La dette a remplacé l’impôt au profit des plus riches

Voici la représentation la plus saisissante sur combien la politique de l’offre, en appauvrissent l’Etat, enrichit les riches.

L’épargne des ménages a progressé du montant des recettes fiscales manquant à l’Etat.

Les ménages riches n’ont pas consommé ni investi l’épargne dans l’économie privée.

Ils ont acheté des bons du trésor (Le mécanisme est beaucoup plus complexe, mais en fin de compte ça revient à ça) : au lieu de lever l’impôt, l’État a redonné l’argent de l’impôt aux riches qui prêtent cet argent à l’État contre des taux d’intérêts. Ce serait plus simple et moins coûteux de revenir à l’imposition

Par ailleurs, la théorie selon quoi l’épargne finance l’investissement des entreprises est ici contredite (une nouvelle fois) de manière éclatante. L’État aurait investi ces fonds, l’impact sur l’économie privée aurait été plus bénéfique que ce que prévoyait la « politique de l’offre ».

La politique de l’offre n’a pas « libéré les énergies productives » ni « redonné de la compétitivité » et encore moins « rétabli les marges des entreprises pour qu’elles puissent investir ». Elle a alimenté la reconstitution du grand facteur de consolidation bourgeoise du XIXème siècle : la rente.

Notons par ailleurs que les politiques « pro business » ont créé des dizaines de mécanismes d’évitement de l’impôt sur les sociétés des multinationales.

C’est ce qui permet aux entreprises du CAC40 d’être 3 fois moins imposées que la PME artisanale, le restaurateur, ou la boulangerie.

Pour la France seulement, dans un papier écrit par le ministre des finances danois, le banquier central et l’économiste Gabriel Zucmann, le manque à gagner est de 23 milliards d’euros. C’est plus de la moitié de ce que le gouvernement français, en avril 2025, dit chercher comme économies pour boucler son prochain budget.

Créer des mécanismes d’évitement de l’impôt n’a pas suscité des investissements dans l’économie privée. En augmentant la rémunération du capital par le dividende et l’augmentation des valeurs boursières, la politique de l’offre a transformé la recette fiscale en réserves de liquidités accumulées par les plus riches, qui l’utilisent pour … prêter à l’État contre des intérêts.

C’était avant la première guerre mondiale un des arguments des bourgeois rentiers refusant l’impôt sur le revenu : ils participaient déjà au financement de l’État en achetant des bons du trésor. Les imposer leur ferait fuiter les capitaux et l’État perdrait en financement.

La réalité fut bien sûr toute autre. D’ailleurs, la période la plus longue de prospérité équitablement partagée entre travail et capital dans le monde démocratique a lieu lorsque les taux d’impôts sur le revenu sont confiscatoires pour les plus riches, les obligeant à investir plutôt qu’à accumuler de l’épargne : les trente glorieuses 1945-1975.

Il fallut plusieurs crises financières, dont celle de 1905 et celle, moins connue, de 1914, pour qu’un économiste bourgeois se rende compte du caractère suicidaire du système et propose une nouvelle manière d’agir et de penser : la politique de la demande.

Appliquée dès 1914, ses recommandations permirent à la Grande Bretagne de financer l’effort de guerre des alliés.

Elles ont ensuite accompagné le plan de reconstruction de l’Europe dès 1945. Cet économiste bourgeois et libéral, c’était John Maynard Keynes.

Mathieu Pouydesseau

Renaissance de l’Alliance du Nord en Afghanistan et déménagement de la base logistique de l’OEI-K en Somalie

Nous publions avec son accord un article d’analyse des mouvements politiques en cours en Asie centrale de David Gaüzère, Docteur en géographie, président du Centre d’observation des sociétés d’Asie centrale (COSAC) et chercheur-associé Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R). L’article a été publié initialement sur le site du centre français de recherche sur le renseignement.

1. Renaissance de l’Alliance du Nord

La (nouvelle) Alliance du Nord a revu le jour le 4 avril 2025 en Afghanistan avec la fusion des forces d’Ahmad Massoud (FNR) et de Yassin Zia (Front Azadi).

Après la chute de Kaboul en août 2021, chacun aurait pu penser que les taliban contrôlaient l’ensemble de l’Afghanistan. C’était sans compter sur la résistance de la vallée du Panchir, à la renommée légendaire, qui aujourd’hui encore échappe en grande partie à la domination talibane. Là, ont apparu deux fronts de résistance, au départ concurrentiels, puis ayant opéré depuis deux ans un rapprochement, ayant abouti le 4 avril 2025 à leur unification dans une nouvelle Alliance du Nord.

Cette unification opérée entre le Front National de la Résistance (FNR), dirigé par Ahmad Massoud (fils du général Ahmed Chah Massoud), et le Front Azadi, dirigé par le général Yassin Zia (ancien chef d’état-major de l’armée nationale afghane), a essentiellement été l’œuvre d’un homme : Amroullah Saleh, l’ancien chef du renseignement afghan, aujourd’hui président par intérim de la République islamique d’Afghanistan et chef de l’organisation « Tendance verte » d’Afghanistan.

Ces trois artisans de la nouvelle Alliance du Nord sont tous d’ethnie tadjike. Pourtant, les oppositions claniques et leur formation militaire ont souvent conduit, par le passé, à de vives rivalités entre eux. Aujourd’hui mises sous le boisseau, leurs anciennes divergences apportent au contraire, d’un point de vue militaire, une certaine complémentarité à la nouvelle alliance : Massoud supervise désormais la guérilla en zone rurale, dans le Pantchir et dans les provinces du nord et de l’ouest de l’Afghanistan (Baghlan, Takhar, Ghor, Parwan, Badakhchan, Badghis, Hérat) et autour de Kaboul, tandis que Zia gère la coordination des opérations urbaines (Kaboul, Koundouz, Mazar-i-Charif…). Massoud est plutôt soutenu par l’Occident, Zia par la Russie[1].

En dessous d’eux, les commandants militaires qui ont été désignés depuis le 4 avril dernier et sont les suivants[2] :

  1. Khalid Amiri
  2. Hasib Qouvvai Markaz
  3. Baryalai Sangin
  4. Wazir Choutoul
  5. Ghani Chomahmoud
  6. Moullah Nazouk Mir
  7. Mounib Amiri
  8. Hamid Saifi
  9. Said Yesin Saddod
  10. Rahmon Khoust.

Parallèlement, quelques mois auparavant, le 7 décembre 2024, un groupe de personnalités politiques afghanes de premier plan avait annoncé la création d’une nouvelle coalition : « l’Assemblée nationale pour le salut de l’Afghanistan », ainsi que l’a rapporté Amu.tv, la chaîne TV d’opposition afghane basée aux États-Unis.

L’objectif déclaré de la nouvelle union politique était de « résoudre la crise actuelle dans le pays et de faire face au régime des taliban ». La nouvelle coalition, présentée lors d’une réunion virtuelle le vendredi 6 décembre, comprenait des personnalités politiques telles qu’Ahmad Massoud, Atta Mohammad Nour, le maréchal Abdoul Rachid Dostom, Karim Khalili, Salahouddin Rabbani, Omar Daoudzai, Rahmatoullah Nabil, Mohammad Mohaqqiq, Abdoul Rab Raosul Sayyaf, Mohammad Ismail Khan, Younous Qanouni, Sarwar Danich, Rahela Dostom, Chah Jahan, Abdul Haq Chafaq, Tadin Khan et Sadeq Madbour. Les membres de la nouvelle coalition ont alors déclaré avoir décidé de « coordonner leurs efforts pour sauver l’Afghanistan de son état actuel de toubles et créer un front uni contre le régime taliban[3] ».

La nouvelle Alliance du Nord ne contrôle pas (encore) la même étendue territoriale que celle pilotée par feu le général Massoud entre 1996 et 2001. Cependant, de mieux en mieux coordonnée dans ses activités et étendant son action à d’autres provinces afghanes en coordination avec d’autres mouvements locaux anti-taliban – mouvements autonomistes des loya djirga[4] pachtoune de Khyber (le 14 octobre 2024), baloutche de Nimzoz, hazara de Bamyan, ouzbèke de Mazar-i-Charif., etc. –, elle pourrait profiter des dissensions internes actuelles au sein des taliban. En effet, depuis le 5 février, ces derniers, disposent de deux directions politique et militaire – dirigées par le ministre de la Justice Sirajouddin Haqqani, à Kaboul, et le chef politico-religieux des taliban Haibatoullah Akhounzada, à Kandahar – qui se regardent en chiens de faïence et en viennent parfois aux mains : les escarmouches entre leurs milices respectives sont hebdomadaires. Les chefs de ces deux factions se déplacent souvent afin de mobiliser leurs partisans et Haqqani, à la recherche opportuniste d’une reconnaissance internationale, modère désormais son discours et approche régulièrement des représentants américains à Kaboul ou à Dubaï[5].

En parallèle, les protagonistes de la nouvelle Alliance du Nord trouvent de plus en plus d’écoute à l’international : le 18 février 2025, la Conférence de Vienne a réuni les principaux dirigeants des groupes politiques et publics afghans opposés au régime taliban. L’événement principal de cette conférence a été la participation des dirigeants des deux principaux groupes de la résistance armée anti-talibane, Massoud et Zia, assis pour la première fois autour d’une même table. La nouvelle administration américaine s’était parallèlement montrée aussi discrète qu’active dans le processus d’unification de l’opposition non-islamiste afghane. En même temps, de hauts responsables des services de renseignement du Pakistan (ISI) se sont récemment rendus à Douchanbé, au Tadjikistan, où ils ont non seulement discuté des perspectives de coopération pakistano-tadjike dans la lutte contre le terrorisme, mais également rencontré des représentants du FNR. Ils ont ainsi permis le retournement de la position d’Islamabad, fin décembre 2024, lassé de ne plus pouvoir contrôler les talibans. La nouvelle Alliance du Nord conserve par ailleurs ses soutiens traditionnels indien et iranien et peut compter sur des relais en Russie et en Chine[6].

2. Confirmation du déménagement de la base logistique et financière de l’OEI-K en Somalie

Le déménagement de la base logistique et financière de l’Organisation État-islamique au Khorasan (OEI-K, héritière désignée de Daech, elle coordonne désormais les autres filiales internationales de l’organisation), en Somalie, envisagé depuis 2023, a été réactivé en mars dernier. Cette base est située au Puntland, une partie pauvre et irrédentiste de la Somalie, non contrôlée par Mogadiscio. Sa localisation précise n’a pas encore été identifiée (près de Bosasso, la « capitale » économique, sous contrôle islamiste, dans le district de Bari ?).

Ce déménagement ne changera en rien aux activités et actions de l’OEI-K dans sa zone afghano-centrasiatique. En prenant pied en Somalie, l’organisation cherche simplement à bénéficier d’une meilleure localisation pour coordonner ses activités dans le monde et renforcer sa visibilité. Son idée est de créer une « capitale », un point d’ancrage central pour ses différentes « filiales » internationales disposant d’une meilleure « accessibilité »

La zone est idéalement située : en face d’Aden au Yémen, en proie aux désordres internes (Houthis, AQPA, OEI-Yémen), et au carrefour de la mer Rouge et de l’océan Indien[7]. Elle est également située à proximité du Somaliland, l’ancienne partie britannique de la Somalie, indépendante de facto mais pas de jure (elle n’est reconnue par aucun État au niveau international), mais prospère grâce aux trafics : cash (grâce à l’hawala[8]), mais aussi trafics d’armes[9] et de qat.

Non loin du Pakistan et des Émirats du golfe Persique, cette base va également servir à mieux redistribuer le cash des différentes filiales internationales de l’organisation et à capter les donations des hommes d’affaires pakistanais et du Golfe, idéologiquement proches d’elle. L’OEI-K projette également d’y installer un « bureau politique informel » composé de représentants des différentes filiales mondiales de l’État islamique.

Cette base ne devrait pas servir à mener des opérations de grande envergure. Après plusieurs combats meurtriers entre eux, l’OEI-Somalie (OEI-S) et les Shabaab (liés à Al-Qaïda) seraient parvenus à un accord de partage territorial : à l’OEI-S, le Puntland, aux Shabaab, la Somalie mogadiscienne (Garoowe, la capitale politique du Puntland reste aux mains d’un gouvernement local laïc et indépendantiste)[10]. La nouvelle base logistique et financière de l’OEI-K ne devrait donc comprendre qu’un personnel réduit et « international », uniquement dévoué à la gestion de la logistique mondiale de l’organisation djihadiste[11].

Face à cette évolution, les États-Unis ont mené le 30 mars 2025 une nouvelle frappe aérienne sur des cibles de l’OEI-S au Puntland, tuant « de multiples combattants » a annoncé le commandement militaire américain pour l’Afrique (AFRICOM). Cette opération coordonnée par l’AFRICOM et le gouvernement fédéral somalien a visé de « multiples cibles de l’EI en Somalie, au sud-est de la ville de Bosasso, dans la région semi-autonome du Puntland », a indiqué cette source dans un communiqué. Cette frappe fait suite à une précédente frappe menée par l’armée américaine dans la même région le 2 février dernier[12].

[1] https://x.com/AfghanAnalyst2/status/1777253591654224063

https://cf2r.org/actualite/les-islamistes-lancent-le-djihad-antichinois-en-asie-centrale

https://ecrats.org/ru/archive/facts_of_terrorism/10532

[2] https://t.me/anserenko/7894

[3] https://amu.tv/141935

https://t.me/anserenko/7588

[4] Grande assemblée de chefs de clans.

[5] https://tribune.com.pk/story/2469224/rising-armed-resistance-in-afghanistan

[6] https://www.viennaprocess.org/4th-vienna-conference-for-a-democratic-afghanistan

https://www.ng.ru/kartblansh/2025-03-03/3_9204_kb.html

[7] https://x.com/GlobPeaceIndex/status/1897240793447883090/photo/1

[8] Réseau informel de transfert de fonds par le biais de courtiers non déclarés (opacité totale, sans aucune base légale, utilisation de cryptomonnaies, blanchiment…).

[9] Les trafics d’armes sont notamment réguliers en lien avec le Joundallah, la filiale baloutche iranienne de l’OEI-K.

[10] Le Somaliland n’est pas impacté, car il est la plaque tournante régionale du blanchiment de l’argent des acteurs en conflit.

[11] https://www.crisisgroup.org/africa/horn-africa/somalia/islamic-state-somalia-responding-evolving-threat

https://www.rfi.fr/fr/afrique/20250113-la-branche-somalienne-de-l-ei-nouveau-maillon-fort-de-l-organisation-jihadiste

[12] https://www.lefigaro.fr/international/les-etats-unis-menent-une-nouvelle-frappe-aerienne-contre-daech-en-somalie-20250330

https://www.lemonde.fr/afrique/article/2025/02/03/en-somalie-les-frappes-americaines-ont-neutralise-des-figures-clefs-de-l-etat-islamique-selon-le-gouvernement-regional_6529150_3212.html

« Ferroviaire : a-t-on abandonné le centre de la France ? » – France Culture, la question du jour, avec Chloé Petat [podcast et vidéo]

Mardi 15 avril, 400 usagers des lignes Paris-Clermont-Ferrand et Paris-Orléans-Limoges-Toulouse (POLT) se sont rendus à Paris pour alerter sur l’état du service proposé par la SNCF dans leur région. Retards et vétusté des rames, comment expliquer une telle situation sur ce territoire ?

Le mercredi 16 avril 2025 à 7h15 Chloé Petat était l’invitée de Guillaume Erner et de Marguerite Catton dans la « question du jour » des Matins de France Culture pour faire le point sur le dossier.

En podcast :

À bord des « trains de la colère », des centaines d’habitants du centre de la France ont débarqué à Paris hier, pour manifester leur mécontentement face aux multiples retards et dysfonctionnements des trains Intercités qui maillent leur territoire. Si le réseau ferroviaire paraît particulièrement vétuste sur l’ensemble du territoire, quelle est la spécificité de cette région et de ces lignes ? Pourquoi parle-t-on d' »enclave ferroviaire » et comment la SNCF a-t-elle prévu de remédier à cette situation face à la demande croissante en mobilité ferroviaire ?

en vidéo :

Mathieu Pouydesseau à la Friedrich-Ebert Stiftung : la « règle d’or » tue économiquement l’Europe

Notre camarade Mathieu Pouydesseau est intervenu mercredi 9 avril 2025 dans le forum pour une économie politique progressiste organisé par la Friedrich-Ebert-Stiftung (la fondation rattachée au SPD) à Berlin, en ce même jour où devait être annoncé la formation d’une grande coalition CDU-CSU/SPD.

Les débats s’étant déroulés en allemand, nous avons sous-titré les échanges.

Alors que le débat traitait de politique fiscale, la représentante du syndicat patronal BDI Dr Monika Wünnemann a déroulé son mantra éculé sur « l’impôt sur le patrimoine qui ruine des familles, l’impôt sur l’héritage qui détruit des emplois, l’impôt sur les dividendes qui réduit l’investissement. » A côté d’elle, une chercheuse, Martyna Berenika Linartas, démontait point à point ces « narratifs » avec des faits. Mais la représentante des « intérêts des entreprises » refusait toute argumentation factuelle.

Mathieu Pouydesseau vit en Allemagne depuis près de 30 ans et il y est chef d’une entreprise de 60 salariés dans le numérique et les hautes technologies. Pour lui comme pour nous, il y a un moyen de concilier les résultats de la recherche et les soucis de sa « représentante » patronale (notez l’ironie) : la productivité. Et pour augmenter la productivité, il faut faire payer aux plus aisés et aux entreprises plus d’impôts!

D’abord, Les entreprises ont besoin d’une sécurité juridique, c’est à dire d’un État de droit, démocratique. Sans un État fonctionnel, c’est l’AfD qui prendra tôt ou tard le pouvoir et elle ne garantit qu’une chose : l’arbitraire juridique !

Deuxièmement, le résultat de 20 ans de discours de règle d’or et de refus d’imposer les riches, les infrastructures sont devenues catastrophiques. Combien d’heures perdues par les gens, cadres, employés, parce qu’un pont s’effondre sur une voie ferrée ? La transformation numérique est ridicule, l’Allemagne perd ici en productivité.

Ensuite, la représentante du patronat allemand a parlé bureaucratie : mais combien de formulaires restent en papier parce qu’on a pas investi dans la numérisation des administrations ?

Enfin, pour contrer l’AFD , il faut de nouveau un marché intérieur dynamique, donc de l’investissement public et des salaires dignes. Refuser cela pour s’épargner 2 points d’imposition est un suicide, y compris pour les 1% les plus riches !

Il existe un bel article dans la constitution allemande, l’article 14 : « le droit de propriété donne des devoirs. » Il nous faut plus de solidarité, en France, en Allemagne, partout en Europe.

« Il est temps d’accepter le fait que nous entrons dans un monde protectionniste » – entretien accordé par David Cayla à Front Populaire

ENTRETIEN. Comment faut-il comprendre la hausse massive des droits de douanes décidée par les États-Unis ? Pour notre camarade, l’économiste David Cayla, interrogé par Quentin Rousseau pour Front Populaire, le pari protectionniste trumpien est à l’évidence très risqué. Mais il n’en porte pas moins un rude coup à la mondialisation néolibérale. Nous publions cet entretien avec l’accord de David Cayla.

David Cayla est maître de conférence en économie à l’Université d’Angers. Spécialiste du néolibéralisme, de l’économie européenne, et fin connaisseur de la question du protectionnisme, il défend une économie hétérodoxe. Son dernier livre en date : La gauche peut-elle combattre le néolibéralisme ? (éd. Le Bord de l’eau, 2024).

Front Populaire : Comment qualifiez-vous la politique commerciale et tarifaire lancée par Donald Trump ? Que cherche-t-il à accomplir en imposant des tarifs douaniers au reste du monde ?

David Cayla : C’est clairement une politique commerciale protectionniste qui renoue avec la tradition commerciale américaine de la deuxième moitié du XIXème siècle. En 1861, sous la pression du député du Vermont Justin Morrill, le Président démocrate James Buchanan fut contraint de signer une loi imposant des droits de douane d’environ 45% sur la grande majorité des importations américaines. Cette hausse tarifaire fut l’une des causes de la guerre de Sécession car les États esclavagistes qui exportaient leur coton en Europe étaient de farouches partisans du libre-échange.

Après 1910, les Américains deviennent la première économie mondiale. Les droits de douanes baissent quelques années, avant de repartir à la hausse à partir de 1920. Dans les années 1930 les droits de douanes retrouvent leurs niveaux de la fin du XIXe siècle, même si moins de produits sont concernés. Enfin, de 1947 (signature du GATT, l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce) au premier mandat de Trump, les droits de douane baissent jusqu’à un niveau moyen de 2 à 5%.

Que cherche Trump avec ces droits de douane ? La même chose qu’au XIXe siècle. Il s’agit simplement de protéger l’industrie manufacturière américaine et les emplois. Il est à noter que toutes les importations ne sont pas concernées par les hausses tarifaires. Les matières premières, les services, l’énergie, les semi-conducteurs et les produits pharmaceutiques sont exemptés, ce qui dénote bien que le souci principal de cette politique est de protéger l’industrie manufacturière.

FP : Les critiques contre la nouvelle politique américaine fusent, y compris dans son camp. Sont-elles justifiées selon vous ?

DC : Il y a deux sortes de critiques. Les critiques idéologiques proviennent de ceux qui font du développement du commerce international l’alpha et l’omega de la politique économique. Ces partisans de la mondialisation néolibérale sont effarés qu’on puisse remettre en cause cet édifice construit patiemment durant des décennies. Ils croient au libre-échange sans recul ni questions et ne comprennent tout simplement pas qu’on puisse le contester. Ces critiques, même si elles se déploient très largement dans les médias, n’ont aucune justification et aucun intérêt. La politique commerciale mérite mieux que ces hauts cris effarouchés.

D’autres critiques plus pragmatiques sont néanmoins justifiées. Disons-le clairement, le pari de Donald Trump est risqué et a toutes les chances d’échouer. Une hausse des droits de douane à elle seule ne peut suffire à réindustrialiser l’économie américaine pour au moins trois raisons.

Il existe de nombreux freins à la reprise du secteur manufacturier américain et il n’est pas dit qu’une politique commerciale protectionniste suffise à relancer ce secteur.

Premièrement, le système productif américain est très dépendant des importations. La hausse des droits de douanes sur les composants importés va renchérir le coût de fabrication de l’industrie manufacturière, même si les matières premières et l’énergie sont exemptés. Deuxièmement, ces droits de douanes sont inflationnistes. En effet, tous les produits importés ne pourront être remplacés par une production locale. Or, si les prix augmentent, les consommateurs américains vont reporter leurs achats de biens manufacturés, notamment d’automobiles… ce qui en fin de compte risque d’affaiblir les carnets de commande et les secteurs mêmes que les droits de douane sont censés aider. Enfin, il n’est pas sûr que les Américains parviennent à compenser les importations par une production nationale. Pour cela, il faudrait une réserve de main-d’œuvre employable. Or, le taux de chômage américain est faible et la politique d’expulsion des migrants prive les États-Unis d’une partie importante de leur main-d’œuvre.

Il existe donc de nombreux freins à la reprise du secteur manufacturier américain et il n’est pas dit qu’une politique commerciale protectionniste suffise à relancer ce secteur. Dans ce cas, tout ce que produira cette politique sera une hausse des prix et un appauvrissement des ménages américains.

FP : Comment faut-il interpréter les chutes boursières qui ont suivi, notamment en Asie et en Europe ?

DC : La crise boursière ne peut être une surprise. Toutes les grandes entreprises cotées évoluent dans une économie mondiale qui leur permet de jouer des différences de législation et de règlementation pour produire au moindre coût. Rétablir des barrières douanières, c’est attaquer frontalement ce modèle économique.

De plus, les États-Unis sont, de loin, le premier marché mondial en termes de biens de consommations. L’un dans l’autre, les entreprises cotées du monde entier doivent s’attendre à une forte baisse de leurs profits. Il est donc logique que leur cours boursier s’effondre. De plus, Trump ouvre une guerre commerciale mondiale dont il est difficile de prévoir les conséquences. Cette incertitude participe à créer de la volatilité boursière et explique aussi l’effondrement des bourses mondiales qui deviennent sensibles aux rumeurs et aux spéculateurs.

FP : L’Union européenne s’est fondée sur l’idée que le politique était inféodé à l’économie – et au libre-échange. Que pensez-vous de sa réponse aux nouveaux tarifs américains ?

DC : Je suis loin d’être convaincu par les réponses européennes. L’Union européenne se retrouve confronté à un choix impossible. Soit accepter les droits de douanes américains sans chercher à défendre ses intérêts, soit répliquer au risque de voir la politique commerciale américaine se durcir. Or, l’Union européenne, et singulièrement l’Allemagne, ont besoin d’exporter aux États-Unis. L’Allemagne vient de subir deux années consécutives de récession tandis que son industrie a été lourdement affectée par la crise du gaz.

(…) S’il est possible de trouver un accord unanime des Européens pour proposer du libre-échange, il n’y aura pas d’unanimité en matière de mesures de rétorsion. Beaucoup de pays ont trop à perdre.

Dans ce contexte, la seule stratégie européenne susceptible de rallier l’ensemble de ses membres serait le retour au libre-échange. C’est la raison pour laquelle Ursula von der Leyen a proposé aux États-Unis… un accord de libre-échange. Cet accord n’avait évidemment aucune chance d’être accepté, d’autant que l’administration Trump considère la TVA comme un droit de douane déguisé, puisqu’il taxe les importations européennes mais pas leurs exportations, permettant ainsi aux produits européens d’être vendus moins cher aux États-Unis qu’ils ne le sont en Europe. Rappelons qu’aux États-Unis seule une « sale tax » existe, mais son niveau (5-10%) est bien inférieur à celui de la TVA européenne.

À présent que la proposition européenne a été rejetée par la partie américaine, que va faire la Commission ? C’est à elle qu’incombe la responsabilité de négocier les traités commerciaux. Le problème est qu’en dehors du libre-échange dogmatique qui l’anime, il n’y a pas grand-chose. D’autant que, s’il est possible de trouver un accord unanime des Européens pour proposer du libre-échange, il n’y aura pas d’unanimité en matière de mesures de rétorsion. Beaucoup de pays ont trop à perdre. Les exportateurs que sont l’Allemagne et l’Italie vont craindre une nouvelle hausse des droits de douane. L’Irlande, la base arrière des géants du numérique américains, ne voudra certainement pas qu’on impose des mesures de rétorsion aux grandes plateformes numériques.

Plus fondamentalement, l’UE est empêtrée dans des traités qui ont été entièrement réécrits dans les années 1980 et 1990, et sont donc très influencés par l’idéologie néolibérale. Cette inertie du droit européen est aujourd’hui un handicap car le monde bascule.

FP : La doctrine néolibérale et la mondialisation vont généralement main dans la main. Trump est-il en train de tourner la page du néolibéralisme ?

DC : C’est la thèse que je défends depuis plusieurs années. Le populisme trumpien est à la fois la conséquence de la mondialisation néolibérale et son antidote.

Néanmoins, cela ne signifie pas que ce qui est en train d’advenir est souhaitable. Le trumpisme est très loin d’être un humanisme. De fait, sortir du néolibéralisme ne conduira pas nécessairement à un meilleur monde. Il annonce au contraire le retour d’une logique impériale et l’affaiblissement d’un ordre mondial qui a longtemps cherché à s’organiser autour du multilatéralisme.

(…) En faisant des politiques mercantilistes allemandes le modèle à suivre pour tous les pays européens, nous sommes devenus dépendants de nos exportations.

FP : Dans ce contexte de guerre économique livrée par les États-Unis au reste du monde, quelle pourrait être une réaction intelligente de la France ?

DC : La France devrait militer pour des politiques de relance en Europe. Quel est le problème des entreprises européennes ? La faiblesse de leurs débouchés. Ainsi, au lieu de chercher à vendre notre surplus productif de l’autre côté de l’Atlantique, on ferait mieux de faire en sorte qu’il profite aux ménages européens. Au lieu de comprimer les salaires et les dépenses publiques partout en Europe, on ferait mieux de mobiliser notre épargne pour investir sur le sol européen.

Si nous sommes dans cette situation, c’est parce qu’en faisant des politiques mercantilistes allemandes le modèle à suivre pour tous les pays européens, nous sommes devenus dépendants de nos exportations. Il est plus que temps de rompre avec cette dépendance et d’accepter le fait que nous entrons dans un monde protectionniste où la demande intérieure devient à nouveau préférable aux tentations de la compétitivité extérieure.

Formation des enseignants : on marche sur la tête

La co-construction avec l’enseignement supérieur annoncée initialement par Élisabeth Borne a cédé la place à une reprise en main de la formation par le ministère de l’Éducation nationale. La ministre a décidé d’un schéma sans concertation avec les formateurs, sans prise en compte réelle des impératifs du métier et sans moyens supplémentaires pour les universités.

La réforme de la formation initiale des enseignants et des conseillers principaux d’éducation, enterrée par le ministère de l’Économie l’an dernier, ressort des cartons, remaniée vite fait et mal fait. L’ensemble du processus est totalement lunaire : cette réforme est prévue pour se faire au pas de charge et à moyens constants.

De nouveau, le schéma global de formation est déstabilisé. Les équipes dans les IUFM/ESPÉ/INSPÉ sont épuisées.

Sous le vernis communicationnel de la rémunération des étudiants du Master lauréats d’un concours de recrutement, seul élément qui pourrait sembler intéressant dans cette énième réforme, se cache un mépris pour la formation dans laquelle l’université va être mise à l’écart, et donc avec elle la dimension disciplinaire et de recherche, et pour les formateurs absolument pas consultés, superbement ignorés. Le calendrier est de surcroît intenable : les nouvelles maquettes de Master sont à préparer entre avril et juin 2025 sans qu’aucun cadre pour comprendre comment et par qui elles doivent être élaborées n’ait été fixé. De qui se moque-t-on ?

Ce n’est pas avec cette réforme que se réglera le problème sérieux de l’attractivité des métiers de l’Éducation nationale !

pour le pôle éducation de la GRS
Céline Piot

Les droites contre l’égalité territoriale


Au parlement, certains députés et sénateurs issus des bancs de la droite allant du « bloc central » au RN ont décidé d’opérer une « commission de la hache » sauvage, en prenant prétexte de l’état des finances publiques. Animés par une foi anti-étatiste viscérale, ils développent des arguments démagogiques et malthusiens qui pourraient s’ils parvenaient à leurs fins avoir des conséquences graves pour la cohésion nationale. Mais le risque déborde du débat parlementaire en lui-même.

Le 30 janvier 2025, la sénatrice Union Centriste Nathalie Goulet avait l’honneur de l’examen en séance publique de sa proposition de loi « tendant à supprimer certains comités, structures, conseils et commissions « Théodule » dont l’utilité ne semble pas avérée » ; le simple intitulé du texte suffisait cependant à se faire une idée sur sa nature parfaitement démagogique et ridicule.

On connaît bien le pedigree démagogue de cette élue de l’Orne, qui avait déjà créée une polémique en montant en épingle « les milliards qui seraient engloutis dans la fraude à la carte vitale », avant que les démonstrations sérieuses rappellent que ces fraudes, si elles existent bel et bien, ne concernent que quelques millions d’euros et sont sévèrement combattues, l’argent recouvré un jour ou l’autre ; chacun sait qu’en matière de fraude sociale, c’est surtout les fraudes aux cotisations des entreprises qui coûtent cher à la puissance publique, ajouté au scandale de la masse du non recours aux aides sociales totalement intégré dans les projections budgétaires (l’État et les collectivités ne prévoient jamais les crédits à hauteur du nombre de personnes éligibles mais au niveau de ce qu’ils anticipent comme citoyens qui y feront réellement appel).

Le texte avait été sérieusement toiletté en commission des lois au Sénat pour éviter les suppressions ubuesques, la commission en appelant à la « sagesse » de l’examen en séance pour faire un sort à l’article proposant la suppression de l’Observatoire national de la politique de la ville (ONPV). Opportunément, les commissaires aux lois savaient que le groupe socialiste, écologiste & républicain avait déposé un amendement pour supprimer cet article, ce qui fut fait. Le texte transmis à l’Assemblée nationale le 31 janvier préservait donc l’ONPV et la proposition de loi Goulet était promise à se noyer dans les méandres de la navette parlementaire.


Après le Sénat, la récidive des députés macronistes

En quoi la suppression de l’ONPV comporte-t-elle un risque ? L’ONPV a succédé en 2015 à l’Observatoire national des zones urbaines sensibles qui avait été créé en 2003 ; la loi Lamy de programmation pour la ville et la cohésion urbaine du 21 février 2014 lui confiait l’« analyse de la situation et des trajectoires des résidents des quartiers [prioritaires], la mesure de l’évolution des inégalités et des écarts de développement au sein des unités urbaines, à l’évaluation de la mise en œuvre des politiques en faveur des quartiers prioritaires et des progrès en matière de participation des habitants aux instances décisionnelles de la politique de la ville, [… et enfin] l’analyse spécifique des discriminations et des inégalités entre les femmes et les hommes. »

Le Décret n° 2015-77 du 27 janvier 2015 relatif aux instances en charge de la politique de la ville établissait surtout que « l’État et ses établissements publics sont tenus de [lui] communiquer les éléments nécessaires à la poursuite de ses travaux, sous réserve de l’application des dispositions législatives imposant une obligation de secret. » En d’autres termes plus concrets, cela signifie que l’INSEE – entre autres – est tenu de lui communiquer des éléments d’analyse statistique socio-démographique et socio-économique à l’échelle des Quartiers prioritaires politique de la ville (QPV). Supprimer l’ONPV purement et simplement implique de supprimer également la partie du décret de janvier 2015 qui le concerne, donc de supprimer l’obligation pour l’INSEE et les autres établissements publics de produire des données à l’échelle des QPV et de les transmettre gratuitement. Cela revient tout simplement à casser le thermomètre indispensable à la connaissance de ces quartiers et donc à l’élaboration, la mise en œuvre et l’adaptation de politiques publiques capables de faire revenir les habitants de ces territoires vers l’égalité républicaine.

L’ONPV est une instance au travail et la seule à travailler sur le périmètre des QPV. La politique de la ville, comme toute politique publique, a besoin de données statistiques fiables et d’études à la méthodologie scientifiquement éprouvée. Supprimer l’ONPV, c’est supprimer l’attention portée par la puissance publique aux QPV et à leurs 6 millions d’habitants, qui subissent les conséquences de quelques 60 ans d’erreurs et d’abandons. Car, dans les QPV, il n’y a pas que les revenus par habitants qui sont moins élevés que dans l’aire urbaine qui les entoure (ce qui veut dire que la population y est plus pauvre) : les QPV sont aussi ceux où sont concentrés les problèmes de qualité du logement, où les services publics (et les services tout court) sont les moins présents ou insuffisants par rapport aux difficultés rencontrées, où il y a moins d’emploi et, enfin, ce sont ceux qui sont les moins bien desservis en transport.

Comment bâtir des politiques publiques efficaces pour réduire les écarts de développement et les écarts sociaux entre les quartiers défavorisés et leurs unités urbaines sans un diagnostic territorial socio-démographique et socio-économique partagé et régulièrement mis à jour ? Comment mobiliser efficacement les moins de 600 millions d’euros par an des crédits politique de la ville du programme 147, qui ne servent qu’à soutenir les projets associatifs et les expérimentations ? Et surtout et avant tout, comment réellement mobiliser efficacement les autres politiques publiques dites de « droit commun » (éducation, emploi, transports, logement, justice, culture, sport, police, etc.) pour rattraper le retard accumulé ?

Lors de l’examen en commission spéciale à l’Assemblée Nationale du projet de loi de simplification de la vie économique (le texte avait été déposé par le gouvernement voici un an et transmis par le Sénat à l’Assemblée nationale en octobre dernier !?!) pourtant, les députés du « bloc central » s’en sont de nouveau pris à l’ONPV. Mais à la démagogie initiale de Nathalie Goulet, ils ont ajouté la tromperie : voulant mettre en scène leur zèle en faveur de coupes budgétaires tout azimut, ils ont fait adopter en commission le 24 mars 2025 un amendement de suppression de l’Observatoire porté par le rapporteur du texte le député LIOT de la 3e circonscription des Vosges, Christophe Naegelen. Mais, pour rendre cohérent le reste des textes, ils ont corrigé l’article 10 de la loi Lamy de 2014 pour remplacer l’ONPV par l’Agence Nationale de Cohésion des Territoires (ANCT), qui si cette démarche allait au bout serait donc désormais rédigé comme suit : « Les collectivités territoriales et leurs établissements publics communiquent à l’ANCT les éléments nécessaires à l’accomplissement de sa mission, sous réserve de l’application des dispositions législatives imposant une obligation de secret. » Façon de dire « regardez, nous ne sommes pas des irresponsables, les données continueront d’être récoltées par l’ANCT »… Ce sont des Tartuffe ! Car en supprimant l’ONPV, ils suppriment le titre III du décret n° 2015-77 qui obligeait « l’État et ses établissements publics [à] communiquer les éléments nécessaires » à l’accomplissement des missions confiées en 2014 à l’ONPV : donc, à nouveau, il s’agit de casser le thermomètre et de rendre dans les faits impossible la récolte de données sur les politiques publiques à l’échelle des QPV.

Regardons où ont été élus les députés qui ont porté le fer : Marie Lebec, députée renaissance de la 4e circonscription des Yvelines (l’une des plus bourgeoise du département) ; Sébastien Huyghe, député LR de la 5e circonscription du Nord (qui croit ainsi donner des gages à l’électorat RN auquel il a arraché la circonscription) ; Sylvain Maillard, député Renaissance de la 1ère circonscription de Paris (la plus bourgeoise de la capitale) ; Jean-René Cazeneuve, député Renaissance de la 1ère circonscription du Gers (circonscription extrêmement rurale, dont le seul QPV est situé à Auch, préfecture du département, qui vote PS et un peu moins LFI aux législatives) ; Danielle Brulebois, députée Renaissance de la 1ère circonscription du Jura (circonscription extrêmement rurale, dont le seul QPV est situé à Lons-le-Saunier, ville PS) ; Françoise Buffet, députée renaissance de la 4e circonscription du Bas-Rhin (circonscription rurale et conservatrice) ; Nicole Le Peih, députée renaissance de la 3e circonscription du Morbihan (circonscription rurale) ; Anne-Sophie Ronceret, députée renaissance de la 10e circonscription des Yvelines (circonscription rurale et bourgeoise de Rambouillet) ; et enfin Annaïg Le Meur, députée renaissance de la 1ère circonscription du Finistère (circonscription rurale, dont le seul QPV est situé à Quimper, ville PS qui vote à gauche aux législatives).

Si on ajoute à cette liste, le profil de la circonscription du rapporteur (territoire rural, un QPV situé à Remiremont, ville de droite qui se détourne profondément de ce quartier), on perçoit dans la démarche de ces députés une ignorance volontaire de la politique de la ville, un mépris social évident, une logique d’opposition des territoires en difficulté entre eux et un esprit de revanche politique.

Avec cet amendement démagogique, les députés sabreurs peuvent-ils au moins prétendre avoir fait des économies ? Même pas ! L’ONPV est avant tout une instance de travail et de concertation entre différents acteurs publics et parapublics avec un comité d’orientation qui adopte le programme de travail annuel de l’ONPV, valide les publications de l’observatoire et approuve le rapport annuel remis au Gouvernement et au Parlement. Le travail en lui-même est accompli par le pôle Analyse et Diagnostics Territoriaux de la direction générale déléguée Appui Opérationnel et Stratégique au sein de l’ANCT, évidemment en lien avec la direction générale déléguée à la Politique de la Ville au sein de l’ANCT. L’ONPV en réalité ne coûte rien d’autre que les frais de secrétariat de son comité d’orientation, soit moins de 40 000 euros par an. Par contre, la suppression de l’ONPV privera tous les acteurs de la politique de la ville, qui expriment depuis quelques jours à quel point cet observatoire est utile, de données essentielles à une action publique efficace et à son adaptation dans le temps1. C’est à terme une perte d’efficacité publique donc une perte d’argent public considérable qui sera provoqué si l’amendement adopté en commission spéciale est conservé à l’issue de l’examen en séance publique. Il est plus qu’étonnant que sa présidente, la haute fonctionnaire Laëtitia Hélouet, n’est jamais pris la parole dans le débat public pour déconstruire ces absurdités ; il faut croire qu’elle a une définition extensive du « devoir de réserve ». D’autres heureusement ont pris la parole, tant parmi les cadres de l’État qu’au sein des associations d’élus locaux comme Ville et Banlieue et ses partenaires, France Urbaine, APVF, Intercommunalités de France ou Villes de France.

On ne peut que remercier Emmanuel Maurel et quelques autres députés de gauche (et du Modem) pour avoir déposé des amendements de rétablissement de l’ONPV2, mais le risque que l’irréparable soit commis est important : l’addition des voix des groupes RN, UDR, « droite républicaine » (hostiles par principe à la politique de la ville3) avec celles du « bloc central » – si ce dernier ne revenait pas rapidement à la raison (l’examen du texte est prévu dans la nuit du mardi 8 au mercredi 9 avril 2025) – est largement majoritaire.


L’Agence Nationale de la Cohésion des Territoires dans le collimateur ?

L’ANCT est un établissement public créé en 2019 et en fonctionnement depuis le 1er janvier 2020. Son action cible prioritairement les territoires caractérisés par des contraintes géographiques, des difficultés en matière démographique, économique, sociale, environnementale ou d’accès aux services publics. La création de l’ANCT avait été souhaitée par Emmanuel Macron dès son discours à la conférence nationale des territoires le 18 juillet 2017, avec l’ambition de créer un « guichet unique » d’échelon national dans la relation de l’État aux élus et porteurs de projets locaux, en particulier les collectivités territoriales.

L’ANCT a fusionné en son sein plusieurs organismes publics et administrations centrales :

  • le Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET ; à l’exception des agents assurant les fonctions relatives à l’élaboration et au suivi de la politique de l’État en matière de cohésion des territoires4), dont l’essentiel des missions a été repris par la direction générale déléguée à la politique de la ville dont nous parlions plus haut ;
  • l’Établissement public national d’aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux (EPARECA) ;
  • l’Agence du numérique (à l’exception des agents employés à la mission French Tech).

D’autres opérateurs de l’État en direction des territoires n’ont finalement pas été intégrés à l’ANCT : l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), l’Agence nationale de l’habitat (ANAH), l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) ou le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema). Toutefois, l’ANCT a établi des conventions avec chacun de ces opérateurs.

L’idée de base de la création de l’ANCT est intéressante : avoir un acteur uniquement permettant de coordonner l’ensemble des politiques publiques qui doivent servir à atteindre un objectif d’égalité territoriale. Quartiers urbains défavorisés, bassins désindustrialisés, territoires ruraux ou péri-urbains excentrés ou isolés, zones blanches, bourgs et villages ruraux en déprise (citons en dehors de la politique de la ville, Action Cœur de Ville – programme né du rapport sénatorial piloté en 2017-2018 le sénateur socialiste Martial Bourquin – Petite Ville de Demain, Village d’Avenir, Territoires d’Industrie, Maisons France Services, Tiers-Lieux, Territoires d’engagement, France Très Haut Débit, etc.)… Tous sont l’objet de l’attention de l’ANCT et doivent pouvoir bénéficier de ses dispositifs et de ses programmes. Le passage en Agence était censé lui donner la souplesse, la flexibilité et la réactivité que ne pouvait avoir, selon les Libéraux, une administration centrale ; c’était aussi s’ancrer dans la posture de « l’État animateur » et non plus prescripteur ou acteur.

Cependant, la création de l’ANCT s’inscrit dans la continuité d’une logique qui a retiré à nombre de territoires leurs administrations publiques. Ainsi pour faire face au démantèlement des Directions Départementales de l’Équipement entre 2006 et 2009, dont les équipes et les missions n’ont pas été entièrement reprises par les Directions départementales des territoires (on a « dégraissé le Mammouth » !), l’ANCT propose d’accompagner les collectivités qui s’adressent à elle avec des délégations de crédits d’ingénierie, charge aux collectivités bénéficiaires de solliciter des prestataires pour accompagner leurs projets. On marche sur la tête selon nous, mais c’est une conséquence directe du désengagement de l’État dans les territoires, pas de l’existence l’ANCT elle-même.

Sur les territoires, l’ANCT dispose de délégués territoriaux qui sont … les préfets. Donc il n’y a pas plus de présence de terrain hors quelques chargés de mission qu’elle finance pour les comités de massif ou autres chefs de projet sur ses différents programmes. Elle réalise exactement ce pour quoi elle a été créée en 2019, à savoir son rôle de guichet unique au service des collectivités. Cependant, le revers de la médaille d’un tel positionnement, c’est que l’ANCT répond essentiellement aux collectivités (ou à leurs EPCI) qui disposent déjà d’assez d’ingénierie ou de structuration pour faire appel à elle. Une commune en perdition dans un territoire en déprise ne pourra le faire qu’à la condition qu’elle soit accompagnée en amont, par les services préfectoraux et les services déconcentrés des administrations centrales qui sont déjà « à l’os » depuis plusieurs années.

Autre difficulté rencontrée par l’ANCT (et ses directions), c’est qu’elle a perdu la capacité de contrôle direct de l’essentiel de ses crédits qu’avait par exemple conservé le CGET. D’un côté, l’ordonnateur des crédits est la Direction Générale des Collectivités Locales (DGCL) qui dépend du ministère de l’intérieur (quand l’ANCT dépend à la fois du ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation et du ministère de la transition écologique) qui n’a pas d’expertise sur le fond des dossiers et des politiques publiques pilotés par l’ANCT, mais dispose d’une prépondérance dans la rédaction des décrets et circulaires relatives aux politiques publiques concernées et contrôle la libération des crédits du programme 147 (politique de la ville) et du programme 112 (impulsion et coordination de la politique d’aménagement du territoire) de la mission « cohésion des territoires » des lois de finances : le rapport de force politico-administratif est très largement inégal ; de l’autre côté, depuis 2018, ce sont les préfets de région en tant que Responsable de Budget Opérationnel de Programme (RBOP) qui ont la haute main sur l’exécution des crédits de ces deux programmes et la mise en œuvre des actions qui y sont rattachés : les recommandations de l’ANCT et de ses directions ne sont qu’un élément parmi d’autres pris en compte par les RBOP dont l’autonomie d’action, tant qu’ils respectent les cadres généraux, est extrêmement large. Comment l’ANCT pourrait-elle dans ces conditions avoir les coudées franches, disposer des moyens opérationnels concrets pour garantir une cohérence de la mise en œuvre des politiques publiques pour atteindre l’objectif de cohésion territoriale ? Dans un contexte de disette budgétaire, alors qu’on a coupé dru dans le fonds vert, que le programme 112 a perdu 20 % de ses crédits contre 5 % pour le 147, il y a fort à parier qu’une telle délégation de crédits risquent de se faire sur le terrain au détriment de la politique de la ville.

Elle est donc, dans ce contexte, contrainte d’avoir une politique marketing qui, l’espère-t-elle, lui donnera une légitimité auprès du public le plus large possible auquel elle s’adresse : les collectivités territoriales. Dès l’origine, en pleine crise sanitaire, elle s’est ainsi dotée d’un slogan qui ne recouvre que très partiellement l’intérêt de ses missions « L’agence au services des collectivités territoriales ». C’est sans doute aussi pour cette raison que ces différents outils de communication (comme son événement annuel phare l’ANCTour ou son site internet) privilégient largement les programmes et dispositifs s’adressant à la ruralité et à la revitalisation de la « France périphérique » : les maires et présidents d’EPCI sont plus nombreux dans cette catégorie et la politique de la ville, les difficultés sociales et humaines qu’elles tentent de contenir (si ce n’est de résoudre), est visiblement beaucoup moins « glamour » politiquement. Son président, Christophe Bouillon, maire de Barentin (Seine-Maritime) et président de l’Association des Petites Villes de France, est le symptôme de ce « silencement » de la politique de la ville : il n’en parle tout simplement jamais ou presque et doit être systématiquement complété sur ce dossier par son Directeur général, Stanislas Bourron, haut fonctionnaire et ancien patron de la DGCL.

On se souvient de la déclaration de politique générale de François Bayrou le 14 janvier 2025 ; le nouveau Premier ministre avait, dans un discours par ailleurs plutôt plat et ennuyeux, mené la charge en faveur de la « débureaucratisation » et contre les « plus de 1 000 agences, organes ou opérateurs exercent l’action publique […] sans contrôle démocratique réel ». On tente encore de trouver la référence du Béarnais pour avancer un tel chiffre, mais on avait compris que, parmi les cibles de cette diatribe populiste, se trouvait l’ANCT. Pourtant, c’est bien une agence dont le contrôle par le gouvernement est complet, doublé d’un conseil d’administration5 qui offre des garanties de contrôle démocratique assez exemplaires.

Or, deux semaines plus tard, le Premier ministre a demandé à l’IGA, l’IGF, l’IGEDD et l’IGAS de procéder à une revue des dépenses d’interventions de plusieurs opérateurs de l’État au profit des collectivités locales en matière d’ingénierie territoriale. Pour la mener à bien, les inspecteurs concernés, en complément des échanges avec lesdits opérateurs (ADEME, ANCT, CEREMA) et les ministères, ont reçu consigne d’aller interroger « les acteurs territoriaux susceptibles de mobiliser des ressources d’ingénierie, en propre ou porté (sic) par les opérateurs nationaux, pour mener à bien leurs projets d’aménagement ». On voit ici que l’intention est d’aller trouver des éléments pouvant permettre d’accuser son chien d’avoir la rage. Or, si l’ANCT est sans doute loin d’être parfaite – nous venons d’établir un constat balancé sur ses missions et son action –, elle souffre avant de ne pas disposer des moyens suffisants pour mettre en œuvre la tâche qu’on lui a confié : elle a besoin d’avoir des relais administratifs et d’ingénierie plus fort sur le terrain, elle a besoin de contrôler directement les crédits des politiques publiques dont on lui a confié l’expertise et le pilotage, elle a besoin d’avoir réellement la main sur les outils de mobilisation des agents publics (décrets, instructions, circulaires) et d’avoir en matière d’aménagement et d’égalité territoriale un dialogue d’organisation direct avec les préfets et leurs services.

On peut légitimement douter que l’intention actuelle du gouvernement de droite conduit par François Bayrou soit de redéployer des moyens humains dans les administrations déconcentrées de l’État, qu’elles soient rattachées ou non à l’ANCT. La disparition de cette agence ou sa fusion avec d’autres n’aboutirait alors qu’à un nouveau recul de la capacité de l’État à agir dans les territoires (alors même que les collectivités n’ont pas les moyens de prendre le relais, et d’une certaine manière ne doivent pas l’avoir, car cela signerait la fin de l’État républicain et de l’égalité des citoyens devant l’action publique).

Nous sommes le 6 avril 2025, l’ANCT n’a toujours pas reçu notification de sa subvention pour charge de service public pourtant inscrite dans la loi de finances pour 2025. Depuis le 1er janvier de cette année, elle fonctionne sur ses fonds propres, ayant toujours eu une gestion interne particulièrement austère, alors que d’autres agences ou opérateurs de l’État n’ont jamais eu cette précaution (et se retrouvent au bord du gouffre depuis quelques semaines). Mais entre les menaces de cette « mission de rationalisation » initiée par François Bayrou et la baisse des crédits du programme 112 (qui financent les postes des agents – fonctionnaires ou contractuels – de l’ANCT), on sent bien que l’Agence Nationale pour la Cohésion des Territoires risque de prendre un boulet fatal.

Mais ce n’est pas tant une agence parmi d’autres qui serait blessée à mort, c’est l’égalité des territoires au sein de la République française.

Jean-Samuel Castéran

  1. Au-delà site de l’ONPV que vous pourrez trouver tout seul, nous vous recommandons la consultation du site SIG.ville qui est une mine d’information sur les QPV, pour les agents de l’Etat, des collectivités, des acteurs professionnels, les associations, les entreprises, les habitants, et qui ne pourrait pas exister si le projet de loi sorti de la commission spéciale était promulgué tel quel : https://sig.ville.gouv.fr/ ↩︎
  2. Vous trouverez après cet article la liasse d’amendements de rétablissement au format PDF. ↩︎
  3. Les conseils régionaux d’Auvergne/Rhône-Alpes, Grand Est, Île-de-France, où LR règne sans partage (on peut ajouter PACA et Pays-de-la-Loire, proches d’Horizons), ont supprimé depuis plusieurs années tout soutien financier à la Politique de la Ville ↩︎
  4. La conception des contrats de plan État-Région, qui relevait encore du CGET pour l’exercice 2015-2020, n’est plus assumée par l’ANCT qui gère en revanche un nouveau type de contractualisation entre État et collectivités, les Contrats de relance et de transition écologique. ↩︎
  5. https://anct-site-prod.s3.fr-par.scw.cloud/ressources/2025-02/organigramme_ca_dec_2024.pdf ↩︎

Condamnation du RN : la GRS appelle à défendre l’État de droit et les institutions de la République !

communiqué de la Gauche Républicaine et Socialiste le jeudi 3 avril 2025

Tout citoyen a le droit de critiquer une décision de justice, y compris celui ou celle à qui elle s’adresse. Mais personne n’a le droit de jeter le discrédit sur l’autorité judiciaire de la façon dont l’extrême-droite et ses alliés l’ont fait, suite au verdict du tribunal judiciaire de Paris rendu dans l’affaire des assistants parlementaires du RN.

Dans les heures qui ont suivi cette décision, une surenchère verbale inadmissible a dénoncé une prétendue « tyrannie des juges » et mis en cause jusqu’à l’intégrité des magistrats qui appliquent la loi au nom du peuple français.

Des manifestations contre la Justice sont organisées ce dimanche, qui rappellent à nos compatriotes le lourd passif historique des nationalistes et des réactionnaires à l’encontre de l’État de droit, cible de leurs attaques incessantes. Le bruyant soutien des Poutine, Trump, Orban, Salvini et consorts ne laisse guère de doute sur la réalité de cette tentative de déstabilisation.

Il est loisible d’interroger le bien-fondé des lois – en l’occurrence l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité – et d’en proposer des évolutions. C’est la démocratie. Mais remettre en cause les principes fondamentaux de la République, ses institutions et ceux qui ont la lourde charge de les faire vivre est inacceptable.

La Gauche Républicaine et Socialiste en appelle au respect de l’État et de ses fonctionnaires, à plus forte raison lorsqu’ils sont dépositaires de l’autorité publique et indépendants du pouvoir politique.

« Transport ferroviaire : comment éviter que les concurrents de la SNCF ignorent les gares isolées ? » – tribune

Tribune de Chloé Petat, publiée dans Le Figaro, le mardi 1er avril 2025

L’augmentation de lignes rentables sur lesquelles la SNCF est concurrencée fera perdre à l’entreprise publique d’importants bénéfices. Notre camarade Chloé Petat1 dresse des propositions pour éviter que la quête de profits se fasse au détriment des gares les plus isolées.

Il y a quelques semaines, Trenitalia a annoncé la vente de billets à prix réduits sur la ligne Paris-Marseille. Depuis l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs en 2020, le processus semble s’accélérer. La concurrence se manifeste sur plusieurs segments. D’abord, sur les trains à grande vitesse, qui sont des services librement organisés. En effet, l’activité TGV n’est pas considérée comme un service public et n’est donc pas subventionnée par l’État. Des concurrents comme Renfe et Trenitalia opèrent déjà des trains sur certaines lignes. La concurrence survient également sur les trains express régionaux et les trains d’équilibre du territoire, qui sont des services gérés par des autorités organisatrices (les régions et l’État). L’ouverture à la concurrence sur un secteur aussi stratégique que le ferroviaire induit des risques majeurs notamment pour les dessertes du territoire et le financement du réseau.

Historiquement, l’exploitation des lignes les plus rentables, notamment certains TGV, permettait à la SNCF de compenser les pertes induites par l’exploitation des lignes moins rentables. Il s’agit d’un système de péréquation entre les lignes, qui permettait donc d’assurer un équilibre financier pour la SNCF et de maintenir un juste équilibre dans les dessertes des territoires. Avec l’ouverture à la concurrence, la SNCF va perdre des parts de marché, notamment sur les lignes les plus rentables sur lesquelles les nouveaux entrants se positionnent principalement. Le risque est donc que la SNCF assume seule l’exploitation des lignes les moins rentables, ce qui pourrait devenir un gouffre financier. L’exploitation d’un tiers à la moitié des lignes TGV n’est rentable qu’à condition de réduire le nombre de gares desservies. De ce fait, les nouveaux entrants, tout comme la SNCF, pourraient décider de réduire le nombre d’arrêts s’ils ne sont pas contraints. Ces décisions pourraient fortement affecter les dessertes des petites et moyennes villes. Pour éviter ce scénario, l’État doit s’assurer que la concurrence soit correctement répartie sur l’ensemble du réseau et étudier les leviers à sa disposition pour ce faire.

La modulation à la hausse ou à la baisse des péages ferroviaires est une option envisageable, par ailleurs déjà pratiquée. En effet, chaque entreprise qui souhaite faire circuler des trains sur le réseau français doit s’acquitter de ce que l’on appelle des péages ferroviaires auprès de SNCF Réseau. Ces derniers pourraient être plus faibles pour les exploitants qui desservent de nombreuses gares intermédiaires et plus élevés pour ceux qui ne le font pas. Cette modulation, si elle était adoptée, devrait être appliquée équitablement à l’ensemble des opérateurs. Toutefois, cela pose des questions majeures sur le financement du réseau, puisque la modulation réduit les ressources financières qui lui sont allouées. En outre, la réalisation d’un contrat d’exploitation entre la SNCF ou un autre exploitant et l’État pourrait permettre de s’assurer de l’exploitation des lignes non rentables. Toutefois, cela impliquerait de subventionner l’activité TGV ou, a minima, l’exploitation de certaines lignes TGV, ce qui implique un changement d’orientation majeur. Enfin, une autre solution envisagée pourrait être de fonctionner comme l’Espagne, c’est-à-dire conditionner l’exploitation de certaines lignes rentables à l’exploitation de celles qui ne le sont pas, ce que permettent les textes européens.

La concurrence ne peut sérieusement s’envisager sans investissements massifs dans la rénovation et la modernisation du réseau : elle n’aura aucun effet sur un réseau en mauvais état

La modulation à la hausse ou à la baisse des péages ferroviaires est une option envisageable, par ailleurs déjà pratiquée. En effet, chaque entreprise qui souhaite faire circuler des trains sur le réseau français doit s’acquitter de ce que l’on appelle des péages ferroviaires auprès de SNCF Réseau. Ces derniers pourraient être plus faibles pour les exploitants qui desservent de nombreuses gares intermédiaires et plus élevés pour ceux qui ne le font pas. Cette modulation, si elle était adoptée, devrait être appliquée équitablement à l’ensemble des opérateurs. Toutefois, cela pose des questions majeures sur le financement du réseau, puisque la modulation réduit les ressources financières qui lui sont allouées. En outre, la réalisation d’un contrat d’exploitation entre la SNCF ou un autre exploitant et l’État pourrait permettre de s’assurer de l’exploitation des lignes non rentables. Toutefois, cela impliquerait de subventionner l’activité TGV ou, a minima, l’exploitation de certaines lignes TGV, ce qui implique un changement d’orientation majeur. Enfin, une autre solution envisagée pourrait être de fonctionner comme l’Espagne, c’est-à-dire conditionner l’exploitation de certaines lignes rentables à l’exploitation de celles qui ne le sont pas, ce que permettent les textes européens.

Des nouveaux entrants, tels que Trenitalia et Renfe, bénéficient de réductions sur les péages ferroviaires. À titre d’exemple, Trenitalia a bénéficié en 2021 et 2022 de réductions de 37% pour la première année et de 16% pour la deuxième. Il est possible que de nouvelles exonérations soient accordées. L’ouverture à la concurrence va augmenter le nombre de circulations, ce qui va accélérer la dégradation du réseau et rendre d’autant plus indispensable les travaux de rénovation. Pourtant, ces baisses de péages réduisent les contributions financières allouées au maintien du réseau. Chaque nouvel entrant qui utilise le réseau ferroviaire français doit contribuer de manière équitable à sa maintenance, via les péages et des contributions au fond de concours. La concurrence ne peut sérieusement s’envisager sans investissements massifs dans la rénovation et la modernisation du réseau : elle n’aura aucun effet sur un réseau en mauvais état. L’augmentation du nombre de voyageurs et l’amélioration de la qualité de service reposent majoritairement sur la capacité à disposer d’un réseau de bonne qualité, avec des capacités de circulation augmentées.

Chloé Petat

  1. Chloé Petat est co-rédactrice en chef du média Le Temps des Ruptures. Elle a récemment publié La révolution ratée du transport ferroviaire (Le Bord de l’Eau, 2024). Elle est également membre du collectif d’animation nationale et du collectif de direction de la Gauche Républicaine et Socialiste. ↩︎

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