Macron : À défaut de cap, une nouvelle étape de dégradation de nos institutions

En deux heures et vingt minutes et devant près de 7 millions de téléspectateurs, le Président de la République, dans une conférence de presse qui avait été présentée comme un « moment républicain » d’une exceptionnelle importance, a tenté d’expliciter la politique qu’il compte mener d’ici la fin du quinquennat.

2h20 d’un verbiage malaisant qui aura au moins eu le mérite de faire la démonstration de sa conception de nos institutions et de révéler, plus clairement que jamais, son mépris du personnel politique, par-dessus la tête duquel il s’adresse directement à son public : la bourgeoisie possédante.

Un premier ministre, fraîchement désigné et doté d’un gouvernement prévu pour ne pas faire de vagues, relégué au rôle de simple collaborateur – ce n’est pas nouveau, Nicolas Sarkozy nous avait déjà, en son temps, habitué à la formule. Mais en le privant de la liste complète de ses secrétaires d’État et des Ministres délégués , il fait la démonstration de sa soumission au magister présidentiel. Renvoyant sa déclaration de politique générale – exempte de vote – au 30 janvier, avant ou après la-dite liste complémentaire – on ne sait pas – il en fait un exercice secondaire, une formalité de peu.

Pourtant, il n’aura eu de cesse tout au long de ce long exercice, d’en charger la barque. Annonces des plus foutraques – uniformes pour les écoliers et collégiens, « réarmement démographique », réguler les réseaux sociaux à la maison, théâtre obligatoire – ou déjà en œuvre tels l’apprentissage de La Marseillaise à l’école ou la coordination des professions paramédicales (sans que cela n’ait fait reculer les « déserts médicaux »). Mais surtout, menaces plus sournoises, explicitées lors du Forum de Davos, de réduction accrue des indemnisations du chômage, alors que celui-ci montre tous les signes d’une recrudescence.

On ne dira jamais combien, plus qu’aucun autre de ses prédécesseurs, Emmanuel Macron aura privilégié les tribunes « étrangères » pour faire des annonces de politiques intérieures initiant généralement un nouveau recul social… Voilà bien une forme de mépris du pays et de notre peuple et sans doute la traduction d’une sorte de crainte.

Entrant dans les moindres détails – citation de lieux ou de situations particulières – il se veut omniscient, à la manœuvre sur chaque dossier. Attal prendra ses ordres.

Mais au fond, qu’en reste-t-il ?

Négligeant toute référence au parlement – une simple chambre d’enregistrement – et des parlementaires qui constituent sa majorité relative (ne parlons pas de son « mouvement » ou de ses partenaires), il s’expose seul à la manœuvre. Brutalisant les uns et les autres, il tente comme dans une improvisation de définir un cap, une « certaine idée de la France » et la manière de la conduire dans les années qui viennent jusqu’à 2027. Mais en l’absence de toute idéologie de référence, l’exercice est périlleux.

En fait, plutôt que de s’encombrer des tels « outils » qu’il perçoit sans doute comme un carcan à son imagination fertile, il se contente de signaux faibles mais pourtant intelligibles à qui sait les décrypter :

  • aucune remise ne cause de la fiscalité qui préserve les grandes fortunes et les entreprises multinationales, mais au contraire 2 milliards de plus d’exonérations supplémentaires ;
  • un encadrement encore plus serré de celles et ceux qui auraient l’idée de profiter d’un État providence bientôt réduit à peau de chagrin ;
  • pas de dépenses excessives pour la transition énergétique, ce seront les générations futures qui régleront la note des investissements qu’il aura décidé, dans sa toute-puissance.

En somme, par-dessus la tête du Premier ministre et de son gouvernement, bien au-dessus du Parlement, sans même une base organisée, Emmanuel Macron s’adresse à la bourgeoisie en la rassurant sur ses intentions : continuez à profiter, je m’occupe de tout et rien ne vous sera soustrait tant que je serai là.

C’est une conception a-démocratique, autoritaire et personnelle, jamais vue à ce point développée dans un pays qui se croyait dotée d’une démocratie républicaine. Que les thuriféraires de la Vème République en prennent de la graine, voila ce qu’on peut en faire. Imaginez ce que le RN en ferait…

Bruno Lucas

Le macronisme est un autoritarisme

Sans changer une virgule à la Constitution, Emmanuel MACRON nous révèle, par sa pratique du pouvoir, toutes les tares de la Vème République.

Sa loi sur les retraites est une maltraitance démocratique tout autant que sociale. Il l’impose contre une très large majorité des Français et contre l’Assemblée nationale. En effet, toutes les dispositions tirées de la Constitution de 1958, dont le projet était d’instaurer un « parlementarisme rationnalisé » auront été utilisées, aboutissant de fait à un parlementarisme muselé.

« Le Parlement vote la loi. Il contrôle l’action du Gouvernement. Il évalue les politiques publiques. » énonce l’article 24 de la Constitution. « Nous empêcherons un vote à tout prix » ont trompeté plusieurs responsables du parti présidentiel Renaissance ces dernières semaines à propos de la proposition de loi portée par le groupe LIOT, dont l’article 1er propose l’abrogation de la loi retraites du 14 avril 2023. Les fondamentaux sont attaqués.

 Les députés du parti présidentiel ont brandi contre la proposition de LIOT l’article 40 de la Constitution qui prévoit que « Les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique. ». La proposition de loi du groupe LIOT prévoit la compensation, à due concurrence, des charges induites pour les organismes de Sécurité sociale par une taxe sur le tabac ? Elle a été déclarée recevable par le président de la commission des finances, conformément aux prérogatives de ce dernier ? Qu’importe, il fallait éviter un vote « à tout prix » sur l’abrogation !

La présidente de l’Assemblée nationale, après quelques hésitations et après avoir subi de très fortes pressions de l’Élysée, s’est donc résolue à s’asseoir sur les principes démocratiques élémentaires, en s’opposant à ce que la proposition de loi soit débattue en séance plénière, après avoir fait voté la suppression de l’article 1er de la proposition de loi en commission des affaires sociales, et en piétinant le droit d’amendement des parlementaires. La séparation des pouvoirs a rarement été aussi méconnue depuis l’instauration de la République.

Les républicains qui ne se résolvent pas à cette forfaiture doivent se rassembler et proposer des solutions permettant de redonner des perspectives positives à notre démocratie.

Dans l’immédiat, il faut utiliser tous les moyens légaux pour faire vivre les contre-pouvoirs, qu’ils soient institutionnels (motions de censure parlementaires, proposition référendaire au printemps 2024…) ou extra-institutionnels (manifestations, pétitions, grèves, articles de presse…).

Près de 65 ans après son instauration, la Vème République est à bout de souffle. Sa dangerosité initiale montre aujourd’hui toute sa dimension.

Mais avant d’envisager de refonder nos institutions, il nous faut résister ici et maintenant à la dérive autoritaire du pouvoir macroniste.

Hélène Franco

La sortie de crise passe (aussi) par la sortie de la 5ème

Dans sa majorité, la gauche a tôt fait de dénoncer les fondements voire les dérives monarchiques de la Ve République. La Constitution de 1958, rédigée pour « mettre fin aux errements parlementaires » d’une IVe République adoptée de justesse douze ans plus tôt1 et sévèrement chahutée depuis le début de la guerre d’Algérie, confère, on le sait, un pouvoir excessif au Président de la République. La révision constitutionnelle de 1962, là encore très contestée (elle donna lieu à la seule motion de censure adoptée, contre le gouvernement de Georges Pompidou), fait de son élection l’axe central, incontournable, devenu quasi unique de la vie politique française.

La dérive grandissante de l’exercice du pouvoir présidentiel suscite une défiance de plus en plus accrue. Les révisions constitutionnelles ou les évolutions législatives institutionnelles (notamment sur le quinquennat puis l’inversion du calendrier électoral) ont mis un terme à la fiction du rôle arbitral du Président de la République, alors même que la dérive de la construction européenne (et le manque de volonté politique de nos dirigeants) en fait en réalité une sorte de comptable à l’échelle de l’Union. La décentralisation – et l’émergence des Régions – ont parallèlement conduit à une forme de dilution, voire de confusion, des pouvoirs (une partie des présidents de Région semble même vouloir entrer désormais en concurrence avec le pouvoir central),alors même que la capacité des différentes strates de la puissance publique à agir concrètement sur la vie quotidienne de nos concitoyens est de plus en plus interrogée.

L’accumulation des réformes constitutionnelles de 2002 et 2008 ont ainsi définitivement fait passer le président de la République dans un rôle de chef de l’exécutif – au sens gouvernemental du terme – rabaissant en réalité le rôle du premier ministre au rang de « simple collaborateur » selon le mot de Nicolas Sarkozy, dépendant d’une majorité parlementaire faite à la main du chef de l’État (au moins jusqu’en 2022). Le paradoxe veut que le renforcement théorique des pouvoirs du président de la République se soit inscrit en parallèle d’un affaiblissement de l’autorité de l’État. Cette contradiction n’a jamais été aussi vivante que sous Emmanuel Macron, qui a prétendu plus que tout autre à un exercice jupitérien de sa fonction, sans rediscuter sérieusement la tutelle ordolibérale de l’Union Européenne, sans ancrage local réel de sa majorité parlementaire … pour finir par ne plus bénéficier du tout de majorité parlementaire.

Ne se situant plus au-dessus de la mêlée, la statue du commandeur s’effrite et se dilue au contact des réformes impopulaires et de moins en moins admises par l’opinion publique. Celle-ci entend ces dernières années se réinviter au centre d’une scène politique dont elle était écartée. Cette manifestation brutale et verticale du pouvoir a été particulièrement mise en lumière tout au long de la crise COVID, où les décisions concernant l’ensemble des Français furent prises à huis clos, au sein de Conseils de Défense.

Les gardiens du Temple gaulliste de la Vème République faisaient de l’autorité surplombante du Président de la République l’intérêt constitutif du régime. Or plus rien ne fonctionne selon ce principe Comme le disait Rémi Lefebvre au soir du second tour des élections législatives de 2022, « que le scrutin majoritaire donne une représentation politique qui se rapproche de celle que pourrait produire la proportionnelle est un indice paradoxal de plus de la crise de défiance généralisée, accrue par l’échec pratique du macronisme et la faiblesse de son assise électorale réelle… La prime majoritaire ne peut même plus masquer le déficit de légitimité du système… ». Et avec sa réforme injuste – et illégitime – des retraites, Emmanuel Macron a fait la démonstration qu’il n’avait pas de majorité parlementaire de rechange après son échec de juin 2022 ; et dans le même mouvement, ceux qui voyaient dans l’absence de majorité parlementaire alignée sur le président une opportunité historique de renouer avec un parlementarisme positif ont vite pu constater le caractère illusoire de leur pronostic. Car c’est aujourd’hui tout le système qui est grippé : la crise sociale s’est doublée d’une crise de régime.

La résolution de cette crise ne fera pas l’économie d’une VIe République, (re)mettant la vie parlementaire et l’expression populaire au centre du processus démocratique.

Il existe encore nombre de défenseur de la constitution de Michel Debré. Ils veulent bien concéder que ses équilibres institutionnels représentent une exception en Europe et dans le monde, mais prétendent conserver ce qu’ils jugent être un équilibre parfait entre les aspirations tumultueuses d’un peuple très politique de « gaulois réfractaires » et le bon sens libéral régnant en maître en Europe ; la constitution de la Vème République révisée attribue ainsi à l’exécutif et à l’Union Européenne non pas le monopole du cœur mais celui de la raison, qui ne serait alors plus la chose la mieux partagée. Pérorer ainsi sur des plateaux TV policés, en agitant encore et toujours le spectre de l’instabilité ministérielle caractéristique de la IVe République ou pire la défaite de 1940, c’est pourtant faire fi de l’histoire même des IIIe et IVe Républiques qui toutes deux ont permis de redresser et de reconstruire la France au lendemain des deux plus grands effondrements que la France ait connus, avant il est vrai de tomber sous les coups des événements, de leurs contradictions internes et de la médiocrité d’une partie du personnel politique.

Même le régime bancal de la IVe République avec ses courtes coalitions populaires nous a apporté, le socle économique, social et démocratique pour lequel la GRS se bat aujourd’hui – il est vrai que l’élan avait été donné par le programme « Les Jours Heureux » du Conseil National de la Résistance. Ce socle que nous entendons défendre n’a jamais été aussi menacé par les assauts réguliers, méthodiques, répétés et constants des néolibéraux, dont le projet s’accommode fort bien de l’affaiblissement des processus démocratiques. Tous les aspects de la protection sociale font depuis 35 ans l’objet d’une remise en cause progressive certes, mais systématique : le droit du travail, l’assurance chômage, l’assurance maladie et le système des retraites. Le détricotage social et démocratique, avec le recours brutal à l’article 49.3 et le détournement d’usage d’autres articles de la constitution2, doit céder sa place à une démocratie vivante. Le parlement doit retrouver une place prépondérante : pour cela, il faut limiter les outils du « parlementarisme rationalisé » qui aboutissent à l’affaiblissement spectaculaire de l’Assemblée Nationale. Plus généralement, la revitalisation de la vie démocratique suppose de donner davantage la parole aux citoyens. Le recours accru au référendum, l’institution d’un véritable référendum d’initiative citoyenne, paraissent aujourd’hui indispensables.

Le Parlementarisme est exigeant ; il nécessite débat, dialectique, compromis, autour d’un projet de société social, écologique, et tourné vers l’intérêt général. Le compromis, qui n’est pas la compromission, est synonyme d’une certaine harmonie politique, puisque respectueux des divergences et des singularités qui existe dans la communauté civique en les englobant dans un projet commun et une vision de long terme.

Cette vision socialiste et républicaine, nous l’avons ! Rejoignez-nous pour rebâtir et défendre l’héritage de nos brillants prédécesseurs !

Fabien Evezard et Frédéric Faravel

1 Après l’échec d’un premier projet constitutionnel en mai 1946, la constitution de la IVème république est adoptée par référendum le 13 octobre 1946 par 53,2 % des suffrages exprimés et une participation de 67 % seulement.

2 Relire notre analyse du 29 mars dernier « Le Conseil Constitutionnel doit censurer toute la réforme des retraites » : https://g-r-s.fr/le-conseil-constitutionnel-doit-censurer-toute-la-reforme-des-retraites/

Refus du RIP : la mobilisation continue !

En refusant pour la seconde fois de faire bon droit à la demande de referendum sur l’âge de départ à la retraite déposée par les parlementaires de l’opposition, le Conseil constitutionnel a rendu service au Président, mais pas à la République. 

Certes, le Referendum d’initiative partagée est dispositif complexe et par trop restrictif. Certes, Il devient urgent d’instaurer en France une procédure de référendum d’initiative citoyenne simple et compréhensible par tous. Mais le Conseil constitutionnel a pris, de fait, une décision politique qui contribue à aggraver la défiance de nos concitoyens à l’encontre des institutions. 

Faut-il pour autant en conclure que la messe est dite ? Certainement pas ! 

Il faut continuer de se battre, tous ensemble, unis derrière l’intersyndicale, pour que la démonstration de force populaire du 6 juin prochain soit la plus massive possible. Les députés qui devront se prononcer sur la proposition de loi d’abrogation de la retraite à 64 ans le surlendemain le feront ainsi en toute connaissance de cause, et en pleine responsabilité.

Pas de place au découragement ! La mobilisation de toutes et tous paiera et l’écrasante majorité des Français qui travaillent et créent les richesses de notre pays l’emportera ! Aucune autre forme “d’apaisement” n’est possible que celle du retrait de cette réforme injuste et cruelle. Si le président veut éviter l’aggravation de la crise démocratique et sociale, qu’il donne la parole au peuple !

Macron, Waterloo, et après ?

De l’intervention du président, les Français n’attendaient qu’une seule chose : qu’il retire une réforme injuste et cruelle, quasi unanimement condamnée. Mais Emmanuel Macron, s’il a reconnu, dans un rare éclair de lucidité, que le passage à 64 ans « n’était pas accepté », n’en a pas pour autant tiré la seule conclusion logique qui aurait pu ramener de « l’apaisement ». Au contraire, le chef de l’État a fait le choix de foncer droit dans le mur en klaxonnant.

Dès lors, cette courte allocution n’apporte rien d’autre que du carburant supplémentaire à la colère, dont le Président fait semblant de ne pas comprendre qu’elle est dirigée contre lui. Les Français en ont assez de sa pratique autoritaire et arrogante du pouvoir, de sa brutalité, de son mépris des corps intermédiaires et de son indifférence aux souffrances de la classe ouvrière et de la classe moyenne.

Pour le reste, son programme des « cent jours » s’apparente à un catalogue de mesures disparates, pour la plupart recyclées d’interventions précédentes, et sans véritable plan d’action. Comme à son habitude, Emmanuel Macron essaie de noyer le poisson et refuse d’apporter les réponses qui s’imposent aux inquiétudes de nos concitoyens.

Déconnecté du réel, obtus, Macron est incapable de comprendre l’ampleur des crises auxquelles le pays est confronté. Il persiste dans une lecture néolibérale des enjeux économiques et sociaux. Bruno Le Maire a ainsi confirmé ce matin que son « seul but est d’accélérer le désendettement de la France », ce qui annonce un nouveau train de mesures austéritaires – en totale contradiction avec la soi-disant « volonté de justice sociale » exprimée hier par son chef.

Répondre à l’urgence sociale

Comment l’Exécutif compte-t-il résoudre la crise sociale qui nait de l’inflation galopante des produits de première nécessité, à commencer par l’alimentation et l’énergie ? Ses « chèques » et ses « boucliers » n’ont servi à presque rien, mais ont couté cher aux finances publiques.

Ce dont les gens ont besoin, c’est d’un rattrapage de leurs revenus pour pouvoir faire face. Mais Macron, Borne et Le Maire, n’en veulent pas. Ils poursuivent sciemment leur politique de « déflation compétitive » en refusant d’indexer les salaires sur les prix (hormis l’indexation du SMIC, qui leur est imposée par la loi). Ils estiment qu’en faisant baisser les salaires réels, car c’est bien de ça dont il s’agit, la France attirera les capitaux et se réindustrialisera.

Ce faisant, ils commettent une énorme erreur d’analyse, car l’inflation n’est pas nourrie par les salaires : elle est nourrie par les profits ! Tous les économistes voient ce qui est en train de se passer : il y a aujourd’hui en France une boucle « profits – prix » qui tourne à plein régime et qui frappe des millions de familles ne touchant pas davantage que le revenu médian (environ 1800€ net par personne).

Les classes populaires sont les premières victimes, mais les classes moyennes elles-mêmes, confrontées à une augmentation rapide des prix alimentaires, révisent radicalement leur manière de consommer. Pour la majorité des Français, les fins de mois sont difficiles.

Il y a pourtant des marges de manœuvre. La montée des prix engendre des recettes supplémentaires de TVA et la montée des profits accroît le rendement de l’impôt sur les sociétés (60 milliards en 2022). Il est donc possible de sauver le pouvoir d’achat des Français en indexant leur salaire sur les prix « et en même temps » de sauver les services publics, particulièrement l’hôpital, de l’effondrement. Mais le Gouvernement fait exactement le contraire, en misant tout sur « l’attractivité du capital » et en osant même s’auto-délivrer d’indécents satisfécits sur l’ouverture de quelques usines et sur la baisse – artificielle – du chômage.

Répondre à la crise démocratique

Face à un échec économique et social aussi patent et une colère populaire aussi massive, l’Exécutif s’enferme dans une spirale dont même les commentateurs les plus modérés voient qu’elle ne peut dégénérer qu’en crise de régime. À un stade si avancé de bâillonnement parlementaire, de mépris des syndicats et de brutalisation de l’État vis-à-vis de l’ultra-majorité de l’opinion, comment pourrait-il en être autrement ?

Les « 100 jours de l’apaisement » risquent bien, en effet, de finir en Waterloo politique non seulement pour Macron, mais aussi, hélas, pour la souveraineté populaire. Toute critique est au mieux esquivée au pire balayée d’un revers de main. Toute opposition est empêchée, par l’usage systématique du coup de force.

Coup de force institutionnel avec l’usage des articles 47-1 (on peut changer en quelques jours la retraite des Français avec une simple loi de finance rectificative de la Sécu), 44 (vote bloqué sur les seuls amendements acceptés par le Gouvernement) et 49-3 (adoption sans vote du projet de loi), que même le Conseil constitutionnel, dans son incompréhensible (« surprenante », disent les juristes) décision du 14 avril dernier, a qualifié « d’inhabituel ».

Coup de force répressif, avec le retour – en force – des tabassages en règle de manifestants, voire de simples passants, dont les images et le son ont fait le tour du monde, stupéfiant les opinions publiques des démocraties et suscitant des réactions indignées de la part des défenseurs des droits, jusqu’au Conseil de l’Europe. Les gens sont arrêtés « préventivement », les manifestations sont interdites par simple affichage public, sans autre forme de notification, parfois même… le lendemain de leur déroulement !

Coup de force social enfin : le refus de faire vivre un dialogue de qualité avec les représentants du monde du travail, dans un pays à ce point éprouvé, est une faute politique grave. Depuis des mois, l’unité syndicale est un bien précieux. Elle conforte la légitimité des dirigeants des grandes centrales. Le pouvoir qui les méprise ne peut qu’accroître la crise.

La 5ème République n’est pas un régime qui sied à n’importe qui. François Mitterrand avait prophétisé : « les institutions étaient dangereuses avant moi. Elles le seront après moi ». Nous y sommes. Et nous ne pouvons plus nous permettre de parier sur l’élection d’un De Gaulle, d’un Mitterrand ou même d’un Chirac, qui eux, surent apaiser les crises. Il est à l’inverse possible, sinon probable, que le pire advienne en 2027.

Il faut donc changer de République et constituer un nouveau régime politique, essentiellement parlementaire, où tous les pouvoirs ne sont pas concentrés dans une seule paire de mains.

Pour ce faire, il faut redonner la parole au peuple. D’abord en obtenant un référendum sur les retraites ; et ensuite en tournant la page du macronisme et en même temps de cette 5ème République à bout de souffle.

64 ans, c’est toujours non. La 6ème République, plus que jamais, c’est oui.

Frédéric Faravel et Laurent Miermont

Réforme des retraites : “Le Conseil constitutionnel fera un choix politique” – entretien avec Emmanuel Maurel

entretien accordé par Emmanuel Maurel, député européen et animateur de la Gauche Républicaine et Socialiste, à L’Express, publié le 13 avril 2023 à 5h30 – Propos recueillis par Paul Chaulet

Son verdict est attendu avec impatience par l’exécutif et les oppositions. Le Conseil constitutionnel se prononcera ce vendredi 14 avril sur la réforme des retraites, au lendemain d’une nouvelle journée de mobilisation. La gauche espère que les neuf sages feront tomber le texte, le gouvernement veut croire que sa validation “sera l’aboutissement du cheminement démocratique”. Va-t-elle censurer la réforme ? Seulement une partie ? Et donnera-t-elle son feu vert à la procédure d’un référendum d’initiative partagée (RIP), chère à la gauche ? La vie politique est suspendue aux choix de l’institution, chargée de contrôler la conformité du texte à notre loi fondamentale.

Du droit, rien que du droit : le Conseil constitutionnel se défend de tout jugement politique sur les textes qu’il examine. Mais la frontière entre droit et politique est ténue. Le député européen Emmanuel Maurel (Gauche républicaine et socialiste) évoque le choix à venir des sages. “Le droit n’est jamais objectif ou politiquement neutre”, assure l’élu, qui estime que le Conseil constitutionnel a une “grille de lecture de la société”. Entretien.

L’exécutif et l’opposition ont les yeux rivés vers le Conseil Constitutionnel, qui doit rendre sa décision ce vendredi. Cette institution est-elle devenue l’arbitre du débat politique ?

On sent que pour les acteurs principaux, l’échéance est importante, pour ne pas dire décisive. Et on voit aussi que cela intéresse beaucoup les Français, notamment ceux qui ont participé aux douze journées de mobilisation. Mais il faut être clair : vendredi, même s’il s’appuiera sur des arguments juridiques, le Conseil constitutionnel fera un choix politique. Sa décision va avoir une portée considérable sur la vie de millions de gens. Il y a une forte attente et une indécision car le texte et sa procédure sont contestables juridiquement, et pas seulement politiquement. 

Reste que le Conseil constitutionnel n’est pas un habitué des coups d’éclat. Sa jurisprudence est plutôt prudente, malgré sa célèbre décision de 1971 qui englobe dans son contrôle le préambule de la Constitution de 1946 et la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. Ce n’est pas une institution révolutionnaire – ce qui serait un oxymore. Cette prudence a une raison simple : le Conseil constitutionnel ne saurait se substituer aux décideurs politiques et doit fonder ses décisions en droit, même s’il lui arrive d’introduire des principes novateurs.

Les opposants à la réforme jugent que le véhicule législatif – projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale – n’est pas adapté à une réforme des retraites. Ils contestent le recours à une série d’articles limitant les débats et estiment que les errements du gouvernement sur la retraite minimale à 1200 euros contreviennent au principe de sincérité des débats. Ces arguments ne sont-ils pas eux-mêmes à la lisière du droit et de la politique ?

Oui, mais c’est normal car il n’y a pas de séparation étanche entre le juridique et le politique. La façon d’interpréter le droit contient souvent des présupposés voire des opinions politiques. On a recouru à une loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour faire passer cette réforme, via l’article 47-1 de la Constitution. Elle devrait selon moi produire des effets pour la seule année 2023, or la retraite à 64 ans ne rentre pas dans ce cadre puisqu’il est prévu de passer de 62 à 64 ans en rajoutant un trimestre par an jusqu’en 2030. 

D’autres procédures parlementaires utilisées par le Gouvernement sont aussi sujettes à caution, au vu de l’exigence de clarté et de sincérité des débats. Le gouvernement a menti sur le nombre de bénéficiaires de la pension minimum à 1200 euros, ce qui a induit les parlementaires en erreur. Il a surtout accéléré les débats en abusant des outils à sa disposition. Le législateur n’a pas pu se prononcer en toute connaissance de cause – et l’Assemblée n’a d’ailleurs même pas pu voter le texte…

S’appuyer sur ce seul principe de clarté et de sincérité des débats pour censurer le texte créerait un précédent majeur…

Oui. S’en tenir à ce seul argument serait intéressant mais aurait des implications dont on ne peut pas mesurer aujourd’hui les conséquences. Cela contribuerait toutefois à un rééquilibrage entre l’exécutif et le législatif, dans notre système de parlementarisme très « rationalisé ». Le Conseil constitutionnel aura-t-il cette audace ? Je n’en suis pas sûr. Imaginons qu’il censure la loi au nom du manque de sincérité et de clarté des débats parlementaires. Cela remettrait alors en cause le caractère présidentialiste de notre régime et obligerait l’Exécutif à respecter davantage le Parlement. Je doute qu’il se sente légitime à faire ce choix, même si cela me ravirait !

Cette décision du Conseil constitutionnel fait rejaillir le débat autour du mode de nomination de ses membres. Ils sont désignés par le chef de l’État et les présidents des deux assemblées. Ce système n’affecte-t-il pas la légitimité de l’institution et l’autorité et de ses décisions ?

C’est un vieux débat, notamment à gauche. Au début de la Ve République, les communistes et certains socialistes contestaient ce mode de nomination. Les adversaires des gaullistes parlaient eux-mêmes d’un “chien de garde de l’exécutif”. Paradoxe : c’est le Conseil Constitutionnel nommé par les gaullistes qui a produit la décision de 1971, que n’avaient envisagée ni De Gaulle, ni Debré (le rédacteur de la Constitution de 1958). Des juges nommés par une autorité politique, dont on peut deviner la ligne idéologique, s’émancipent parfois de ceux qui les ont choisis.

Le mode de nomination des juges peut poser problème, mais tout mode de désignation donne matière à contestation. À l’épreuve des années, cette institution s’est quand même révélée protectrice des droits fondamentaux ! C’est d’autant plus observable depuis l’introduction en 2008 de la Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC).

Il y a le mode de désignation des membres, mais aussi leur profil. Certains regrettent le poids excessif de personnalités politiques, au détriment des juristes. N’est-ce pas un problème ?

Certains pays réservent la nomination à des professionnels du droit. Mais cela ne change rien ! Les décisions 100% juridiques n’existent pas. Le droit n’est jamais objectif ou politiquement neutre. Cette vision d’un droit au-dessus de la politique est erronée. Les membres du Conseil constitutionnel ne sont pas dans l’éther, détachés des contingences politiques. Bref, il n’y a pas de système de nomination idéal.

On l’a vu avec la validation “douteuse” des comptes de campagne de Jacques Chirac après la présidentielle de 1995…

Jacques Chirac avait été élu par le peuple Français. Le conflit de légitimité était très fort. Pouvait-on demander à un juge d’annuler une élection présidentielle au prétexte que les comptes de campagne n’étaient pas conformes ? Les conséquences politiques auraient été colossales et on serait rentrés dans le « gouvernement des juges ».

Vous rappelez que le droit n’est jamais “neutre”. À gauche, on juge souvent la jurisprudence du Conseil constitutionnel trop favorable à la “liberté d’entreprendre” et teintée de libéralisme économique. L’économiste Thomas Piketty affirme dans une tribune au Monde qu’il est parfois “complice objectif des possédants”. Vous partagez cette critique ?

Elle est légitime. La jurisprudence du Conseil constitutionnel est économiquement libérale et met fortement en avant le droit de propriété. Son ancien président Jean-Louis Debré estime qu’un certain niveau de taxe relève de la “spoliation”. Cela relève d’une conception du monde qui à mon avis n’est pas fondée juridiquement. Mais on peut remonter plus loin : dès 1982, avec la loi sur les nationalisations. Le Conseil avait contraint le Gouvernement Mauroy à revoir le mode de calcul de l’indemnité préalable des actionnaires des sociétés nationalisées au nom du droit à la propriété (article 17 de la DDHC).

A l’inverse, il existe une critique de droite du Conseil Constitutionnel. Elle juge l’institution trop protectrice des droits individuels face à l’ordre public. Cette critique s’est exprimée en 2018, à l’occasion de la découverte du principe de fraternité. Les juges avaient dégagé ce principe pour justifier la légalité de l’apport d’une aide humanitaire à un étranger en situation irrégulière. Le “délit de solidarité” avait été partiellement censuré.

A cette aune, estimez-vous que le Conseil constitutionnel a une teinte idéologique globale ?

Ses décisions témoignent d’une grille de lecture de la société. Au départ, le Conseil constitutionnel devait uniquement arbitrer entre les compétences des pouvoirs législatif et exécutif. Il est maintenant bien plus que cela, car le juge constitutionnel s’est donné à lui-même un pouvoir d’appréciation et d’interprétation. Cela disqualifie-t-il pour autant cette juridiction ? Je n’en suis pas sûr. 

N’oublions pas que la Cour suprême américaine est bien plus politisée. En témoignent ses débats sur les questions sociétales, comme l’IVG. 

Et puis, la Constitution permet au peuple de trancher certaines orientations, via le référendum. On ne l’utilise pas assez, le peuple est toujours plus clairvoyant que les dirigeants ne l’imaginent. Les sages vont d’ailleurs se prononcer vendredi sur un référendum d’initiative partagée (RIP) au sujet des retraites. Toutes les conditions sont réunies pour que cette proposition de référendum soit soumise à la signature des citoyens.

Au nom de la souveraineté populaire, le principe même du contrôle de constitutionnalité est remis en cause à droite. Vous le comprenez ?

C’était aussi le cas à gauche. Sous la révolution, le contrôle de constitutionnalité n’était pas souhaité. La loi étant l’expression de la volonté générale, elle ne saurait être contestée. Les révolutionnaires n’étaient pourtant ni de “droite”, ni conservateurs.

Cet argument se tient en théorie. Mais le législateur peut voter des textes qui remettent en cause des principes au-dessus de la loi, et qui sont aussi l’expression de la volonté générale. C’est par exemple le cas de la liberté d’association. Le législateur ne peut pas tout faire. Ce n’était pas compréhensible il y a deux siècles, au moment de la Grande Révolution. Mais cela s’avère plutôt efficace aujourd’hui.

Sénatoriales 2020 : l’évolution dans la continuité

Gérard Larcher, président du Sénat et troisième personnage de l’État, pouvait dormir tranquille depuis quelques semaines. Lui qui avait repris la présidence de la Haute Assemblée en octobre 2014 sera vraissemblablement réélu au « Plateau » sans aucune difficulté dans quelques jours pour trois années supplémentaires.

En effet, les 87 000 membres du collège électoral appelés à désigner les 172 sénatrices et sénateurs de la série 21 sont à 95% des délégués des conseils municipaux. Ces élections sénatoriales étant les premières depuis les élections municipales des 15 mars et 28 juin 2020 – et rien n’ayant bousculé les équilibres politiques depuis –, il était logique que les résultats d’hier proposent un résultat assez fidèle à l’équilibre des forces issus des élections municipales.

La droite dans un fauteuil, le macronisme partiellement sanctionné

Or cet équilibre – contrairement au récit né de l’emballement médiatique sur le second tour des élections municipales – n’a pas réellement évolué entre 2014 et 2020 : dans les communes de plus de 9 000 habitants, la droite continue de diriger 65% des villes, ce qui explique la reconquête du Sénat par la droite en 2014 et son maintien logique jusqu’ici.

Ainsi au dernier pointage, le groupe « Les Républicains » passerait de 143 à 153 sénatrices et sénateurs ; le groupe « Union Centriste », composé en grande majorité de parlementaires membres de l’UDI, passerait de 51 à 47 sénatrices et sénateurs.

C’est par ailleurs au centre de l’hémicycle sénatorial que les évolutions semblent les plus importantes, malgré la faible taille des groupes :

  • le groupe « Les Indépendants » (droite Macron-compatible), dirigé par le très caricatural anti-communiste Claude Malhuret (Allier), passerait de 14 à 10 sièges ;
  • le groupe de La République en Marche, qui renouvelait 10 sièges, perd logiquement des plumes (mais en limitant la casse) en passant de 23 à 19 parlementaires. Ce résultat est à la fois la marque de son manque d’implantation locale – LREM étant un parti hors sol et créé de toutes pièces pour l’élection d’Emmanuel Macron (et sa future candidature à l’élection présidentielle). Il n’était composé sur la série 2 que de transfuges d’autres partis politiques, présents dès l’origine de « l’aventure macroniste » (pour la partie « gauche ») ou recrutés plus tard pour le gouvernement (pour la partie « droite ») : les « grands électeurs » de gauche ont parfois sanctionné des élus dont ils n’approuvaient pas le ralliement à Emmanuel Macron et qui n’avaient pas d’élus locaux LREM pour les soutenir ; certains « grands électeurs » de droite ont sans doute fait pareil. Si LREM limite donc la casse, c’est grâce à la personnalité de certains de ses candidats, comme François Patriat en Côte-d’Or (président du groupe LREM), ou Jean-Baptiste Lemoyne dans l’Yonne et Sébastien Lecornu dans l’Eure, qui diposaient chacun d’une implantation ancienne, de réseaux locaux et d’une aura dépassant les clivages politiques dans des territoires en partie ruraux ;
  • c’est le plus ancien groupe du Sénat, le RDSE (Rassemblement Démocratique et Social Européen), ancienne émanation du vieux Parti radical puis du PRG, qui a passé une très mauvaise soirée. Depuis septembre 2017, il était composé à la fois de Radicaux de droite qui avaient quitté le groupe « Union Centriste », des Radicaux de gauche et de quelques élus en délicatesse avec leurs groupes originels (Henri Cabanel ou Éric Jeansannetas) ou sentant le souffre (Jean-Noël Guérini). Le tout dans une ambiance majoritairement Macron-compatible. 13 de ses 23 parlementaires étaient renouvelables mettant le groupe sous la menace d’une disparition en cas de départs de transfuges. Au regard des résultats d’hier soir, il resterait 12 sénateurs RDSE ; il semblerait que la fusion entre radicaux de droite et de gauche ait finalement beaucoup coûté au groupe. Des pièces importantes du dispositif radical, comme Jean-Marc Gabouty, vice président du Sénat (Mouvement radical, Haute-Vienne), ou François Laborde (PRG, Haute-Garonne), ont ainsi mordu la poussière. Certains se maintiennent grâce à leurs réseaux locaux (Jean-Noël Guérini, Bouches-du-Rhône) ou un ancrage à gauche et de terrain (Henri Cabanel, ex PS dans l’Hérault qui résiste à la volonté de la fédération socialiste locale de l’éjecter). D’une certaine manière, la Macron-compatibilité du RDSE l’a porté au bord de la catastrophe.

Gauche qui sourit, Gauche qui se demande si elle doit pleurer

La photographie de la partie gauche de l’hémicycle est plus floue.

Globalement la gauche sénatoriale passe de 87 sièges à 94 sièges. C’est en tout cas le principal axe de communication développé depuis hier soir par le groupe « socialiste & républicain » pour masquer de nombreuses déconvenues (il renouvelait 35 sièges) : ce groupe passerait ainsi de 71 à 65 sièges (trois divers gauche pourraient compléter mais ils seront aussi sûrement fortement sollicités par le RDSE).

L’explication de cette chute relative du second groupe de la Haute Assemblée tient à plusieurs éléments :

  • la montée du nombre d’élus locaux écologistes dans quelques villes en nombre limitées (nous y reviendrons) ;
  • des choix stratégiques et de candidats parfois mal avisés. Exemple : alors que le PS avait dans le Finistère enregistré un bon cru lors des élections municipales (conservant Brest et regagnant Morlaix et Quimper), il n’a pas transformé l’essai, perdant un siège de sénatrice. Le choix des candidats et la présence de Jean-Jacques Urvoas en délicatesse avec la justice explique sûrement cette défaite, alors que le PS pouvait espérer emporter trois sièges ;
  • l’insuffisante mise en œuvre locale de la stratégie d’union claironnée nationalement (dans le Doubs, en Haute-Saône, dans le Cher, en Côte-d’Or, dans le Gard ou en Seine-Maritime).

Le groupe CRCE (composé de 12 PCF, 2 GRS, 2 écologistes) n’était concerné que par 3 circonscriptions. Céline Brulin a été réelue en Seine-Maritime ; Gérard Lahellec a été élu dans les Côtes-d’Armor, succédant à Christine Prunaud ; Pierre-Yves Collombat (GRS) ne se représentait pas dans le Var, la défaite et division de la gauche empêchant toute succession à gauche. Jérémy Bacchi (34 ans) conduisait la liste de gauche dans les Bouches-du-Rhône, l’union de la gauche obtenant ainsi trois des huit sièges (PCF, PS, EELV). Enfin, Marie-Claude Varaillas a été élue au second tour en Dordogne. Ainsi le PCF renforce sa représentation au Sénat, compensant presque au sein du groupe CRCE la fin du mandat de P.-Y. Collombat et le départ annoncé des deux sénateurs écologistes vers un nouveau groupe. Le CRCE ne peut sincèrement regarder qu’avec amertume cette fuite des deux écologistes vers d’autres cieux, alors que le groupe a été pendant 3 ans bien plus que d’autres la voix de l’écologie au Sénat.

La principale nouveauté qui pourrait émerger des élections sénatoriales du 27 septembre 2020 serait donc la recréation d’un groupe écologiste, qui avait existé entre 2011 et 2016-2017. Cinq sénateurs non soumis à renouvellement étaient partant pour entrer dans un groupe écologiste si les résultats d’hier le permettaient : les deux écologistes du groupe RDSE – Ronand Dantec, Loire-Atlantique, et Joël Labbé, Morbihan –, les deux élus écologistes du groupe CRCE – Esther Benbassa, Paris, et Guillaume Gontard, Isère (mais élu sur une liste initiée par le PCF) – et enfin Sophie Taillé-Polian, sénatrice Génération•s du Val-de-Marne (mais élue PS sur une liste d’union conduite par le PCF). Dans la foulée des gains écologistes en alliance ou en autonomie dans quelques métropoles, six écologistes ont été élus hier (un siège dans le Bas-Rhin dans une liste soutenue par le PS ; un siège en Ille-et-Vilaine et un siège en Gironde dans des listes autonomes ; deux sièges sur trois dans une liste de rassemblement de la gauche dans le Rhône face à une droite extrêmement divisée ; et la 3ème place dans les Bouches-du-Rhône sur la liste de rassemblement de la gauche). À noter que la division de la gauche et l’abstention de fait des élus écologistes a empêché dans le Doubs l’élection comme sénatrice à quelques voix près de Barbara Romagnan (Génération•s) qui aurait sans doute rejoint le groupe écologiste, puisque son parti et EELV sont en phase de rapprochement intensif. À noter également : emporter une grande ville comme Poitiers avec une liste autonome ne permet pas ensuite d’affronter une élection sénatoriales à l’échelle de la Vienne, quand EELV est absent de tout le reste du territoire et incapable de nouer des alliances. Enfin, le sénateur régionaliste nouvellement élu, Paul Toussaint Parigi, de Haute-Corse pourrait également s’affilier à ce groupe.

Ce sera donc, s’il voit le jour, un groupe écologiste très divers, avec des ambitions internes acérées, où pourrait se reproduire ce qu’avait connu le précédent groupe, à savoir une vie politique très agitée menaçant régulièrement son existence même.

Un Sénat qui doit à nouveau prouver son utilité

C’est donc un peu d’évolution pour énormément de stabilité. Gérard Larcher sera réélu président pour trois ans, même si certains dans son camp piaffent d’impatience pour lui succéder en 2023. Il a tôt fait d’annoncer que le Sénat sera comme depuis 2017 le contre-pouvoir. Contre-pouvoir qui s’est illustré par plusieurs nécessaires commissions d’enquête (Benalla, privatisation des autoroutes, Lubrizol, crise sanitaire, pollution industrielle des sols) et en empêchant la réalisation de la réforme constitutionnelle voulue par le Président de la République pour abaisser le Parlement, alors que les gouvernement Macron avait fait preuve d’une surdité absolue à l’égard des Français, des corps intermédiaires et des élus locaux.

La question pour nous n’est pas que le Sénat reste dans une forme de contre-pouvoir poli, parfois un peu plus tendu, entre droite libérale et droite conservatrice. Le Sénat, s’il est par sa définition même une chambre de travail et de modération relative par rapport aux basculements parfois brutaux de l’Assemblée nationale, ne peut rester une chambre où l’alternance politique est structurellement impossible, où la voix des catégories sociales les plus défavorisées ne peut s’exprimer, où la vie quotidienne réelle des Français est parfois étouffée par le velours des moquettes et des rideaux.

Le mode de scrutin (sur 172 parlementaires, 113 seulement étaient élus hier à la proportionnelle) et la sur-représentation des départements ruraux favorisent mécaniquement l’élection de sénateurs conservateurs. La réforme souhaitée par Emmanuel Macron aurait, en diminuant le nombre de parlementaires, d’ailleurs aggravé cette logique tout en diminuant massivement la capacité de femmes à être élues dans la haute assemblée. La gauche peut décider de continuer à se lamenter en taxant le Sénat d’anomalie démocratique, mais la réalité est que le Sénat a montré dans les trois dernières années malgré son orientation politique une capacité forte à équilibrer le débat et le travail parlementaire et à protéger fortement nos libertés individuelles et collectives. La gauche doit donc dans les années qui viennent agir sur trois fronts :

  • en finir avec les pudeurs qui amènent certains de ses membres à considérer qu’ils n’arrivent à être élus qu’à condition d’être accommodant avec la droite, le scrutin d’hier démontre le contraire ;
  • trouver le chemin du rassemblement pour éviter de perdre bêtement des sièges et surtout pour en conquérir de nouveaux ;
  • promouvoir une réforme du mode de scrutin (en augmentant la part des communes de plus de 9 000 habitants dans le collèges électoral) et un rééquilibrage au profit des départements urbains et rurbains.

1Le Sénat compte 348 parlementaires ; la chambre haute est renouvelée par moitié tous les trois ans. La circonscription électorale est le département. Le collège électoral se compose des députés et sénateurs de la circonscription, des conseillers régionaux de la section départementale correspondant au département, des conseillers départementaux et des délégués des conseils municipaux, ces derniers représentant 95 % des électeurs des sénateurs. La série 1 (en gris sur la carte) a été élue le 24 septembre 2017. La série 2 (qui comporte les départements colorés) concernait 172 parlementaires. Dans les départements comptant 3 sièges sénatoriaux ou plus, le mode de scrutin est proportionnel (en bleu sur la carte) ; dans les autres le mode de scrutin est majoritaire, uninominal à deux tours (en violet ou magenta sur la carte). Les sièges de 6 des 12 sénateurs représentant les Français établis hors de France et élus par un collège spécifique composé des députés et des sénateurs représentant les Français établis hors de France, des conseillers consulaires et des délégués consulaires, feront ultérieurement l’objet d’une élection complémentaire.

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