La France et les Européens doivent refonder leur stratégie géopolitique

Cette contribution au débat a été rédigée le vendredi 21 février 2025 par Frédéric Faravel pour nourrir la réflexion au sein de la Gauche Républicaine et Socialiste sur l’évolution brutale et rapide de la situation géopolitique européenne et internationale. Elle vise à sortir le débat public des alternatives caricaturales qui dominent dans les médias et les réseaux sociaux.

Il y a dix ans, la série TV norvégienne Occupied paraissait parfaitement décalée avec son scénario d’accord secret entre l’Union Européenne et la Russie pour subvertir une Norvège écolo ayant décidé d’abandonner l’extraction du pétrole en mer du nord. Aujourd’hui, on ne peut exclure le scénario d’une série finlandaise Conflict : un pays européen envahi à l’Est de l’Europe, les États-Unis très présents au début qui expriment très clairement le fait qu’ils n’apporteront pas de soutien aux membres de l’OTAN.

L’un des éléments majeurs du problème des États européens aujourd’hui est ainsi pointé : alors que toute l’Europe a fondé sa sécurité collective sur la solidarité américaine – plus encore après la chute du mur de Berlin quand pour les États d’Europe centrale et orientale l’adhésion à l’OTAN primait sur « l’intégration européenne » – elle ne bénéficie plus totalement du parapluie ou du bouclier américain. Les arguments invoqués à demi-mot par les Américains dans la série finlandaise paraissent assez réalistes : la priorité est donnée à la compétition avec la Chine en Asie et dans la zone indopacifique, c’est donc aux Européens de se débrouiller pour apaiser la situation et trouver une solution diplomatique sans réel soutien militaire.

Si l’élection de Donald Trump, et son accointance manifeste pour les États autoritaires et la conduite illibérale des affaires intérieures et internationales, est un facteur aggravant que nous voyons aujourd’hui dans la façon dont il tente de dépecer l’Ukraine au profit du Kremlin, il semble cependant évident que la toile de fond durable et générale de la géopolitique européenne, c’est une Europe de plus en plus aux prises avec une rivalité croissante qui se déroule entre trois grandes puissances impérialistes : les États-Unis d’Amérique, la Chine et la Russie. Depuis des mois, voire des années, l’Europe est spectatrice, « victime collatérale », mais pas véritablement actrice de cet affrontement entre ces trois puissances.

La provincialisation de l’Europe ?

Comment est-on passé d’une situation où les États européens disposaient de la puissance et en usaient régulièrement sur un mode impérialiste, puis une Europe qui restait le cœur des enjeux économiques et géopolitiques, à une situation où l’Europe est devenue vassale et sur la voie de la marginalisation ? Les Européens ont d’une certaine manière unifié la planète : la première véritable mondialisation est passée par la colonisation, une « œuvre » européenne qui passe par le commerce, la guerre et la conquête, et du XVIIIème au début du XXème siècle les rivalités européennes ont fait du monde un champ de bataille unifié, un système poli, un système international unifié. Depuis le XXème siècle, c’est exactement l’inverse : les rivalités entre grandes puissances mondiales façonnent et transforment l’Europe et ont pesé par ailleurs sur son processus d’intégration.

L’Europe va-t-elle devenir provinciale, marginalisée par des grandes puissances extra-européennes, sans même en être le champ de bataille, l’arène principale de la compétition de puissance ? C’était pourtant encore le cas pendant la guerre froide, où Soviétiques et Américains se disputaient le contrôle de l’Europe. Non seulement les États européens semblent avoir perdu toute puissance, mais les puissances réelles s’occupent en réalité d’autres régions.

Nous savons que les États-Unis en tout cas ne considèrent plus l’Europe comme un enjeu réellement important. Avec Obama, Trump I et Biden (mais c’était déjà un sujet sous Clinton), ils se sont avant tout focalisés sur l’Asie et la zone indopacifique, en compétition avec la Chine, et Trump II – malgré les diversions contraintes où il doit amuser la galerie (Ukraine et Gaza) – concentre en réalité ses intervention sur le continent américain : toutes ses initiatives importantes depuis le début de son second mandat montrent plutôt un resserrement sur ce qu’on appelait l’hémisphère occidental, c’est-à-dire le pré-carré, Canada, Groenland, Panama…

En Europe, la priorité de Trump semble d’avoir la paix le plus rapidement, presque à tout prix, pour ne pas avoir à donner de troupes en Europe et à poursuivre le soutien financier et militaire à l’Ukraine. Les provocations sur Gaza et la « Riviera du Proche-Orient » occupée par les Américains ne ressemblent en rien à une solution pérenne et semblent plutôt relever de la diversion. Pour l’Ukraine, manifestement, il n’y a pas non plus de solution évidente, mais celle qu’il répète avec son entourage est assez constante : il faut s’arrêter à la ligne de front actuelle et donner satisfaction au Kremlin sur le reste, soit un désarmement et une neutralisation de l’Ukraine (voire son émiettement) qui sinon serait une menace pour les pauvres russophones ; c’est en fait une reprise complète des arguments et des angles d’attaques traditionnels de Poutine.

La mobilisation des Européens, ainsi que la visite d’Emmanuel Macron à Washington en février, pourraient avoir infléchi la propension du Président américain à la capitulation, en obtenant de sa part des assurances, à ce stade verbales, sur les garanties de sécurité de l’Ukraine. Mais la versatilité et l’imprévisibilité de Trump incitent à la prudence. Avéré le même jour au Conseil de sécurité de l’ONU, où les USA se sont alliés à la Russie sur une résolution sur l’Ukraine ne comportant plus référence à son intégrité territoriale ni à son agresseur, cet alignement signifie que les États-Unis pourraient ne pas honorer leurs engagements vis-à-vis de leurs alliés.

On pourra toujours rationaliser l’exigence de Trump I de voir les États européens membres de l’OTAN accroître leur participation financière à l’Alliance et leurs budgets militaires (sur ce dernier point, on peut même se dire qu’il y a une logique) mais on peut aussi y voir un prétexte qui servira le moment venu à se désengager en invoquant « l’absence d’effort » des Européens. Cette inquiétude européenne pousse les Ukrainiens à rentrer dans le débat pour ne pas être pris entre l’enclume américaine et la masse russe. Kyïv envoie ce message : « il faut pas que le sort de l’Europe soit décidé sans l’Europe, qu’elle soit court-cuitée par les grandes puissances ». Il y a quelques semaines à Davos, Volodymyr Zelensky disait que « le grand problème de l’Europe, c’est qu’elle peut pas se défendre ». Reconnaissons que c’est bien un problème parce que cela nous rend faibles et vulnérables et cela induit en réalité que personne n’éprouve le besoin d’écouter aucun des États européens.

L’Europe ? Combien de divisions ?

Le sujet n’est pas tant celui de l’Union Européenne car il faut également tenir compte de la Grande Bretagne. Qu’on le veuille ou non – les positions de la Gauche Républicaine et Socialiste sur la sortie dans un premier temps du commandement intégré de l’Alliance atlantique sont explicites et elles peuvent servir de base pour réfléchir à une stratégie sans OTAN – nous sommes intégrés ensemble dans le cadre de l’OTAN. Toute évolution visant à sortir la France et l’Europe de son statut de faiblesse passera nécessairement par des initiatives en coordination avec la Grande Bretagne. Le Royaume-Uni est un pays qui, même s’il n’est plus dans l’Union européenne, est intéressé à la stabilité européenne.

Le problème de l’Europe n’est pas tant qu’elle n’aurait pas d’armées ou de budgets militaires – ils sont insuffisants mais les efforts dans ce domaine croissent – c’est que la dispersion, l’absence de coordination empêche toute conception d’une ligne de défense solide, vis-à-vis d’un régime russe agressif, qui puisse garantir d’alimenter l’Ukraine en armes si jamais, comme cela semble se dessiner, il faudrait l’assumer sans les États-Unis, et qui puisse garantir la sécurité de l’Ukraine si on doit lui donner des garanties de sécurité. Plusieurs petites armées, cela fait-il une grosse armée ?

C’est également un problème dans le dialogue avec Trump, qui veut imposer à chaque membre européen de l’OTAN de dépenser 5% de son budget pour sa défense. Une meilleure coordination au sein de l’UE avec une dépense à hauteur de 5% conduirait à dépenser collectivement plus que les USA en matière militaire. L’absence totale de coordination militaire et industrielle, la soumission de la majorité des armées européennes au marché militaire d’occasion américain, la concurrence entre productions et marchés européens (au bénéfice du matériel américain) aboutit dans la croissance de nos efforts budgétaires militaires à une colossale perte d’énergie et de crédits.

En 2023, la France a dépensé 2,1% de son budget pour la défense, contre 1,8% auparavant, un effort important dans le contexte budgétaire actuel. L’absence de coordination des dépenses pourrait donc à court terme poser des problèmes budgétaires croissant. Quand on doit acheter certains équipements dits « consommables » en masse – munitions, missiles, drones –, des équipements qu’on peut perdre rapidement et massivement sur le champ de bataille, il faut pouvoir renouveler très rapidement les stocks : une politique d’achat nationale non seulement rend difficile voire impossible cet objectif mais en plus facilite la submersion par le matériel américain en l’absence de toute règles collectives. L’exemple le plus parlant en la matière, c’est l’initiative de 2023 sur les munitions : les Européens se sont accordés pour fournir un million de d’obus d’artillerie aux Ukrainiens, mais en décidant que chacun d’entre eux négocie son contrat dans son coin, sans coordination (on ne parle même pas de centralisation), avec une politique d’achat interne ou extérieure. Résultat, les obus sont arrivés très tard (trop tard) en Ukraine à un moment où il aurait fallu peut-être arriver à deux millions ou trois millions d’obus.

Obus du canon CAESAR

Cet exemple a été mis en avant Kaja Kallas1, haute représentante de l’Union Européenne pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, qui a suggéré de suivre l’exemple de la rationalisation européenne des achats de vaccins durant la crise sanitaire en se donnant les moyens de discuter en force avec l’industrie sur les prix, le rythme, la rapidité, la quantité. Cependant on ne sent pas que cette analyse et cette impulsion évoquées par la Haute Représentante soit reprise au vol par la présidente de la Commission européenne pour initier une démarche auprès du Conseil et du Parlement européens ; Ursula von der Leyen, ancienne (et très mauvaise) ministre de la défense d’Angela Merkel, semble avoir conservé les réflexes de l’ère Merkel sur les intérêts énergétiques allemands qui passent par la nécessité de ménager le Kremlin. [Les 800 milliards d’euros annoncés début mars par Ursula von der Leyen sont en réalité 150 milliards de prêts garantis et la représentation de ce que représenteraient une autorisation à dépasser les contraintes européennes imposées au budget nationaux de 1,5 points, donc 650 milliards. La Pologne, la France, la Roumanie, la Finlande, la Belgique sont déjà au-delà ; les marges de manœuvre seraient donc limités à la Suède et l’Allemagne (cette dernière ayant par ailleurs accumulé des retards massifs d’investissements publics) : l’argent frais n’est donc pas apporté par cette initiative.]

Pourtant, l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe nous a permis de nous rendre compte à quel point les capacités, par exemple, militaires françaises étaient faibles en termes purement quantitatifs, sur les chars, sur les obus, sur les munitions. Très rapidement, nous avons été à court de munitions. Les efforts que l’on a fait en matière de tanks étaient important pour nous, mais dérisoires à l’échelle du conflit ; ce que l’on a réussi à envoyer en Ukraine ce compte en unités.

Quelle initiative française ?

Historiquement, la France n’a pas vraiment été une puissance très européenne en matière de défense. Même si nous aimons dire que nous avons été les premiers à ne pas avoir totalement confiance dans la fiabilité de la protection américaine, notre capacité à maintenir notre rôle de puissance africaine était aussi une conséquence de la « protection américaine » comme une puissance installée pour la défense de l’Europe occidentale. Or ces dernières années, en parallèle à la guerre en Ukraine, la France a subi l’effondrement complet de ses positions en Afrique (et le Royaume Uni également dans une moindre mesure).

L’armée française est sans doute en train de vivre une sorte de révolution culturelle : on passe de la logique d’une armée qui se veut « légère », capable d’agir un peu toute seule en se déployant très rapidement, avec des effectifs légers qui peuvent aller assez loin (notamment en Afrique), à une logique où il faut se penser comme une armée européenne en Europe, une armée qui doit avoir plus de stocks et plus d’équipements lourds et qui doit plus penser sa complémentarité avec les autres briques des armées européennes et, si ce n’est la mutualisation de certains équipements, le partage de certaines pratiques avec d’autres armées européennes pour être influente dans une logique de coalition. Ce ne sont donc plus les mêmes qualités et valeurs qui doivent être encouragées.

Cela ne signifie pas que la France doit renoncer à être influente en Afrique, notamment dans les pays francophones, mais elle ne le fera sans doute pas sous la forme de partenariats militaires tels qu’ils existaient voici encore 7 ans : un long chemin de rétablissement de notre image est devant nous, image qui pour l’instant ne nous permet pas de contester les positions acquises par les Chinois ou les proxies russes à notre détriment. Dans le même temps, notre appareil de défense doit à nouveau se repenser dans le champ de la transformation de la position européenne.

L’opportunité polonaise

Il y a aujourd’hui un État qui, pour des raisons que l’on comprend aisément, souhaite désormais une « Europe de la défense », alors qu’il s’en est longtemps désintéressé ; un pays qui augmente son budget militaire : la Pologne a atteint les 4,7% de son budget consacré à la défense, à comparer aux 2,1% français, la Pologne qui réclame désormais – comme l’a longtemps fait seule la France – que ces dépenses soient comptées à part dans les règles budgétaires européennes, voire soient en partie prises en charge par le budget de l’Union Européenne, puisque la frontière polonaise est la frontière de l’Union Européenne avec le bloc russe.

La Pologne est en première ligne pour observer la dégradation sécuritaire de toute la zone, avec l’invasion de l’Ukraine et tout récemment le désengagement annoncé des Américains de l’OTAN. La Pologne veut être protégée d’une énième invasion russe, elle alerte sur des modes multiples depuis des années sur le péril et c’est un sentiment parmi les dirigeants politiques polonais qui apparaît comme parfaitement consensuel et transpartisan ; cette menace était déjà soulignée en 1999 par Aleksander Kwaśniewski, président de la Pologne social-démocrate (ex-communiste) entre 1995 et 2005 ; le PiS, ultra-conservateur et nationaliste, reprenait les mêmes éléments dès 2015, et aujourd’hui Donald Tusk, premier ministre libéral, développe les mêmes arguments.

La Pologne est passée d’une sécurité « assurée » par le pacte de Varsovie, par l’Union soviétique, à une sécurité assurée par l’OTAN. Dès 1990, Lech Wałęsa expliquait que la Pologne avait vocation à entrer dans l’OTAN dans une vision polonaise d’une guerre froide emportée par le camp occidental et par une troïka qui, pour les Polonais, s’incarnait en Jean-Paul II, Ronald Reagan et l’OTAN. L’idée que cette sécurité polonaise serait toujours assurée par l’OTAN, alliance militaire la plus efficace de l’histoire, est en train de glisser vers la nécessité qu’elle le soit également par l’Union Européenne et par la Pologne elle-même. Ce glissement, depuis le début de la guerre en Ukraine, est un axe essentiel, incarné par la multiplication des accidents de frontières, dès qu’un drone ou un missile tombe d’un côté ou de l’autre ; la question qui se pose aux Polonais est comment et qui pourrait les aider à tenir.

La Pologne n’est pas le seul pays dans ce cas alors qu’elle est, d’une certaine manière, déjà en guerre hybride contre la Russie, avec l’intrusion des drones, avec des miliciens de Wagner qui font des manœuvres le long de sa frontière. C’est déjà un premier niveau qui est franchi, la Pologne construit une sorte de bouclier oriental qui va en partant de l’enclave de Kaliningrad, puis le long de la frontière biélorusse, avec à la fois des éléments de défense concrets (barrières anti-char, hérissons d’acier, tout élément censé ralentir la progression d’une armée d’invasion terrestre) et des éléments de « smart défense » (informations, transmission de désinformation, etc.).

Pendant longtemps, la France et la Pologne pouvaient donner l’impression de regarder dans des directions très différentes. La France, intéressée plutôt par l’outre-mer, par l’Afrique ; la Pologne, évidemment rivée sur sa frontière terrestre. La France, parfois sceptique vis-à-vis de l’allié américain, la Pologne, extrêmement engagée sur l’importance du partenariat transatlantique… Finalement, l’évolution de la tectonique des grandes puissances – Poutine et Trump par-dessus nous – nous a rapprochés. Les Français sont contraints de penser leur système de défense dans un cadre plus européen qu’avant et sont par la force des vents contraires moins en Afrique et plus présents en Europe. Et désormais les Polonais sont plus intéressés à des solutions complémentaires à l’OTAN. C’est ainsi qu’ils poussent ou partagent désormais l’idée d’avoir peut-être des emprunts européens, d’avoir un pot commun européen pour faire des investissements conjoints. Il y a eu des rumeurs fin 2024 sur leur souhait de proposer 100 à 500 milliards d’euros pour emprunter en commun sur des grands projets collectifs qu’il faudrait mettre en place entre Européens, comme une défense antimissile.

Olaf Scholz, Chancelier allemand (SPD) démissionnaire, et Donald Tusk, premier ministre (libéral) polonais

Donc d’un côté, des Français qui parlent plus de pilier européen au sein de l’OTAN, un langage qui est devenu audible à Varsovie, et, de l’autre, des Polonais qui parlent plus de solutions entre Européens, y compris par l’Union Européenne. Or si les Français et les Polonais, qui sont deux États qui accordent beaucoup d’importance à la défense, regardent dans des directions différentes, il n’y a pas de défense européenne ; s’ils regardent dans la même direction, il y a une opportunité.

Les relations entre la France et la Pologne sont anciennes. Sans remonter à Henri III et Napoléon, deux acteurs qui fleurent bon l’Ancien Régime ou l’Autocratie, on peut penser au rétablissement de l’indépendance polonaise en 1919 et à l’alliance militaire qui, dès ce moment, est conclue entre nos pays. Charles De Gaulle – pour lequel la défense fût toujours une affaire nationale – était ainsi aux premières loges entre avril 1919 et début 1921 comme instructeur de la jeune armée polonaise qui devait faire face à la première invasion soviétique ; le commandant puis le colonel De Gaulle défendit toujours le système d’alliances de la République française en Europe centrale et orientale (Pologne, Tchécoslovaquie, Roumanie) qui s’accompagnait de garanties de sécurité, certes dissymétriques mais réciproques, alors que le Maréchal Pétain et ses séides le dénigraient et plaidaient pour un isolationnisme conséquent derrière la ligne Maginot (contrairement à ce que raconte sa fiche wikipédia). Contrairement aux idées reçues, la Pologne s’est relativement bien défendue en septembre 1939 face à la Wehrmacht : l’effondrement fut avant tout précipitée par l’attaque sur le flanc Est, avec l’invasion soviétique consécutive au pacte Ribbentrop-Molotov signé quelques semaines plus tôt. La France se rua courageusement derrière la ligne Maginot : l’abandon de la Tchécoslovaquie à Munich a pavé la défaite de 1940.

Faire face aux périls

Poutine parie aujourd’hui sur le fait que les États-Unis prennent leurs distances avec des Européens désorganisés et faibles. Cela représente pour le Kremlin une ouverture pour avancer d’une manière ou d’une autre, que ce soit de façon directe, comme en Ukraine (Moldavie, Kazakhstan, pays baltes), ou de façon plus indirecte, hybride, mais de façon opportuniste (notamment en déstabilisant les sociétés et leurs élections comme en Géorgie ou en Roumanie aujourd’hui ou avec des alliés explicites comme la Slovaquie ou la Hongrie).

La Pologne et toute l’Europe baltique et balkanique sont acculées également parce que la Russie est désormais 100% focalisée sur son industrie de guerre, ce qui n’est pas le cas de l’Europe, loin de là. Les élites russes ont tout misé sur la guerre de Poutine, les oligarques ont intérêt à ce que la guerre paye car la Russie n’a pas reconstruit son économie après la fin de l’URSS : elle reste d’abord et avant tout extractiviste et prédatrice sans réellement profiter aux Russes eux-mêmes. La menace est aussi là.

Chacun s’accorde désormais à considérer que cette menace est sérieuse et que les USA ne bougeront pas. Cela signifie qu’on doit être capable de se défendre, donc capable de se battre à la frontière polonaise. Jusqu’au sommet de l’OTAN à Madrid 2022, on a considéré qu’il était suffisant de positionner quelques troupes à l’Est (comme nous en avons dans les pays baltes aujourd’hui). Nous avons changé de paradigme depuis Madrid, alors que Biden était encore à la Maison-Blanche : il s’agit d’être capable si la situation se présentait de repousser l’armée russe à la frontière. Cela veut dire qu’il faut des pays forts à la frontière, comme la Pologne. Ça veut dire aussi que les pays d’Europe de l’ouest, comme la France, doivent être présents à la frontière car nous n’aurons pas d’alliés sans leur offrir des garanties de solidarité. Car il est évident qu’après la manipulation des services russes en Afrique contre les intérêts français, tout repli de notre pays face aux ingérences du Kremlin sera considéré comme un encouragement.

C’est la raison pour laquelle la France a renforcé sa présence en Roumanie, mais nous sommes loin d’avoir atteint les capacités nécessaires. 1.000 ou 1.500 soldats européens dont des Français en Roumanie sont une force dérisoire par rapport au nombre de soldats mobilisés aujourd’hui par la Russie sur le front ukrainien. En cas d’attaque réelle d’un État de l’Union Européenne, le plan de l’OTAN était d’arriver à 100.000 soldats collectivement en quelques jours en cas d’attaque. Aujourd’hui, malgré le désengagement annoncé des États-Unis (donc l’inconsistance de l’OTAN), l’effort à fournir est le même. Or plus on a de soldats sur place, plus on est capable de réagir vite et de rassurer des pays à la frontière qui n’ont pas envie d’avoir une occupation longue et des massacres comme à Boutcha. Cela fait partie de la confiance entre alliés de dire qu’on est capable de vous défendre à la frontière, pas des années après.

Plus que la Pologne ce sont plutôt les pays baltes, qui sont les premiers menacés, car, fort heureusement, la Russie n’a pas les moyens, d’agresser un autre pays à la profondeur géographique de la Pologne ; si elle devait choisir d’entrer quelque part, ce serait plutôt dans un pays balte. C’est pourquoi plusieurs dizaines de milliers de soldats européens et canadiens de l’OTAN (et jusqu’à 100.000 pour un plan de déploiement) y sont stationnés, à comparer aux 1.500 postés en Roumanie. La faible profondeur stratégique de l’Estonie, par exemple, donne une raison de plus pour être solide à la frontière, parce qu’on ne peut pas mettre en oeuvre une défense élastique, où on recule un petit peu pour pouvoir contre-attaquer ensuite. Cela renforce l’importance de la crédibilité entre alliés. D’autres encore sont fragiles et on peut penser à la Moldavie, pour laquelle la guerre en Ukraine est une réalité proche avec les troupes russes positionnées dans la pseudo-république de Transnistrie (figée dans un temps parallèle brejnevien).

Soldats européens en manœuvre dans les pays baltes dans le cadre de l’OTAN

Donald Tusk avait expliqué récemment que, dans le fond, les premiers partenaires de la Pologne étaient avant toute chose les États baltes et nordiques, traumatisés eux-aussi comme la Pologne par les conséquences immédiates du pacte germano-soviétique. C’est aussi important de le rappeler, Poutine ayant fait de la réécriture de l’histoire une arme de destruction massive, niant l’existence du protocole secret entre Ribbentrop et Molotov qui n’auraient signé qu’un accord de non-agression, l’invasion de la Pologne étant de sa seule responsabilité (c’est ce qu’il a expliqué dans l’entretien qu’il avait accordé en 2023 à Tucker Carlson). Voilà qui est encore incandescent dans l’état d’esprit des peuples baltes et polonais dont il ne s’agirait pas de sous-estimer la force du patriotisme. Or c’est bien dans les pays baltes qu’a commencé la dislocation de l’empire soviétique avec des manifestations qui y exigeaient la publication du protocole secret Ribbentrop-Molotov, nié par le pouvoir soviétique.

La responsabilité de la France

Pendant 45 ans, les menaces ont été – malgré des points chauds – relativement figées par l’équilibre nucléaire, menaces réciproques heureusement jamais mises à exécution. Cela donne aux pays qui ont une force nucléaire une responsabilité particulière, parce qu’ils sont mieux protégés, comme disposant une capacité de dissuasion : Poutine peut toujours menacer la France de l’arme atomique, il sait que sa menace si elle était mise à exécution l’exposerait rien qu’avec l’arsenal français à des dégâts peu imaginables quand bien même notre pays subirait une catastrophe complète.

La France a une position intermédiaire dans ce débat. Elle a une doctrine, qui est que son arme nucléaire vise à « protéger les intérêts vitaux de la Nation », dans une logique essentiellement nationale, mais la France ajoute à cela une sorte de note de bas de page : les intérêts vitaux de la Nation ont une dimension européenne. Cette position a été rappelée l’année dernière en Suède par le président de la République, débat ouvert devant des Suédois qui, il n’y a pas si longtemps encore, revendiquaient une neutralité relative2, mais qui demandaient à la France si ce type de dissuasion pouvait participer de la sécurité européenne.

Dans le même temps, d’autres États membres de l’Union Européenne ne sont pas forcément à l’aise sur l’ouverture de ce dialogue et n’ont pas envie de dire publiquement que la protection américaine ne nous suffit plus, craignant que cela donne l’impression à la Russie que le dispositif de défense est rompu. Il y a donc un débat à relancer, un vocabulaire commun à construire. Avec l’élection de Trump et le désengagement américain de l’OTAN, trouver la formule qui permette de dire que la défense des intérêts vitaux nationaux de la France se jouent aussi en Europe – non pas pour soumettre l’usage de la dissuasion nucléaire française (pas plus que la Britannique) à un aréopage bavard (cela doit rester notre prérogative) – serait bienvenue vis-à-vis de la Russie et surtout pour la confiance avec nos alliés européens.

À ceux qui prétendraient que l’usage de l’arme atomique par la France ne sauraient s’entendre que dans la protection stricto sensu du territoire national, rappelons que les deux fois où la bombe américaine a été utilisée ce fut à des milliers de kilomètres des USA et que les fois où il fût envisagé de le faire avec des alertes maximum, il s’agissait de Berlin et de Cuba. À tout prendre, on peut entendre le fait que la construction du Mur de Berlin met un terme à une crise de trois ans avec une tension nucléaire intense et réelle : c’était sans doute moins grave que la bombe. A contrario, le fait que l’Ukraine ait décidé de se débarrasser de ses armes nucléaires doit aujourd’hui être observé avec des regrets ironiques, c’est en tout cas une partie du débat a posteriori en Ukraine : « donnez-nous des garanties de sécurité, parce que, sinon, on va regretter de s’être débarrassé de cette garantie de sécurité importante qui était le fait d’avoir une arme nucléaire » ou « on va se demander s’il ne faudrait pas, à l’avenir, nous doter à nouveau d’armes nucléaires ». C’est réversible assez facilement. Facilement, pas forcément d’un point de vue politique, mais d’un point de vue technique, les Ukrainiens comme beaucoup d’autres en ont la capacité.

La plupart des États autour de nous, que ce soit la Russie, les États-Unis, le Royaume-Uni, parlent tous d’une protection pas simplement de leur territoire national, mais aussi de leurs alliés. Par-dessus tout, il faut aussi concevoir que les impérialismes renaissant, qui lancent des guerres d’agression (ou menacent de le faire), le font toujours parce qu’ils calculent que les risques sont minimes : donc créer une forme d’ambiguïté stratégique, d’insécurité face à des pouvoirs bellicistes est nécessaire ! Le message doit être : il n’y a rien à gagner à s’attaquer à l’Europe !

Ce renforcement de la sécurité européenne passe bien entendu par une discussion réelle entre la Pologne, la France et l’Allemagne, également avec les Britanniques, et en associant sérieusement des partenaires militaires relativement solides (Italie, Espagne, Suède …) : nous devons viser une reconstitution du « triangle de Weimar »3, avec un rapport à égalité entre la Pologne et l’Europe occidentale, et non un couple franco-allemand mythifié (on a payé pour savoir) s’imposant aux autres. Aujourd’hui d’ailleurs c’est un moteur franco-polonais qui peut faire bouger l’Allemagne, souvent plus réticente, plus paralysée par ses doutes ; Français et Polonais peuvent dans ce triangle composer une valse à deux, à deux face à un.

Dans ce cadre, il faudra poser les fondements de ce qui peut être une nouvelle alliance, qui ne soit pas une armée européenne (incapable de respecter la question de la souveraineté), mais qui permettent une véritable coordination militaire. La question de l’industrie et de sa coordination doit également être posée, tout comme celle du marché de l’armement en veillant à ce que nous cessions collectivement de saper notre indépendance, donc en arrêtant de s’en remettre systématiquement au matériel américain.

Nous avons un devoir

Ces débats à gauche dans des moments tragiques nous les avons déjà eus. Par fascination pour la force, par naïveté pacifiste malgré l’agression ou par lâcheté, certains ont préféré s’incliner devant les brutes, c’était le cas de Paul Faure – secrétaire général de la SFIO de 1921 à 1940 – qui portait comme une croix le refus absolu de la guerre, même de défense, après les fautes de 1914. À cause de ces illusions, il choisit Pétain et la collaboration.

Face à lui et à la majorité des socialistes, Blum décida pourtant comme président du conseil un grand plan de réarmement dès 1936. Cet effort indispensable avait été mené sans l’opposer à la mise en œuvre d’un programme inédit de progrès social et économique rendu possible par la mobilisation des ouvriers lors des grèves de mai-juin 1936. Les efforts consentis par la Nation pour sa défense ne pouvaient réussir sans soutien populaire (et n’oublions pas que le détricotage dès 1938 des acquis du Front Populaire a prodigieusement sapé ce soutien) : tous ceux qui aujourd’hui prétendent que le réarmement nécessaire de la France et des démocraties européennes ne pourra se faire qu’à la condition de faire le deuil de notre modèle social nous conduisent donc à un dramatique échec, s’ils devaient prévaloir, tout comme ceux qui expliquent en miroir qu’il faut refuser l’effort de défense pour renforcer notre modèle social. Au contraire, nous devons affirmer que l’effort de réarmement et de réorganisation militaire fonctionnera, sera soutenu parce que les Français verront leur modèle social être conforté, et vus les dégâts encaissés depuis 30 ans être réparé, parce qu’ils soutiendront un système qui permettra de défendre la Liberté et la démocratie républicaine ET l’Égalité et la République sociale.

Blum dénonça en 1938 le « lâche soulagement » qui n’avait rien résolu à Munich. Avec lui, Léo Lagrange plaidait pour la lucidité antifasciste : les Radicaux et une partie de ses camarades socialistes refusèrent qu’il fût nommé ministre de la défense nationale (on récolta pour notre malheur Daladier) car jugé belliciste. Après avoir laissé son nom à l’émancipation de la jeunesse et des prolétaires, par le sports et les loisirs, il mourut à 39 ans sur le front le 9 juin 1940 juste avant que la défaite ne pose en des termes différents la question de la survie de la Nation.

Soyons des Léon Blum et des Léo Lagrange qui réussissent…

Frédéric FARAVEL

  1. Kaja Kallas, première ministre de l’Estonie de 2021 à 2024. Présidente du parti de la réforme, affilié à Renew Europe. Elle a été nommée Haute représentante de l’UE et vice-présidente la Commission européenne le 1ᵉʳ décembre 2024. ↩︎
  2. Sans être membre de l’OTAN et tout en revendiquant sa neutralité, la Suède a rejoint le Partenariat pour la Paix en 1994 (un an avant de rejoindre l’UE) et elle a officiellement reconnu ses engagements de solidarité stratégique à l’égard des autres États membres de l’Union Européenne en 2009. Elle est également liée depuis longtemps par des accords sur le renseignements avec les services occidentaux. ↩︎
  3. Le Triangle de Weimar définit la coopération trilatérale entre la France, l’Allemagne et la Pologne. Il est, pour reprendre la formule de l’historien Bronisław Geremek « un instrument politique intelligent ». Concrètement, c’est un forum de rencontre, de dialogue et d’échange informel entre ces trois pays, et non un accord formel de coopération. ↩︎

Emmanuel Macron : la drôle de dramatisation

Dans son allocution du 5 mars 2025, le Président de la République a appelé les Français à faire face à la « menace russe ». « Les temps de l’insouciance sont terminés » et « la patrie a besoin de vous », a-t-il affirmé. 

Sans contester la gravité du moment, céder aux facilités de la surenchère guerrière serait contre-productif. Les Français soutiennent majoritairement le combat des Ukrainiens, mais ne s’en estiment pas proches au point d’approuver une escalade militaire. La vérité est que nous ne sommes pas en guerre et l’évocation permanente de l’Histoire (« faut-il mourir pour Dantzig ? ») n’y changera rien.

Le message que nos compatriotes sont prêts à entendre, c’est qu’il faut dimensionner correctement notre armée. Ils comprennent qu’un budget militaire à moins de 2% du PIB relève de l’exception historique. Sous les septennats de François Mitterrand, la France consacrait plus de 3% de son PIB à la défense, et sous de Gaulle, près de 5%. Face à une Russie plus agressive que jamais, en « économie de guerre » depuis trois ans et qui augmente ses capacités, mais aussi face aux menaces diverses dans un monde chaotique et violent, il est logique de poser la question des moyens alloués à notre défense.

Il ne serait ni prudent ni responsable de faire comme si le Kremlin allait s’arrêter à 20% du territoire ukrainien, puis redevenir subitement pacifique à la faveur d’un simple cessez-le-feu. En Russie, le bourrage de crâne contre « l’Occident collectif » fonctionne à plein régime et entretient la paranoïa de la base au sommet. Le révisionnisme historique n’y est pas non plus en reste, qui conteste aux anciennes républiques soviétiques leur droit à l’autodétermination et l’indépendance. La peur des Baltes, des Polonais et même des Finlandais, sujets du Tsar jusqu’en 1917, n’est pas imaginaire. Ils ont tous payé pour voir l’impérialisme russe à l’œuvre.

On ne compte plus les opérations russes de « guerre hybride » sur le territoire européen. Tentatives de déstabilisation politique, meurtres, attaques cyber, propagande téléguidée depuis Moscou sur les réseaux sociaux… tout y passe. Les services de renseignements européens alertent de longue date sur ce déploiement de grands moyens. Ils n’inventent rien et nous devons nous fier à leur expertise, mais en gardant la tête froide. Les services et officines russes seraient ravis que nous cédions à la panique ; ils en profiteraient même pour jeter encore plus d’huile sur le feu.

Ce qui a radicalement changé en revanche, c’est le revirement américain. Depuis le retour au pouvoir de Donald Trump, les Etats-Unis adoptent une position « pacifiste pro-russe » qui reprend quasi intégralement le narratif du Kremlin, osant même accuser l’Ukraine d’avoir déclenché la guerre ! Le discours de Trump révèle une trahison assumée de ses alliés européens, qui sert plusieurs buts : affaiblir nos économies, rafler le Groenland et détacher la Russie de la Chine. Pour nous Européens, ce changement radical comporte un vrai risque, auquel nous sommes bien obligés de faire face.

Et pour nous Français, ce n’est pas faute d’avoir prévenu ! Tous ceux qui méprisaient nos propositions pour un approfondissement de la coordination européenne en matière de défense en sont pour leurs frais. L’Otan est vraiment « en état de mort cérébrale », nous sommes vraiment seuls, et il faut vraiment mettre en place des mécanismes pour rattraper notre retard. Il est assez piquant de voir les plus fervents atlantistes historiques se rallier en convertis fervents à « l’Europe de la défense ». 

Mais les affichages budgétaires ne suffiront pas. Pour être efficients, ils devront s’inscrire dans une politique de croissance et de relance, qui seule est en mesure de conforter l’autonomie stratégique européenne. Cela implique d’investir en commun et surtout d’acheter européen en commun. Cela implique aussi d’en finir avec l’austérité gravée dans le marbre des traités budgétaires.

La validation de la (vieille) proposition française de sortir les dépenses militaires du calcul des déficits n’est qu’un premier pas. La conjoncture comateuse de l’Union européenne exige que la politique macroéconomique dans son ensemble, budgétaire et monétaire, soit entièrement revue.

Macron a donc tort d’envisager la montée en puissance de notre effort militaire d’une manière étroitement libérale, où sa politique de l’offre devrait impérativement être préservée. Au nom de quel principe fondamental, ou d’efficacité, devrait-on exonérer les plus riches et les multinationales de cet effort collectif ? Ce n’est pas aux Français des classes populaires et moyennes, et encore moins aux plus vulnérables, de payer intégralement le prix de notre sécurité ! Aucune nécessité n’impose de compenser 30 milliards annuels de plus pour l’armée par 30 milliards annuels en moins pour la protection sociale. Il n’est pas de notre intérêt de procéder à de tels arbitrages, qu’il s’agisse du social ou de tous autres investissements publics utiles à la collectivité.

Quoiqu’il en soit, le Président de la République n’a pas la prérogative pour en décider seul, ni la majorité parlementaire pour trancher sans débat préalable ! 

Le Parlement vote le budget, les impôts, et il se prononce sur les grands choix économiques et sociaux. Il serait temps qu’Emmanuel Macron comprenne que tout le pouvoir n’est pas concentré à l’Elysée.

Il serait temps aussi qu’il comprenne que nous n’avons nul besoin de nous précipiter vers des solutions toutes faites de type « armée européenne », et autres détricotages des souverainetés nationales sur les questions régaliennes. Fidèles à eux-mêmes, les Français ne refusent pas d’approfondir la coopération européenne, y compris en matière de défense. Mais ils ne sont pas prêts à toutes les fuites en avant ; et exigent qu’en tout état de cause, la parole leur soit donnée sur tout choix structurant pour l’avenir de la nation.

pour la Gauche Républicaine et Socialiste
Emmanuel Maurel, député et animateur national

Comprendre le jeu de la Russie en 2025 – entretien de David Gaüzère dans France-Arménie

Comment évolue la stratégie de Moscou après ses revers en Artsakh et en Syrie ? Jusqu’où pourra aller la coopération compétitive avec la Turquie ? Le chercheur et spécialiste de l’Asie centrale David Gaüzère (Président du Centre d’observation des sociétés d’Asie centrale (COSAC) et chercheur-associé au Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R)1. Il est également militant à la Gauche Républicaine et Socialiste) a accepté de partager ses analyses pour France Arménie. Nous diffusons aujourd’hui l’entretien accordé pour l’édition de mars 2025 par notre camarade avec son accord.

France Arménie : Avec le revers de la Russie en Syrie et ses percées sur le front ukrainien, comment évaluez-vous les priorités de la politique étrangère de la Russie en 2025 ?

David Gaüzère : La priorité de Moscou sera d’après moi un recentrage sur l’Afrique, car ce continent voit la présence russe se renforcer, contrairement au reste du monde où soit l’influence de la Russie est contestée (Ukraine, Caucase, Syrie), soit est bien présente, mais limitée à un soft power discret (Amérique du Sud). En Afrique, des instructeurs militaires et paramilitaires russes sont directement impliqués en Libye, auprès du maréchal Khalifa Haftar, ou, plus au Sud, en soutien aux trois régimes sahéliens putschistes (Mali, Burkina Faso et Niger) ou encore en République centrafricaine.

Les tensions augmentant avec la France à deux niveaux (contentieux franco-algérien et franco-russe), il est fort possible que d’ici peu de temps Alger fasse appel à Moscou pour installer une base navale et/ou aérienne en bordure de la mer Méditerranée en Algérie. Toujours est-il que la Marine russe, naguère stationnée à Tartous en Syrie, peut facilement trouver en Méditerranée d’autres ports d’attache, en premier lieu en Libye, sinon – en accord avec ces États alliés – en Égypte ou en Algérie. Ces ports « prêtés » rapprocheraient du reste la Marine russe des côtes de l’Union européenne (UE), notamment dans le cas algérien.

Cette priorité n’est-elle pas dictée par une question de sécurité nationale ? A savoir éliminer les ressortissants russes partis faire le djihad en Syrie sous la bannière des différentes factions rebelles ?

La Russie a subi ces dernières années deux revers majeurs en peu de temps dans deux régions proches l’une de l’autre, à savoir en Artsakh (2020 et 2023) et en Syrie (2024). Moscou est en mauvaise posture dans ces deux endroits, du fait de sa perte d’influence face à la montée en puissance de la Turquie.

Aujourd’hui, les relations entre Moscou et Ankara souffrent d’un véritable manque de lisibilité, qui nuit en principal lieu à Moscou. Officiellement, les deux hommes forts que sont Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdoğan se toisent, s’impressionnent et se craignent dans une relation virile et équilibrée de joueurs d’échecs. Mais, le Turc, fin stratège, a toujours le dernier mot : soutien d’Ankara au gouvernement libyen de Fayez el-Sarraj face au maréchal Haftar l’homme de Moscou, protection des éléments djihadistes, notamment russophones, par Ankara dans le nord de la Syrie, appui discret d’Ankara aux Tatars de Crimée pour leur autonomie et leur renaissance culturelle contrecarrant à moyen terme l’action de Moscou dans la province annexée ; inaction totale de la Russie face à l’annexion azerbaïdjanaise de l’Artsakh chapeautée par Ankara et aux agressions quotidiennes de l’Azerbaïdjan dans le Siounik arménien et montée de l’Organisation des États turcophones avec une coopération interne très dynamique en matière de défense face à une CEI stagnante, sans encore évoquer l’ancrage turc également en Afrique. Partout, la Russie est contrariée par son soi-disant allié turc du moment. Aussi, cette alliance de façade sera condamnée à échouer d’ici peu de temps, sans doute une fois le conflit ukrainien gelé.

Que sait-on du nombre et de la situation des combattants rebelles de nationalité russe et de pays d’Asie centrale en Syrie ?

Ils seraient évalués autour de 700-800 hommes. Ils appartiennent essentiellement à al-Tawhid wal-Djihad, plus communément qualifié de Djannat Ochiklary. Cette katiba (unité djihadiste), toujours fidèle à al-Qaïda – même du temps de la puissance de l’Organisation État islamique (OEI) – était dirigée par Abou Saloh, un Ouzbek ressortissant du Kirghizstan provenant de la ville d’Och (sud du Kirghizstan), et comprenait quelques centaines de combattants issus de cette région multiethnique qu’est la vallée du Ferghana. En Syrie, cette katiba, qui a un temps tenu Alep jusqu’en 2016, s’est ensuite repliée dans le réduit d’Idlib, jusqu’à l’offensive éclair de décembre 2024, dont elle était l’un des principaux fers de lance. Parmi ses dirigeants, un certain nombre avaient combattu dans l’OEI au sein de la garde prétorienne d’al-Baghdadi dirigée par le colonel tadjik Goulmourod Khalimov. À la mort de ce dernier et à la chute de l’OEI, ces combattants d’élite étaient alors repartis en Afghanistan. Cependant, du fait de leur longue absence entre 2014 et 2019, les hiérarchies avaient été reconstituées dans la djihadosphère afghane, y compris russophone, et ces hommes n’avaient pas, pour la plupart, pu retrouver leur place ; ce qui les avait donc forcés à retourner en Syrie et reprendre la lutte djihadiste sur ce terrain, en plaçant leur tactique militaire héritée de l’ex-Armée rouge soviétique au service d’al-Qaïda, puis de Hayat Tahrir al-Cham (HTC). Parmi ces combattants revenus en Syrie, figure Saïfiddin Tadjibaev, devenu après l’installation du nouveau pouvoir à Damas, le chef d’état-major de la nouvelle armée syrienne, en signe de reconnaissance par HTC pour ses actes passés.

Héritière de la diplomatie soviétique, la diplomatie russe jouit d’une remarquable expertise sur les affaires du monde arabe, pensez-vous que Moscou avait anticipé le succès des rebelles islamistes syriens ?

Non, Moscou pensait que, comme à Alep en 2016, le régime pourrait de nouveau maintenir son emprise sur de larges pans de la Syrie, notamment Damas et le réduit alaouite de Lattaquié (une plaine étroite facilement défendable entre la Méditerranée et les monts Anti-Liban) et n’a pas du tout anticipé un effondrement aussi rapide. Moscou avait cependant plusieurs fois par le passé appelé le régime baasiste syrien à faire des « réformes », mais n’a pu l’y convaincre. Par lassitude d’une part et du fait du dégarnissement d’autres zones du monde où l’armée russe était présente pour renforcer ses troupes en Ukraine, Moscou a laissé tomber le régime d’Assad. Cet abandon aura malheureusement des conséquences dans le Caucase avec le retour du djihadisme dans les républiques musulmanes de la Fédération de Russie et en Asie centrale post-soviétique. Tadjibaev, qui a de nombreux soutiens au Tadjikistan, est par exemple qualifié par ses pairs de « président », car dans sa tête il a déjà détrôné Emomali Rakhmon, le chef d’État tadjik actuel, et gouverne à sa place un État devenu islamiste.

Que pouvez-vous nous dire au sujet de la coopération russo-turque en Syrie ? Est-ce cela qui explique l’absence de confrontation directe entre les soldats russes présents en Syrie et les rebelles de HTC ?

La coopération russo-turque est en Syrie, comme auparavant en Artsakh, une coopération en chiens de faïence. Mais, il est clair que, du moins pour l’instant, c’est la Turquie qui sort gagnante de ce bras de fer. La Russie a besoin de soldats en Ukraine et doit pour ce faire dégarnir les autres fronts (Tadjikistan, Arménie, Syrie…). Mis en place en 2020, le centre de coopération technique russo-turc d’Aghdam n’a pas fonctionné depuis et la prise par l’Azerbaïdjan, aidé de la Turquie, du dernier réduit encore « libre » de l’Artsakh trois ans plus tard a mis fin à la vocation de ce centre, comme à celle de la Russie en tant que puissance d’interposition. La suite de la partie s’est jouée en Syrie, où la chute du régime Assad, soutenu par Moscou, et la panique au même moment des soldats russes sur les bases de Hmeimim et de Tartous ont sonné le glas de leur présence sur place, au même moment où les forces turques ont profité du chaos syrien ambiant pour reprendre des villes comme Manbij aux Kurdes d’YPG et envoyer leurs agents d’influence dans le sillage du ministre des Affaires étrangères (et ancien chef du MIT) Hakan Fidan auprès du nouveau régime à Damas. Moscou n’a, en revanche, à l’heure actuelle, toujours pas envoyé de signes positifs ou négatifs en direction du nouveau pouvoir de HTC à Damas.

Pensez-vous réaliste que la Russie rapatrie ses facilités militaires navales en Libye où dans les zones contrôlées par le maréchal Haftar se trouve le port en eaux profondes de Tobrouk ?

Oui, car c’est la dernière zone que Moscou tient encore en Méditerranée et, dans cette partie du monde, la Russie peut encore compter sur ses alliés égyptien et algérien.

Est-ce que ce repli russe dans le Moyen Orient aura pour conséquence une concentration de l’effort militaire et diplomatique russe dans le Caucase du Sud et en Asie centrale ? Pourquoi ?

Il est difficile ici de répondre pour le moment, tant les signes contradictoires sont forts, ne serait-ce par exemple que dans le Caucase du Sud : en Géorgie, la « victoire » du parti pro-russe, Rêve géorgien, dans les élections législatives trafiquées du 26 octobre 2024 et le départ de la présidente pro-UE Salomé Zourabichvili sont un point marqué par Moscou, mais qui d’un autre côté ne peut enrayer les ambitions azerbaïdjanaises soutenues par Ankara, dont le rêve est d’isoler – sinon occuper – l’Arménie en reliant la Turquie au vaste espace turcophone centrasiatique dans un projet néo-impérial panturquiste. L’Arménie est, comme la Moldavie, tiraillée entre de fortes velléités pro-UE et le besoin d’être défendue par la Russie. À Erevan, le pouvoir pro-occidental de Nikol Pachinian est contesté par une
forte opposition pro-russe conduite par d’anciens hauts-gradés nostalgiques (Onik Gasparian) et appuyée par une grande part d’Artsakhiotes pour qui la perte de l’Artsakh, qui aurait pu être évitée, est la conséquence de la relation inamicale entre Poutine et Pachinian.

Chisinau, la présidente pro-UE Maia Sandu se trouve face à ses minorités gagaouze (turque orthodoxe) et transnistrienne (russe) au positionnement pro-Poutine.

En Asie centrale, le changement générationnel commence à se voir sur la relation entretenue avec la Russie, avec la montée de critiques internes au soutien de l’action de la Russie en Ukraine (le Kazakhstan et l’Ouzbékistan ne reconnaissent pas par exemple les républiques sécessionnistes pro-russes d’Ukraine et les récentes annexions territoriales de Moscou dans ce pays).

Comment peuvent évoluer les relations russo-azerbaïdjanaises après le crash de l’avion d’Azerbaijan Airlines au-dessus de Grozny à Noël dernier ?

Dans l’immédiat, elles n’évolueront pas, car la Russie et l’Azerbaïdjan restent encore tous deux membres de la CEI et des intérêts économiques communs liés aux exportations de pétrole et de gaz naturel de la mer Caspienne lient encore ces deux États. Cependant, il est fort probable qu’à moyen terme la fin prochainement annoncée de l’alliance entre la Russie et la Turquie rebattra de nouveau les cartes dans le Sud-Caucase et ailleurs.

Par ailleurs, si Poutine conserve encore une « vision eurasiste » de son pouvoir, qui ne dit pas que son successeur n’aura pas une vision pan-slaviste mettant plutôt en avant les valeurs de la Russie éternelle ? Si cette éventualité se produisait, peut-être alors que la question de l’Artsakh pourrait revenir sur le devant de la scène régionale, notamment si une nouvelle majorité politique pro-russe venait au même moment à s’emparer du pouvoir par les urnes à Erevan. Enfin, il ne faut pas perdre de vue l’évolution du régime politique en Iran. Si ses jours sont comptés, sa chute pourrait soit, si elle est bien orchestrée, entraîner une évolution politique maîtrisée sans changements territoriaux. En revanche, si elle devait mener au chaos, un risque de désintégration de l’Iran multi-ethnique ne serait alors pas à exclure et, auquel cas, les Azéris iraniens – plus nombreux qu’en Azerbaïdjan – pourraient alors s’unir dans les frontières d’un « Grand Azerbaïdjan » panturquiste.

À cela s’ajoute encore la question kurde. Il en résulterait des conséquences régionales incalculables et gravissimes dans le grand jeu des puissances riveraines qui se déroule du Caucase à l’Asie centrale, dans son acception géographique la plus large.


  1. David Gaüzère est également co-auteur avec Yoann No-miné de l’ouvrage Le Chaudron vert de l’islam centrasiatique : vers un retour des ethnies combattantes en Asie centrale postsoviétique (L’Harmatan, 2020) et de nombreux chapitres d’ouvrages et articles portant sur l’observation des formes de radicalisation religieuse en Asie centrale et de leur incidence sur la situation sécuritaire de la région. Il a notamment publié un chapitre dans l’ouvrage Haut-Karabakh : le livre noir, intitulé « Haut-Karabakh : l’Etat profond turc contrarié par l’axe sino-russe » (Ellipses, 2022). ↩︎

Que faire quand Trump « inonde la zone » ?

Depuis sa prise de fonction officielle comme 47e président des États-Unis d’Amérique, Donald Trump multiplie les prises de parole provocatrices qui varient du clownesque au répugnant en passant par l’agressif. De l’annexion du Canada et du Groënland à l’explosion des droits de douane, de la remise en cause illégale du droit du sol aux USA aux attaques outrancières contre la Cour Pénale Internationale, de l’abolition de l’impôt sur le revenu à la déportation des Palestiniens pour faire de Gaza une nouvelle Riviera sous occupation américaine…

Il est inutile de répondre ou de chercher à répondre à chacune de ses provocations. Sans mésestimer sa volonté et sa capacité à vouloir mettre en œuvre concrètement certaines d’entre elles, Donald Trump sait parfaitement jouer de la Société du Spectacle dont il est un éminent produit et représentant.

Cette stratégie a été ouvertement assumée pour ce qu’elle est par Steve Bannon, ce « théoricien » de l’AltRight qui reste un de ses proches : il s’agit d' »inonder la zone », une stratégie de la submersion médiatique avec deux objectifs :

  • provoquer indignation et sidération pour incapaciter l’adversaire (enfin l’ennemi) ;
  • donner tellement d’os à ronger à la presse, considérée comme un adversaire politique, qu’elle ne sait plus trop lequel saisir pour tourner en boucle dessus…

Pendant ce temps, Trump, Musk et leurs amis avancent tranquillement dans la mise en œuvre de leur agenda impérialiste, oligarchique et capitaliste autoritaire.

Il ne sert donc à rien de réagir ou sur-réagir : la seule chose à faire est de nous-mêmes fixer une ligne directrice, des principes à rappeler (calmement, fermement et froidement) et un agenda à dérouler. C’est bien là une priorité que devrait se fixer la France – et ses alliés européens – plutôt que de donner le spectacle aujourd’hui de canards sans tête ou de lapins hypnotisés par les phares d’un SUV.

Nos priorités stratégiques et géopolitiques, notre politique commerciale, nos stratégies de défense et nos alliances sont à redéfinir face à l’émergence ou au renouvellement des impérialismes américain, chinois, russe ou turc.

Frédéric Faravel

Soutien à l’Ukraine : le gâchis d’Emmanuel Macron

Après avoir réussi à stopper l’invasion russe et à regagner du terrain en fin d’année 2022, l’Ukraine se trouve aujourd’hui dans une situation beaucoup plus difficile. Sa contre-offensive de 2023 a échoué et l’armée de Poutine, sans réaliser de gains territoriaux importants, parvient néanmoins à remporter des victoires et à dégrader les capacités de résistance de l’armée ukrainienne.
 
C’est dans ce contexte qu’Emmanuel Macron a subitement décidé que « l’envoi de troupes françaises n’était pas exclu », provoquant la stupéfaction de tous nos alliés. Dans les minutes qui ont suivi sa déclaration du 27 février, l’Italie, l’Allemagne, le Royaume-Uni, la Pologne, les États-Unis et l’OTAN ont désavoué cette déclaration à l’emporte-pièces.
 
Depuis lors, les macronistes instrumentalisent la guerre en Ukraine à des fins politiciennes, en voulant faire croire aux Français que si l’on n’est pas d’accord avec le Président de la République, c’est qu’on est au mieux un « pacifiste bêlant », au pire un « poutinophile ». Bien des observateurs soupçonnent que cette posture va-t-en-guerre ne sert en réalité que des buts électoraux.
 
Pour parvenir à une paix juste, l’Ukraine a besoin de notre aide, mais pas au point de déclencher une escalade militaire entre puissances nucléaires. Emmanuel Macron n’a pas rendu service à la cause ukrainienne en s’engageant dans cette voie intenable, massivement rejetée par les Français. Et son fiasco diplomatique n’a pas non plus rendu service à la France.
 
Face au rouleau compresseur russe, les soutiens de l’Ukraine doivent faire preuve de responsabilité. En « assumant » ses déclarations insensées, Emmanuel Macron ne fait que donner du grain à moudre à ceux qui veulent laisser tomber l’Ukraine. Le chef de l’État devrait aussi apprendre l’humilité : quand on n’a transféré que 3,8 milliards d’armements à l’Ukraine pendant que l’Allemagne en transférait 25 milliards, on est très mal placé pour donner des leçons.
 
Aujourd’hui, le Parlement a débattu de l’accord de sécurité franco-ukrainien signé le 16 février dernier, qui prévoit des livraisons d’armes, ainsi qu’une coopération plus étroite dans le domaine militaire et du renseignement, mais aussi le soutien de la France à l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne et à l’OTAN ! Le premier volet de cet accord est positif. Le second volet n’est pas acceptable.

La liste de la « gauche unie » sait où elle va – Emmanuel Maurel, dimanche 10 mars 2024 – France Info

Emmanuel Maurel, député européen GRS, et troisième sur la liste de la gauche unie pour le monde du travail, conduite par Léon Deffontaines, était l’invité de France Info dimanche 10 mars 2024 à 7h45. Il a mis les points sur les « i ».

Le lancement de campagne de la minorité présidentielle se fait sous le signe de la supercherie : les macronistes nous refont le coup de 2017 et 2022 : « NOUS ou le chaos ». Un chiffon rouge agité avant chaque élection. Pas besoin de programme, pas de comptes à rendre sur leur bilan désastreux.

Car les troubles causés par l’orientation néolibérale de la politique européenne – libre-échange, PAC, désindustrialisation – ils en sont les co-responsables même s’ils ne veulent pas l’assumer. La campagne des élections européennes de 2024 mérite mieux que ce storytelling éculé. Nous dénoncerons les tartuffes pour porter notre exigence d’alternative et de choix qui favorisent les intérêts de la France et des travailleurs de notre pays.

De même, Emmanuel Macron et ses soutiens après avoir été d’une grande ambigüité face à Poutine se mettent à divaguer sur la guerre en Ukraine : nous devons aider l’Ukraine, nous devons empêcher qu’elle perde face à la Russie qui l’a envahie… Mais nous ne sommes pas en guerre contre cette dernière. Et les déclarations belliqueuses du président la République ont considérablement isolé notre pays, même au sein des membres de l’OTAN : un comble !

Livraison de chars : jusqu’où entrer dans le conflit en Ukraine ?

Emmanuel Maurel, député européen et animateur national de la GRS, était l’invité samedi 4 février de France 24 et Public Sénat dans l’émission « Ici l’Europe » avec Roza Thun und Hohenstein, députée européenne (Renew, Pologne).
Après des semaines d’hésitations, plusieurs pays alliés de l’Ukraine, dont les États-Unis et la Grande-Bretagne, ont décidé d’acheminer des tanks, tant réclamés par Volodymyr Zelensky. Mais les pays européens ne sont pas en reste. L’Allemagne a ainsi annoncé l’envoi de 14 chars Leopard et la Pologne livrera 60 chars supplémentaires. Le Portugal et l’Espagne sont non seulement aussi disposés à fournir des blindés, mais également à participer à la formation des soldats ukrainiens pour leur utilisation. Les Pays-Bas, quant à eux, réfléchissent à l’envoi d’avions de chasse F16. La course à l’armement des Ukrainiens s’accélère, au risque d’une dangereuse escalade.

Allemagne : Renversement de paradigme ou la fin doctrinale du Merkellat

article publié initialement par Mathieu Pouydesseau

L’Allemagne a procédé à un renversement de ses doctrines géopolitiques en quelques semaines seulement.

Cependant, il faut bien se souvenir que dès décembre 2018, lorsque la CDU refuse que Angela Merkel reste présidente du parti et nomme celle qui devait être la succession, commence une période de révision des doctrines du Merkellat, ainsi que de celles héritées des deux gouvernements Schröder.

Angela Merkel ne devant plus être candidate, elle perd peu à peu de l’influence tout au long de l’année 2019. À ce moment là, l’Allemagne s’interroge, traumatisée par le mandat Trump, sur son atlantisme inconditionnel. On entend des paroles très critiques quant à l’OTAN comme partenaire peu fiable. À la conférence de sécurité de Munich, il y aura des voix pour plaider pour l’acquisition de capacité de dissuasion nucléaire propre, par exemple.

Cela peut avoir comme origine, après le Brexit, le refus de n’être dépendant que de la France pour cela en cas de replis complet des États-Unis en Europe, ou du doute sur la capacité française à étendre son doctrine de dissuasion à l’Union Européenne, et a effectivement délivré la frappe nucléaire en dernier ressort.
Le mandat Trump, qui décide de punir l’Allemagne de refuser de compenser ses excédents commerciaux en achetant des matériels militaires américains en retirant des troupes, s’achève par une tentative ratée de coup d’état, resté impuni, illustrant l’extrême faiblesse de son successeur, Joe Biden.

Au cours de la pandémie, le SPD a également entamé une réelle évolution, progressive, et accéléré après le score terrible de 2017. Dès 2015, des lois travail créent un salaire minimum et des dispositifs visant à mettre fin aux jobs à 1 euro, ainsi qu’à progressivement réduire le nombre de gens piégés par Harz4, le minimum social punitif des pauvres qui sert de modèle aux propositions Macron sur le RSA.
Mais le choc de la défaite de 2017, qui faillit aboutir au retour à l’opposition, oblige le SPD à prendre des mesures internes.

On assiste à deux renouvellements successifs des cadres, avec la mise sur la touche de Sigmar Gabriel puis l’échec de Andrea Nahles. Les militants choisissent deux inconnus portant depuis longtemps des positions très à gauche, dont un spécialiste de la lutte contre la fraude fiscale.
S’ils eurent des difficultés médiatiques – leur absence de notoriété leur interdisait de rêver prendre la chancellerie –, ils se concentrèrent sur le travail de fond dans le parti, ses structures, ses programmes.

Le programme proposé par le SPD en 2021 était le plus à gauche des 20 dernières années.

Olaf Scholz, dernier ministre des finances d’Angela Merkel, apprit sa leçon en perdant la compétition interne pour la présidence du SPD face à ces deux inconnus, qu’étaient Saska Esken et Norbert Walter-Bojans.
Lorsque la pandémie frappa le cœur de l’Europe, il annonça un plan keynésien de relance de la demande nommé « Bazooka ».
C’était déjà une profonde rupture avec la doctrine merkellienne de la règle d’or par dessus tout.
S’éloignant de la doctrine Merkello-Schröderienne de la punition des pauvres, le gouvernement allemand distribua des aides sociales sans conditions pendant la pandémie. La philosophie des réformes Harz est morte pendant le Covid.

De plus, l’Allemagne fut l’un des moteurs pour qu’un plan de relance européen soit conçu, acceptant des mécanismes de solidarité entre États européens. Là aussi, c’est l’un des points cardinaux de la doctrine européenne de Merkel, la concurrence entre Nations dans un espace monétaire et d’échange commun, qui s’effritait.

La chancelière ne joua aucun rôle politique en 2021. Elle subsistait sur la scène internationale, mais son influence s’effondrait avec la conscience que son mandat finissant était son dernier.
La défaite de son parti en septembre 2021 signifie la fin de 16 ans de gouvernement Merkel, de la CDU et de la CSU au niveau fédéral.

La nouvelle coalition, SPD, Verts et Libéraux, rompit avec certaines doctrines Merkel plus secondaires immédiatement : au ministère de l’intérieur, on nomma enfin le danger du terrorisme d’extrême droite, non plus dans des discours mais dans les moyens pour le combattre.
Agriculture et transport sont aussi deux sujets d’importance où la nouvelle coalition donne des impulsions différentes.

La guerre russo-ukrainienne a cependant accéléré ce processus de transformation des paradigmes.

Contrairement à une lecture superficielle, l’Allemagne ne refait pas une confiance aveugle à la doctrine de l’Atlantisme. Biden était le 23 février au soir très faible chez lui, l’hypothèse d’une victoire d’un représentant de la ligne Trumpiste dans 3 ans est possible. Or, si l’OTAN a été mis « en état de mort cérébrale » (comme l’avait dénoncé Emmanuel Macron) une fois, cela veut dire que l’allié principal, de plus en plus préoccupé par l’espace Pacifique et la Chine, n’est plus fiable.

De plus, le Merkellat restera dans l’histoire comme un gouvernement d’une extrême myopie par pur mercantilisme cupide. Merkel n’aura jamais mis en accord ses déclarations de principe et ses actes de gouvernement. Elle aura souvent condamnée l’absence de démocratie en Russie, prétendra « protéger » les opposants, tout en concluant des traités économiques ne cessant de renforcer la dépendance énergétique de l’Allemagne à la Russie, sabotant même les alternatives possibles.
On l’oublie, mais Merkel, tout en se prétendant soutien de l’Euromaidan en 2014, fut d’une grande lâcheté sur la Crimée, et choisit de renforcer le projet Nord Stream 2, dont le principal objectif et de contourner … l’Ukraine pour livrer le gaz russe.
Sa politique peut clairement être qualifiée de « mercantile » parce qu’elle tenait dans une formule fondée sur le commerce : « Wandeln durch handeln », changer grâce au négoce.

Süddeutsche Zeitung 18 mars 2022

Ce choix de l’abondance du gaz russe avait plusieurs conséquences et visait surtout à ne pas investir. Merkel, pendant 16 ans, refusa beaucoup des investissements nécessaires, ses partenaires de coalition ne lui arrachèrent des concessions, notamment sur le renouvelable, uniquement lorsque les industriels les soutenaient.

Depuis, c’est un ministre Vert qui parle de relancer le nucléaire civil pour compenser l’automne prochain une partie du gaz russe.
C’est le ministre Libéral des finances qui annonce un plan d’endettement considérable pour financer tout un ensemble d’investissements structurels, de la construction de ports avec terminaux pour du gaz liquide à la relance de l’équipement militaire de la Bundeswehr.

Car Merkel, en bonne déflationniste à la Daladier, avait aussi économisée, avec von der Leyen comme ministre de La Défense, tout ce qu’elle pouvait sur ce dossier, alors même que l’Allemagne assumait des missions militaires à l’étranger, trouvant cela plus économe que de financer, comme elle le faisait sous Helmut Kohl, les interventions des autres.
Le chef d’état major des armées dut reconnaître que si l’Ukraine tombait en quelques jours, la Défense allemande ne serait pas en mesure de contenir une menace en Pologne.
C’est donc une ministre SPD qui annonce 100 milliards d’euros pour la Défense.
C’est un ministre vert qui se rend au Qatar pour conclure des accords de livraison de gaz liquide.
Car le gouvernement allemand, contrairement à une lecture fainéante de certains cercles d’extrême gauche française, ne veut pas échanger une dépendance au gaz russe par une dépendance au gaz de schiste américain, surtout avec les Verts au gouvernement. Alors, le nouveau gouvernement fédéral cherche des alternatives.
Il est ainsi probable que le gaz iranien revienne sur le tapis international.

Merkel avait bien d’autres dossiers où régnaient la confusion et les contradictions permanentes, la chancelière louvoyant au jugé, le doigt mouillé en l’air. Si elle ouvrit ses frontières en septembre 2015 aux réfugiés syriens, après avoir refusé d’aider les pays européens qui recevaient ces réfugiés, et après avoir massacré la démocratie en Grèce, elle conclut un accord avec la Turquie d’Erdogan pour les refermer.

En refusant les transferts solidaires en Europe, elle a laissé se dégrader une situation humanitaire catastrophique. Elle a augmenté encore la dépendance au bloc russe, le président biélorusse utilisant l’ouverture de ses frontières comme arme de chantage contre l’Union Européenne.

Aujourd’hui, l’Allemagne accueille déjà plus de 300 000 Ukrainiens, la Pologne près de 1,8 millions. 3 des 3,4 millions de réfugiés ukrainiens hors d’Ukraine sont sur le territoire de l’Union Européenne. Il y a en Ukraine même 6,5 millions de déplacés.
Un quart des Ukrainiens ont fui la zone des combats. C’est un exode seulement comparable à celui qu’a connu la France en mai-juin 1940.

Pendant ce temps, alors que l’Allemagne se mobilise jusque dans la société civile pour venir en aide, comme en 2015, la présidence française de l’Union reste muette sur une politique migratoire et d’accueil.

Cela éclaire du coup une erreur de jugement des analystes français sur l’annonce d’un réarmement allemand. Celui-ci pointé vers l’Est, et une fois l’Ukraine neutralisée, sa façade maritime occupée, l’Allemagne redevient le glacis défensif pour la France qu’elle était entre 1945 et 1989.
Si la France n’a plus la volonté d’exercer sa dissuasion nucléaire (ce que laissait entendre les déclarations de Jacques Chirac lorsqu’il était président de la République), ni la capacité de l’exercer, Poutine ne semble pas avoir peur des lanceurs français tant il paraît persuadé de pouvoir intercepter les missiles. Dans ces conditions, la France doit aussi assurer sa défense conventionnelle.

L’Allemagne est donc passée en 3 ans dans un processus profond et radical de transformation de ses doctrines.

Il reste un dossier où des amorces existent, mais où une initiative se laisse attendre. C’est l’Union Européenne.
Or, la présidence de l’Union est exercée par … Emmanuel Macron, et celui-ci ne comprend rien au monde ouvert par la défaite de la droite allemande puis par l’invasion de l’Ukraine.
Il n’y a donc eu encore aucune initiative de solidarité financière ni de construction d’une Union de la Défense plus intégrée, qui rendrait à la fois autonome de l’OTAN tout en protégeant Finlande et Suède. Macron, qui pourtant ne fait pas campagne, procrastine, comme d’habitude, tout en posant dans les journaux en Cosplay.

L’absence de débats de fond en France sur ces sujets alors même que nous sommes en campagne électorale contraste fortement avec les transformations radicales en cours Outre Rhin.

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