Olaf Scholz, une Chancelière comme les autres ?

La politique allemande serait un sport où les ordolibéraux gagent à la fin…

Aujourd’hui, le Bundestag élu en septembre dernier votera la confiance au gouvernement de coalition proposé par le SPD, les Verts et les Libéraux.

Ces trois partis, réunis en ce qui est appelé « coalition Feu de circulation » (Ampel Koalition) en référence aux couleurs traditionnelles des partis (Rouge, Vert, Jaune), ont négocié deux mois un contrat de gouvernement de 177 pages. Ce contrat est publié, il a également une valeur légale autant que politique. Pendant les 4 années de la législature, en cas de conflit entre partis membres, on reviendra au texte du contrat pour arbitrer. La constitution allemande ne prévoit pas de patron de l’exécutif tout puissant: les ministres sont pleinement responsables de leurs ministères, et ne peuvent recevoir du chancelier que des directives générales, et non des ordres ou des consignes.

Il est impossible au chancelier de dire en conférence de presse « on va faire cela en matière de transport et je vais demander au ministre demain de proposer un texte en ce sens en conseil des ministres » – c’est constitutionnellement dépasser ses prérogatives. Le contrat conclu après l’élection est donc bien plus sacré que tous les programmes communs français conclus avant l’élection.

Après cela, chaque parti a décidé des personnes occupant les ministères.

Le processus a lieu avant l’investiture: pas de chancelier tout puissant, de porte parole devant la chancellerie émoustillé d’être une heure durent l’homme ou la femme le plus écouté du pays, de négociations houleuses et secrètes dans les couloirs de la chancellerie, de poste perdu sur un SMS pas répondu à temps. Le pouvoir est d’essence parlementaire – et sa répartition collective nécessaire.

C’est le parlement ensuite qui décide si l’attelage lui convient.

Ces attributs de la démocratie républicaine allemande contrastent fortement avec la monarchie républicaine – en réalité une démocratie en crise septicémique, infectée de bonapartisme – à la française.

Nous avons déjà analysé ici les tendances de long terme de la politique allemande en étudiant le phénomène sous le terme de Weimarisation. Depuis, le concept est de plus en plus utilisé notamment pour décrire l’évolution parlementaire hollandaise ou dans les pays nordiques.

Nous avons aussi donné notre analyse de ce scrutin là… Nous y disions : «  Il ne faudra pas faire du “molletisme allemand”. Car il faut noter une forme de schizophrénie politique du SPD : le programme a été en grande partie porté par une partie de l’aile gauche (très anti-Schröder) qui contrôle l’appareil du parti depuis leur congrès de 2019, mais les candidats et notamment celui à la Chancellerie sont issus de l’aile la plus sociale-libérale ; dans les listes à la proportionnelle, les rares députés SPD sortants marqués à gauche ont été largement défavorisés.

Cependant, et ce point nous avait peut-être échappé, le résultat ayant entraîné une inflation du nombre de députés à entraîner une sur-représentation des jeunes du SPD, les Jusos (les jeunes socialistes allemands), comptant prés de 45 députés de moins de 35 ans. Leur tête de proue historique, Kevin Kühnert, est considéré comme l’architecte de la défaite de … Olaf Scholz en 2019 pour prendre la présidence du SPD.

Et c’est là peut-être l’indice que ce nouveau gouvernement doit être considéré avec une curiosité intéressée autant que par la méfiance due au passé « souverainiste léger » de la chancelière Merkel.

Le carrousel de personnes donne des clés quant aux rôles que se donnent les trois partis dans la nouvelle coalition.

Le SPD a décidé d’assumer le pôle de gauche de la coalition. Olaf Scholz a écarté TOUS les représentants de l’aile droite du parti – les Seeheimers (qui contrôlaient les rouages entre 2003 et 201) : il y a là autant un signe politique que des considérations tactiques sur lesquelles nous reviendrons quant aux risques de cette coalition.

Les Verts ont choisi des représentants réalistes, ou très en pointe sur les questions sociétales, mais rejetés leur personnalité la plus écolo-sociale.

Les libéraux ont tenu á tenir des ministères pour défendre la règle budgétaire, mais n’ont pas non plus choisi leurs personnels les plus Libéraux.

C’est que le contrat de coalition est un compromis à un haut niveau. Même l’aile la plus à gauche du SPD y trouve plus de motifs de satisfaction que de doutes. L’augmentation immédiate du smic horaire de 9,5 à 12 € mais aussi des mesures sur le maintien des retraites, la correction des lois Harz 4 en matière d’allocations chômage et minimum social, de limites à certaines formes de contrats précaires, sont des signes d’un vrai retour de la politique sociale, et de l’intégration économique des classes populaires à une prospérité dont elles n’ont rien vues sous Merkel.

Le plafonnement des loyers fera l’objet d’une loi fédérale, 400 000 logements serons construits chaque année dont 100 000 en main publique. Enfin, la coalition pense investir dans 100GW de capacités énergétiques renouvelables, 30 à 40 GW en gaz naturel et hydrogène, pour se débarrasser dés 2030 des centrales à charbon, et 2040 du gaz naturel. La fin du moteur thermique dans les voitures est prévu également à l’horizon dix ans.

Les trois partenaires ont les plus grands dénominateurs communs sur les questions sociétales : légalisation du cannabis, abaissement de l’âge du vote à 16 ans, suppression des derniers vestiges de criminalisation des LGBTQ dans la législation allemande (loi Transexuel, paragraphe 219a), réforme des législations sur l’immigration,pour l’ouvrir, et l’accès à la nationalité, pour l’étendre.

Il est ainsi paradoxal de voir en France de nombreux candidats vouloir jeter 200 ans d’histoire française pour se rallier à la conception germanique de la nationalité, alors que des allemands en rupture de germanisme nationaliste envisagent d’intégrer de plus en plus d’éléments de la philosophie républicaine française, universaliste, dans son propre code de la nationalité.

C’est que le principal point d’achoppement, ce n’est pas l’immigration, c’est l’argent. Qui et comment financer ?

Avant hier, la présidente du FMI lançait un avertissement paradoxal à l’Europe, et en réalité, au nouveau chancelier : « Ne rétablissez pas trop vite le règle d’or ! »

La crise pandémique n’est pas surmontée : les dangers d’une déflation budgétaire précipitée pourrait, comme en 2011-2013, plonger l’Europe dans une mini récession avant d’être sortie de la crise précédente. Il faut donc maintenir un haut niveau de déficit et d’endettement public, en partie rééquilibré par de l’inflation au dessus de 4%, pour surmonter la crise économique mondiale provoquée par la Covid 19.

C’est le FMI qui le dit !

Un autre danger guette aussi cette coalition: le chancelier, comme son secrétaire d’État Schmidt, sont tous les deux exposés aux conséquences de deux scandales financiers: l’affaire Warburg, du nom de cette banque de Hambourg, convaincue d’avoir participé à l’évasion fiscale et l’escroquerie d’argent public CumEx bénéficiant d’un traitement de faveur de la mairie de Hambourg à l’époque où Scholz en était le maire, et l’affaire Wirecard, du nom de cette startup de la finance cotée dans l’équivalent du Cac40 allemand qui se révéla être une gigantesque escroquerie à 1,9 milliards, un de ses PDG étant depuis en prison, et l’autre en cavale.

Justement, le chef de l’aile des Seeheimers au SPD était député de Hambourg jusqu’en 2020, et la découverte que sa section avait acceptée 45 000 euros de dons de … la banque Warburg. Sa démission surprise semble avoir eu comme objet d’éviter de mettre en danger Olaf Scholz.

D’ailleurs, les Linke, qui espéraient faire plus de 6% et entrer dans la coalition à la place du FDP, s’était bien gardée d’attaquer Scholz sur le dossier alors que son expert budgétaire, le député Fabio de Masi, siégeait à la commission d’enquête parlementaire. Celui-ci, dégoûté par son parti, ne s’est pas représenté en 2021.

Enfin, si la coalition a une confortable majorité théorique, les tendances sont très différentes – un nombre relativement réduit de députés peut mettre en danger des projets qui ne serons pas suffisamment négociés en amont.

Une première alerte a été donnée dès aujourd’hui : il a manqué 15 voix de la nouvelle majorité au vote investissant Olaf Scholz chancelier.

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