ordonnance prise sur le fondement des articles 4 & 11 de la loi d’urgence
Le confinement s’est traduit pour les entreprises par l’arrêt ou la réduction de leur activité. Or les actions gouvernementales de soutien aux entreprises ont rapidement montré leurs limites (une entreprise peut ne pas être éligible aux prêts aidés/garantis par l’État (Bpi France) lorsqu’elle est « en difficulté » au sens de la législation européenne, alors que pourtant il avait été indiqué que le droit de l’union européenne concernant les aides d’Etat serait suspendu). La nécessité d’un traitement judiciaire – au mieux préventif – mais spécifique s’est rapidement imposée. C’est à cela que veut répondre la présente ordonnance. Plusieurs dispositions du Livre VI du code de commerce sont ainsi adaptées au contexte de la crise sanitaire.
L’ordonnance
adapte d’abord des règles pour l’ouverture des procédures, règles applicables
aux tribunaux et aux organes de la procédure dès le lundi 30 mars 2020 (I).
Elle adapte également les règles applicables aux procédures en cours en prolongeant
les délais de procédure et les plans (II).
I –
L’adaptation des règles applicables à l’ouverture de la procédure
A –
L’ouverture d’une procédure collective ou de conciliation
Une
entreprise (au sens large) ou une association peut demander l’ouverture d’une
procédure de conciliation ou une procédure collective. Le rapport accompagnant
l’ordonnance précise que le débiteur « et lui seul » peut
demander l’ouverture de la procédure, quelle qu’elle soit, ce qui écarte toute
assignation par un créancier.
L’ordonnance
a simplifié la procédure d’ouverture en incitant le débiteur à ne pas
comparaître devant le tribunal. Celui-ci peut en effet saisir la juridiction
par une remise au greffe, et formuler ses prétentions et ses moyens par écrit
sans se présenter à l’audience, en insérant la demande d’autorisation prévue à
l’article 446-1, alinéa 2, du code de procédure civile. Le président du
tribunal peut recueillir les observations du demandeur par tout moyen.
Dans le même
esprit, les communications entre le greffe du tribunal, l’administrateur
judiciaire et le mandataire judiciaire, ainsi qu’entre les organes de la
procédure, sont également simplifiées puisqu’elles peuvent se faire par tout
moyen conformément à l’ordonnance n° 2020-304 adaptant les règles des juridictions
de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale. D’ailleurs, l’article 7
de l’ordonnance permet de tenir les audiences grâce à un moyen de communication
audiovisuelle, c’est-à-dire par visio-conférence et, en cas d’impossibilité
technique ou matérielle d’y recourir, par tout moyen de communication
électronique, y compris téléphonique. Ces règles dérogatoires s’appliquent
jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois après la date de cessation de l’état
d’urgence sanitaire.
Remarque :
L’ordonnance
met donc fin à certaines spéculations puisque l’on pouvait douter de la
possibilité d’ouvrir ces procédures après l’intervention d’Emmanuel Macron le
12 mars 2020 annonçant qu’« aucune entreprise ne sera livrée au risque
de faillite ». Au demeurant, au regard des difficultés de mise en
œuvre du fonds de solidarité et de la garantie d’emprunt de la BPI, cette
nouvelle contradiction de la parole de l’exécutif ne manque pas de décevoir
nombre de chefs d’entreprise.
B – La
fixation légale de l’état de cessation des paiements
L’ordonnance
précise que « l’état de cessation des paiements est apprécié en
considération de la situation du débiteur à la date du 12 mars 2020 ».
Cette appréciation de la situation des entreprises s’appliquera jusqu’à
l’expiration d’un délai de 3 mois après la date de cessation de l’état
d’urgence sanitaire. Cette date est également celle retenue en matière agricole
pour apprécier l’état de cessation des paiements lorsque l’accord conclu dans
le cadre de la procédure de règlement amiable n’y a pas mis fin.
Toutefois,
l’ordonnance laisse ici en suspens les demandes de redressement judiciaire
déposées avant le 12 mars 2020 et non instruites par la juridiction avant le 12
mars 2020. Si l’hypothèse est peu probable pour les juridictions consulaires
qui tiennent des audiences hebdomadaires, elle mérite d’être soulevée pour les
tribunaux judiciaires qui font face à des délais d’instruction des demandes de
redressement plus longs et peuvent avoir à connaître des déclarations de
cessation des paiements déposées avant le 12 mars 2020.
La fixation
légale de la date de cessation des paiements présente plusieurs intérêts :
- Les entreprises peuvent bénéficier des mesures
ou procédures préventives telles que la procédure de conciliation ou la
procédure de sauvegarde, même si elles sont en état de cessation des paiements
après le 12 mars et pendant la période correspondant à l’état d’urgence
sanitaire majorée de 3 mois. En matière agricole, l’article 3 de l’ordonnance
précise que l’aggravation de la situation du débiteur à compter du 12 mars
2020, jusqu’à l’expiration d’un délai de 3 mois après la date de fin de l’état
d’urgence sanitaire, ne peut faire obstacle à la désignation d’un conciliateur
dans le cadre de la procédure de règlement amiable.
- Le processus de garantie des salaires est
accéléré ; il est permis au mandataire judiciaire d’envoyer « sans
délai » les créances salariales dès l’ouverture de la procédure, et de
déclencher le versement des sommes par le régime de garantie des salaires
(AGS ; art. 1er, I, 2°).
L’ordonnance reste toutefois silencieuse sur les formalités de recueil des
observations du représentant du personnel par le mandataire judiciaire. La
présentation des relevés de créances salariales se fait toujours sous la
responsabilité du mandataire de justice qui veillera à fournir des informations
vérifiées. - La fixation légale de la date d’état de
cessation des paiements évite d’exposer le débiteur personne physique ou le
dirigeant de la société débitrice à des sanctions personnelles pour avoir
déclaré tardivement l’état de cessation des paiements. Le rapport lié à
l’ordonnance énonce : « La fixation au 12 mars 2020 de la date
d’appréciation de l’état de cessation des paiements ne peut être conçue que
dans l’intérêt du débiteur ». L’ordonnance a toutefois réservé les
modalités de report prévues à l’article L. 631-8 du code de commerce, relatif
aux nullités de la période suspecte afin d’éviter toute fraude aux droits des
créanciers.
II –
La prolongation des procédures et des plans
A – La
prolongation de la procédure de conciliation
Afin de
favoriser les procédures amiables, l’ordonnance prévoit que la durée de la
conciliation est prolongée de plein droit de 3 mois après la date de cessation
de l’état d’urgence sanitaire (art. 1er, II).
Cette mesure
inscrit un principe de réalité lié au risque d’inertie des négociations avec
les créanciers pendant la période couverte par la loi d’urgence, et aux
difficultés auxquelles le débiteur et le conciliateur seront confrontés pour
reprendre les négociations à l’issue de cette période. Aussi, jusqu’à
l’expiration du délai de 3 mois après la date de cessation de l’état d’urgence
sanitaire, il sera également possible d’ouvrir une nouvelle procédure de
conciliation sans respecter le délai de 3 mois prévu à l’article L. 611-6 du
code de commerce (art. 1er, II).
On peut
peut-être ici regretter que l’ordonnance n’ait pas étendu cette disposition au
mandat ad hoc en cours au 24 mars 2020. En effet, l’ordonnance
d’ouverture du mandat ad hoc peut prévoir une durée (par exemple 6
mois), durée qui peut être prorogée sur demande du mandataire ad hoc et
sur ordonnance présidentielle (?!).
Remarques :
Il aurait été cohérent de prévoir la prorogation également pour le mandat ad
hoc, ce qui aurait évité au mandataire ad hoc de présenter une
requête au Président qui devra traiter des demandes plus urgentes.
B – La
prolongation générale des délais de procédure pour les mandataires de justice
Le IV de
l’article 1er de l’ordonnance permet au président du tribunal de
prolonger les délais de procédure du Livre VI du code de commerce imposés à
l’administrateur judiciaire, au mandataire judiciaire, au liquidateur ou au
commissaire à l’exécution du plan, d’une durée équivalente à la durée de la
période de l’état d’urgence sanitaire à laquelle seront ajoutés 3 mois. La
requête peut être formée jusqu’à l’expiration d’un délai de 3 mois après la
date de fin de l’état d’urgence sanitaire. Cette disposition permet une
prorogation des délais habituels qui risquent de ne pas pouvoir être respectés
dans le contexte d’urgence sanitaire. Il appartiendra alors au président du
tribunal d’apprécier, au cas par cas, dans quelle mesure les circonstances
exceptionnelles justifient une prolongation de ces délais. Tel sera le cas par
exemple du délai imposé au liquidateur pour la réalisation des actifs du
débiteur dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire.
C – La
prolongation de la période d’observation et la suppression de l’audience
« intermédiaire »
S’agissant
de la période d’observation, l’ordonnance prévoit plusieurs mesures
d’adaptation. La durée de la période d’observation est prolongée jusqu’à
l’expiration d’un délai d’un mois après la date de fin de l’état d’urgence
sanitaire et pour une durée équivalente à celle de la période de l’état
d’urgence sanitaire à laquelle un mois aura été ajouté (art. 2, II, 1°). La
période d’observation fixée par la cour d’appel, prévue à l’article L. 661-9 du
code de commerce, est également prolongée.
L’ordonnance
supprime par ailleurs, jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois après la date
de cessation de l’état d’urgence sanitaire, l’audience
« intermédiaire » qui doit se tenir en principe au plus tard dans un
délai de 2 mois à compter du jugement d’ouverture du redressement judiciaire
(art. L. 631-15, I du code du commerce) afin que le tribunal ordonne la
poursuite de la période d’observation. Le rapport initialement établi par
l’administrateur judiciaire ou le cas échéant par le débiteur est également
suppimé. Reste cependant ouverte la possibilité pour le tribunal d’ordonner, à
tout moment de la période d’observation, la cession partielle de l’activité ou
de prononcer la liquidation judiciaire si le redressement est manifestement
impossible (art. L. 631-15, II du code du commerce).
Remarques :
Si la suppression
de cette audience dans le contexte sanitaire est plutôt opportune sur un plan
économique en raison de l’absence totale ou partielle de chiffre d’affaires,
elle peut être aussi périlleuse. Alors que la trésorerie est mise à rude
épreuve, l’administrateur judiciaire sera amené à informer les organes de la
procédure de la capacité de l’entreprise à financer la période d’observation.
Cette communication pourrait prendre la forme d’un rapport permettant de savoir
si l’entreprise est en capacité de pouvoir poursuivre son activité ou si, à
l’inverse, une conversion en liquidation judiciaire s’impose (pour la prise en
charge des salaires par l’AGS par exemple).
En l’absence
d’administrateur judiciaire, le tribunal pourrait-il ouvrir une procédure de
redressement judiciaire et ensuite laisser le dirigeant de l’entreprise sans
jalon ? Cela paraît risqué, compte tenu des nombreuses difficultés
auxquelles devra faire face le dirigeant, sauf à mettre à la charge du
mandataire judiciaire, dont ce n’est ni le rôle ni la responsabilité,
l’élaboration et la communication d’une information financière sur la situation
de l’entreprise.
D – La
prolongation des plans et de la liquidation judiciaire simplifiée
La
prolongation de plein droit
L’article 2,
II, de l’ordonnance prolonge de plein droit, sans tenue d’audience ou jugement,
les durées relatives au plan, au maintien de l’activité et à la liquidation
judiciaire simplifiée jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois après la date
de fin de l’état d’urgence sanitaire et pour une durée équivalente à celle de
la période de l’état d’urgence sanitaire plus un mois.
Cette
prolongation est fondamentale pour les entreprises en plan pour éviter un état
de cessation des paiements en raison de l’impossibilité de payer l’échéance du
plan. Cela permet également au commissaire à l’exécution du plan d’avoir une
base justificative pour ne pas solliciter la résolution du plan. Le report
d’exigibilité semble toutefois limité pour les entreprises.
Or,
l’entreprise devrait avoir besoin de mobiliser toutes ses ressources au 2ème
semestre 2020 et en particulier sa trésorerie pour assurer un redémarrage de
l’activité. Il aurait été peut-être opportun d’instaurer « une année
blanche » et de décaler le plan d’un an.
La
prolongation sur requête
Des délais
supplémentaires pourront être accordés uniquement sur requête tels qu’encadrés
par l’ordonnance. D’abord, sur requête du commissaire à l’exécution du plan, le
président du tribunal peut, jusqu’à l’expiration d’un délai de 3 mois après la
fin de l’état d’urgence sanitaire, prolonger les plans dans la limite de 3 mois
après l’état d’urgence sanitaire (art. 1er, III, 1°). Une
prolongation d’une durée maximale d’un an peut être prononcée sur requête du
ministère public. Ensuite, après l’expiration du délai de 3 mois après la fin
de l’état d’urgence sanitaire et pendant un délai de 6 mois, le tribunal peut,
sur requête du ministère public ou du commissaire à l’exécution du plan,
prolonger le plan pour une durée maximale d’un an (art. 1er, III, 2°).
S’agissant
de ces prorogations de la durée du plan, le rapport au président de la
République précise bien qu’elles sont possibles sans devoir respecter la
procédure contraignante d’une modification substantielle du plan initialement
arrêté par le tribunal.
E – La
prolongation des délais de couverture des créances salariales
Les délais
de couverture des créances salariales par l’AGS prévus aux 2° et 5° de
l’article L. 3253-8 du code du travail sont également prolongés jusqu’à
l’expiration d’un délai d’un mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire
pour une durée d’un mois au-delà de la période d’état d’urgence sanitaire. Ces
délais concernent les créances résultant de la rupture des contrats de travail
à la suite d’un plan de sauvegarde, de redressement ou de cession, ou pendant
le maintien provisoire de l’activité autorisé par le jugement de liquidation,
ou à la suite d’une liquidation immédiate ou par conversion (art. 2, II, 2° et
3°).
Ces
dispositions sont justifiées à juste titre par l’impossibilité pour l’administrateur
judiciaire, le mandataire judiciaire ou le liquidateur judiciaire, de respecter
des délais imposés pour la prise en charge de salaires ou indemnités par l’AGS.
Il en est ainsi notamment pour la rupture du contrat de travail qui doit être
réalisée dans les 15 jours de l’ouverture de la procédure de liquidation. Le
non-respect de ce délai est une cause de refus de prise en charge par l’AGS. Le
rapport lié à l’ordonnance précise que « la prolongation du délai
accordé au mandataire de justice n’aurait pas de sens si les limites de la
garantie de l’AGS n’étaient pas adaptées ».