« Ferroviaire : a-t-on abandonné le centre de la France ? » – France Culture, la question du jour, avec Chloé Petat [podcast et vidéo]

Mardi 15 avril, 400 usagers des lignes Paris-Clermont-Ferrand et Paris-Orléans-Limoges-Toulouse (POLT) se sont rendus à Paris pour alerter sur l’état du service proposé par la SNCF dans leur région. Retards et vétusté des rames, comment expliquer une telle situation sur ce territoire ?

Le mercredi 16 avril 2025 à 7h15 Chloé Petat était l’invitée de Guillaume Erner et de Marguerite Catton dans la « question du jour » des Matins de France Culture pour faire le point sur le dossier.

En podcast :

À bord des « trains de la colère », des centaines d’habitants du centre de la France ont débarqué à Paris hier, pour manifester leur mécontentement face aux multiples retards et dysfonctionnements des trains Intercités qui maillent leur territoire. Si le réseau ferroviaire paraît particulièrement vétuste sur l’ensemble du territoire, quelle est la spécificité de cette région et de ces lignes ? Pourquoi parle-t-on d' »enclave ferroviaire » et comment la SNCF a-t-elle prévu de remédier à cette situation face à la demande croissante en mobilité ferroviaire ?

en vidéo :

Les droites contre l’égalité territoriale


Au parlement, certains députés et sénateurs issus des bancs de la droite allant du « bloc central » au RN ont décidé d’opérer une « commission de la hache » sauvage, en prenant prétexte de l’état des finances publiques. Animés par une foi anti-étatiste viscérale, ils développent des arguments démagogiques et malthusiens qui pourraient s’ils parvenaient à leurs fins avoir des conséquences graves pour la cohésion nationale. Mais le risque déborde du débat parlementaire en lui-même.

Le 30 janvier 2025, la sénatrice Union Centriste Nathalie Goulet avait l’honneur de l’examen en séance publique de sa proposition de loi « tendant à supprimer certains comités, structures, conseils et commissions « Théodule » dont l’utilité ne semble pas avérée » ; le simple intitulé du texte suffisait cependant à se faire une idée sur sa nature parfaitement démagogique et ridicule.

On connaît bien le pedigree démagogue de cette élue de l’Orne, qui avait déjà créée une polémique en montant en épingle « les milliards qui seraient engloutis dans la fraude à la carte vitale », avant que les démonstrations sérieuses rappellent que ces fraudes, si elles existent bel et bien, ne concernent que quelques millions d’euros et sont sévèrement combattues, l’argent recouvré un jour ou l’autre ; chacun sait qu’en matière de fraude sociale, c’est surtout les fraudes aux cotisations des entreprises qui coûtent cher à la puissance publique, ajouté au scandale de la masse du non recours aux aides sociales totalement intégré dans les projections budgétaires (l’État et les collectivités ne prévoient jamais les crédits à hauteur du nombre de personnes éligibles mais au niveau de ce qu’ils anticipent comme citoyens qui y feront réellement appel).

Le texte avait été sérieusement toiletté en commission des lois au Sénat pour éviter les suppressions ubuesques, la commission en appelant à la « sagesse » de l’examen en séance pour faire un sort à l’article proposant la suppression de l’Observatoire national de la politique de la ville (ONPV). Opportunément, les commissaires aux lois savaient que le groupe socialiste, écologiste & républicain avait déposé un amendement pour supprimer cet article, ce qui fut fait. Le texte transmis à l’Assemblée nationale le 31 janvier préservait donc l’ONPV et la proposition de loi Goulet était promise à se noyer dans les méandres de la navette parlementaire.


Après le Sénat, la récidive des députés macronistes

En quoi la suppression de l’ONPV comporte-t-elle un risque ? L’ONPV a succédé en 2015 à l’Observatoire national des zones urbaines sensibles qui avait été créé en 2003 ; la loi Lamy de programmation pour la ville et la cohésion urbaine du 21 février 2014 lui confiait l’« analyse de la situation et des trajectoires des résidents des quartiers [prioritaires], la mesure de l’évolution des inégalités et des écarts de développement au sein des unités urbaines, à l’évaluation de la mise en œuvre des politiques en faveur des quartiers prioritaires et des progrès en matière de participation des habitants aux instances décisionnelles de la politique de la ville, [… et enfin] l’analyse spécifique des discriminations et des inégalités entre les femmes et les hommes. »

Le Décret n° 2015-77 du 27 janvier 2015 relatif aux instances en charge de la politique de la ville établissait surtout que « l’État et ses établissements publics sont tenus de [lui] communiquer les éléments nécessaires à la poursuite de ses travaux, sous réserve de l’application des dispositions législatives imposant une obligation de secret. » En d’autres termes plus concrets, cela signifie que l’INSEE – entre autres – est tenu de lui communiquer des éléments d’analyse statistique socio-démographique et socio-économique à l’échelle des Quartiers prioritaires politique de la ville (QPV). Supprimer l’ONPV purement et simplement implique de supprimer également la partie du décret de janvier 2015 qui le concerne, donc de supprimer l’obligation pour l’INSEE et les autres établissements publics de produire des données à l’échelle des QPV et de les transmettre gratuitement. Cela revient tout simplement à casser le thermomètre indispensable à la connaissance de ces quartiers et donc à l’élaboration, la mise en œuvre et l’adaptation de politiques publiques capables de faire revenir les habitants de ces territoires vers l’égalité républicaine.

L’ONPV est une instance au travail et la seule à travailler sur le périmètre des QPV. La politique de la ville, comme toute politique publique, a besoin de données statistiques fiables et d’études à la méthodologie scientifiquement éprouvée. Supprimer l’ONPV, c’est supprimer l’attention portée par la puissance publique aux QPV et à leurs 6 millions d’habitants, qui subissent les conséquences de quelques 60 ans d’erreurs et d’abandons. Car, dans les QPV, il n’y a pas que les revenus par habitants qui sont moins élevés que dans l’aire urbaine qui les entoure (ce qui veut dire que la population y est plus pauvre) : les QPV sont aussi ceux où sont concentrés les problèmes de qualité du logement, où les services publics (et les services tout court) sont les moins présents ou insuffisants par rapport aux difficultés rencontrées, où il y a moins d’emploi et, enfin, ce sont ceux qui sont les moins bien desservis en transport.

Comment bâtir des politiques publiques efficaces pour réduire les écarts de développement et les écarts sociaux entre les quartiers défavorisés et leurs unités urbaines sans un diagnostic territorial socio-démographique et socio-économique partagé et régulièrement mis à jour ? Comment mobiliser efficacement les moins de 600 millions d’euros par an des crédits politique de la ville du programme 147, qui ne servent qu’à soutenir les projets associatifs et les expérimentations ? Et surtout et avant tout, comment réellement mobiliser efficacement les autres politiques publiques dites de « droit commun » (éducation, emploi, transports, logement, justice, culture, sport, police, etc.) pour rattraper le retard accumulé ?

Lors de l’examen en commission spéciale à l’Assemblée Nationale du projet de loi de simplification de la vie économique (le texte avait été déposé par le gouvernement voici un an et transmis par le Sénat à l’Assemblée nationale en octobre dernier !?!) pourtant, les députés du « bloc central » s’en sont de nouveau pris à l’ONPV. Mais à la démagogie initiale de Nathalie Goulet, ils ont ajouté la tromperie : voulant mettre en scène leur zèle en faveur de coupes budgétaires tout azimut, ils ont fait adopter en commission le 24 mars 2025 un amendement de suppression de l’Observatoire porté par le rapporteur du texte le député LIOT de la 3e circonscription des Vosges, Christophe Naegelen. Mais, pour rendre cohérent le reste des textes, ils ont corrigé l’article 10 de la loi Lamy de 2014 pour remplacer l’ONPV par l’Agence Nationale de Cohésion des Territoires (ANCT), qui si cette démarche allait au bout serait donc désormais rédigé comme suit : « Les collectivités territoriales et leurs établissements publics communiquent à l’ANCT les éléments nécessaires à l’accomplissement de sa mission, sous réserve de l’application des dispositions législatives imposant une obligation de secret. » Façon de dire « regardez, nous ne sommes pas des irresponsables, les données continueront d’être récoltées par l’ANCT »… Ce sont des Tartuffe ! Car en supprimant l’ONPV, ils suppriment le titre III du décret n° 2015-77 qui obligeait « l’État et ses établissements publics [à] communiquer les éléments nécessaires » à l’accomplissement des missions confiées en 2014 à l’ONPV : donc, à nouveau, il s’agit de casser le thermomètre et de rendre dans les faits impossible la récolte de données sur les politiques publiques à l’échelle des QPV.

Regardons où ont été élus les députés qui ont porté le fer : Marie Lebec, députée renaissance de la 4e circonscription des Yvelines (l’une des plus bourgeoise du département) ; Sébastien Huyghe, député LR de la 5e circonscription du Nord (qui croit ainsi donner des gages à l’électorat RN auquel il a arraché la circonscription) ; Sylvain Maillard, député Renaissance de la 1ère circonscription de Paris (la plus bourgeoise de la capitale) ; Jean-René Cazeneuve, député Renaissance de la 1ère circonscription du Gers (circonscription extrêmement rurale, dont le seul QPV est situé à Auch, préfecture du département, qui vote PS et un peu moins LFI aux législatives) ; Danielle Brulebois, députée Renaissance de la 1ère circonscription du Jura (circonscription extrêmement rurale, dont le seul QPV est situé à Lons-le-Saunier, ville PS) ; Françoise Buffet, députée renaissance de la 4e circonscription du Bas-Rhin (circonscription rurale et conservatrice) ; Nicole Le Peih, députée renaissance de la 3e circonscription du Morbihan (circonscription rurale) ; Anne-Sophie Ronceret, députée renaissance de la 10e circonscription des Yvelines (circonscription rurale et bourgeoise de Rambouillet) ; et enfin Annaïg Le Meur, députée renaissance de la 1ère circonscription du Finistère (circonscription rurale, dont le seul QPV est situé à Quimper, ville PS qui vote à gauche aux législatives).

Si on ajoute à cette liste, le profil de la circonscription du rapporteur (territoire rural, un QPV situé à Remiremont, ville de droite qui se détourne profondément de ce quartier), on perçoit dans la démarche de ces députés une ignorance volontaire de la politique de la ville, un mépris social évident, une logique d’opposition des territoires en difficulté entre eux et un esprit de revanche politique.

Avec cet amendement démagogique, les députés sabreurs peuvent-ils au moins prétendre avoir fait des économies ? Même pas ! L’ONPV est avant tout une instance de travail et de concertation entre différents acteurs publics et parapublics avec un comité d’orientation qui adopte le programme de travail annuel de l’ONPV, valide les publications de l’observatoire et approuve le rapport annuel remis au Gouvernement et au Parlement. Le travail en lui-même est accompli par le pôle Analyse et Diagnostics Territoriaux de la direction générale déléguée Appui Opérationnel et Stratégique au sein de l’ANCT, évidemment en lien avec la direction générale déléguée à la Politique de la Ville au sein de l’ANCT. L’ONPV en réalité ne coûte rien d’autre que les frais de secrétariat de son comité d’orientation, soit moins de 40 000 euros par an. Par contre, la suppression de l’ONPV privera tous les acteurs de la politique de la ville, qui expriment depuis quelques jours à quel point cet observatoire est utile, de données essentielles à une action publique efficace et à son adaptation dans le temps1. C’est à terme une perte d’efficacité publique donc une perte d’argent public considérable qui sera provoqué si l’amendement adopté en commission spéciale est conservé à l’issue de l’examen en séance publique. Il est plus qu’étonnant que sa présidente, la haute fonctionnaire Laëtitia Hélouet, n’est jamais pris la parole dans le débat public pour déconstruire ces absurdités ; il faut croire qu’elle a une définition extensive du « devoir de réserve ». D’autres heureusement ont pris la parole, tant parmi les cadres de l’État qu’au sein des associations d’élus locaux comme Ville et Banlieue et ses partenaires, France Urbaine, APVF, Intercommunalités de France ou Villes de France.

On ne peut que remercier Emmanuel Maurel et quelques autres députés de gauche (et du Modem) pour avoir déposé des amendements de rétablissement de l’ONPV2, mais le risque que l’irréparable soit commis est important : l’addition des voix des groupes RN, UDR, « droite républicaine » (hostiles par principe à la politique de la ville3) avec celles du « bloc central » – si ce dernier ne revenait pas rapidement à la raison (l’examen du texte est prévu dans la nuit du mardi 8 au mercredi 9 avril 2025) – est largement majoritaire.


L’Agence Nationale de la Cohésion des Territoires dans le collimateur ?

L’ANCT est un établissement public créé en 2019 et en fonctionnement depuis le 1er janvier 2020. Son action cible prioritairement les territoires caractérisés par des contraintes géographiques, des difficultés en matière démographique, économique, sociale, environnementale ou d’accès aux services publics. La création de l’ANCT avait été souhaitée par Emmanuel Macron dès son discours à la conférence nationale des territoires le 18 juillet 2017, avec l’ambition de créer un « guichet unique » d’échelon national dans la relation de l’État aux élus et porteurs de projets locaux, en particulier les collectivités territoriales.

L’ANCT a fusionné en son sein plusieurs organismes publics et administrations centrales :

  • le Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET ; à l’exception des agents assurant les fonctions relatives à l’élaboration et au suivi de la politique de l’État en matière de cohésion des territoires4), dont l’essentiel des missions a été repris par la direction générale déléguée à la politique de la ville dont nous parlions plus haut ;
  • l’Établissement public national d’aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux (EPARECA) ;
  • l’Agence du numérique (à l’exception des agents employés à la mission French Tech).

D’autres opérateurs de l’État en direction des territoires n’ont finalement pas été intégrés à l’ANCT : l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), l’Agence nationale de l’habitat (ANAH), l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) ou le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema). Toutefois, l’ANCT a établi des conventions avec chacun de ces opérateurs.

L’idée de base de la création de l’ANCT est intéressante : avoir un acteur uniquement permettant de coordonner l’ensemble des politiques publiques qui doivent servir à atteindre un objectif d’égalité territoriale. Quartiers urbains défavorisés, bassins désindustrialisés, territoires ruraux ou péri-urbains excentrés ou isolés, zones blanches, bourgs et villages ruraux en déprise (citons en dehors de la politique de la ville, Action Cœur de Ville – programme né du rapport sénatorial piloté en 2017-2018 le sénateur socialiste Martial Bourquin – Petite Ville de Demain, Village d’Avenir, Territoires d’Industrie, Maisons France Services, Tiers-Lieux, Territoires d’engagement, France Très Haut Débit, etc.)… Tous sont l’objet de l’attention de l’ANCT et doivent pouvoir bénéficier de ses dispositifs et de ses programmes. Le passage en Agence était censé lui donner la souplesse, la flexibilité et la réactivité que ne pouvait avoir, selon les Libéraux, une administration centrale ; c’était aussi s’ancrer dans la posture de « l’État animateur » et non plus prescripteur ou acteur.

Cependant, la création de l’ANCT s’inscrit dans la continuité d’une logique qui a retiré à nombre de territoires leurs administrations publiques. Ainsi pour faire face au démantèlement des Directions Départementales de l’Équipement entre 2006 et 2009, dont les équipes et les missions n’ont pas été entièrement reprises par les Directions départementales des territoires (on a « dégraissé le Mammouth » !), l’ANCT propose d’accompagner les collectivités qui s’adressent à elle avec des délégations de crédits d’ingénierie, charge aux collectivités bénéficiaires de solliciter des prestataires pour accompagner leurs projets. On marche sur la tête selon nous, mais c’est une conséquence directe du désengagement de l’État dans les territoires, pas de l’existence l’ANCT elle-même.

Sur les territoires, l’ANCT dispose de délégués territoriaux qui sont … les préfets. Donc il n’y a pas plus de présence de terrain hors quelques chargés de mission qu’elle finance pour les comités de massif ou autres chefs de projet sur ses différents programmes. Elle réalise exactement ce pour quoi elle a été créée en 2019, à savoir son rôle de guichet unique au service des collectivités. Cependant, le revers de la médaille d’un tel positionnement, c’est que l’ANCT répond essentiellement aux collectivités (ou à leurs EPCI) qui disposent déjà d’assez d’ingénierie ou de structuration pour faire appel à elle. Une commune en perdition dans un territoire en déprise ne pourra le faire qu’à la condition qu’elle soit accompagnée en amont, par les services préfectoraux et les services déconcentrés des administrations centrales qui sont déjà « à l’os » depuis plusieurs années.

Autre difficulté rencontrée par l’ANCT (et ses directions), c’est qu’elle a perdu la capacité de contrôle direct de l’essentiel de ses crédits qu’avait par exemple conservé le CGET. D’un côté, l’ordonnateur des crédits est la Direction Générale des Collectivités Locales (DGCL) qui dépend du ministère de l’intérieur (quand l’ANCT dépend à la fois du ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation et du ministère de la transition écologique) qui n’a pas d’expertise sur le fond des dossiers et des politiques publiques pilotés par l’ANCT, mais dispose d’une prépondérance dans la rédaction des décrets et circulaires relatives aux politiques publiques concernées et contrôle la libération des crédits du programme 147 (politique de la ville) et du programme 112 (impulsion et coordination de la politique d’aménagement du territoire) de la mission « cohésion des territoires » des lois de finances : le rapport de force politico-administratif est très largement inégal ; de l’autre côté, depuis 2018, ce sont les préfets de région en tant que Responsable de Budget Opérationnel de Programme (RBOP) qui ont la haute main sur l’exécution des crédits de ces deux programmes et la mise en œuvre des actions qui y sont rattachés : les recommandations de l’ANCT et de ses directions ne sont qu’un élément parmi d’autres pris en compte par les RBOP dont l’autonomie d’action, tant qu’ils respectent les cadres généraux, est extrêmement large. Comment l’ANCT pourrait-elle dans ces conditions avoir les coudées franches, disposer des moyens opérationnels concrets pour garantir une cohérence de la mise en œuvre des politiques publiques pour atteindre l’objectif de cohésion territoriale ? Dans un contexte de disette budgétaire, alors qu’on a coupé dru dans le fonds vert, que le programme 112 a perdu 20 % de ses crédits contre 5 % pour le 147, il y a fort à parier qu’une telle délégation de crédits risquent de se faire sur le terrain au détriment de la politique de la ville.

Elle est donc, dans ce contexte, contrainte d’avoir une politique marketing qui, l’espère-t-elle, lui donnera une légitimité auprès du public le plus large possible auquel elle s’adresse : les collectivités territoriales. Dès l’origine, en pleine crise sanitaire, elle s’est ainsi dotée d’un slogan qui ne recouvre que très partiellement l’intérêt de ses missions « L’agence au services des collectivités territoriales ». C’est sans doute aussi pour cette raison que ces différents outils de communication (comme son événement annuel phare l’ANCTour ou son site internet) privilégient largement les programmes et dispositifs s’adressant à la ruralité et à la revitalisation de la « France périphérique » : les maires et présidents d’EPCI sont plus nombreux dans cette catégorie et la politique de la ville, les difficultés sociales et humaines qu’elles tentent de contenir (si ce n’est de résoudre), est visiblement beaucoup moins « glamour » politiquement. Son président, Christophe Bouillon, maire de Barentin (Seine-Maritime) et président de l’Association des Petites Villes de France, est le symptôme de ce « silencement » de la politique de la ville : il n’en parle tout simplement jamais ou presque et doit être systématiquement complété sur ce dossier par son Directeur général, Stanislas Bourron, haut fonctionnaire et ancien patron de la DGCL.

On se souvient de la déclaration de politique générale de François Bayrou le 14 janvier 2025 ; le nouveau Premier ministre avait, dans un discours par ailleurs plutôt plat et ennuyeux, mené la charge en faveur de la « débureaucratisation » et contre les « plus de 1 000 agences, organes ou opérateurs exercent l’action publique […] sans contrôle démocratique réel ». On tente encore de trouver la référence du Béarnais pour avancer un tel chiffre, mais on avait compris que, parmi les cibles de cette diatribe populiste, se trouvait l’ANCT. Pourtant, c’est bien une agence dont le contrôle par le gouvernement est complet, doublé d’un conseil d’administration5 qui offre des garanties de contrôle démocratique assez exemplaires.

Or, deux semaines plus tard, le Premier ministre a demandé à l’IGA, l’IGF, l’IGEDD et l’IGAS de procéder à une revue des dépenses d’interventions de plusieurs opérateurs de l’État au profit des collectivités locales en matière d’ingénierie territoriale. Pour la mener à bien, les inspecteurs concernés, en complément des échanges avec lesdits opérateurs (ADEME, ANCT, CEREMA) et les ministères, ont reçu consigne d’aller interroger « les acteurs territoriaux susceptibles de mobiliser des ressources d’ingénierie, en propre ou porté (sic) par les opérateurs nationaux, pour mener à bien leurs projets d’aménagement ». On voit ici que l’intention est d’aller trouver des éléments pouvant permettre d’accuser son chien d’avoir la rage. Or, si l’ANCT est sans doute loin d’être parfaite – nous venons d’établir un constat balancé sur ses missions et son action –, elle souffre avant de ne pas disposer des moyens suffisants pour mettre en œuvre la tâche qu’on lui a confié : elle a besoin d’avoir des relais administratifs et d’ingénierie plus fort sur le terrain, elle a besoin de contrôler directement les crédits des politiques publiques dont on lui a confié l’expertise et le pilotage, elle a besoin d’avoir réellement la main sur les outils de mobilisation des agents publics (décrets, instructions, circulaires) et d’avoir en matière d’aménagement et d’égalité territoriale un dialogue d’organisation direct avec les préfets et leurs services.

On peut légitimement douter que l’intention actuelle du gouvernement de droite conduit par François Bayrou soit de redéployer des moyens humains dans les administrations déconcentrées de l’État, qu’elles soient rattachées ou non à l’ANCT. La disparition de cette agence ou sa fusion avec d’autres n’aboutirait alors qu’à un nouveau recul de la capacité de l’État à agir dans les territoires (alors même que les collectivités n’ont pas les moyens de prendre le relais, et d’une certaine manière ne doivent pas l’avoir, car cela signerait la fin de l’État républicain et de l’égalité des citoyens devant l’action publique).

Nous sommes le 6 avril 2025, l’ANCT n’a toujours pas reçu notification de sa subvention pour charge de service public pourtant inscrite dans la loi de finances pour 2025. Depuis le 1er janvier de cette année, elle fonctionne sur ses fonds propres, ayant toujours eu une gestion interne particulièrement austère, alors que d’autres agences ou opérateurs de l’État n’ont jamais eu cette précaution (et se retrouvent au bord du gouffre depuis quelques semaines). Mais entre les menaces de cette « mission de rationalisation » initiée par François Bayrou et la baisse des crédits du programme 112 (qui financent les postes des agents – fonctionnaires ou contractuels – de l’ANCT), on sent bien que l’Agence Nationale pour la Cohésion des Territoires risque de prendre un boulet fatal.

Mais ce n’est pas tant une agence parmi d’autres qui serait blessée à mort, c’est l’égalité des territoires au sein de la République française.

Jean-Samuel Castéran

  1. Au-delà site de l’ONPV que vous pourrez trouver tout seul, nous vous recommandons la consultation du site SIG.ville qui est une mine d’information sur les QPV, pour les agents de l’Etat, des collectivités, des acteurs professionnels, les associations, les entreprises, les habitants, et qui ne pourrait pas exister si le projet de loi sorti de la commission spéciale était promulgué tel quel : https://sig.ville.gouv.fr/ ↩︎
  2. Vous trouverez après cet article la liasse d’amendements de rétablissement au format PDF. ↩︎
  3. Les conseils régionaux d’Auvergne/Rhône-Alpes, Grand Est, Île-de-France, où LR règne sans partage (on peut ajouter PACA et Pays-de-la-Loire, proches d’Horizons), ont supprimé depuis plusieurs années tout soutien financier à la Politique de la Ville ↩︎
  4. La conception des contrats de plan État-Région, qui relevait encore du CGET pour l’exercice 2015-2020, n’est plus assumée par l’ANCT qui gère en revanche un nouveau type de contractualisation entre État et collectivités, les Contrats de relance et de transition écologique. ↩︎
  5. https://anct-site-prod.s3.fr-par.scw.cloud/ressources/2025-02/organigramme_ca_dec_2024.pdf ↩︎

« Transport ferroviaire : comment éviter que les concurrents de la SNCF ignorent les gares isolées ? » – tribune

Tribune de Chloé Petat, publiée dans Le Figaro, le mardi 1er avril 2025

L’augmentation de lignes rentables sur lesquelles la SNCF est concurrencée fera perdre à l’entreprise publique d’importants bénéfices. Notre camarade Chloé Petat1 dresse des propositions pour éviter que la quête de profits se fasse au détriment des gares les plus isolées.

Il y a quelques semaines, Trenitalia a annoncé la vente de billets à prix réduits sur la ligne Paris-Marseille. Depuis l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs en 2020, le processus semble s’accélérer. La concurrence se manifeste sur plusieurs segments. D’abord, sur les trains à grande vitesse, qui sont des services librement organisés. En effet, l’activité TGV n’est pas considérée comme un service public et n’est donc pas subventionnée par l’État. Des concurrents comme Renfe et Trenitalia opèrent déjà des trains sur certaines lignes. La concurrence survient également sur les trains express régionaux et les trains d’équilibre du territoire, qui sont des services gérés par des autorités organisatrices (les régions et l’État). L’ouverture à la concurrence sur un secteur aussi stratégique que le ferroviaire induit des risques majeurs notamment pour les dessertes du territoire et le financement du réseau.

Historiquement, l’exploitation des lignes les plus rentables, notamment certains TGV, permettait à la SNCF de compenser les pertes induites par l’exploitation des lignes moins rentables. Il s’agit d’un système de péréquation entre les lignes, qui permettait donc d’assurer un équilibre financier pour la SNCF et de maintenir un juste équilibre dans les dessertes des territoires. Avec l’ouverture à la concurrence, la SNCF va perdre des parts de marché, notamment sur les lignes les plus rentables sur lesquelles les nouveaux entrants se positionnent principalement. Le risque est donc que la SNCF assume seule l’exploitation des lignes les moins rentables, ce qui pourrait devenir un gouffre financier. L’exploitation d’un tiers à la moitié des lignes TGV n’est rentable qu’à condition de réduire le nombre de gares desservies. De ce fait, les nouveaux entrants, tout comme la SNCF, pourraient décider de réduire le nombre d’arrêts s’ils ne sont pas contraints. Ces décisions pourraient fortement affecter les dessertes des petites et moyennes villes. Pour éviter ce scénario, l’État doit s’assurer que la concurrence soit correctement répartie sur l’ensemble du réseau et étudier les leviers à sa disposition pour ce faire.

La modulation à la hausse ou à la baisse des péages ferroviaires est une option envisageable, par ailleurs déjà pratiquée. En effet, chaque entreprise qui souhaite faire circuler des trains sur le réseau français doit s’acquitter de ce que l’on appelle des péages ferroviaires auprès de SNCF Réseau. Ces derniers pourraient être plus faibles pour les exploitants qui desservent de nombreuses gares intermédiaires et plus élevés pour ceux qui ne le font pas. Cette modulation, si elle était adoptée, devrait être appliquée équitablement à l’ensemble des opérateurs. Toutefois, cela pose des questions majeures sur le financement du réseau, puisque la modulation réduit les ressources financières qui lui sont allouées. En outre, la réalisation d’un contrat d’exploitation entre la SNCF ou un autre exploitant et l’État pourrait permettre de s’assurer de l’exploitation des lignes non rentables. Toutefois, cela impliquerait de subventionner l’activité TGV ou, a minima, l’exploitation de certaines lignes TGV, ce qui implique un changement d’orientation majeur. Enfin, une autre solution envisagée pourrait être de fonctionner comme l’Espagne, c’est-à-dire conditionner l’exploitation de certaines lignes rentables à l’exploitation de celles qui ne le sont pas, ce que permettent les textes européens.

La concurrence ne peut sérieusement s’envisager sans investissements massifs dans la rénovation et la modernisation du réseau : elle n’aura aucun effet sur un réseau en mauvais état

La modulation à la hausse ou à la baisse des péages ferroviaires est une option envisageable, par ailleurs déjà pratiquée. En effet, chaque entreprise qui souhaite faire circuler des trains sur le réseau français doit s’acquitter de ce que l’on appelle des péages ferroviaires auprès de SNCF Réseau. Ces derniers pourraient être plus faibles pour les exploitants qui desservent de nombreuses gares intermédiaires et plus élevés pour ceux qui ne le font pas. Cette modulation, si elle était adoptée, devrait être appliquée équitablement à l’ensemble des opérateurs. Toutefois, cela pose des questions majeures sur le financement du réseau, puisque la modulation réduit les ressources financières qui lui sont allouées. En outre, la réalisation d’un contrat d’exploitation entre la SNCF ou un autre exploitant et l’État pourrait permettre de s’assurer de l’exploitation des lignes non rentables. Toutefois, cela impliquerait de subventionner l’activité TGV ou, a minima, l’exploitation de certaines lignes TGV, ce qui implique un changement d’orientation majeur. Enfin, une autre solution envisagée pourrait être de fonctionner comme l’Espagne, c’est-à-dire conditionner l’exploitation de certaines lignes rentables à l’exploitation de celles qui ne le sont pas, ce que permettent les textes européens.

Des nouveaux entrants, tels que Trenitalia et Renfe, bénéficient de réductions sur les péages ferroviaires. À titre d’exemple, Trenitalia a bénéficié en 2021 et 2022 de réductions de 37% pour la première année et de 16% pour la deuxième. Il est possible que de nouvelles exonérations soient accordées. L’ouverture à la concurrence va augmenter le nombre de circulations, ce qui va accélérer la dégradation du réseau et rendre d’autant plus indispensable les travaux de rénovation. Pourtant, ces baisses de péages réduisent les contributions financières allouées au maintien du réseau. Chaque nouvel entrant qui utilise le réseau ferroviaire français doit contribuer de manière équitable à sa maintenance, via les péages et des contributions au fond de concours. La concurrence ne peut sérieusement s’envisager sans investissements massifs dans la rénovation et la modernisation du réseau : elle n’aura aucun effet sur un réseau en mauvais état. L’augmentation du nombre de voyageurs et l’amélioration de la qualité de service reposent majoritairement sur la capacité à disposer d’un réseau de bonne qualité, avec des capacités de circulation augmentées.

Chloé Petat

  1. Chloé Petat est co-rédactrice en chef du média Le Temps des Ruptures. Elle a récemment publié La révolution ratée du transport ferroviaire (Le Bord de l’Eau, 2024). Elle est également membre du collectif d’animation nationale et du collectif de direction de la Gauche Républicaine et Socialiste. ↩︎

Quelle stratégie pour sauver le transport ferroviaire ? entretien avec Chloé Petat – Les Jeudis de Corbera

Podcast enregistré le jeudi 12 décembre 2024

Le transport ferroviaire français est dans la tourmente.

Depuis plusieurs années, la puissance publique s’est progressivement désengagée, entraînant la fermeture des petites lignes, abandonnant les trains de nuit, décentralisant la compétence aux conseils régionaux pour favoriser aujourd’hui l’ouverture à la concurrence. Ces dernières semaines des signaux contradictoires ont été envoyés : la SNCF a choisi une voie qui conduit à la mort de son système de fret ferroviaire, déclenchant une grève reconductible des cheminots, mais les grandes lignes européennes – comme le trajet Paris-Berlin – rouvrent progressivement de jour et de nuit. Mais quel que soit l’angle sous lequel on prend le dossier, dans le ferroviaire comme dans d’autres secteurs, il n’y a aucun miracle à attendre de l’ouverture à la concurrence au moment où les Britanniques renationalisent leurs chemins de fer. Sans contrôle étatique, sans investissement dans le réseau, sans création de nouvelles infrastructures, nous ne verrons aucun effet positif sur les prix, la régularité ou encore la qualité de service.

C’est pour parler de tous ces sujets que Carole Condat interrogeait jeudi dernier Chloé Petat, co-rédactrice en chef du média Le Temps des Ruptures et membre de la direction nationale de notre parti, qui vient de publier La révolution ratée du transport ferroviaire  aux éditions du Bord de l’Eau. Vous pouvez écouter ci-dessous le podcast.

Emmanuel Maurel et Violette Folgado ouvrent la campagne en Bergeracois

Les 25 et 26 mars derniers à Bergerac, les camarades du Parti Communiste Français et de la Gauche Républicaine et Socialiste de Dordogne ont eu le plaisir d’accueillir Emmanuel Maurel, député européen GRS, et Violette Folgado, candidate PCF de Dordogne, dans le cadre de la campagne des élections européennes du 9 juin prochain.

Liste de rassemblement conduite par Léon Deffontaines, membre du PCF avec La Gauche Républicaine et Socialiste, l’Engagement et les Radicaux de Gauche, « La Gauche unie pour le monde du travail » réunit syndicalistes, et militants des partis autour du slogan « Reprenons la main en France et en Europe ».

Emmanuel Maurel, député européen GRS, aux côtés de sa colistière communiste de Bergerac, Violette Folgado…

Le premier temps fort de cette campagne a été ouvert par Julie Tejerizo, membre du PCF Bergerac et élue municipale d’opposition lors d’une réunion publique rassemblant une centaine de participants dont de nombreuses personnes hors des partis. Ils se sont montrés très intéressées par les propos des candidats, les interpellant sur la défiance que suscite le fonctionnement de l’Union Européenne parmi nos concitoyens, et l’éloignement ressenti concernant les décisions prises à Bruxelles.

Cette défiance s’est traduite par une abstention forte lors des derniers scrutins et explique pour partie la montée des votes en faveur des partis d’extrême droite.

Les candidats de la Gauche Unie font salle pleine à Bergerac

Emmanuel Maurel a explicité et illustré cette défiance en rappelant les “erreurs” démocratiques commises par les dirigeants européens depuis le traité de Maastricht, mais il a tenu à rappeler le rôle de chaque député européen qui doit représenter les intérêts de son pays au Parlement, insistant sur un des thèmes de la campagne, à savoir la souveraineté. Il a également affirmé avec force le pouvoir et les leviers d’action de chaque élu au Parlement Européen, à travers ses amendements, son travail en commission et ses votes en plénière. Il a convaincu l’auditoire qu’aujourd’hui un député européen possède plus de poids qu’un député l’Assemblée Nationale. Il a pu donner nombre d’exemples de répercussions des décisions prises par l’Europe dans la vie quotidienne des Français, que ce soit concernant le commerce, la santé, l’énergie ou encore l’agriculture.

Parmi le public, Karine Mazot – co-référente départementale de la GRS de Corrèze -, Dominique Ragot et Hélène Lehmann (conseillère municipale de Bergerac et membre du collectif d’animation national de la GRS) – co-référents départementaux de la GRS en Dordogne.

D’agriculture il en a été question le lendemain lors d’une rencontre organisée et introduite par Hélène Lehmann, membre de la GRS Dordogne et élue municipale d’opposition, avec des éleveurs d’Agrobio , dans les locaux de l’abattoir public de Bergerac en présence de son directeur et du personnel de la structure. Les traités de libre-échange, passés et à venir, ont été dénoncés tant par les professionnels présents que par les candidats, en raison de leurs effets catastrophiques sur le climat, la sante, la souveraineté alimentaire et les revenus des agriculteurs. La question d’une organisation territoriale des services publics comme celui rendu par l’abattoir de proximité de Bergerac a aussi fait consensus.

Rencontre du député européen avec les éleveurs d’Agrobio , dans les locaux de l’abattoir public de Bergerac en présence de son directeur et du personnel de la structure, le 26 mars 2024

Les candidats ont été très sensibles aux problématiques du coût de l’énergie pour la structure, rappelant une des propositions de la liste qui est de sortir du marché européen de l’énergie pour baisser les factures. Emmanuel Maurel a appelé à envoyer au Parlement Européen le plus possible de députés de la « Gauche Unie pour le monde du travail « , pour que l’Europe cesse d’être “l’idiot utile du commerce mondial”.

Compte-rendu effectué par
Hélène Lehmann et Dominique Ragot

Une visite d’agrobio qui rentre dans le concret
Des référents départementaux de la Gauche Républicaine et Socialiste heureux

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