Atonie de la croissance française : ce qu’il faut changer

Nous sommes revenus fréquemment, depuis 2010, sur l’erreur économique dramatique commise avec le « tournant de l’offre » ; notons cependant que ce que l’on a appelé « tournant » en novembre 2012 n’en était pas un, mais la continuité de la politique économique de Nicolas Sarkozy, alignée sur le consensus des droites européennes.

Nicolas Sarkozy a mené en 2008-2009 une des politiques de relance face à la crise financière les moins efficaces d’Europe. Refusant de remettre du pouvoir d’achat et de l’investissement directement, il a préféré mobiliser d’énormes moyens dans des baisses d’impôts, de TVA, pour relancer la consommation, sans cibler ni conditionnalités. Une bonne partie de cette relance a financé… l’industrie allemande.

En 2010, face à la dégradation des comptes et du commerce extérieur, Sarkozy a décidé de se rallier au plan d’Angela Merkel de faire de la consolidation budgétaire. L’économie européenne n’était pas encore repartie d’une manière harmonieuse. De nombreux pays avaient découvert des systèmes particulièrement nocifs et désastreux pour les finances publiques laissés par les gouvernements de droite précédents en Italie, en Grèce, en Irlande, au Portugal. La relance du système financier laissait aussi d’énormes liquidités en recherche d’investissements.

Couper les politiques de relance, c’était se priver de ces liquidités, c’était prendre le risque d’une récession en pleine croissance mondiale, c’était également rendre la dette publique européenne vulnérable à des attaques spéculatives. L’équivalent du ministre des finances d’Obama, Timothy Geithner, a raconté dans ses mémoires comment il a essayé, sans succès, de convaincre Sarkozy, Trichet, Barroso et Merkel de ne pas s’engager dans cette voie. A la sortie de son livre, un magazine a révélé qu’il avait qualifié en réalité cette politique de « stupide ».

Des excédents commerciaux allemands inutiles

Nous sommes dans la continuité de cette politique depuis. L’Allemagne stagne. Depuis 2019, l’Allemagne n’a pas connu de croissance ! Ah, les excédents commerciaux sont là, mais ils ne servent à rien, n’étant pas transmis aux Allemands mais confisqués par les plus riches du pays. L’extrême droite, inexistante en 2010, est dans les sondages le premier parti d’Allemagne en 2025.

La France stagne à son tour. Citons la dépêche AFP sur les chiffres de la croissance :
« Au premier trimestre, la croissance de la deuxième économie de la zone euro a souffert d’une consommation des ménages sans dynamisme, stable après une progression de 0,2% au cours des trois mois précédents. Les investissements ont continué à évoluer en territoire négatif (-0,2% après -0,1%): tant pour les entreprises que les ménages et les administrations publiques.
Contexte politique instable
La contribution du commerce extérieur est également négative (-0,4 point) en raison d’une nette diminution des exportations (-0,7%) alors que les importations ont augmenté de 0,4%.
»

Depuis 15 ans, ce sont les mêmes paradigmes qui sont employés, en France et en Europe, pour un échec complet. En France aussi, l’extrême droite est devenue le premier parti en voix. Le RN ne sait pas comment construire des alliances majoritaires, espérant devenir seule hégémonique, et cette médiocrité profonde est la seule bonne nouvelle de la période. Il s’est pourtant aligné sur les positions économiques sur les idées de Sarkozy, de Hollande et Moscovici, de Macron, Le Maire, Bayrou ou Retailleau.

Ne pas tirer toutes les conséquences de l’échec

Au départ, Mario Draghi est un banquier classiquement néolibéral. Mais il a eu au moins un mérite : éviter la catastrophe économique à la zone euro en faisant adopter à la BCE, contre l’Allemagne, une politique monétaire accommodante et moins austéritaire. En ce sens, il a forcé les tenants de la rigueur à s’éloigner d’une lecture stricte des traités. Et il en est même arrivé à la conclusion des Américains : il faut aussi actionner le levier budgétaire pour relancer l’économie, mais sans se départir, comme les Américains, de l’obsession de la dérégulation, c’est-à-dire d’une déformation durable du partage de la valeur ajoutée en faveur du capital.

Au final, lui aussi reconnaît dans le rapport qu’il a remis un retard d’investissement de 5 points de PIB pendant dix ans en Europe. Mais, loin de constater que la politique menée depuis 15 ans n’a de vainqueur qu’une seule catégorie d’Européens, ceux gagnant plus de 10 000 euros net par mois, ou accumulant du capital pour ne plus vivre de leur travail, Draghi veut investir en continuant de favoriser le capital contre le travail.

C’est cela le changement de paradigme dont on a besoin : remettre la politique fiscale, budgétaire, publique, et l’investissement au service des forces vives du travail. Même la contribution dite de « nouveau socialisme » de Philippe Brun ne le dit pas dans le débat du PS. La gauche radicale refuse d’en parler, pensant que la lutte culturelle, partant des discriminés, se suffit à elle-même pour dénoncer les abus du capitalisme contemporain. Or, en se concentrant sur ces luttes, nécessaires par ailleurs, on manque la big picture.
La lutte au niveau des conséquences micro-économiques des politiques ne permet pas de révéler le tableau dans son ensemble, ni de proclamer la solidarité des intérêts de toutes les classes qui travaillent – les 99%.

Ce changement de paradigme doit s’accompagner d’une réflexion profonde sur la nature des crises des 25 dernières années. Le néolibéralisme et le rêve d’une « globalisation heureuse » est une doctrine de navigation sur un lac par beau temps, et non un manuel pour survivre au Vendée Globe Challenge. L’équilibre des marchés est censé créer un monde où la crise est impossible. Dans ce modèle, le chômeur est forcément responsable de son chômage, le modèle en équilibre proclamant l’impossibilité du chômage.

Mais ce monde parfait n’existe pas.

Les théories manquent de prédire, de modéliser les crises. Ces modèles pensent l’homo economicus, le modèle du comportement rationnel de l’agent humain, immortel, et considère l’Etat, l’agent public, mortel. C’est ainsi que l’acteur humain est privé de considérations liées à sa nature, pendant que l’on exige de l’Etat de se gérer comme un ménage devant rembourser ses dettes. Ces modèles rejettent l’idée que l’homme, face à la mort, choisisse le réconfort de la solidarité. Ils veulent des individus isolés, égoïstes, jouisseurs. La réflexion morale est absente des modèles.

A partir de là, le refus des exigences du vivant prend des tours accablants. Le marché agro-alimentaire est traité comme s’il n’y avait ni saison, ni climat, ni maladies. La crise géopolitique n’existe pas dans les modèles. La rationalité économique exclut pour la Russie d’envahir l’Ukraine, alors on anticipe pas l’impact économique de ce choix géopolitique.
On peut dérouler longtemps.

Retrouver les fondements d’une alternative

Le penseur économique qui a donné des théories explicatives des crises s’est confronté aux trois événements dramatiques du demi-siècle où il a vécu. En 1914, il sauve le système financier britannique à la déclaration de guerre, qu’aucun économiste n’avait prévu, la guerre étant rationnellement une perte économique. C’est lui qui conseille le gouvernement dans la mise en place de l’économie de guerre qui permettra la victoire.
Il critique dès 1919 le traité de Versailles comme « stupide » et son livre prévoit les crises qui suivirent. Cela lui coûte en crédit, on le mets de côté. C’est ce qui lui permet de théoriser la pratique de gestion des crises qu’il vient de mener en pratique.

En 1929 il a des idées pour surmonter la crise mondiale, mais les théoriciens du marché et de la consolidation budgétaire n’en veulent pas. C’est Roosevelt, aux Etats-Unis, qui s’inspire de cet économiste pour la relance de l’économie. En 1940, il devient de nouveau une voix écoutée face à l’énorme défi de l’économie de guerre face à Hitler et au militarisme japonais. Il construira des esquisses de plan de reconstruction européenne mais meurt prématurément après la victoire.

Cet économiste, c’est Keynes.

Voilà les changements de paradigmes :

  1. Reconnaître la brutalité extrême, déséquilibrée, du capitalisme après 25 ans de consensus néolibéral, de foi dans le marché comme régulateur des sociétés humaines, et du commerce comme facteur de paix et de progrès.
  2. Reconnaître l’absence totale de fiabilité des modèles économiques dominants face aux crises, qu’elles soient externes au système économique (attentat de 2001, guerre de 2022), conséquences indirectes d’un système où le contrôle public est désavoué (pandémie COVID en 2020, pour les éleveurs les répétitions de pandémies animales), où internes (crise financière de 2008). La crise de 2025 est à la conjonction de toutes ses crises et enfonce le clou dans le cercueil néolibéral.
  3. Rallier les retours d’expériences et les théories de gestion de crise et de prévision de celles-ci ; c’est-à-dire, les théories écartées depuis 40 ans des chaires académiques. Le keynésianisme est un système de départ.
  4. Dénoncer le partage inouï en faveur du capital contre le travail, car c’est ce qui permet de retrouver les solidarités et les universalités des intérêts dans toutes les Nations. Oui, il s’agit d’empêcher une oligarchie mondiale de s’imposer. Oui, cela dépasse la somme de toutes les luttes car cela concerne même des classes, travaillant, qui pensent être elles-mêmes dominantes, alors qu’elles-aussi stagnent dans le partage des richesses.

Il nous faut repenser tout le système, toute la méthodologie quotidienne de l’action, et mettre à genoux les puissances d’argent.

Mathieu Pouydesseau et Laurent Miermont

Les Françaises votaient pour la première fois voici 80 ans

Le 29 avril 1945, voici 80 ans jour pour jour, les citoyennes françaises votaient pour la première fois, lors du premier tour des élections municipales. On dit que c’est l’ordonnance du 21 avril 1944, passée alors largement inaperçue dans la France occupée, signée par le Général De Gaulle qui leur avait préalablement accordé ce droit, mais cette ordonnance venait sanctionner un débat houleux au sein de l’Assemblée Consultative de la France Libre à Alger le 24 mars 1944.

Le droit de vote féminin arraché in extremis

Le chef de la France libre s’était engagé dès le 23 juin 1942 dans cette direction : « En même temps que les Français seront libérés de l’oppression ennemie, toutes leurs libertés intérieures devront leur être rendues. Une fois l’ennemi chassé du territoire, tous les hommes et toutes les femmes de chez nous éliront l’Assemblée Nationale qui décidera souverainement des destinées du pays. » Le vote des femmes fait en effet partie du programme de modernisation de la société française voulu par de Gaulle. La question du suffrage féminin n’est pas mentionnée dans le programme du Conseil national de la Résistance en mars 1944. Aussi le Général De Gaulle confirmait le 18 mars 1944 devant l’Assemblée consultative son orientation « le régime nouveau doit comporter une représentation élue par tous les hommes et toutes les femmes de chez nous ». Un sujet sur lequel il semblait plus convaincu que nombre de ces contemporains des deux sexes et, concernant les opinions traditionalistes de certaines femmes, il s’en désolait selon son fils le futur Amiral Philippe De Gaulle : « comment ne comprennent-elles pas qu’elles doivent exprimer leur avis au plan politique et social et en particulier d’abord dans la vie locale ? N’ont- elles pas d’emprise sur la ville, sur le village ? »

Pourtant le 24 mars, les représentants des Radicaux au sein de l’Assemblée consultative s’opposent encore comme ils l’avaient fait face à la volonté des socialistes d’instaurer ce droit de vote universel lors du Front Populaire en 1936 (en juillet la Chambre des députés se prononça l’unanimité par 475 suffrages pour le suffrage féminin ; le Sénat dominé par le Parti radical n’inscrivit jamais ce texte à son ordre du jour). C’est le délégué communiste Fernand Grenier qui portera le flambeau pour que la « femme française » soit désormais électrice et éligible, « afin que nous lui manifestions notre solidarité et notre volonté de ne plus la traiter en mineure, en inférieure ». Le Sénateur radical Paul Giacobbi mène les débats et tente de limiter toute avancée réelle : voudrait n’inscrire dans la loi que le principe de l’éligibilité des femmes, s’inquiétant du déséquilibre des sexes dans la France de l’après-guerre : beaucoup d’hommes étant encore prisonniers en Allemagne, accorder le droit de vote aux Françaises n’équivaudrait-il pas à « remplacer le suffrage masculin par le suffrage féminin » ? Sacré jésuitisme ! Et il faillit bien l’emporter. Mais Fernand Grenier finit par convaincre une majorité de délégués ; au soir du 24 mars 1944, l’amendement Grenier « Les femmes seront électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes. » est finalement ratifié par l’Assemblée consultative d’Alger par 51 voix contre 16.

Voter pour le droit de vote

C’est pour cela qu’il faut souligner l’importance du vote du 29 avril 1945. Alors même que les combats ne sont pas terminés en Europe, que les troupes soviétiques affrontent les derniers carrés des fanatiques nazis dans les rues de Berlin, la veille du suicide d’Adolf Hitler, les femmes françaises décident de voter massivement pour ces élections municipales. Elles ont elles-même tordu le cou à la fable selon laquelle la majorité d’entre elles auraient considéré que ce n’était pas leur affaire, que les hommes n’avaient qu’à s’en débrouiller, qu’elles avaient des responsabilités et d’autres influences et n’avaient pas à perdre leur temps sur des questions politiques. Les femmes ont donc voté ce jour-là pour le droit de vote des femmes. Le scrutin municipal de 1945 fut fortement médiatisé, l’attention des journalistes étant presque entièrement focalisée sur le comportement des femmes, entre condescendance contre celles qui n’en maîtriseraient pas les codes et admiration pour la patience des femmes qui firent parfois plusieurs heures de queue afin d’accomplir pour la première fois cet acte citoyen. Les élections du printemps 1945 se soldèrent par une forte percée du PCF ; le vote féminin ne semble pas avoir introduit une révolution majeure dans la pratique électorale, ni déclenché la vague cléricale que redoutaient les radicaux.

Un trop long chemin

Comment ne pas souligner cependant le retard français par rapport aux autres démocraties : la Nouvelle Zélande a établi ce droit dès 1893, l’Australie en 1902 ; entre les deux guerres mondiales, d’autres pays encore nous devancèrent : la Grande-Bretagne, l’Allemagne, les Pays-Bas, les États- Unis, mais aussi l’Inde, la Turquie ou encore le Brésil. Qui se souvient de la candidature de Marie Denizard à l’élection présidentielle de 1913, de celle de Marguerite Durand aux élections législatives de 1910 ou encore de Louise Weiss qui aurait refusé d’intégrer le gouvernement Blum en répondant « j’ai lutté pour être élue, pas pour être nommée » ? Combien de temps furent méprisées et humiliées les conseillères issues des élections municipales de mai 1925, Augustine Variot à Malakoff, Marie Chaix à Saint-Denis, Marthe Tesson à Bobigny et Marguerite Chapon à Villejuif ou Joséphine Pencalet représentante des Penn Sardines en lutte de Douarnenez : il y a souvent très peu d’écarts de voix avec leurs homologues masculins puisque leurs noms sont peu rayés, preuve que l’électorat est déjà prêt pour cette avancée. Pourtant, le conseil d’Etat annulera une à une ces élections dès janvier 1926, le préfet de la Seine n’hésitant pas à envoyer la police pour empêcher Augustine Viarot de siéger en avril 1926.

Comment ne pas souligner également qu’il aura fallu que Charles De Gaulle constate, avec une forme de paternalisme, leur courage à travers deux conflits mondiaux pour qu’il soit convaincu de leur accorder des droits civiques ; finalement, cela n’allait pas de soi par le simple argument de l’égalité humaine.

Continuer le combat

Aujourd’hui, ce droit semble acquis et la parité a installé dans les assemblées soumises au scrutin de liste la place de de l’élue comme incontournable. On connaît cependant les tactiques pour contourner la parité dans les partis conservateurs (avec une forme d’expertise des LR au Sénat en la matière) et on constate de scrutins en scrutins combien de partis sont prêts à accepter de payer des amendes importantes pour ne pas respecter l’obligation de parité dans les candidatures et dans les équilibres entre les sexes dans leurs groupes parlementaires ? La proportionnelle est sans doute un combat à mener sur ce chemin inachevé. Sans parler même de la vigilance face aux offensives réactionnaires toujours vivaces.

Frédéric Faravel

Changement climatique : Un impératif de sécurité civile

Tenir bon sur le climat, en actualisant les objectifs et les argumentaires : C’était le propos du Sommet Climate Chance Europe Afrique 2025 qui s’est tenu à Marseille les 31 mars et 1er avril 2025.

Depuis le Sommet de Rio de 1992 et la première COP à Berlin en 1995, il y en a eu des engagements ! Trente ans plus tard, des avancées existent mais l’heure est au rééquilibrage atténuation/adaptation. Le titre du Sommet était clair : « Adaptation : Passer à l’action ! »

En effet, l’ampleur et la succession rapide des catastrophes climatiques, la montée des réactions autoritaires, de l’obscurantisme et du déni scientifique, la prédation exacerbée des ressources (« drill, baby, drill ! ), les guerres et la hausse des dépenses militaires, ne nous permettent plus de préparer confortablement le développement durable pour les « générations futures ». C’est maintenant qu’il faut préserver la paix et la gestion durable des ressources, en trouvant les moyens de protéger les populations et de renforcer la sécurité civile. Ce dernier point reste cependant timidement abordé dans les enceintes de discussions climatiques.

S’adapter ou atténuer ? Pas de faux débats !

Un faux débat peut opposer les politiques d’atténuation et d’adaptation. Beaucoup considèrent que « s’adapter », c’est renoncer à « atténuer ». Cependant, aucun scenario du GIEC ne prévoit une possible baisse de température moyenne. C’est la baisse des gaz à effet de serre qui est recherchée, pour atténuer la hausse des températures et ses effets d‘emballement. Le scenario le plus optimiste à +1,5 °C en 2100 (objectif de la COP 21 à Paris en 2015) est fondé sur des politiques climatiques drastiques qui n’ont pas pu se mettre en œuvre. Il n’est plus plausible aujourd’hui.

Dans son introduction au Sommet de Marseille, le Sénateur écologiste Ronan Dantec a voulu « briser un tabou » en fixant l’objectif d’un scenario à +4°C à 2100, sachant que cette hypothèse tient compte la neutralité Carbone en 2050 en Europe et des engagements de la Chine. En se positionnant sur les scenarios les plus pessimistes à la fin du siècle, on redonne paradoxalement de la motivation à agir maintenant, plutôt que de provoquer des paniques de « sauve qui peut » sur des objectifs inatteignables. Les idéologies darwinistes, le retour en force de la loi des plus forts et des plus riches, se nourrissent de cette panique.

Reprendre le fil de politiques écologiques fondée sur le bien-être et la protection de tous est vital. Il se trouve que de nombreuses mesures d’adaptation sont les mêmes que l’atténuation : isoler les bâtiments évite de consommer de l’énergie (atténuation) et de souffrir de canicule l’été (adaptation), planter des arbres rafraîchit les villes (adaptation) tout en stockant le CO2 (atténuation). En protégeant de la vulnérabilité, l’adaptation peut être une vision d’anticipation et de transformation. La différence est qu’elle s’inscrit dans un présent immédiatement perceptible par les populations, ce qui aide à apaiser les visions du futur.

Protéger dans l’urgence, aménager dans la durée : Un double impératif

En effet, les politiques de long terme, qui restent évidemment nécessaires, sont confrontées à l’urgence de protéger les populations dans des situations de crise spectaculaires qui peuvent décourager d’agir, comme si la bataille était de toute façon perdue : cyclone à Mayotte, grandes inondations à Valence, grands incendies à Los Angeles, prédation des ressources déclenchée par la fonte des glaces en Arctique… La France métropolitaine n’est pas épargnée, et pas suffisamment préparée. La montée des eaux en Méditerranée vient, par exemple, de faire l’objet d’un rapport alarmiste des trois Chambres régionales des comptes de Corse, PACA et Occitanie.

Ce rapport pointe l’aveuglement du marché de l’immobilier et des plans locaux d’urbanisme. Il chiffre l’explosion prévisible des coûts d’assurance et d’indemnisation. Les petites communes de la vallée de la Roya qui ont subi de grandes inondations en octobre 2020, en connaissent malheureusement la douloureuse expérience, avec l‘incapacité de trouver des assurances aujourd’hui.

Nos plans d’adaptation nationaux et européens ne sont pas à la hauteur de cette révolution à penser dans l’aménagement des villes, des campagnes et des forêts. Le nouveau Plan national d’adaptation au changement climatique attendu depuis 2023 et présenté en mars 2025, se positionne lui aussi sur le scenario à + 4°C en 2100 (+ 2,7 ° en 2050). Il est cependant critiqué pour ses moyens insuffisants, alors que des coupes budgétaires sont actuellement réalisées dans toutes les politiques environnementales.

Un sujet difficile est de permettre une maîtrise foncière efficace pour agir vite. C’est le problème aussi de la lutte contre l’habitat indigne, paralysée par des procédures interminables et coûteuses. Aujourd’hui, les élus locaux sont confrontés à ce qu’ils vivent comme des injonctions contradictoires : construire plus de logements, notamment sociaux (loi SRU), tout en protégeant les terres de l’artificialisation (loi ZAN). Une meilleure articulation entre les Code de l’Urbanisme, de l’Environnement, de la Construction et de l’Habitat, avec la création d’outils communs permettant de concilier les objectifs plutôt que de les opposer, devient une priorité. Trop souvent, la simplification à la tronçonneuse, très en vogue aujourd’hui, se résume à couper des moyens et des réglementations pour l’environnement, au lieu de les intégrer en appui des politiques d’habitat et d’urbanisme.

Dans le même temps, les politiques libérales s’attaquent aussi aux moyens publics de secours et d’intervention. Pourtant les « pompiers privés » des riches résidences en Californie ont été inefficaces contre les grands incendies. Les habitants de Valence en Espagne se sont mis en colère quand ils ont appris que le gouvernement local conservateur avait minimisé les risques météo, et tardé à demander du soutien à l’État espagnol dirigé par le parti socialiste, parce que le coût du recours à l’Unité Militaire d’Urgence était jugé trop élevé.

Ce qui coûte cher, ce ne sont pas les forces de sécurité civile, c’est l’adaptation réactive de crise et les dommages des catastrophes.

Marseille, une ville méditerranéenne aux avant-postes

Comme Valence ou Barcelone, Marseille est une grande ville côtière de Méditerranée confrontée à des changements climatiques majeurs. La Ville s’est récemment engagée dans un Contrat de Ville Climatique qui agit sur des politique publiques structurantes. Il était grand temps !

Parmi toutes les mesures nécessaires, insistons sur la protection des posidonies, puits de carbone plus efficace que la forêt amazonienne, pour s’adapter et atténuer le changement climatique.

Bien des efforts restent à faire sur l’alimentation, l’industrie, l’habitat, la mobilité, la gestion de l’eau. A Marseille, les émissions de CO2 proviennent essentiellement des transports longue distance, déplacements pendulaires, flux autoroutiers Marseille-Aix, Marseille Ouest Etang de Berre. Ce dernier point montre l’importance d’investissements structurants comme le projet ferroviaire Ligne Nouvelle Provence Côte d’Azur, et d’un renforcement du plan de transports métropolitain pour réduire les flux autoroutiers de la voiture thermique.

Cependant, ce contrat climatique sous-estime encore l’importance d’intégrer une vraie politique de gestion des risques et de renfort de la sécurité civile. Ce sera un des enjeux majeurs du prochain mandat. La ville a cette particularité de bénéficier déjà d’un corps de marins-pompiers très efficace et apprécié de la population. Initialement institué comme une sanction de l’État face à l’incapacité de la Ville à sauver des vies dans l’incendie des Nouvelles Galeries en 1938, cette unité militaire de pompiers devient aujourd’hui un atout majeur. Constitué de 2500 militaires et civils, leurs budget est financé par la Ville et par l’État.

Bien au-delà des 128 000 interventions d’urgence par an qu’ils réalisent, leurs bases de données dans l’urbanisme, leur connaissance du terrain mais aussi leurs projets de recherche et d’innovation en font un service support transversal pour l’anticipation et la gestion des risques. Les marins-pompiers se sont distinguées dans la lutte contre l’habitat indigne et surtout dans la crise sanitaire où ils ont innové dans la capacité à analyser et suivre les différents variants du COVID dans les eaux usées. Ils sont en capacité de participer à des projets de recherche européens.

En sauvant des vies tous les jours, les forces de secours transmettent un message universel qui semblait évident il y a quelques années, mais qui redevient précieux aujourd’hui : celle de la vulnérabilité de l’humain et de la nécessaire action collective pour se protéger. Alors que les argumentaires sur le climat sont malheureusement dénigrés à cause de leur complexité, la simplicité et l’efficacité des forces de protection civiles en font les meilleurs alliés des politiques environnementales.

Sophie Camard

Le racisme anti-musulman tue, la République punira sans trembler

Vendredi 25 avril 2025, un fidèle musulman Aboubakar a été assassiné dans la mosquée de La Grand Combe, poignardé de plusieurs dizaines de coups de couteau, par un homme qui a pris à la fuite après avoir proféré des insultes contre l’Islam.

La Gauche Républicaine et Socialiste exprime sa solidarité avec les proches de la victime et sa communauté.

Nous rappelons que les lois de la République garantissent au premier chef la liberté de conscience, la liberté de croyance et la liberté de culte : personne ne doit être inquiété ou menacé pour sa pratique religieuse (réelle ou supposée) quand le respect des règles collectives est assuré.

Il est donc du devoir des autorités publiques de prendre toutes les mesures pour renforcer la sécurité devant les lieux de culte et de tout mettre en œuvre pour arrêter le meurtrier : la justice devra ensuite faire son office avec toute la fermeté que requiert l’horreur de cet acte avec la circonstance aggravante d’un crime haineux et terroriste.

Depuis de nombreuses années, l’extrême droite a trouvé une nouvelle manière d’habiller l’expression de son racisme, dimension essentielle de son idéologie. Pour rendre plus acceptable sa haine, elle a cherché à la maquiller en critique de l’Islam et de la place que cette confession occupe en France. Ce racisme anti-musulman n’est rien d’autre que la poursuite du racisme anti-maghrébin et anti-africain qui encourageait les « ratonnades » et les passages à tabac. Le changement de vocabulaire de l’extrême droite ne change pas le résultat final : il encourage comme avant le passage à l’acte et à la violence. Le meurtre d’Aboubacar ce vendredi nous rappelle à tous que le racisme … qu’il stigmatise les personnes à raison de leur origine, de leur aspect, de leur religion, de leur appartenance réelle ou supposée à tel ou tel groupe ethno-culturel … le racisme tue !

La République française est une république fondée sur la Liberté, l’Égalité et la Fraternité. Pour mettre en œuvre ces principes, elle est depuis 1905 laïque ce qui implique que toutes les confessions sont respectées de la même manière du moment qu’elles acceptent les lois de la République. Depuis cette date, c’est le cas de l’Islam comme toutes les autres ! Les autorités républicaines sauront le démontrer dans cette affaire en arrêtant et en punissant l’assassin de manière exemplaire.

C’est un enjeu de cohésion nationale.

Drapeaux en berne pour le pape François : « Non, la République n’a pas à porter le deuil d’un chef religieux » – tribune dans Marianne

Le gouvernement a décidé de mettre les drapeaux français en berne sur les bâtiments publics samedi 26 avril, jour des funérailles du pape François. Une décision que critiquent, dans cette tribune publiée dans Marianne le 24 avril 2025, plusieurs personnalités juridiques, associatives, politiques ou universitaires au nom de la laïcité.

En décidant de mettre les drapeaux en berne pour la mort du pape François, Emmanuel Macron engage la Nation dans un deuil qui n’a rien de républicain. Ce geste n’a rien d’automatique : la France ne l’a pas fait pour Benoît XVI, ni pour Jean-Paul Ier. Elle ne l’a accordé qu’à des figures dont le rayonnement dépassait tout cadre spirituel ou dogmatique – Nelson Mandela, la reine Elizabeth II, le roi Hussein de Jordanie.

Or le pape, quel qu’il soit, reste avant tout une autorité religieuse. François n’échappe pas à la règle. Chef d’un État dont la vocation première est religieuse, il est l’incarnation du dogme catholique. Si ses prises de position sur le climat ou les inégalités ont pu séduire au-delà de l’Église, elles ne font pas de lui une figure universelle dont les valeurs rejoignent celles de notre République.

Laïcité malmenée

Mettre les drapeaux en berne, c’est associer symboliquement l’ensemble de la République à cette peine. C’est demander à des millions de citoyens, croyants d’autres religions, agnostiques, athées ou indifférents, de porter un deuil qui n’est pas nécessairement le leur.

C’est une confusion grave entre ce qui relève de l’intime et ce qui engage l’État, le peuple, la nation. Dans une République laïque, on ne pleure pas au nom de tous en fonction d’un culte.
Ce n’est pas la première fois que le président malmène la laïcité. On se souvient de son discours aux évêques de France, appelant à « réparer le lien abîmé » entre l’Église et l’État.

De sa visite au Vatican, assumée comme une démarche « intime ». D’un déjeuner à l’Élysée avec bénédiction à la clé. Le report d’un projet de loi sur la fin de vie en raison de la venue de ce même pape. Plus récemment, il a allumé les bougies de Hanouka dans les salons de la République. À chaque fois, la même logique, la même confusion entre l’observance d’un principe fondamental de notre République qui impose à l’État la neutralité à l’égard des cultes et une laïcité édulcorée, envisagée comme sensible à tel ou tel culte selon les circonstances. Mais la laïcité n’est pas et ne doit pas être un principe à géométrie variable ! La laïcité n’est pas la coexistence des religions sous le regard bienveillant de l’État. Ce n’est pas un dialogue interreligieux orchestré depuis l’Élysée. Ce n’est pas l’État qui s’incline devant les dogmes.

La laïcité, c’est la séparation. C’est la liberté absolue pour chaque citoyen de croire, de ne pas croire, de ne pas savoir, de douter, de changer d’avis ou d’être indifférent à la chose religieuse. C’est la possibilité d’afficher ce que sont ses convictions dans le cadre de la loi, mais aussi de les garder pour soi si on le souhaite. Et le seul moyen d’assurer cela, réside dans la neutralité stricte de l’État face à toutes les croyances. C’est une République qui protège toutes les consciences, tous les individus, chaque citoyen sans préférence.

Ne pas ménager les sensibilités

À l’approche des 120 ans de la loi de 1905, il est plus que temps de remettre les pendules à l’heure. Cette loi fondatrice n’a pas instauré un quelconque respect qui serait dû aux religions – elle les a sorties de la sphère publique pour garantir la liberté de tous. Elle ne visait pas à ménager les susceptibilités religieuses, mais à permettre la souveraineté de l’espace civil et politique, un espace autonome, affranchie des dogmes.

Les bâtiments publics sont les temples de la République, pas ceux de la foi. Les drapeaux tricolores n’ont pas à s’abaisser pour honorer un chef religieux, aussi respecté et aussi respectable soit-il. Chacun est libre d’éprouver du chagrin. Mais personne ne peut imposer son ressenti à la communauté nationale toute entière.

La laïcité n’est pas la négation de la foi : elle est la condition de sa liberté. Mais la République ne peut être le réceptacle d’une seule partie de la population et de sa peine légitime. Elle ne reconnaît que les citoyens qui la composent, en cette seule qualité.

Signataires :

  • Guillaume AGULLO, Référent Occitanie Printemps Républicain
  • Cyprien ASSEH, Militant PS et Génération Charlie
  • Pierre Nicolas BAPT, Vice-Président du PRG31 et référent du PRG à Toulouse
  • Younès BEN HADOU, Référent jeunes du Printemps Républicain
  • Béatrice BENABBES, Professeur d’espagnol, Vigilance Collèges Lycées
  • Rouven BRANENBERG, Juriste, Secrétaire général du Printemps Républicain
  • Marika BRET, Essayiste, Présidente Printemps Républicain
  • Florence BRUTUS, Vice-Présidente de la Région Occitanie (PRG)
  • Christelle CABANIS, Conseillère départementale du Tarn (PRG)
  • Joseph CARLES, Maire de Blagnac (31) et Vice-Président de Toulouse Métropole
  • Guylain CHEVRIER, Co-fondateur Vigilance Travail Social
  • Nicolas COSTES, Militant associatif
  • Carole DELGA, Présidente de la Région Occitanie
  • Gilbert-Luc DEVINAZ, Sénateur (PS) du Rhône
  • Lucas DUVAL, Millitant associatif et politique
  • Galina ELBAZ, Avocate au Barreau de Paris
  • Cécile FADAT, Élue et militante socialiste
  • Sébastien FAGNEN, Sénateur (PS) de la Manche
  • Philippe FOUSSIER, Vice-Président d’Unité Laïque
  • Vincent GAREL, Conseiller Régional d’Occitanie
  • Emmanuel GELLMAN, Printemps Républicain
  • France GERBAL-MEDALLE, Docteur en géographie
  • Delphine GIRARD, Vigilance Collèges Lycées
  • Floriane GOUGET, Étudiante
  • Jean-François GRILLET, Directeur Général Rezo 1901 et référent Rhône Alpes Printemps Républicain
  • Jérôme GUEDJ, Député socialiste de l’Essonne
  • Franck GUEGUENIAT, Porte-parole du PRG, Maire d’Épron (14)
  • Éric JEANSANNETAS, Sénateur de la Creuse
  • Pierre JUSTON, Militant PS
  • Arthur LABATUT, Président des JRG
  • Guillaume LACROIX, Président du PRG
  • Vincent LAUTARD, Directeur dans le secteur de la santé
  • Martin LOM, Journaliste et Président de Génération Charlie
  • Maxime LOTH, Étudiant à Sciences Po Paris, responsable du Printemps Républicain à Sciences Po et militant à la LICRA
  • Mohamed MAAFRI, Adjoint au Maire de Blagnac (31)
  • Kamyar MAJDFAR, Directeur Général de l’UES LE&C
  • Emmanuel MAUREL, Député (GRS) du Val d’Oise
  • Karan MERSH, Professeur de philosophie
  • Julien MIDALI, Militant du PRG
  • Franck MONTAUGÉ, Sénateur du Gers
  • Patrice MUR, Militant du PRG
  • Monique NOVARETTI, Conseillère régionale d’Occitanie (PRG)
  • Pierre OUZOULIAS, Sénateur (PCF) des Hauts-de-Seine
  • Henri PEÑA-RUIZ, Philosophe, auteur du “Dictionnaire amoureux de la laïcité”
  • Nicolas PENIN, Grand Maitre du GODF
  • Laurence ROSSIGNOL, Sénatrice (PS) du Val-de-Marne
  • Jean Pierre SAKOUN, Président d’Unité Laïque
  • Stéphanie SENSE, Conseillère régionale d’Occitanie (PRG)
  • Florence SIGUIER, Cheffe d’entreprise
  • Sophie TAIEB, Référent Hauts de France Printemps Républicain
  • Mickaël VALLET, Sénateur de Charente-Maritime
  • Paul Alexandre VOISIN, Co-fondateur Vigilance Travail Social et Référent Occitanie Printemps Républicain
  • Arlette ZILBERG, Porte-parole du collectif Les CitadElles

La dette a remplacé l’impôt au profit des plus riches

Voici la représentation la plus saisissante sur combien la politique de l’offre, en appauvrissent l’Etat, enrichit les riches.

L’épargne des ménages a progressé du montant des recettes fiscales manquant à l’Etat.

Les ménages riches n’ont pas consommé ni investi l’épargne dans l’économie privée.

Ils ont acheté des bons du trésor (Le mécanisme est beaucoup plus complexe, mais en fin de compte ça revient à ça) : au lieu de lever l’impôt, l’État a redonné l’argent de l’impôt aux riches qui prêtent cet argent à l’État contre des taux d’intérêts. Ce serait plus simple et moins coûteux de revenir à l’imposition

Par ailleurs, la théorie selon quoi l’épargne finance l’investissement des entreprises est ici contredite (une nouvelle fois) de manière éclatante. L’État aurait investi ces fonds, l’impact sur l’économie privée aurait été plus bénéfique que ce que prévoyait la « politique de l’offre ».

La politique de l’offre n’a pas « libéré les énergies productives » ni « redonné de la compétitivité » et encore moins « rétabli les marges des entreprises pour qu’elles puissent investir ». Elle a alimenté la reconstitution du grand facteur de consolidation bourgeoise du XIXème siècle : la rente.

Notons par ailleurs que les politiques « pro business » ont créé des dizaines de mécanismes d’évitement de l’impôt sur les sociétés des multinationales.

C’est ce qui permet aux entreprises du CAC40 d’être 3 fois moins imposées que la PME artisanale, le restaurateur, ou la boulangerie.

Pour la France seulement, dans un papier écrit par le ministre des finances danois, le banquier central et l’économiste Gabriel Zucmann, le manque à gagner est de 23 milliards d’euros. C’est plus de la moitié de ce que le gouvernement français, en avril 2025, dit chercher comme économies pour boucler son prochain budget.

Créer des mécanismes d’évitement de l’impôt n’a pas suscité des investissements dans l’économie privée. En augmentant la rémunération du capital par le dividende et l’augmentation des valeurs boursières, la politique de l’offre a transformé la recette fiscale en réserves de liquidités accumulées par les plus riches, qui l’utilisent pour … prêter à l’État contre des intérêts.

C’était avant la première guerre mondiale un des arguments des bourgeois rentiers refusant l’impôt sur le revenu : ils participaient déjà au financement de l’État en achetant des bons du trésor. Les imposer leur ferait fuiter les capitaux et l’État perdrait en financement.

La réalité fut bien sûr toute autre. D’ailleurs, la période la plus longue de prospérité équitablement partagée entre travail et capital dans le monde démocratique a lieu lorsque les taux d’impôts sur le revenu sont confiscatoires pour les plus riches, les obligeant à investir plutôt qu’à accumuler de l’épargne : les trente glorieuses 1945-1975.

Il fallut plusieurs crises financières, dont celle de 1905 et celle, moins connue, de 1914, pour qu’un économiste bourgeois se rende compte du caractère suicidaire du système et propose une nouvelle manière d’agir et de penser : la politique de la demande.

Appliquée dès 1914, ses recommandations permirent à la Grande Bretagne de financer l’effort de guerre des alliés.

Elles ont ensuite accompagné le plan de reconstruction de l’Europe dès 1945. Cet économiste bourgeois et libéral, c’était John Maynard Keynes.

Mathieu Pouydesseau

Renaissance de l’Alliance du Nord en Afghanistan et déménagement de la base logistique de l’OEI-K en Somalie

Nous publions avec son accord un article d’analyse des mouvements politiques en cours en Asie centrale de David Gaüzère, Docteur en géographie, président du Centre d’observation des sociétés d’Asie centrale (COSAC) et chercheur-associé Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R). L’article a été publié initialement sur le site du centre français de recherche sur le renseignement.

1. Renaissance de l’Alliance du Nord

La (nouvelle) Alliance du Nord a revu le jour le 4 avril 2025 en Afghanistan avec la fusion des forces d’Ahmad Massoud (FNR) et de Yassin Zia (Front Azadi).

Après la chute de Kaboul en août 2021, chacun aurait pu penser que les taliban contrôlaient l’ensemble de l’Afghanistan. C’était sans compter sur la résistance de la vallée du Panchir, à la renommée légendaire, qui aujourd’hui encore échappe en grande partie à la domination talibane. Là, ont apparu deux fronts de résistance, au départ concurrentiels, puis ayant opéré depuis deux ans un rapprochement, ayant abouti le 4 avril 2025 à leur unification dans une nouvelle Alliance du Nord.

Cette unification opérée entre le Front National de la Résistance (FNR), dirigé par Ahmad Massoud (fils du général Ahmed Chah Massoud), et le Front Azadi, dirigé par le général Yassin Zia (ancien chef d’état-major de l’armée nationale afghane), a essentiellement été l’œuvre d’un homme : Amroullah Saleh, l’ancien chef du renseignement afghan, aujourd’hui président par intérim de la République islamique d’Afghanistan et chef de l’organisation « Tendance verte » d’Afghanistan.

Ces trois artisans de la nouvelle Alliance du Nord sont tous d’ethnie tadjike. Pourtant, les oppositions claniques et leur formation militaire ont souvent conduit, par le passé, à de vives rivalités entre eux. Aujourd’hui mises sous le boisseau, leurs anciennes divergences apportent au contraire, d’un point de vue militaire, une certaine complémentarité à la nouvelle alliance : Massoud supervise désormais la guérilla en zone rurale, dans le Pantchir et dans les provinces du nord et de l’ouest de l’Afghanistan (Baghlan, Takhar, Ghor, Parwan, Badakhchan, Badghis, Hérat) et autour de Kaboul, tandis que Zia gère la coordination des opérations urbaines (Kaboul, Koundouz, Mazar-i-Charif…). Massoud est plutôt soutenu par l’Occident, Zia par la Russie[1].

En dessous d’eux, les commandants militaires qui ont été désignés depuis le 4 avril dernier et sont les suivants[2] :

  1. Khalid Amiri
  2. Hasib Qouvvai Markaz
  3. Baryalai Sangin
  4. Wazir Choutoul
  5. Ghani Chomahmoud
  6. Moullah Nazouk Mir
  7. Mounib Amiri
  8. Hamid Saifi
  9. Said Yesin Saddod
  10. Rahmon Khoust.

Parallèlement, quelques mois auparavant, le 7 décembre 2024, un groupe de personnalités politiques afghanes de premier plan avait annoncé la création d’une nouvelle coalition : « l’Assemblée nationale pour le salut de l’Afghanistan », ainsi que l’a rapporté Amu.tv, la chaîne TV d’opposition afghane basée aux États-Unis.

L’objectif déclaré de la nouvelle union politique était de « résoudre la crise actuelle dans le pays et de faire face au régime des taliban ». La nouvelle coalition, présentée lors d’une réunion virtuelle le vendredi 6 décembre, comprenait des personnalités politiques telles qu’Ahmad Massoud, Atta Mohammad Nour, le maréchal Abdoul Rachid Dostom, Karim Khalili, Salahouddin Rabbani, Omar Daoudzai, Rahmatoullah Nabil, Mohammad Mohaqqiq, Abdoul Rab Raosul Sayyaf, Mohammad Ismail Khan, Younous Qanouni, Sarwar Danich, Rahela Dostom, Chah Jahan, Abdul Haq Chafaq, Tadin Khan et Sadeq Madbour. Les membres de la nouvelle coalition ont alors déclaré avoir décidé de « coordonner leurs efforts pour sauver l’Afghanistan de son état actuel de toubles et créer un front uni contre le régime taliban[3] ».

La nouvelle Alliance du Nord ne contrôle pas (encore) la même étendue territoriale que celle pilotée par feu le général Massoud entre 1996 et 2001. Cependant, de mieux en mieux coordonnée dans ses activités et étendant son action à d’autres provinces afghanes en coordination avec d’autres mouvements locaux anti-taliban – mouvements autonomistes des loya djirga[4] pachtoune de Khyber (le 14 octobre 2024), baloutche de Nimzoz, hazara de Bamyan, ouzbèke de Mazar-i-Charif., etc. –, elle pourrait profiter des dissensions internes actuelles au sein des taliban. En effet, depuis le 5 février, ces derniers, disposent de deux directions politique et militaire – dirigées par le ministre de la Justice Sirajouddin Haqqani, à Kaboul, et le chef politico-religieux des taliban Haibatoullah Akhounzada, à Kandahar – qui se regardent en chiens de faïence et en viennent parfois aux mains : les escarmouches entre leurs milices respectives sont hebdomadaires. Les chefs de ces deux factions se déplacent souvent afin de mobiliser leurs partisans et Haqqani, à la recherche opportuniste d’une reconnaissance internationale, modère désormais son discours et approche régulièrement des représentants américains à Kaboul ou à Dubaï[5].

En parallèle, les protagonistes de la nouvelle Alliance du Nord trouvent de plus en plus d’écoute à l’international : le 18 février 2025, la Conférence de Vienne a réuni les principaux dirigeants des groupes politiques et publics afghans opposés au régime taliban. L’événement principal de cette conférence a été la participation des dirigeants des deux principaux groupes de la résistance armée anti-talibane, Massoud et Zia, assis pour la première fois autour d’une même table. La nouvelle administration américaine s’était parallèlement montrée aussi discrète qu’active dans le processus d’unification de l’opposition non-islamiste afghane. En même temps, de hauts responsables des services de renseignement du Pakistan (ISI) se sont récemment rendus à Douchanbé, au Tadjikistan, où ils ont non seulement discuté des perspectives de coopération pakistano-tadjike dans la lutte contre le terrorisme, mais également rencontré des représentants du FNR. Ils ont ainsi permis le retournement de la position d’Islamabad, fin décembre 2024, lassé de ne plus pouvoir contrôler les talibans. La nouvelle Alliance du Nord conserve par ailleurs ses soutiens traditionnels indien et iranien et peut compter sur des relais en Russie et en Chine[6].

2. Confirmation du déménagement de la base logistique et financière de l’OEI-K en Somalie

Le déménagement de la base logistique et financière de l’Organisation État-islamique au Khorasan (OEI-K, héritière désignée de Daech, elle coordonne désormais les autres filiales internationales de l’organisation), en Somalie, envisagé depuis 2023, a été réactivé en mars dernier. Cette base est située au Puntland, une partie pauvre et irrédentiste de la Somalie, non contrôlée par Mogadiscio. Sa localisation précise n’a pas encore été identifiée (près de Bosasso, la « capitale » économique, sous contrôle islamiste, dans le district de Bari ?).

Ce déménagement ne changera en rien aux activités et actions de l’OEI-K dans sa zone afghano-centrasiatique. En prenant pied en Somalie, l’organisation cherche simplement à bénéficier d’une meilleure localisation pour coordonner ses activités dans le monde et renforcer sa visibilité. Son idée est de créer une « capitale », un point d’ancrage central pour ses différentes « filiales » internationales disposant d’une meilleure « accessibilité »

La zone est idéalement située : en face d’Aden au Yémen, en proie aux désordres internes (Houthis, AQPA, OEI-Yémen), et au carrefour de la mer Rouge et de l’océan Indien[7]. Elle est également située à proximité du Somaliland, l’ancienne partie britannique de la Somalie, indépendante de facto mais pas de jure (elle n’est reconnue par aucun État au niveau international), mais prospère grâce aux trafics : cash (grâce à l’hawala[8]), mais aussi trafics d’armes[9] et de qat.

Non loin du Pakistan et des Émirats du golfe Persique, cette base va également servir à mieux redistribuer le cash des différentes filiales internationales de l’organisation et à capter les donations des hommes d’affaires pakistanais et du Golfe, idéologiquement proches d’elle. L’OEI-K projette également d’y installer un « bureau politique informel » composé de représentants des différentes filiales mondiales de l’État islamique.

Cette base ne devrait pas servir à mener des opérations de grande envergure. Après plusieurs combats meurtriers entre eux, l’OEI-Somalie (OEI-S) et les Shabaab (liés à Al-Qaïda) seraient parvenus à un accord de partage territorial : à l’OEI-S, le Puntland, aux Shabaab, la Somalie mogadiscienne (Garoowe, la capitale politique du Puntland reste aux mains d’un gouvernement local laïc et indépendantiste)[10]. La nouvelle base logistique et financière de l’OEI-K ne devrait donc comprendre qu’un personnel réduit et « international », uniquement dévoué à la gestion de la logistique mondiale de l’organisation djihadiste[11].

Face à cette évolution, les États-Unis ont mené le 30 mars 2025 une nouvelle frappe aérienne sur des cibles de l’OEI-S au Puntland, tuant « de multiples combattants » a annoncé le commandement militaire américain pour l’Afrique (AFRICOM). Cette opération coordonnée par l’AFRICOM et le gouvernement fédéral somalien a visé de « multiples cibles de l’EI en Somalie, au sud-est de la ville de Bosasso, dans la région semi-autonome du Puntland », a indiqué cette source dans un communiqué. Cette frappe fait suite à une précédente frappe menée par l’armée américaine dans la même région le 2 février dernier[12].

[1] https://x.com/AfghanAnalyst2/status/1777253591654224063

https://cf2r.org/actualite/les-islamistes-lancent-le-djihad-antichinois-en-asie-centrale

https://ecrats.org/ru/archive/facts_of_terrorism/10532

[2] https://t.me/anserenko/7894

[3] https://amu.tv/141935

https://t.me/anserenko/7588

[4] Grande assemblée de chefs de clans.

[5] https://tribune.com.pk/story/2469224/rising-armed-resistance-in-afghanistan

[6] https://www.viennaprocess.org/4th-vienna-conference-for-a-democratic-afghanistan

https://www.ng.ru/kartblansh/2025-03-03/3_9204_kb.html

[7] https://x.com/GlobPeaceIndex/status/1897240793447883090/photo/1

[8] Réseau informel de transfert de fonds par le biais de courtiers non déclarés (opacité totale, sans aucune base légale, utilisation de cryptomonnaies, blanchiment…).

[9] Les trafics d’armes sont notamment réguliers en lien avec le Joundallah, la filiale baloutche iranienne de l’OEI-K.

[10] Le Somaliland n’est pas impacté, car il est la plaque tournante régionale du blanchiment de l’argent des acteurs en conflit.

[11] https://www.crisisgroup.org/africa/horn-africa/somalia/islamic-state-somalia-responding-evolving-threat

https://www.rfi.fr/fr/afrique/20250113-la-branche-somalienne-de-l-ei-nouveau-maillon-fort-de-l-organisation-jihadiste

[12] https://www.lefigaro.fr/international/les-etats-unis-menent-une-nouvelle-frappe-aerienne-contre-daech-en-somalie-20250330

https://www.lemonde.fr/afrique/article/2025/02/03/en-somalie-les-frappes-americaines-ont-neutralise-des-figures-clefs-de-l-etat-islamique-selon-le-gouvernement-regional_6529150_3212.html

« Ferroviaire : a-t-on abandonné le centre de la France ? » – France Culture, la question du jour, avec Chloé Petat [podcast et vidéo]

Mardi 15 avril, 400 usagers des lignes Paris-Clermont-Ferrand et Paris-Orléans-Limoges-Toulouse (POLT) se sont rendus à Paris pour alerter sur l’état du service proposé par la SNCF dans leur région. Retards et vétusté des rames, comment expliquer une telle situation sur ce territoire ?

Le mercredi 16 avril 2025 à 7h15 Chloé Petat était l’invitée de Guillaume Erner et de Marguerite Catton dans la « question du jour » des Matins de France Culture pour faire le point sur le dossier.

En podcast :

À bord des « trains de la colère », des centaines d’habitants du centre de la France ont débarqué à Paris hier, pour manifester leur mécontentement face aux multiples retards et dysfonctionnements des trains Intercités qui maillent leur territoire. Si le réseau ferroviaire paraît particulièrement vétuste sur l’ensemble du territoire, quelle est la spécificité de cette région et de ces lignes ? Pourquoi parle-t-on d' »enclave ferroviaire » et comment la SNCF a-t-elle prévu de remédier à cette situation face à la demande croissante en mobilité ferroviaire ?

en vidéo :

Mathieu Pouydesseau à la Friedrich-Ebert Stiftung : la « règle d’or » tue économiquement l’Europe

Notre camarade Mathieu Pouydesseau est intervenu mercredi 9 avril 2025 dans le forum pour une économie politique progressiste organisé par la Friedrich-Ebert-Stiftung (la fondation rattachée au SPD) à Berlin, en ce même jour où devait être annoncé la formation d’une grande coalition CDU-CSU/SPD.

Les débats s’étant déroulés en allemand, nous avons sous-titré les échanges.

Alors que le débat traitait de politique fiscale, la représentante du syndicat patronal BDI Dr Monika Wünnemann a déroulé son mantra éculé sur « l’impôt sur le patrimoine qui ruine des familles, l’impôt sur l’héritage qui détruit des emplois, l’impôt sur les dividendes qui réduit l’investissement. » A côté d’elle, une chercheuse, Martyna Berenika Linartas, démontait point à point ces « narratifs » avec des faits. Mais la représentante des « intérêts des entreprises » refusait toute argumentation factuelle.

Mathieu Pouydesseau vit en Allemagne depuis près de 30 ans et il y est chef d’une entreprise de 60 salariés dans le numérique et les hautes technologies. Pour lui comme pour nous, il y a un moyen de concilier les résultats de la recherche et les soucis de sa « représentante » patronale (notez l’ironie) : la productivité. Et pour augmenter la productivité, il faut faire payer aux plus aisés et aux entreprises plus d’impôts!

D’abord, Les entreprises ont besoin d’une sécurité juridique, c’est à dire d’un État de droit, démocratique. Sans un État fonctionnel, c’est l’AfD qui prendra tôt ou tard le pouvoir et elle ne garantit qu’une chose : l’arbitraire juridique !

Deuxièmement, le résultat de 20 ans de discours de règle d’or et de refus d’imposer les riches, les infrastructures sont devenues catastrophiques. Combien d’heures perdues par les gens, cadres, employés, parce qu’un pont s’effondre sur une voie ferrée ? La transformation numérique est ridicule, l’Allemagne perd ici en productivité.

Ensuite, la représentante du patronat allemand a parlé bureaucratie : mais combien de formulaires restent en papier parce qu’on a pas investi dans la numérisation des administrations ?

Enfin, pour contrer l’AFD , il faut de nouveau un marché intérieur dynamique, donc de l’investissement public et des salaires dignes. Refuser cela pour s’épargner 2 points d’imposition est un suicide, y compris pour les 1% les plus riches !

Il existe un bel article dans la constitution allemande, l’article 14 : « le droit de propriété donne des devoirs. » Il nous faut plus de solidarité, en France, en Allemagne, partout en Europe.

« Il est temps d’accepter le fait que nous entrons dans un monde protectionniste » – entretien accordé par David Cayla à Front Populaire

ENTRETIEN. Comment faut-il comprendre la hausse massive des droits de douanes décidée par les États-Unis ? Pour notre camarade, l’économiste David Cayla, interrogé par Quentin Rousseau pour Front Populaire, le pari protectionniste trumpien est à l’évidence très risqué. Mais il n’en porte pas moins un rude coup à la mondialisation néolibérale. Nous publions cet entretien avec l’accord de David Cayla.

David Cayla est maître de conférence en économie à l’Université d’Angers. Spécialiste du néolibéralisme, de l’économie européenne, et fin connaisseur de la question du protectionnisme, il défend une économie hétérodoxe. Son dernier livre en date : La gauche peut-elle combattre le néolibéralisme ? (éd. Le Bord de l’eau, 2024).

Front Populaire : Comment qualifiez-vous la politique commerciale et tarifaire lancée par Donald Trump ? Que cherche-t-il à accomplir en imposant des tarifs douaniers au reste du monde ?

David Cayla : C’est clairement une politique commerciale protectionniste qui renoue avec la tradition commerciale américaine de la deuxième moitié du XIXème siècle. En 1861, sous la pression du député du Vermont Justin Morrill, le Président démocrate James Buchanan fut contraint de signer une loi imposant des droits de douane d’environ 45% sur la grande majorité des importations américaines. Cette hausse tarifaire fut l’une des causes de la guerre de Sécession car les États esclavagistes qui exportaient leur coton en Europe étaient de farouches partisans du libre-échange.

Après 1910, les Américains deviennent la première économie mondiale. Les droits de douanes baissent quelques années, avant de repartir à la hausse à partir de 1920. Dans les années 1930 les droits de douanes retrouvent leurs niveaux de la fin du XIXe siècle, même si moins de produits sont concernés. Enfin, de 1947 (signature du GATT, l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce) au premier mandat de Trump, les droits de douane baissent jusqu’à un niveau moyen de 2 à 5%.

Que cherche Trump avec ces droits de douane ? La même chose qu’au XIXe siècle. Il s’agit simplement de protéger l’industrie manufacturière américaine et les emplois. Il est à noter que toutes les importations ne sont pas concernées par les hausses tarifaires. Les matières premières, les services, l’énergie, les semi-conducteurs et les produits pharmaceutiques sont exemptés, ce qui dénote bien que le souci principal de cette politique est de protéger l’industrie manufacturière.

FP : Les critiques contre la nouvelle politique américaine fusent, y compris dans son camp. Sont-elles justifiées selon vous ?

DC : Il y a deux sortes de critiques. Les critiques idéologiques proviennent de ceux qui font du développement du commerce international l’alpha et l’omega de la politique économique. Ces partisans de la mondialisation néolibérale sont effarés qu’on puisse remettre en cause cet édifice construit patiemment durant des décennies. Ils croient au libre-échange sans recul ni questions et ne comprennent tout simplement pas qu’on puisse le contester. Ces critiques, même si elles se déploient très largement dans les médias, n’ont aucune justification et aucun intérêt. La politique commerciale mérite mieux que ces hauts cris effarouchés.

D’autres critiques plus pragmatiques sont néanmoins justifiées. Disons-le clairement, le pari de Donald Trump est risqué et a toutes les chances d’échouer. Une hausse des droits de douane à elle seule ne peut suffire à réindustrialiser l’économie américaine pour au moins trois raisons.

Il existe de nombreux freins à la reprise du secteur manufacturier américain et il n’est pas dit qu’une politique commerciale protectionniste suffise à relancer ce secteur.

Premièrement, le système productif américain est très dépendant des importations. La hausse des droits de douanes sur les composants importés va renchérir le coût de fabrication de l’industrie manufacturière, même si les matières premières et l’énergie sont exemptés. Deuxièmement, ces droits de douanes sont inflationnistes. En effet, tous les produits importés ne pourront être remplacés par une production locale. Or, si les prix augmentent, les consommateurs américains vont reporter leurs achats de biens manufacturés, notamment d’automobiles… ce qui en fin de compte risque d’affaiblir les carnets de commande et les secteurs mêmes que les droits de douane sont censés aider. Enfin, il n’est pas sûr que les Américains parviennent à compenser les importations par une production nationale. Pour cela, il faudrait une réserve de main-d’œuvre employable. Or, le taux de chômage américain est faible et la politique d’expulsion des migrants prive les États-Unis d’une partie importante de leur main-d’œuvre.

Il existe donc de nombreux freins à la reprise du secteur manufacturier américain et il n’est pas dit qu’une politique commerciale protectionniste suffise à relancer ce secteur. Dans ce cas, tout ce que produira cette politique sera une hausse des prix et un appauvrissement des ménages américains.

FP : Comment faut-il interpréter les chutes boursières qui ont suivi, notamment en Asie et en Europe ?

DC : La crise boursière ne peut être une surprise. Toutes les grandes entreprises cotées évoluent dans une économie mondiale qui leur permet de jouer des différences de législation et de règlementation pour produire au moindre coût. Rétablir des barrières douanières, c’est attaquer frontalement ce modèle économique.

De plus, les États-Unis sont, de loin, le premier marché mondial en termes de biens de consommations. L’un dans l’autre, les entreprises cotées du monde entier doivent s’attendre à une forte baisse de leurs profits. Il est donc logique que leur cours boursier s’effondre. De plus, Trump ouvre une guerre commerciale mondiale dont il est difficile de prévoir les conséquences. Cette incertitude participe à créer de la volatilité boursière et explique aussi l’effondrement des bourses mondiales qui deviennent sensibles aux rumeurs et aux spéculateurs.

FP : L’Union européenne s’est fondée sur l’idée que le politique était inféodé à l’économie – et au libre-échange. Que pensez-vous de sa réponse aux nouveaux tarifs américains ?

DC : Je suis loin d’être convaincu par les réponses européennes. L’Union européenne se retrouve confronté à un choix impossible. Soit accepter les droits de douanes américains sans chercher à défendre ses intérêts, soit répliquer au risque de voir la politique commerciale américaine se durcir. Or, l’Union européenne, et singulièrement l’Allemagne, ont besoin d’exporter aux États-Unis. L’Allemagne vient de subir deux années consécutives de récession tandis que son industrie a été lourdement affectée par la crise du gaz.

(…) S’il est possible de trouver un accord unanime des Européens pour proposer du libre-échange, il n’y aura pas d’unanimité en matière de mesures de rétorsion. Beaucoup de pays ont trop à perdre.

Dans ce contexte, la seule stratégie européenne susceptible de rallier l’ensemble de ses membres serait le retour au libre-échange. C’est la raison pour laquelle Ursula von der Leyen a proposé aux États-Unis… un accord de libre-échange. Cet accord n’avait évidemment aucune chance d’être accepté, d’autant que l’administration Trump considère la TVA comme un droit de douane déguisé, puisqu’il taxe les importations européennes mais pas leurs exportations, permettant ainsi aux produits européens d’être vendus moins cher aux États-Unis qu’ils ne le sont en Europe. Rappelons qu’aux États-Unis seule une « sale tax » existe, mais son niveau (5-10%) est bien inférieur à celui de la TVA européenne.

À présent que la proposition européenne a été rejetée par la partie américaine, que va faire la Commission ? C’est à elle qu’incombe la responsabilité de négocier les traités commerciaux. Le problème est qu’en dehors du libre-échange dogmatique qui l’anime, il n’y a pas grand-chose. D’autant que, s’il est possible de trouver un accord unanime des Européens pour proposer du libre-échange, il n’y aura pas d’unanimité en matière de mesures de rétorsion. Beaucoup de pays ont trop à perdre. Les exportateurs que sont l’Allemagne et l’Italie vont craindre une nouvelle hausse des droits de douane. L’Irlande, la base arrière des géants du numérique américains, ne voudra certainement pas qu’on impose des mesures de rétorsion aux grandes plateformes numériques.

Plus fondamentalement, l’UE est empêtrée dans des traités qui ont été entièrement réécrits dans les années 1980 et 1990, et sont donc très influencés par l’idéologie néolibérale. Cette inertie du droit européen est aujourd’hui un handicap car le monde bascule.

FP : La doctrine néolibérale et la mondialisation vont généralement main dans la main. Trump est-il en train de tourner la page du néolibéralisme ?

DC : C’est la thèse que je défends depuis plusieurs années. Le populisme trumpien est à la fois la conséquence de la mondialisation néolibérale et son antidote.

Néanmoins, cela ne signifie pas que ce qui est en train d’advenir est souhaitable. Le trumpisme est très loin d’être un humanisme. De fait, sortir du néolibéralisme ne conduira pas nécessairement à un meilleur monde. Il annonce au contraire le retour d’une logique impériale et l’affaiblissement d’un ordre mondial qui a longtemps cherché à s’organiser autour du multilatéralisme.

(…) En faisant des politiques mercantilistes allemandes le modèle à suivre pour tous les pays européens, nous sommes devenus dépendants de nos exportations.

FP : Dans ce contexte de guerre économique livrée par les États-Unis au reste du monde, quelle pourrait être une réaction intelligente de la France ?

DC : La France devrait militer pour des politiques de relance en Europe. Quel est le problème des entreprises européennes ? La faiblesse de leurs débouchés. Ainsi, au lieu de chercher à vendre notre surplus productif de l’autre côté de l’Atlantique, on ferait mieux de faire en sorte qu’il profite aux ménages européens. Au lieu de comprimer les salaires et les dépenses publiques partout en Europe, on ferait mieux de mobiliser notre épargne pour investir sur le sol européen.

Si nous sommes dans cette situation, c’est parce qu’en faisant des politiques mercantilistes allemandes le modèle à suivre pour tous les pays européens, nous sommes devenus dépendants de nos exportations. Il est plus que temps de rompre avec cette dépendance et d’accepter le fait que nous entrons dans un monde protectionniste où la demande intérieure devient à nouveau préférable aux tentations de la compétitivité extérieure.

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