Le modèle fédéral allemand est-il si désirable ?

Depuis plusieurs semaines, l’idée de s’inspirer du modèle d’organisation territoriale allemand pour corriger les supposés tares congénitales françaises refait florès. En l’adoptant, nous deviendrions tout à la fois plus vertueux économiquement et budgétairement. Voici pourquoi tout cela relève de la pensée magique…

Comme toutes les fédérations, une tendance à recentraliser

Le modèle fédéral allemand contemporain – né sous occupation militaire et après avoir envisagé un pays divisé en plusieurs États (sans rapport avec la séparation RFA/RDA née de la « guerre froide ») pour empêcher toute résurgence d’une Allemagne puissante – est souvent perçu comme un équilibre entre autonomie régionale et unité nationale, mais il a connu une centralisation progressive des pouvoirs au profit de l’État fédéral (Bund) depuis 1949. Si la Loi fondamentale attribue par défaut aux Länder la compétence législative, la réalité politique et constitutionnelle a modifié l’équilibre. Dès les années 1950-1960, des amendements ont élargi les compétences fédérales, notamment en matière sociale, économique et environnementale, souvent justifiés par la nécessité de garantir l’unité juridique ou économique et la cohésion sociale du pays. L’article 72, permettant au Bund d’intervenir pour assurer cette unité, a été largement mobilisé, réduisant l’autonomie des Länder, y compris dans des domaines comme l’éducation, via des conférences intergouvernementales. Cette centralisation s’est accompagnée d’une interpénétration financière et institutionnelle, rendant le système fédéral complexe et peu transparent. La réforme financière de 1969 créant un système de péréquation fiscale pour réduire les inégalités régionales a logiquement accru la dépendance des Länder les moins riches envers les transferts fédéraux. Les mécanismes de solidarité, bien que nécessaires, sont critiqués pour leur opacité et leur manque d’incitations à l’innovation locale. Les décisions de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, en validant l’extension des compétences fédérales, ont renforcé cette tendance.

Le fédéralisme coopératif allemand, marqué par une collaboration étroite entre le Bund et les Länder via le Bundesrat1, assure une stabilité politique, mais il a aussi engendré une dilution des responsabilités. Les citoyens peinent à identifier clairement les niveaux de gouvernement responsables des politiques, d’autant que les compromis politiques, nécessaires pour obtenir l’accord du Bundesrat, aboutissent souvent à des législations peu lisibles. La multiplication des instances de coordination échappe en grande partie au contrôle démocratique direct, renforçant l’opacité du système.

Après 1993, l’intégration de 5 nouveaux Länder économiquement plus faibles a accru les besoins de péréquation financière et révélé les limites du système. Les transferts massifs vers les Länder de l’ex RDA ont alourdi la charge financière des Länder de l’Ouest et mis en lumière les inefficacités d’un système où les incitations à la performance locale sont faibles. Les débats sur une refédéralisation, visant à clarifier les compétences et à réduire les transferts, se heurtent à des résistances politiques et à l’attachement historique à la solidarité territoriale.

Ainsi, le modèle fédéral allemand, bien que stable, apparaît complexe et peu transparent pour les citoyens. La concentration des pouvoirs au niveau fédéral, couplée à une administration décentralisée mais encadrée, crée une distance entre les décisions politiques et leur perception par la population, limitant la capacité des citoyens à exercer un contrôle démocratique effectif.

D’où vient alors cet attrait pour le modèle fédéral allemand ?

Sans doute en grande partie d’un malentendu, largement alimenté par les élites dirigeantes françaises qui sont dans leur grande majorité convaincues que le modèle social français et nos concitoyens qui y sont attachés seraient archaïques et causes du décrochage économique et financier du pays. L’Allemagne serait donc ce contre-modèle rêvé où règne l’ordolibéralisme et la discipline budgétaire, un modèle couronné par des années d’excédents commerciaux massifs, acquis largement au détriment de ses partenaires européens (dont la France).

Le point de vue allemand fait prévaloir que l’excédent extérieur est le résultat essentiellement de la compétitivité sous-jacente de son secteur exportateur. C’est le succès du Made in Germany, les exportations de machine outils, les produits de la pharmacie et surtout les voitures dans un pays qui a fait le choix de conserver ses usines, quand la France et la Grande Bretagne prenait la voie en partie volontairement de la désindustrialisation, et d’organiser structurellement à son profit la sous-traitance chez ses voisins d’Europe centrale. La tendance au vieillissement de la population implique une augmentation de l’épargne pour lisser la consommation le long du cycle de vie ; face à une forme de désengagement de la puissance publique, les Allemands mettent de côté pour leur retraite, alors que leurs voisins auraient bien besoin d’un redémarrage de leur consommation pour aider leurs industries.

Au-delà toutefois de ces facteurs structurels, il y a également d’autres facteurs qui ont contribué à l’excédent croissant de l’Allemagne. Ils sont liées aux politiques économiques des dernières années :

  • Des politiques en faveur de la modération salariale : les coûts unitaires de main-d’œuvre de l’Allemagne par rapport à la zone euro ont chuté de 13,4 % entre 1995 et 2007 et l’écart s’est maintenu ensuite ;
  • Les avantages de l’appartenance à la monnaie unique : le taux de change l’euro est trop faible pour être compatible avec un solde extérieur allemand équilibré (et au demeurant conforme aux traités). Le taux de change réel de l’Allemagne (le taux de change ajusté en fonction de l’inflation) était sous-évalué de 5 à 15% (FMI 2014), il l’est resté. C’est un avantage sous-estimé pour l’Allemagne : si l’Allemagne utilisait encore le deutschemark, celui-ci serait vraisemblablement beaucoup plus fort que l’euro aujourd’hui, réduisant l’avantage en termes de coûts des exportations allemandes ;
Coûts unitaires de main-d’œuvre en Allemagne et dans la zone euro (1995-2016 ; par heure travaillée, 1995=100) – source : Eurostat
  • Un affaiblissement de la consommation privée car la part des salaires dans les revenus s’est dégradée : la compression des salaires (les réformes du marché du travail ont créé un secteur important à bas salaires) a eu des effets secondaires moins positifs sur l’économie. Malgré la forte croissance de l’emploi, la part du PIB revenant aux ménages est passée de 65% au début des années 1990 à moins de 60% actuellement, avec une augmentation analogue des bénéfices des entreprises ; la part des dépenses de consommation est tombée à 54% du PIB, soit beaucoup moins qu’aux États-Unis ou au Royaume-Uni, réduisant la part des importations dans le PIB et contribuant ainsi à la création de l’excédent extérieur croissant de l’Allemagne. Le rattrapage des salaires impliquerait plus d’importations, mais aussi moins d’exportations, car les entreprises produiraient pour un plus grand marché intérieur, en contradiction avec qui a primé jusqu’ici au détriment de la zone euro ;
  • Une austérité systématique dans le secteur public, avec des excédents budgétaires et des niveaux d’investissement public parmi les plus faibles d’Europe : la moitié de l’excédent du compte courant de l’Allemagne repose sur un « déficit d’investissement », estimé à 100 Md€ par an en 2018. L’Allemagne disposait sous Angela Merkel de la marge budgétaire nécessaire pour augmenter la dépense publique et réduire les impôts et les cotisations sociales, touchant notamment les bas salaires, pour stimuler la demande privée. Le solde budgétaire structurel de l’Allemagne était passé d’un déficit de plus de 3% du PIB en 2010 à un léger excédent. Une consolidation budgétaire indéfendable étant donnés l’épargne élevée du secteur privé et les taux d’intérêt extrêmement bas dont bénéficie l’Allemagne. Or après la crise des subprimes les gouvernements conservateurs allemands ont choisi de renforcer la « règle d’or » constitutionnelle : Merkel et Schaüble ont fait voter que le déficit structurel serait limité à 0,35% du PIB dès 20112 ;
  • Une baisse de l’investissement intérieur privé assis sur le désir de nombreuses entreprises allemandes d’investir à l’étranger. La faiblesse de l’investissement privé se fait sentir dans le secteur des biens non-échangeables et des services, résultat de politiques protectionnistes dans ces secteurs.

L’Allemagne si vertueuse est aujourd’hui en difficulté

Depuis 2023, l’Allemagne fait face à une récession légère mais confirmée et selon les dernières données disponibles de la Bundesbank, l’excédent commercial en biens et services de l’Allemagne diminue ; il atteint tout de même 119,6 Md € en cumulé sur les 7 premiers mois de l’année en baisse d’1/5e par rapport aux 7 premiers mois de 2024. Cette baisse s’explique par une progression plus marquée des importations que des exportations : les mesures commerciales des États-Unis (premier débouché des exportations de l’Allemagne en 2024) ont conduit à une nette dégradation vis-à-vis des États-Unis en 2025.

L’Allemagne est également confrontée à la concurrence chinoise, notamment dans le secteur automobile, car son concurrent est en avance sur la transition de son industrie automobile vers l’électrique. Depuis 2019, les exportations de véhicules chinois ont été multipliées par trois, contre une hausse de +16% pour les exportations allemandes ; dans le domaine des véhicules électriques les exportations chinoises ont été multipliés par 6 (240 000 véhicules en 2019 à 1,5 million en 2023), grâce à une concurrence par les prix très agressive s’appuyant notamment sur des coûts de production plus faibles que dans le reste du monde.

Or l’Allemagne a accumulé un retard préoccupant dans l’entretien et la modernisation de ses infrastructures publiques, résultat d’un sous-investissement persistant et de contraintes structurelles. L’État fédéral, les Länder et les collectivités ont négligé les réseaux routiers, ferroviaires et les équipements publics. Aujourd’hui, près de 4 000 ponts sont en état critique, tandis que le réseau ferroviaire, vieillissant et saturé, affiche des retards d’investissement dépassant les 100 Md €. Le secteur numérique, pourtant stratégique, n’échappe pas à cette logique. Malgré des annonces comme la stratégie numérique de 2022, les objectifs restent flous et les réalisations tardives.

Le déploiement de la fibre optique, par exemple, accuse un retard marqué, avec seulement 12% des connexions haut débit en fibre, contre plus de 70% en France, résultat des choix politiques passés, comme l’abandon d’un plan national ambitieux dans les années 1980. La complexité du système fédéral et la lenteur des procédures administratives ont aggravé ces retards. Les communes, souvent en première ligne, manquent de ressources pour répondre aux besoins locaux, qu’il s’agisse de la rénovation des écoles ou de l’entretien des routes.

Corriger le modèle ?

C’est dans ce contexte que les gouvernements qui ont succédé à ceux d’Angela Merkel ont dû faire face aux conséquences des politiques d’austérité et de consolidations budgétaires, alors même que l’Allemagne était assise sur des excédents impressionnants dont ils ne disposent plus. Les 3 années de chancellerie Scholz ne furent qu’une pénible transition marquée par l’indécision ; sa coalition « feu de circulation » est tombée justement sur le rejet d’un possible assouplissement de la règle d’or budgétaire par les libéraux-conservateurs du FDP.

Après la victoire relative de la CDU/CSU conduite par Friedrich Merz en février 2025, l’accord avec le SPD s’est notamment fondé sur un paquet fiscal très conséquent largement consacré aux dépenses de défense et aux infrastructures, nécessitant une réforme constitutionnelle pour en finir avec le « frein à la dette » avec une majorité des 2/3 au Bundestag et au Bundesrat pour être approuvée : ce vote a été obtenu le 18 mars avant l’installation du nouveau Bundestag (25 mars), car une telle majorité qualifiée était impossible à obtenir avec les rapports de force issus du scrutin de février.

Depuis le gouvernement de coalition CDU/CSU-SPD tente de mettre en œuvre un plan en 3 points :

  • La sortie des dépenses de défense3 au-delà de 1% du PIB des limites du frein à l’endettement. Les dépenses de défense répondent à une définition large incluant l’aide à l’Ukraine, le renseignement, la cybersécurité et la défense civile. Le jour même de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le chef de la Bundeswehr, Alfons Mais avait sur LinkedIn jugé sévèrement l’état de l’armée : « l‘armée que j’ai l’honneur de commander, se tient là plus ou moins les mains vides. Les options que nous pouvons proposer au gouvernement pour soutenir l’alliance sont extrêmement limitées » ;
  • L’autorisation d’un déficit structurel pour les Länder de 0,35% du PIB alors qu’ils devaient être à l’équilibre auparavant ;
  • La constitution d’un fonds d’infrastructures hors budget de 500 Md € (11,6% du PIB en 2024) sur 10 ans (environ 1% du PIB en dépenses annuelles). Le champ couvert toucherait l’éducation, les transports, la décarbonation, le logement et les mesures visant à renforcer la résilience économique. 100 Md € seraient transférés au fonds « climat et transformation » et un autre fonds de 100 Md € iraient aux Länder et aux communes.

Or, suite à la pression des Länder, la disposition qui prévoyait d’attribuer initialement 60 Md € exclusivement aux communes a été supprimée ; comme souvent dans le cadre du fédéralisme, ces dernières sont les parents pauvres de la négociation budgétaire. Pourtant, les communes allemandes assument 60% des investissements dans les infrastructures publiques et elles se trouvent en première ligne face à des missions de plus en plus complexes et coûteuses (l’accueil des réfugiés, la modernisation des écoles ou le développement des infrastructures numériques). Leur capacité à y répondre est limitée par un sous-financement structurel et une administration engorgée par les procédures.

Les subventions, bien que bienvenues, s’accompagnent de démarches qui découragent souvent les collectivités, faute de personnel et de temps pour monter les dossiers requis. Les délais d’examen, parfois interminables, aggravent la situation en exposant les projets à des surcoûts liés à l’inflation ou à la hausse des prix des matériaux, et, comme en France, les dotations ne sont pas ajustées en conséquence. Par ailleurs, l’obligation de « supplémentarité » inscrite dans le projet de loi initial – c’est-à-dire l’exigence d’utiliser l’argent exclusivement pour des investissements supplémentaires – a aussi été supprimée, alors qu’il avait été constaté que certains Länder réduisent leurs budgets d’investissement réguliers et comblent le vide avec les crédits du fonds spécial.

En définitive, si le plan d’investissement de Berlin répond à une nécessité criante et représente une opportunité théorique pour les communes et les Länder, son succès dépendra de la capacité des autorités à réformer en profondeur les procédures administratives et à allouer les ressources humaines nécessaires pour en assurer la mise en œuvre. Sans ces changements structurels, les fonds risquent de rester inutilisés ou mal employés, laissant les collectivités locales face à des défis toujours plus pressants, mais sans les outils pour y répondre efficacement.

Sortir de la mauvaise foi

La présentation de la réalité du fédéralisme allemand et des enjeux vitaux auxquels l’Allemagne est confrontée aujourd’hui devrait permettre d’aborder l’analyse du modèle allemand avec une plus grande rationalité. La nature fédérale de la puissance publique de notre grand voisin n’explique pas sa « réussite », ses erreurs ou ses échecs. Son organisation actuelle représente également des difficultés structurelles qui sont elles-mêmes critiquées à domicile ; celles et ceux qui prétendent importer en France la réussite germanique en copiant son modèle territorial ont en réalité autre chose en tête.

Aussi, soyons honnêtes : le sujet n’est pas l’organisation de l’État mais plutôt la nature des projets politiques qu’on défend et dont on débat (et la manière dont ces débat sont tranchés) et éventuellement la nature de l’État qui correspond le mieux à l’identité historique d’une nation et à la réalité de sa demande sociale.

Frédéric Faravel

  1. Le Bundesrat ou Conseil fédéral est la représentation législative fédérale des 16 Länder. Ses membres sont nommés par les gouvernements des Länder ; même s’il exerce, en coopération avec le Bundestag (parlement fédéral), le pouvoir législatif et le pouvoir constituant au niveau fédéral, il ne peut être totalement assimilé à une chambre haute d’un parlement bicaméral supposé. ↩︎
  2. à lire : Mais où sont passés les excédents commerciaux allemands ?, Mathieu Pouydesseau, 24 novembre 2025 : https://librechronique.net/2025/11/24/mais-ou-sont-passes-les-excedents-commerciaux-allemands/ ↩︎
  3. à lire : L’armée allemande incapable de défendre son pays ?, Ernst Stetter, note pour la Fondation Jean-Jaurès, 28 février 2022 : https://www.jean-jaures.org/publication/larmee-allemande-incapable-de-defendre-son-pays/ ↩︎

Rennes : Protégeons l’École et ses personnels des menaces. Défendons l’École laïque !

Le 10 octobre dernier, à Rennes, un professeur des écoles exerçant en grande section de maternelle a refusé qu’une de ses élèves soit changée de classe à la demande des parents qui exigeaient qu’elle n’ait à faire qu’à une enseignante. Conformément au principe de laïcité, il a refusé la demande de la famille qui l’a menacé indirectement de mort.

Cet enseignant, également directeur de l’école, a porté plainte le 14 octobre « pour des faits de menace de mort datant du 10 octobre », a rapporté jeudi le procureur de la République Frédéric Teillet. Le rectorat a également porté plainte.

Par solidarité avec cet enseignant, quatre écoles de Rennes sont en grève aujourd’hui et certains se sont rassemblés ce matin devant l’établissement.

La Gauche Républicaine et Socialiste apporte son soutien plein et entier à ce professeur des écoles, aux personnels de l’Éducation nationale victimes de menaces pour avoir défendu une école universaliste et laïque ainsi qu’aux enseignants grévistes.

Nous demandons au ministre de l’Éducation nationale de protéger ses personnels, essentiels au développement des citoyens de demain.

Nous n’oublierons pas

C’était il y a 10 ans et le sentiment de l’horreur des attaques terroristes du 13 novembre 2015 ne nous a pas quittés. Les commandos islamistes, qui ont massacré nos concitoyens ce soir-là au Stade de France, au Bataclan, dans les Rues de Paris visant les terrasses des cafés et les salles des restaurants, avaient décidé de tuer en masse des Françaises et des Français, des habitants de notre pays qui appartiennent à une société ouverte. Nous n’oublierons jamais nos 130 morts et nos 413 blessés.

La guerre que les terroristes islamistes avaient portée sur notre territoire était dirigée contre la République française, contre toutes celles et tous ceux qu’elles accueillent et contre ce qu’elle représente : une espérance toujours renouvelée et fertile de Liberté, d’Egalité, de Fraternité et de Laïcité, une démonstration vivante que, malgré nos lourdes imperfections, on peut vouloir vivre ensemble et surpasser nos différences.

Il n’y a pas eu de marée humaine comme aux lendemains des attentats de Charlie Hebdo, de Montrouge et de l’Hyper-Casher 10 mois plus tôt, les conditions de sécurité ne le permettaient objectivement pas. Mais depuis 10 ans, notre société n’est pas tombée dans leur piège, elle ne s’est pas embourbée dans une ambiance de guerre civile, ce qui était l’espoir explicite des djihadistes. Au contraire, elle a fait passer la Justice. Notre société n’est pas parfaite, le chemin de l’émancipation et de la fraternité réelles sont ardus et à réinventer chaque jour, mais la haine et la peur reculent. C’est la plus belle victoire que nous pouvions opposer à nos ennemis mortels.

Emmanuel Macron doit nommer à Matignon un Premier Ministre et un gouvernement de gauche et écologiste

communiqué de presse commun – mardi 7 octobre 2025, 13h15

Une rencontre commune s’est tenue ce mardi matin entre le Parti Socialiste, Les Écologistes, le Parti Communiste Français (PCF), la Gauche Républicaine & Socialiste (GRS), l’Après, Génération Écologie, Debout et des représentants de la société civile.

L’ensemble des forces politiques de gauche et écologistes réunies ce matin condamnent l’acharnement présidentiel à refuser le changement de cap politique demandé par nos concitoyens et concitoyennes. Cette attitude antidémocratique irresponsable approfondit la crise. La démission de Sébastien Lecornu est le stade ultime de cette obstination. Cela doit cesser.

C’est pourquoi nous appelons le Président de la République à nommer enfin à Matignon un Premier Ministre qui composera un gouvernement de gauche et écologiste. Nous sommes prêts à gouverner ensemble pour mener une politique  de progrès social et écologique et de justice fiscale où nous redonnerons toute sa place au Parlement.

« Macron, du ruissellement au 10 septembre » – Emmanuel Maurel invité de « Penser, c’est chouette »

« Penser, c’est chouette » a reçu Emmanuel Maurel, député, membre fondateur et animateur national de la Gauche républicaine et socialiste, à la veille du mouvement « Bloquons tout » du 10 septembre 2025. Ils lui ont demandé de leur présenter sa vision de la situation dans laquelle se trouve la France, pourquoi nous en sommes là et quoi faire pour inverser la tendance afin de redresser la situation économique, politique et sociale et d’améliorer la vie des Français.

Non l’antisémitisme en France n’est pas résiduel

communiqué de presse de la Gauche Républicaine et Socialiste le vendredi 15 août 2025

Nous sommes en France et l’antisémitisme n’a pas disparu.
L’olivier planté en 2011 à Epinay-sur-Seine, cinq ans après la mort du jeune homme de confession juive, séquestré et torturé par «le gang des barbares» de Bagneux, a été abattu hier dans la nuit.
L’antisémitisme n’a pas disparu. Il n’est pas non plus résiduel. Au contraire, les agressions contre nos concitoyens de confession juive se multiplient.

En France, aujourd’hui, sans que rien ni jamais ne puisse le justifier, des plaques d’écoles en mémoire de la déportation des enfants juifs ont également été grafitées à Saint-Denis. À Livry-Gargan, un Français de confession juive qui allait prier a été agressé et sa médaille arrachée.
Vous avez dit « Résiduel » ?

Il est temps que l’ensemble de la société française réagisse.

Qui paye qui pour maintenir l’impunité des escrocs CumCum ?

Deux avocats, Maître Afane Jacquart et Maître Bayou (l’ancien député) ont plaidé devant le Conseil d’Etat pour faire tomber non seulement cet amendement mais tout le dispositif contesté.
Ils ont également déposé une plainte pour corruption contre Bercy.

L’affaire CumCum a de bien profondes origines : entre 2007 et 2015, lorsque les premiers lanceurs d’alerte ont permis de révéler le dispositif, c’est 55 milliards qui ont été perdus en Europe. Il s’agit d’un dispositif d’escroquerie de l’Etat en utilisant les transactions internationales.

En Allemagne, le maire de Hambourg a tenté d’éviter un redressement à une des banques coupables de cette escroquerie, jouant la montre pour faire tomber les 400 millions de redressements avec la prescription. Son nom : Olaf Scholz.
Le gouvernement fédéral de l’époque à du intervenir, une commission d’enquête a établi sa responsabilité, une enquête judiciaire est toujours en cours.
Le dossier a failli lui coûter la chancellerie.

En France, c’est chaque année une perte de 3 milliards, qui perdure depuis 10 ans, alors que les banques ayant mis en place ce dispositif d’escroquerie à l’argent public n’ont pas été redressées pour les dix années précédentes.

Bercy, visiblement très à l’écoute des arguments de la Fédération Bancaire Française, fait tout pour continuer à protéger cette manne qui bénéficie pourtant en premier lieu à des personnes hors de France !

C’est l’illustration d’une corruption morale à tout le moins, et peut-être réelle, au sein de Bercy, alors que l’État prétend trouver 40 milliards de recettes supplémentaires sur le dos des français normaux.

Le rôle du législateur est de boucher tous les trous possibles dans la loi fiscale, qui invitent les escrocs internationaux à faire les poches de l’Etat (en payant au passage de juteuses commissions aux banques !).

Une commission d’enquête parlementaire est indispensable pour faire toute la lumière sur cette invraisemblable insubordination de l’Exécutif à la loi de finances qu’il a lui-même imposée au moyen du 49-3, mais qui n’en est pas moins devenue la loi du Parlement.

Cette commission d’enquête devra naturellement exiger de tous les responsables en charge du dossier à Bercy, au premier rang desquels Eric Lombard et Amélie de Montchalin, des explications sur cette scandaleuse affaire.

Mathieu Pouydesseau et Laurent Miermont

Il faut sauver la Miviludes

communiqué de presse de la Gauche Républicain et Socialiste du 6 juillet 2025

Un article de Charlie Hebdo du 2 juillet 2025 alerte sur le risque de disparition de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires. Et le 30 juin dernier, le Chef de la Miviludes, placée sous la tutelle sur Secrétariat Général du comité interministériel de la prévention de la délinquance et de la radicalisation (SG-CIPDR) depuis 2020, a jeté l’éponge et selon toute vraisemblance, ce ne fut pas de gaîté de cœur.

Fondée en 2002 et dotée de financements publics, cette institution est centrale dans le combat contre l’obscurantisme et l’asservissement par les sectes. Elle s’est attirée les foudres tant de la scientologie que de l’anthroposophie et a permis, en presque 25 ans d’existence, de lutter contre les multiples facettes des dérives et des entraves que les sectes et les gourous font subir à leurs victimes.

Déjà en 2020, le gouvernement Macron avait mis la MIVILUDES sous tutelle du ministère de l’intérieur, réduisant au passage ses financements. Désormais, il est question de lui faire intégrer une structure plus grande dédiée à l’ensemble des luttes contre la radicalisation, et d’allouer une partie des fonds envers des associations de victimes et de vigilance.

Si nous saluons le rôle capital de ces associations pour la reconstruction psychique et sociale des victimes de sectes, et si nous considérons que la lutte contre la radicalisation est une mission prioritaire du Ministère de l’Intérieur, nous ne pouvons accepter la dilution de la MIVILUDES, qui marquerait un recul de l’État dans la lutte contre les sectes. Alors que les gourous scientologistes ont désormais pignon sur rue, et que les prétendues médecines alternatives isolent de plus en plus les malades de vrais soins, la mission de la MIVILUDES est plus que jamais d’actualité. Transférer ses compétences et ses fonds vers le monde associatif et la lutte contre la radicalisation est contraire à la mission de service public qui lui est confiée, d’autant qu’elle s’accompagnerait d’une cure d’austérité.

La Gauche Républicaine et Socialiste appelle le gouvernement à renoncer à son projet de dissolution de la MIVILUDES, et propose au contraire de renforcer cette institution en lui redonnant son indépendance et des fonds publics dédiés.

Nous ne pouvons pas abandonner la fermeté de la République Française contre les sectes. Il en va de la santé publique et sociale de notre pays en général et des victimes en particulier.

Taxe Zucman : le combat pour la justice fiscale n’est pas fini

Adoptée à l’Assemblée nationale en première lecture le 20 février dans une proposition de loi du groupe « écologiste et social », la proposition de taxe sur le patrimoine des ultrariches, inspirée par l’économiste Gabriel Zucman1, a été comme prévu rejetée sans appel par les sénateurs ce jeudi 12 juin 2025.

Soutenu par toute la gauche, le texte visant à instaurer un impôt plancher de 2% sur le patrimoine immobilier, professionnel et financier des 1 800 Français détenant plus de 100 millions d’euros s’est heurté à l’hostilité résolue de la droite et des soutiens du gouvernement. Seuls 129 sénateurs – dont certains centristes – ont pris position en sa faveur, face à 188 voix contre. En commission, la proposition avait déjà été rejetée par les sénateurs, y compris dans une version où le taux aurait été limité à 1% du patrimoine.

Qu’est-ce que c’est ?

On parle donc ici vraiment de très peu de gens, qui pourraient être concernés par cet impôt « différentiel ». Comment fonctionnerait cette « Taxe Zucman » : on ferait la somme de tous les impôts que les ultra-riches paient – impôt sur le revenu, contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, CSG, CRDS, impôt sur la fortune immobilière – et si le total est inférieur à 2% de leur patrimoine, cet impôt différentiel s’applique. Exemple : « Monsieur Pinault-Betttencourt »2 a un milliard d’euros de patrimoine, 2% de un milliard, cela fait 20 M€. Si le total de ses impôts actuels atteint 15 M€, il devrait payer 5 M€ de « Taxe Zucman » pour atteindre cet impôt plancher.

L’objectif est double : corriger une part de l’optimisation fiscale que pratiquent généralement les plus fortunés et rétablir la progressivité de l’impôt, car plus on monte dans l’échelle des fortunes, plus il est régressif. En effet, une étude publiée il y a deux ans a dressé ce constat : au-delà de 600 000 euros de revenus économiques par an, le pourcentage payé en impôts décline.

Une régression fiscale démontrée par la recherche

C’est l’originalité de l’étude menée et publiée il y a deux ans par l’Institut des Politiques publiques, qui regroupe des chercheurs de l’école d’économie de paris et du Centre de recherche en économie et statistique (CREST).

Plutôt que de prendre comme seul critère le revenu déclaré au fisc, ils ont calculé un revenu économique, qui comprend AUSSI les revenus associé au capital professionnel. Car dans le haut de l’échelle, c’est surtout via les bénéfices des sociétés qu’ils détiennent que les plus aisés s’assurent un revenu.

Leurs conclusions sont frappantes : jusqu’à 600 000 euros de revenus économiques (37 000 foyers), le pourcentage d’impôts et taxes est bien progressif et atteint 46%. Au-delà, la courbe s’inverse. Pour les 0,001% les plus riches (3 780 foyers dépassant 26 millions de revenus annuels), le taux tombe à 32%. Pour les milliardaires (75 foyers avec plus de 150 millions de revenus économiques), il n’est plus que de 26%.

Ce taux de 26% se situe bien en-dessous du taux moyen de prélèvements obligatoires en France (42%) du PIB, c’est-à-dire de la richesse produite. La proposition de loi du groupe « Écologiste et Social » n’hésite ainsi pas à comparer cette situation à celle de l’Ancien régime, telle que la décrivait Alexis de Tocqueville : « L’impôt avait pour objet non d’atteindre les plus capables de le payer, mais les plus incapables de s’en défendre ».

13 à 20 milliards d’euros de recettes, mais pas seulement…

Selon les calculs de Gabriel Zucman, cette taxe ou impôt différentiel pourrait rapporter quelques 20 milliards d’euros par an. La commission des finances de l’Assemblée nationale, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2025, l’avait plutôt estimé à 13 milliards d’euros… D’autres économistes, Jean Pisani-Ferry (ancien apôtre du programme économique de la première campagne présidentielle d’Emmanuel Macron) et Olivier Blanchard ont apporté leur soutien à Gabriel Zucman dans une tribune publiée dans Le Monde le 11 juin dernier3.

Mais le gouvernement Bayrou et le ministre de l’économie, Eric Lombard, y sont opposés avec des arguments proches de ceux que l’on a entendu le 12 juin 2025 au sénat.

2 % cela serait « confiscatoire » (!?), donc potentiellement anticonstitutionnel, estime le rapport de la commission des finances du sénat sur la proposition de loi (il reste pourtant 98% et il ne s’agit pas de revenus non renouvelables). Ensuite, les riches seraient tentés de s’exiler, d’autres obligés de vendre certaines de leurs actions pour s’acquitter de ce nouvel impôt. On connaît ses arguments.

Le troisième est d’ordre opérationnel : l’étude de l’institut des politiques publiques serait biaisé ; on n’a jamais trouvé mieux pour invalider une réforme fiscale que de mettre en cause la rationalité ou l’objectivité des recherches et études. Cet argument pointe pourtant un véritable problème : on ne connaît pas bien le patrimoine des plus fortunés et l’identification des personnes soumises à la « taxe Zucman » pourrait donc être effectivement complexe.

L’INSEE ne publie encore rien sur le patrimoine professionnel des personnes physiques et l’institut n’aurait de son propre aveu aucune donnée administrative mobilisable sur le patrimoine financier, alors même que ces deux patrimoines constituent l’essentiel de ce que détiennent les plus riches.

Refuser de voir

Aveugle sur l’ultra-richesse, la statistique publique le serait-elle moins si la puissance fiscale venait par le biais de ce nouvel impôt l’épauler ? C’est ce qui nous paraît un point important à défendre : en effet, l’un des intérêts de cette proposition de loi est de rappeler que le débat public fiscal est très peu éclairé, faute de données.

Il n’est en réalité pas de pires aveugles que ceux qui refusent de voir. En la matière, les débats sur la « taxe Zucman » à l’occasion de l’examen de cette proposition de loi mettent en porte-à-faux une stratégie générale des gouvernements depuis près de 25 ans : le refus de l’impôt, le recul de l’impôt pour les plus riches avant tout, avec des résultats désastreux. Malgré les cadeaux fiscaux accumulés depuis des décennies, l’optimisation fiscale des grandes fortunes n’a jamais été aussi puissante et les déficits pour le financement de l’action publique s’accumulent.

Emmanuel Maurel le rappelait lors du débat sur la loi de règlement (concernant la loi de finances pur 2024) le 11 juin dernier : « Nous parlons d’un budget qui n’a jamais été adopté par personne et qui est par ailleurs le plus désastreux du 21e siècle au regard du décalage entre prévisions et réalisés des recettes. » Le gouvernement Bayrou s’apprête pourtant, avec Eric Lombard (qui se décrit lui-même comme issu de « la gauche qui n’aime pas l’impôt ») et Amélie de Montchalin, à relancer la « chasse à la dépense » (exigence de 40 milliards d’euros d’économies budgétaires), alors que le principal problème de la France est en réalité un manque croissant de recettes, les dépenses évoluant en France comme elles évoluent ailleurs en Europe.

Il faut donc persévérer. Bien que la Chambre Haute ait acquis une position clef dans les équilibres institutionnels depuis les embardées politiques du macronisme, le Sénat n’a pas les moyens de mettre un terme au débat fiscal : ce qui a été voté à l’Assemblée peut l’être à nouveau et la raison pourrait finir par l’emporter face aux besoins budgétaires du pays.

Frédéric Faravel

  1. Gabriel Zucman est un économiste français. Ancien enseignant en économie à la London School of Economics et à l’université de Californie à Berkeley, il est professeur des universités à l’École normale supérieure depuis 2023. Il est aussi directeur de l’Observatoire Européen des taxes. Il a défendu l’idée d’un impôt mondial sur les milliardaires au dernier G20. ↩︎
  2. Nom évidemment inventé de toute pièce… ↩︎
  3. « Nous partageons le constat qu’un impôt plancher sur les grandes fortunes est le plus efficace face à l’inégalité fiscale » https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/06/11/olivier-blanchard-jean-pisani-ferry-et-gabriel-zucman-nous-partageons-le-constat-qu-un-impot-plancher-sur-les-grandes-fortunes-est-le-plus-efficace-face-a-l-inegalite-fiscale_6612129_3232.html ↩︎

Les Françaises votaient pour la première fois voici 80 ans

Le 29 avril 1945, voici 80 ans jour pour jour, les citoyennes françaises votaient pour la première fois, lors du premier tour des élections municipales. On dit que c’est l’ordonnance du 21 avril 1944, passée alors largement inaperçue dans la France occupée, signée par le Général De Gaulle qui leur avait préalablement accordé ce droit, mais cette ordonnance venait sanctionner un débat houleux au sein de l’Assemblée Consultative de la France Libre à Alger le 24 mars 1944.

Le droit de vote féminin arraché in extremis

Le chef de la France libre s’était engagé dès le 23 juin 1942 dans cette direction : « En même temps que les Français seront libérés de l’oppression ennemie, toutes leurs libertés intérieures devront leur être rendues. Une fois l’ennemi chassé du territoire, tous les hommes et toutes les femmes de chez nous éliront l’Assemblée Nationale qui décidera souverainement des destinées du pays. » Le vote des femmes fait en effet partie du programme de modernisation de la société française voulu par de Gaulle. La question du suffrage féminin n’est pas mentionnée dans le programme du Conseil national de la Résistance en mars 1944. Aussi le Général De Gaulle confirmait le 18 mars 1944 devant l’Assemblée consultative son orientation « le régime nouveau doit comporter une représentation élue par tous les hommes et toutes les femmes de chez nous ». Un sujet sur lequel il semblait plus convaincu que nombre de ces contemporains des deux sexes et, concernant les opinions traditionalistes de certaines femmes, il s’en désolait selon son fils le futur Amiral Philippe De Gaulle : « comment ne comprennent-elles pas qu’elles doivent exprimer leur avis au plan politique et social et en particulier d’abord dans la vie locale ? N’ont- elles pas d’emprise sur la ville, sur le village ? »

Pourtant le 24 mars, les représentants des Radicaux au sein de l’Assemblée consultative s’opposent encore comme ils l’avaient fait face à la volonté des socialistes d’instaurer ce droit de vote universel lors du Front Populaire en 1936 (en juillet la Chambre des députés se prononça l’unanimité par 475 suffrages pour le suffrage féminin ; le Sénat dominé par le Parti radical n’inscrivit jamais ce texte à son ordre du jour). C’est le délégué communiste Fernand Grenier qui portera le flambeau pour que la « femme française » soit désormais électrice et éligible, « afin que nous lui manifestions notre solidarité et notre volonté de ne plus la traiter en mineure, en inférieure ». Le Sénateur radical Paul Giacobbi mène les débats et tente de limiter toute avancée réelle : voudrait n’inscrire dans la loi que le principe de l’éligibilité des femmes, s’inquiétant du déséquilibre des sexes dans la France de l’après-guerre : beaucoup d’hommes étant encore prisonniers en Allemagne, accorder le droit de vote aux Françaises n’équivaudrait-il pas à « remplacer le suffrage masculin par le suffrage féminin » ? Sacré jésuitisme ! Et il faillit bien l’emporter. Mais Fernand Grenier finit par convaincre une majorité de délégués ; au soir du 24 mars 1944, l’amendement Grenier « Les femmes seront électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes. » est finalement ratifié par l’Assemblée consultative d’Alger par 51 voix contre 16.

Voter pour le droit de vote

C’est pour cela qu’il faut souligner l’importance du vote du 29 avril 1945. Alors même que les combats ne sont pas terminés en Europe, que les troupes soviétiques affrontent les derniers carrés des fanatiques nazis dans les rues de Berlin, la veille du suicide d’Adolf Hitler, les femmes françaises décident de voter massivement pour ces élections municipales. Elles ont elles-même tordu le cou à la fable selon laquelle la majorité d’entre elles auraient considéré que ce n’était pas leur affaire, que les hommes n’avaient qu’à s’en débrouiller, qu’elles avaient des responsabilités et d’autres influences et n’avaient pas à perdre leur temps sur des questions politiques. Les femmes ont donc voté ce jour-là pour le droit de vote des femmes. Le scrutin municipal de 1945 fut fortement médiatisé, l’attention des journalistes étant presque entièrement focalisée sur le comportement des femmes, entre condescendance contre celles qui n’en maîtriseraient pas les codes et admiration pour la patience des femmes qui firent parfois plusieurs heures de queue afin d’accomplir pour la première fois cet acte citoyen. Les élections du printemps 1945 se soldèrent par une forte percée du PCF ; le vote féminin ne semble pas avoir introduit une révolution majeure dans la pratique électorale, ni déclenché la vague cléricale que redoutaient les radicaux.

Un trop long chemin

Comment ne pas souligner cependant le retard français par rapport aux autres démocraties : la Nouvelle Zélande a établi ce droit dès 1893, l’Australie en 1902 ; entre les deux guerres mondiales, d’autres pays encore nous devancèrent : la Grande-Bretagne, l’Allemagne, les Pays-Bas, les États- Unis, mais aussi l’Inde, la Turquie ou encore le Brésil. Qui se souvient de la candidature de Marie Denizard à l’élection présidentielle de 1913, de celle de Marguerite Durand aux élections législatives de 1910 ou encore de Louise Weiss qui aurait refusé d’intégrer le gouvernement Blum en répondant « j’ai lutté pour être élue, pas pour être nommée » ? Combien de temps furent méprisées et humiliées les conseillères issues des élections municipales de mai 1925, Augustine Variot à Malakoff, Marie Chaix à Saint-Denis, Marthe Tesson à Bobigny et Marguerite Chapon à Villejuif ou Joséphine Pencalet représentante des Penn Sardines en lutte de Douarnenez : il y a souvent très peu d’écarts de voix avec leurs homologues masculins puisque leurs noms sont peu rayés, preuve que l’électorat est déjà prêt pour cette avancée. Pourtant, le conseil d’Etat annulera une à une ces élections dès janvier 1926, le préfet de la Seine n’hésitant pas à envoyer la police pour empêcher Augustine Viarot de siéger en avril 1926.

Comment ne pas souligner également qu’il aura fallu que Charles De Gaulle constate, avec une forme de paternalisme, leur courage à travers deux conflits mondiaux pour qu’il soit convaincu de leur accorder des droits civiques ; finalement, cela n’allait pas de soi par le simple argument de l’égalité humaine.

Continuer le combat

Aujourd’hui, ce droit semble acquis et la parité a installé dans les assemblées soumises au scrutin de liste la place de de l’élue comme incontournable. On connaît cependant les tactiques pour contourner la parité dans les partis conservateurs (avec une forme d’expertise des LR au Sénat en la matière) et on constate de scrutins en scrutins combien de partis sont prêts à accepter de payer des amendes importantes pour ne pas respecter l’obligation de parité dans les candidatures et dans les équilibres entre les sexes dans leurs groupes parlementaires ? La proportionnelle est sans doute un combat à mener sur ce chemin inachevé. Sans parler même de la vigilance face aux offensives réactionnaires toujours vivaces.

Frédéric Faravel

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