Contre l’esclavage, le racisme, les discriminations : la République et son idéal !

Contre l’esclavage, le racisme, les discriminations : la République et son idéal !

Prolongeant la dynamique du mouvement d’indignation qui a saisi toutes les sociétés occidentales après le meurtre raciste de George Floyd aux États-Unis d’Amérique commis par un policier blanc de Minneapolis, le débat public et les manifestations s’étendent aujourd’hui plus largement à la question de la mémoire, de l’esclavage et des logiques structurelles qui nourrissent toujours dans notre société le racisme et les discriminations.

Une partie du débat et des happenings se cristallisent aujourd’hui sur les statues de personnalités d’époques diverses, que certains souhaitent déboulonner comme représentations symboliques d’une oppression raciste passée. Sans parler du cas particulier des États-Unis et de la mémoire de la Guerre Civile qui seule permit l’abolition de l’esclavage, la statue d’un commerçant esclavagiste britannique a été jetée dans la rivière à Bristol ; elle avait été érigée plusieurs siècles plus tôt pour le remercier d’avoir apporté la prospérité à la ville grâce au détestable « commerce triangulaire », la symbolique était ici particulièrement puissante.

Mémoires de France

En France aussi, les happenings militants se développent et le débat bat son plein. Si cela peut donner lieu à des caricatures, disons le la question n’est pas en soi illégitime. Il ne doit plus, heureusement, rester en France de statue, de rue ou d’avenue Pétain et plus aucun républicain ne lui rend hommage, le chef du régime défaitiste et collaborationniste qui trahit la France ayant effacé le « vainqueur de Verdun » (et sur cette dernière image d’Épinal, il y aurait beaucoup à dire). Pour s’émouvoir de la raréfaction des rues Adolphe-Thiers ou reprocher encore à Gustave Courbet d’avoir fait abattre la colonne Vendôme, il faut être un adorateur particulièrement zélé des « Versaillais ». Que notre pays évolue et choisisse au cours de son histoire et de l’évolution de sa société d’honorer telle ou telle figure est dans l’ordre des choses, mais nous sommes en démocratie et cela doit se faire lors d’un débat serein.

Si d’aucuns ont choisi de s’en prendre à la statue de Colbert devant l’Assemblée nationale ou exigent que l’on rebaptise la salle Colbert dans le Palais Bourbon car il aurait promulgué le « code noir », rappelons qu’il a promulgué une bonne partie des codes de l’époque, qu’il n’en est pas l’initiateur en tout cas pas plus que Louis XIV qui pourrait bien être visé par la même colère. Personne ne semble retenir que les fresques de la Salle des Conférences du Sénat racontent dans ce grand palais républicain une histoire de France quasi exclusivement monarchique et catholique, ce qui est pour le moins cocasse. De même personne ne songe sérieusement à réduire en cendres le Sacré Cœur, alors qu’il a été construit pour célébrer le massacre de la Commune de Paris et prévenir le peuple de la Capitale qu’il serait toujours surveillé par l’Église et l’Armée. Quand a contrario un buste du Général De Gaulle est vandalisé à Lille sous le prétexte de racisme ou que la statue de Jacques Cœur subit le même sort à Bourges (on peut s’interroger sur une opération de provocation volontaire en pleine campagne des élections municipales) en l’accusant de colonialisme, nous faisons face à de l’inculture et à une méconnaissance affligeante de notre histoire qu’il faudra réparer.

Évidemment, la France a une longue histoire, dans les siècles qui se sont écoulés on trouve le pire et le meilleur. Il faut savoir vivre avec et savoir la regarder sereinement et démocratiquement ; que les promoteurs de l’esclavage ou des militaires connus pour avoir perpétré des massacres de populations civiles dans l’hexagone ou en Outre Mer soient progressivement écartés ou que leurs méfaits soient rappelés ne devraient pas nous effrayer. Mais il est important qu’alors que nos commémorations symboliques peuvent évoluer nous ne jetions un voile sur tout ou partie de notre histoire : les régimes, gouvernements, monarques, ministres, généraux, etc. qui ont fait la France doivent être présentés aussi avec leurs zones d’ombre ; l’histoire de l’Outre Mer où vivent plusieurs millions de nos concitoyens mériterait elle aussi d’être valorisée, enseignée aussi bien dans la Creuse qu’à Fort-de-France.

La République face à l’histoire

L’esclavage – en quelques époques ou lieux que ce soit – ne peut apparaître à un républicain et un humaniste sincère que comme une abjection morale. Il laisse des traces profondément dans les sociétés qu’il a blessées et parfois plusieurs générations après. Quiconque veut bien être un peu observateur constatera que c’est encore le cas à bien des égards en Martinique, Guadeloupe ou à la Réunion, où la stratification économique et sociale ou même certains comportements portent encore l’héritage de l’esclavage. Clemenceau, journaliste pour Le Temps, s’était rendu aux États-Unis d’Amérique après la victoire de l’Union sur la confédération, il avait vu l’horreur des conséquences de l’esclavage même après son abolition, il en était revenu profondément anticolonialiste.

Or l’un des premiers actes de notre pays en devenant République fut de rompre symboliquement avec cette pratique abominable. La République française s’est constituée en abolissant l’esclavage, une première fois en 1794, et l’un des premiers actes du gouvernement provisoire qui établit la Deuxième République en 1848 c’est à nouveau l’abolition de l’esclavage et la création pour la première fois en droit positif dans le monde occidental de la notion de crime contre l’humanité, puisque le citoyen français qui continuerait à posséder et/ou à acheter des esclaves serait déchu de sa nationalité française. Qui se souvient de cela ? Qui se souvient que la proclamation devant la face du monde de l’aspiration à l’égalité par la Nation française avait bien dès le départ cette portée universelle puisqu’elle s’adresse à tous les êtres humains quelle que soit leur couleur de peau ? C’est dire combien les attaques récentes contre la mémoire de Victor Schoelcher, père de l’abolition, sont absurdes. Cela ne doit par contre pas effacer une réalité historique et politique qui est trop peu enseignée, voire pas du tout : l’abolition n’est pas un cadeau accordé dans un élan de pure générosité humaniste ; si l’abolition put être décidée (avec le compromis qu’on trouverait aujourd’hui aberrant sur l’indemnisation des propriétaires) c’est aussi la conséquence des nombreuses révoltes d’esclaves à la Martinique et à la Guadeloupe, notamment, et de la lutte réussie pour l’indépendance d’Haïti. L’abolition répondait donc aussi à un rapport de force et des intérêts bien compris. L’ensemble de cette histoire, plus complexe que l’image d’Épinal qu’en fit plus tard la IIIème République, mériterait d’être rappelée et enseignée.

Si l’idéal républicain est donc bien universaliste et égalitaire, la République n’est pas acquise une bonne fois pour toute. Napoléon Bonaparte au moment d’établir le Consulat – qui était déjà une forme d’abolition de la République – rétablit l’esclavage en Guadeloupe avec une répression féroce (la Martinique occupée par les Britanniques ne connut jamais cette première abolition) et tenta de reconquérir Haïti pour y rétablir l’esclavage. La motivation profondément raciste de ce personnage pourtant illustre de l’histoire de France ne fait pas de doute. Ainsi lorsque nous enseignons l’Histoire du Consulat et de l’Empire, notre récit national devrait sans doute célébrer l’instigateur du code civil, mais peut-être brosser aussi le portrait moins flatteur du dirigeant raciste d’un régime très autoritaire et intrusif, qui mit souvent pour de mauvaises raisons l’Europe à feu et à sang (revers de la médaille de la gloire militaire temporaire qu’on lui attribue). La République fut également progressivement subjuguée par un autre Bonaparte ; les missi dominici de Napoléon le Petit imposèrent ainsi un régime particulièrement oppressif pour les Antillais et Réunionnais que la Deuxième République venait de libérer de l’esclavage. Ce régime se perpétua d’ailleurs au-delà de la chute du Second Empire, il ne tomba réellement qu’avec départementalisation de 1946 et l’action publique ne cesse depuis de corriger petit à petit les séquelles de cette histoire.

Si l’idéal républicain est bien universaliste et égalitaire, les gouvernements de la République et ceux qui les dirigent ne sont pas parfaits et peuvent même avoir commis des fautes. On peut établir que l’esclavage et la colonisation naissent de concert. Pour soutenir l’idée de l’esclavage, il faut évidemment soutenir l’idée d’une inégalité entre les Hommes, l’existence de races inférieures et supérieures. Les premières colonies antillaises et africaines sont ainsi totalement liées à l’histoire de l’esclavage. La poursuite de la colonisation après l’abolition symbolique de l’esclavage est héritière de cette idée que les peuples colonisés seraient de ces « races inférieures » et l’Européen, le Français, serait donc légitime à les dominer. La colonisation porte ainsi un message radicalement opposé à celui de la République. Comment plaider la cohérence d’une France républicaine qui puisse prétendre diriger des territoires et des populations auxquelles elle refuse les bénéfices des droits qu’elle proclame pour toute l’humanité ? En Algérie, seule véritable colonie de peuplement française (considérée comme partie intégrante du territoire national dès les années 1880), le code de l’indigénat impliquait des peines spéciales décidées par l’administration coloniale pour les Algériens, qui bien que Français ne bénéficiaient pas pleinement de la citoyenneté. Il n’est pas possible d’arguer après coup que c’était une autre époque et qu’il serait inapproprié de mesurer la fin du XIXème siècle et le début du XXème siècle avec les lunettes de 2020 : les débats politiques et parlementaires sur la pertinence de l’aventure coloniale, tant du point de vue philosophique que pratique, furent particulièrement vifs. On l’a dit, des Républicains radicaux comme Clemenceau étaient profondément anticolonialistes, mais certains nationalistes ou monarchistes voyaient également dans la colonisation une diversion par rapport à la « nécessaire » préparation de la revanche sur l’Allemagne, quand l’inventeur de l’école républicaine obligatoire, gratuite, publique et laïque – Jules Ferry – fut un colonialiste convaincu. Jean Jaurès qui commença sa carrière politique à l’ombre de ce dernier devint ensuite tout à la fois socialiste et anticolonialiste, mais il faut dire que la vigueur anticolonialiste concrète de la SFIO s’effaça rapidement après son assassinat. Charles De Gaulle, envoyé dans les années 1930 en mission au Liban, rédigea lui-même une note indiquant que de tels régimes supposant que des peuples soient ainsi mis sous tutelle étaient déjà anachroniques et qu’il était dans le sens de l’histoire qu’ils prennent leur indépendance. De quoi éclairer sous un jour particulier l’action qu’il mena quelques trente années plus tard (après avoir compté sur « l’empire » comme base arrière de la France Libre), qui est elle-même percluse de multiples contradictions.

L’universalisme républicain en acte

La République et son idéal font ainsi souvent les frais des rapports de force politiques, quand ce n’est pas plus prosaïquement et banalement la conséquence de « petits jeux politiciens ». La République est un combat ; on ne peut tenir notre devise Liberté – Égalité – Fraternité pour acquise du simple fait qu’elle serait énoncée. Comme socialistes, nous connaissons bien les logiques inégalitaires à l’œuvre en économie capitaliste qui ne plient ou reculent que sous l’effet du rapport de force politique et social que l’on construit (ou pas). Pourquoi serait-ce différent pour les inégalités et discriminations fondées sur l’origine, la couleur ou la religion supposée ? Pourquoi serait-ce différent quand les Libéraux et le monde capitaliste instrumentalisent également les enjeux d’identité pour réduire la personne à l’individu, pour diminuer d’autant la capacité des travailleurs à s’organiser collectivement en les dressant les uns contre les autres en fonction de leurs origines ? Pourquoi serait-ce différent quand les discriminations liées à l’origine croisent les inégalités économiques et sociales ?

D’ailleurs en d’autres points du globe, ce type de processus a été parfaitement utilisé, y compris à des fins économiques, entre des populations différentes que ne séparaient pas la couleur de peau : l’opposition au sein de la classe ouvrière d’Irlande du Nord entre Unionistes et Nationalistes (Protestants et Catholiques) grâce à l’encouragement du sectarisme est un modèle du genre.

Raison de plus pour ne pas se laisser pièger par des concepts ambigus ou même pervers. Ainsi la notion de « privilège blanc » (expression popularisée par une écrivaine de talent et à succès mais dont on peut s’interroger sur son sens des réalités) peut évidemment être comprise, dans une certaine mesure, s’il s’agit de désigner cette situation où, par le fait d’être blancs, certains d’entre nous ont accès facilement à un logement, un emploi, à un certain nombre de choses sans même nous en rendre compte. Mais cette notion, même si on peut en comprendre l’intention (chez certaines personnes de bonne foi), est viciée à la base car le concept de « privilège » renvoie à quelque chose qu’il faudrait en principe abolir. Or, le souci aujourd’hui n’est pas de savoir si les « blancs » doivent avoir accès facilement à un logement, etc. ou s’il faudrait leur retirer cette capacité, alors même qu’elle n’est pas l’apanage de tous les « blancs ». Cette façon de penser est même quelque part une manière de réinvestir le principe de « hiérarchie des races », entre les « blancs » qui auraient (forcément) une vie merveilleuse et « les autres ». La question c’est de se demander pourquoi d’autres n’ont pas accès, pourquoi nous tolérons encore que dans les faits de telles discriminations perdurent concrètement ; la question est de se demander – lorsqu’on a constaté qu’il y a des gens, en raison de leur couleur, de leur religion, de leur sexe, de leur orientation sexuelle, de leur handicap, pour lesquels l’exercice des droits humains est soit tronqué, soit inexistant – comment il faut agir pour faire reculer puis mettre fin concrètement à cette rupture d’égalité. Car à nouveau ce que l’universalisme républicain nous rappelle c’est bien l’unité de l’humanité, l’égalité entre tous les Hommes, en cela il n’est en rien un concept évanescent et surplombant comme le prétendent certains militants différentialistes ou intersectionnalistes. L’universel ne relève pas d’une sorte de dogme surplombant, d’un ensemble de principes qu’on accepte tels quels. L’universel c’est une aspiration qui est toujours en construction, qui est traversée d’une réflexion sur les façons de faire progresser ces aspirations universelles. L’universalisme républicain devient concret lorsqu’il existe une volonté politique pour le mettre en œuvre.

Ainsi, après la démonstration que nous venons de faire, si l’expression de racisme d’État nous semble impropre dans la République française, le débat sur la définition de « racisme structurel » peut être entendu mais doit faire l’objet de beaucoup de précautions. Le Défenseur des Droits vient de pointer une politique systématique dans un arrondissement de Paris d’arrestations de personnes de couleur ; il considère ici qu’il ne s’agit plus de l’acte d’un individu mais d’une structure, il a également pointé le fait que ses interpellations sur les dysfonctionnements de l’institution n’avaient pas reçu de réponses depuis 5 ans. Soyons clairs, il existe en France une politique ou une stratégie particulière qui a des effets de « racisme institutionnel », c’est celle qui préside aux contrôles d’identité. C’est un cas particulièrement choquant : toutes les études montrent que lorsque vous êtes jeunes, noirs ou d’origine maghrébine, vous avez 10 à 20 fois plus de « chances » d’être contrôlés : cela signifie que 3 ou 4 fois par jour au bas mot une personne issue de ces catégories peut-être contrôlée, ce qui explique aisément un sentiment de ras-le-bol, de révolte et parfois les propos et les actes qui vont avec (avec les conséquences que l’on peut imaginer). Cette pratique s’apparente donc à une peine administrative appliquée à une catégorie de la population qui doit justifier plus que d’autres de son appartenance à la Nation, du fait de son apparence … et cela devant ses amis, devant ses proches, devant les collègues de travail qui eux ne seront pas contrôlés, et le fait que cela se passe également parfois sans témoin n’en diminue pas l’ineptie. Les justifications prétextées pour cette pratique discriminante sont de deux ordres : l’immigration irrégulière et le trafic de stupéfiant… Notre police est affectée pour une trop grande part au contrôle et à la répression du commerce et de la consommation d’une drogue qui est aujourd’hui légale au Canada et dans de nombreux États européens et des USA : la marijuana. Ces policiers doivent être affectés à des tâches autrement plus importantes pour l’ordre public, notre sécurité et la concorde civile. Avec cette réforme, l’essentiel des contrôles d’identité et leur justification tendancieuse disparaîtraient. La fin de cette stratégie de fait des contrôles d’identité discriminatoires auraient également pour conséquence de participer à la modification de l’état d’esprit d’une partie des forces de police, à qui la hiérarchie impose de fait une façon de penser qui s’éloigne des principes républicains.

Notons aussi que le choix des hommes compte sur ce chemin semé d’embûches. Dans la suspicion qui existe entre une partie de la population et les forces de l’ordre, le problème ne vient pas directement des policiers, mais de la stratégie qu’on leur demande d’appliquer. Les hommes comptent dans ces matières : M. Papon était dans les années 1960 Préfet de police de Paris ; sous son autorité ont eu lieu le Massacre de Charonne (8 février 1962, 9 morts et 250 blessés) et celui des manifestants pro-FLN du 17 octobre 1961 (pas moins de 200 morts). Le Préfet Grimaud qui lui a succédé avait une toute autre politique en matière de maintien de l’ordre, il est évident que de nombreux manifestants de Mai-68 doivent la vie à ce changement de préfet. À un moment, il y a la responsabilité des chefs qui donnent des consignes et des stratégies, et les policiers ne sont souvent que des agents qui doivent obéir aux ordres qui leur ont été donnés (tant qu’ils ne sont pas illégaux). Rappelons le courrier adressé à ses troupes par le Préfet Grimaud le 29 mai 1968 : « Frapper un manifestant tombé à terre, c’est se frapper soi-même en apparaissant sous un jour qui atteint toute la fonction policière. Il est encore plus grave de frapper des manifestants après arrestation et lorsqu’ils sont conduits dans des locaux de police pour y être interrogés. Je sais que ce que je dis là sera mal interprété par certains, mais je sais que j’ai raison et qu’au fond de vous-mêmes vous le reconnaissez. » La hiérarchie, l’administration républicaine et ses cadres se doivent en tout temps et toute circonstance d’impulser un discours, des consignes et des stratégies conformes à l’idéal républicain, si l’on veut que l’ensemble des représentant de l’État en toute matière (et pas seulement en ce qui concerne la sécurité et le maintien de l’ordre) agisse selon les principes républicains.

L’éducation est aussi un terrain à réinvestir. Nous avons insisté plus haut sur l’enseignement de l’histoire, sur un récit national qui prenne mieux en compte la diversité du peuple français, qui tienne compte avec raison des faces sombres et lumineuses de notre pays. Faire face à notre histoire avec réalisme est la meilleure manière de renforcer l’unité de la communauté nationale. Il faudra donc revoir notre enseignement de l’esclavage et de la colonisation, l’enseignement des l’histoire de l’Outre Mer et des pays qui ont été si fortement liés, pour le pire mais parfois aussi le meilleur, au nôtre avant de prendre leurs indépendances. Le fait que l’immigration algérienne se soit poursuivie – dans des proportions importantes – après 1962 montre également que la France était capable de dépasser la guerre civile qu’elle avait subi et fait subir des deux côtés de la Méditerrannée. Il ne faut pas non plus oublier les conditions souvent indécentes dans lesquelles beaucoup de travailleurs maghrébins puis leurs familles furent reçus, ou plutôt parqués. Une histoire de l’immigration doit donc être intégrée au récit national, en ayant à l’esprit que le fait que celle-ci depuis les années 1960 provienne très majoritairement de pays dont les populations ont été dominées par la France modifie quelque peu la manière dont nous pouvons atteindre les objectifs républicains d’assimilation et d’intégration que nous avons appliqués aux immigrations précédentes. Au demeurant nous récusons l’idée parfois avancée (au comptoir du café du commerce) que si les Italiens, Polonais, Yiddish, Espagnols ou Portugais ont subi un forme de « bizutage », il serait tolérable que les immigrations maghrébines et subsahariennes le subissent aussi.

Enfin, la crise sanitaire que nous venons de subir a de nouveau démontré les discriminations de tout ordre dont font l’objet des habitants de certaines parties de notre territoire. La Seine-Saint-Denis a enregistré ainsi un niveau de contamination, de décès et de verbalisation (cf. notre paragraphe sur le contrôle au faciès) plus important que la moyenne nationale. On sait parfaitement que ce département compte aujourd’hui de très nombreux habitants d’origine méditerranéenne, subsaharienne et chinoise. Les statistiques ethniques réclamées par certains – en prenant le risque de figer les identités – n’apporteraient rien de nouveau et d’utile à l’action publique. La sous dotation médicale ou en services publics de ce territoire est ancienne et n’est pas liée à la nature de son peuplement actuel mais l’a précédé. Le déficit d’égalité de la Seine-Saint-Denis s’est donc creusé au fil des décennies ; il a commencé à le faire selon une logique que nous qualifierons de « méfiance » à l’égard de « classes laborieuses » considérées comme des « classes dangereuses ». L’installation des familles de travailleurs immigrés à la sortie des bidonvilles dans lesquels ils étaient cantonnés parfois jusque dans les années 1970 n’a fait que renforcer cette discrimination territoriale, dans un territoire frappé dès le début des années 1980 par une violente désindustrialisation. Ici encore l’inégalité économique et sociale rejoint la problématique des discriminations « ethniques » et celle de la ségrégation géographique. Le retour à une « Politique de la Ville » digne de ce nom (elle a fini d’être mise en lambeau sous le quinquennat de François Hollande), parallèle à un renforcement massif des services publics et des politiques de droit commun pour ramener ces territoires à l’égalité républicaine, ou un renforcement des contrôles et des sanctions pénales en matière de discrimination à l’embauche et dans l’emploi, est une urgence absolue.

* * *

La République est un combat. La réalisation de la promesse de l’universalisme républicain est un combat. Elles ne peuvent se satisfaire de notre immobilisme ; pour faire un peu de provocation, détournons dans cette conclusion le fameux slogan maoïste : « La République est comme une bicyclette : quand elle n’avance pas, elle tombe ! »

La République est née en rejetant radicalement l’esclavage et le racisme, en proclamant l’égalité humaine à toute l’humanité. Notre pays n’a pas besoin d’accommodements, de négociations, de tractations, de privilèges : il a besoin d’égalité et de République. Plus que jamais ! La concrétisation de notre idéal ne va pas de soi et dépend des actions que nous aurons la volonté et le courage de mettre en œuvre : au travail !

Restaurer une police républicaine

« Nous ne sommes pas dans le même camp ».

Cette réponse du Préfet de police de Paris à une citoyenne Gilet jaune qui l’interpellait calmement dit la fracture entre la police française et le peuple qu’elle est censée protéger. C’est cette fracture qui ressurgit aujourd’hui à travers les manifestations contre les violences policières.

C’est entendu, les forces de l’ordre sont au front depuis des années et ont été sollicitées dans des conditions souvent extrêmes. D’abord face à la déferlante terroriste qui a sévi à partir de 2015. Puis dans l’encadrement des mouvements sociaux, de la colère des Gilets jaunes aux manifestations contre la réforme des retraites. Aujourd’hui encore, elle est sur le pont face à l’épidémie de coronavirus. Les policiers sont aussi des travailleurs et les logiques comptables de l’État libéral pèse sur leurs effectifs, sur leurs rémunération, sur leur organisation et leurs moyens de travail.

Comment et pourquoi sommes-nous passés, en quelques années, des applaudissements et de la reconnaissance légitime que leur ont témoigné les Français lors des attentats de Charlie Hebdo aux réactions parfois virulentes qui s’expriment aujourd’hui à leur endroit ?

D’abord, il y a une responsabilité éminente dans la chaîne de commandement. Depuis Nicolas Sarkozy, la plupart des ministres de l’Intérieur ont cédé aux coups de mentons et au discours martial, conférant à notre Police une mission centrée de façon exclusive sur sa dimension répressive. C’est un défaut originel de la police française qui, à travers son histoire, a trop souvent été comprise comme protectrice des institutions avant de protéger les citoyens. La suppression de la police de proximité ne disait rien d’autre qu’une défiance envers les citoyens, la conception d’une autorité autoritaire, qui s’impose sans consentement.

Cette dérive n’est pas un accident de l’histoire. Elle résulte du libéralisme lui-même qui, en organisant les systèmes de hiérarchisation sociale et en accentuant les inégalités, a besoin d’un Etat régalien fort pour préserver des institutions qui lui sont favorables et protéger le capital et les richesses concentrées dans quelques mains. La ligne Bolsonaro est la destination finale de cette approche : un système économique dérégulé confié aux grandes firmes privées et un Etat autoritaire qui protège les intérêts du petit nombre.

La restauration d’une police républicaine est une impérieuse nécessité car les violences et les débordements qui ont eu lieu dans plusieurs affaires ne sont pas excusables : si des policiers ont abusé de leur autorité allant jusqu’à attenter à la vie de citoyens, ils doivent être jugés et sévèrement punis. Au-delà, nous nous devons de comprendre politiquement les raisons de ces dérives, et Il faut ne pas hésiter à remettre en cause la hiérarchie, les ordres, le changement de stratégie impulsé par le haut depuis une dizaine d’années pour le maintien de l’ordre et leur apporter une réponse globale.

Par ailleurs, Il faut résister à la surenchère et aux raccourcis : la police française n’est pas raciste, mais il y a, sans aucun doute, des racistes dans la police, comme partout ailleurs, dans l’ensemble de la société.

Et comme partout dans la société, le racisme est un délit et la culture de l’impunité ou le laisser faire, comme le montre le développement d’un groupe facebook de 8000 policiers qui assènent des propos racistes, contribuent à généraliser le sentiment de racisme de la police dans l’opinion.

La sécurité est un droit pour tous les Français, mais ne peut être garantie que dans un cadre strictement républicain.

Pour la restauration d’une police républicaine, la Gauche Républicaine et Socialiste propose 5 grandes mesures :

– Le rétablissement d’une vraie police de proximité, dotée de moyens conséquents, pour qu’elle puisse être au contact de la population
– L’augmentation des effectifs des forces de l’ordre de 25.000 postes pour assurer la sécurité des Français sur l’ensemble du territoire national
– L’augmentation de la rémunération des policiers et l’amélioration de leurs conditions de travail dans le cadre d’une négociation nationale avec les partenaires sociaux
– La systématisation des caméras mobiles pour l’ensemble des interpellations et l’instauration d’un récépissé pour les contrôles d’identité

– Une réforme de la doctrine d’emploi de la Compagnie Républicaine de Sécurité et la mise en place d’un corps de médiation de la police pour l’encadrement des manifestations

Face à la violence et au racisme, redonner force à la République !

Le meurtre de Georges Floyd par quatre policiers de Minneapolis (Minnesota) est la dernière goutte de sang faisant rompre des digues dans les opinions publiques occidentales.

La prise de conscience en cours dépasse le cadre américain et rappelle dans l’universalité de la réponse des jeunesses des sociétés riches les mouvements oubliés contre l’apartheid de l’Afrique du Sud des années 1980.

Ainsi, malgré la conscience du risque pris, alors que la pandémie due au Covid-19 n’est pas finie, des dizaines de milliers de manifestants, jeunes pour la plupart, masqués, ont manifesté partout en Europe contre le racisme et les violences policières : Bruxelles, Londres, Copenhague, Berlin, Munich, Francfort, Hambourg, et même, malgré l’interdiction prononcée par les préfets, à Paris et plusieurs grandes villes de France. À Bristol, une statue de l’esclavagiste Colson a été jeté dans le port.

Tous les cortèges ont en commun de rassembler des jeunes, entre 18 et 35 ans, beaucoup de primo-manifestants, tous habillés de noirs. C’est un mouvement d’opinion qui rebondit sur celui des « Friday » pour le climat. Il démontre un refus de thèses et d’organisations sociales et politiques au cœur du néolibéralisme, et dont le protecteur dévoyé est souvent la police.

Il ne constitue pas encore une alternative, et les contradictions sont nombreuses encore entre tenants de l’universalisme humaniste, et ceux, adhérant paradoxalement à la définition néolibérale d’une humanité divisée en identités et inégalités de nature, privilégiant l’individualisme de la communauté, et niant les solidarités de classe. C’est le piège de ce moment : il y a des libéraux souhaitant le repli individualiste ou communautaire pour nier les classes et les questions sociales ; il y a des faux universalistes souhaitant plonger la tête dans le sable, privilégiant la conservation de l’ordre social à la résolution de sa violence. Les uns ne veulent pas de la République, les autres nient qu’elle soit sociale.

L’Allemagne face aux infiltrations terroristes de sa police

À Berlin, à Munich, à Hambourg, à Nuremberg, dans de nombreuses villes allemandes, les manifestations ont fait le lien entre racisme et violences policières.

Dans ce pays, les policiers doivent prêter serment à la loi fondamentale, qui inclut la déclaration des Droits de l’Homme, et proclame le caractère intangible de la dignité humaine.

À ce titre, il est jugé incompatible avec le service public l’engagement dans des partis et mouvements d’extrême droite tels que le NPD.

Il y a presque dix ans, on découvrait cependant que dix meurtres, neuf immigrés d’origine turcs ou grecs, et une policière, avaient été commis par une cellule terroriste d’extrême droite, la NSU. Tout au long des enquêtes, la police n’avait pourtant jamais prospecté sur cette piste, privilégiant des « règlements de compte entre maffias et clans », se plaignant d’une omerta empêchant le recueil d’informations sur cette maffia, qui n’existait pourtant que dans les préjugés racistes des enquêteurs.

Depuis, les groupements d’extrême droite ont renforcé leurs efforts pour infiltrer la police.

Depuis quelques années, les autorités ne réagissent plus par des enquêtes administratives, comme la France continue elle à le faire avec l’IGPN, juge et partie, mais directement en saisissant les services secrets intérieurs.

C’est ainsi qu’en 2018 un groupe Whatsapp de 40 policiers a été identifié et observé : ces policiers, du Land de Hesse, utilisaient les bases de données de la police pour envoyer des lettres de menaces à des militants antiracistes et des avocats des victimes de la NSU. Suite à une perquisition en février 2020, il a été prouvé que certains de ces fonctionnaires avaient détourné armes et munitions des dépôts policiers en vue de préparer des actions terroristes. Les enquêtes en cours ont entraîné les limogeages immédiats des fonctionnaires concernés.

En France, un tel groupe peut grimper à 8 000 participants !

La co-présidente d’un des partis au gouvernement, le SPD, Saskia Esken, a réclamé hier une grande enquête sur le racisme dans la police. Elle n’est pas seule : les autorités hiérarchiques policières elles-mêmes parlent de combattre le racisme dans leur rang, de renforcer formation et encadrement, de se donner les moyens pour maintenir une police républicaine, loyale au serment à la loi fondamentale.

Samedi, malgré des affrontements en fin de manifestation à Berlin et 93 arrestations, le chef de la police a « remercié » les manifestants « majoritairement pacifiques » et loué leurs efforts pour respecter la distanciation physique – discours si différent d’un Castaner déclarant en janvier 2019 « ceux qui viendront manifester savent qu’ils seront complices des débordements » ou d’un préfet de police indiquant à une manifestante âgée qu’ils n’étaient « pas dans le même camp ».

Une culture de l’impunité est la négation de la République

Ce long développement permet de souligner la culture de l’impunité qui s’est établie en France. Aujourd’hui même, le rapport du Défenseur des Droits la dénonce : en cinq ans, le Défenseur des droits a demandé des poursuites disciplinaires dans trente-six affaires de manquements aux règles de déontologie, sans recevoir de réponse.

La République proclame l’égalité de toutes et tous devant la loi. Cela vaut également pour ceux dépositaires, au nom du peuple souverain, du monopole de l’exercice de la violence légitime. Le peuple républicain attend de sa police protection et service, pour pouvoir jouir des libertés publiques garanties par la constitution.

Cependant, l’exercice de la violence ne reste légitime que s’il est contrôlé, encadré, si les Gardiens de la Paix sont formés et dirigés correctement, si des effectifs et des moyens nécessaires et suffisants permettent d’assurer les missions.

Devenir policier est un engagement au service de la Nation qui peut rendre nécessaire le sacrifice de sa vie pour sauver les autres. C’est un métier difficile, ingrat, à la conjonction de demandes contradictoires, entre des politiques néo-libérales qui veulent gérer à coup de matraque les inégalités sociales, une Nation espérant Protection et Soutien, et des groupes sociaux et politiques s’affranchissant de la République.

Il faut le dire : le gardien de la paix est au cœur du pacte social républicain, comme le professeur, l’infirmière, le militaire, le pompier. C’est pourquoi les attentes sont également particulièrement élevées quant à l’exemplarité de son comportement en fonction. Tout cela implique de garantir l’exemplarité par la sanction immédiate des comportements déviants.

En France cependant, de faux républicains affirment l’infaillibilité de nature de la police.

Républicaine par la force des textes de lois, elle serait sans faute ni tâche. Elle devrait dès lors être soustraite à tout examen de son action, ses fonctionnaires considérés au-dessus de tout soupçon.

Cette culture de l’impunité est entretenue par le rôle prééminent donné à l’IGPN, autorité de contrôle administrative interne.

L’absence de contrôle s’accompagne de la lâcheté hiérarchique. Comment un groupe Facebook a-t-il pu atteindre 8 000 membres sans qu’un seul gradé, face aux centaines de messages racistes et sexistes, n’intervienne ? Comment se peut-il qu’un tel groupe ne soit pas surveillé par la sécurité intérieure ?

Cela s’explique par une raison simple : depuis 2005 au moins, la police est utilisée comme instrument principal de lutte contre les révoltes et les colères sociales, tout en restant une variable d’ajustement budgétaire, dont on réduit toujours les effectifs ou les moyens concrets, poussant ses fonctionnaires à bout, jusqu’aux « épidémies de suicides ».

La hiérarchie policière, versée dans la seule répression sociale, au point d’agresser les journalistes et les parlementaires en manifestation, sous estime le danger d’infiltration des institutions par des groupes et idéologie d’extrême droite souhaitant la guerre civile européenne.

Ces idéologies sont à l’origine des attentats d’Anders Breivik en Norvége en 2011, du tueur de Munich en 2016, du meurtre de la députée travailliste britannique Jo Cox en 2016, des attentats en Allemagne contre des élus, des juifs et des turcs en 2019 et 2020.

Pourquoi une police où les syndicats affiliés à l’extrême droite ont fortement progressé ces dix dernières années serait-elle immunisée face à un phénomène européen ?

L’égalité devant la loi nécessite de remettre les deux moteurs inséparables, la sanction et la formation, au cœur de la réforme de la police républicaine.

Il est insupportable que des personnes, interpellées pour des délits, meurent au moment de leur interpellation, qu’ils s’appellent Traoré ou Chouviat. La doctrine et les techniques d’interpellation doivent changer, l’obligation de secours à la vie redevenir prioritaire à l’accomplissement d’un acte administratif visant à sanctionner un outrage.

Il est contraire à la République que la police ne garantisse plus l’exercice des droits fondamentaux, tel que celui de manifester, de s’exprimer, mais au contraire les en empêche. Ce n’est pas le rôle de la police de décrocher, pendant le confinement, des banderoles d’opposants accrochés à des balcons privés. Il est absolument intolérable que des élus, des journalistes, des syndicalistes, soient des cibles dans les cortèges. Personne ne devrait perdre un œil ou une main dans l’exercice d’un droit fondamental. Il est absolument nécessaire de pourchasser devant la justice tous les actes de violence non proportionnés de membres des forces de l’ordre. Il n’est pas proportionné aux impératifs de maintien de l’ordre d’éborgner, amputer, et blesser des citoyens libres de manifester.

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Aux États-Unis, le Parti Démocrate a annoncé une grande réforme de la police en cas d’alternance. En Allemagne, le plaquage ventral est maintenant interdit. La France, en retard, sous la pression internationale, a annoncé l’interdiction de la prise d’étranglement mais reste dans l’ambiguïté sur le plaquage ventral.

La confiance dans la République et sa police exige à la fois de la réformer, de mieux la former et l’encadrer, et de briser la lâche impunité que lui garantit le pouvoir actuel.

Remettre de la République dans la police, c’est remettre de la République dans la société, et par conséquent, s’attaquer aux conséquences sociales de 40 ans de destruction néolibérale de l’Etat et de la cohésion nationale.

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