François Hollande.

On peut même voir dans le tournant libéral initié trois fois par Laurent Fabius, depuis président du conseil constitutionnel, les prémices des corrections vers l’erreur de politiques de relance en cours de réussite. Ce sont des décennies de fausse route économique, industrielle, sociale, et finalement également législative qu’il va falloir corriger. Cela suppose de Reprendre la main !

L’alliance du CNR se retrouve dans la liste des Européennes de la Gauche Unie, avec les socialistes de la GRS, les radicaux de LRDG, les syndicalistes, les communistes du PCF et les républicains souverainistes de l’engagement

Si l’histoire ne se répète pas, il apparaît évident que les facteurs et les principes régissant le programme du conseil national de la résistance ont façonné à la fois la période de croissance justement partagée la plus longue de l’histoire de France, et construit les institutions, notamment l’Unédic et la sécurité sociale, expliquant la bonne résilience de l’économie française malgré le régime incompétent des libéraux.

C’est pourquoi nous envisageons de reprendre la main en alliance avec ceux qui avaient participé au CNR – les radicaux socialistes, les communistes, et que ce rassemblement initial a vocation à grandir.

Mathias Weidenberg

Nouveaux accords commerciaux : quels sont les dangers ?

Alors que les agriculteurs dénoncent depuis des semaines les conséquences néfastes des accords de libre-échange pour l’agriculture européenne et l’environnement, l’Union européenne s’apprête à entériner deux nouveaux accords commerciaux avec le Chili et le Kenya. Quelles seront les conséquences de ces accords ultra libéraux, aussi bien pour l’Europe que pour les pays concernés ? Analyse détaillée et débat le mercredi 28 février 2024 avec deux députés européens, spécialistes des questions économiques et agricoles : Emmanuel Maurel (GRS, La Gauche), et François Thiollet (Les écologistes, Les Verts).

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