Les Jeudis de Corbera – Sortir du Marché européen de l’électricité – 30 mars 2023

Les Jeudis de Corbera, c’est le nouveau rendez-vous d’échanges et de débats proposé par la Gauche Républicaine et Socialiste (GRS) à ses adhérents, militants, sympathisants et curieux de notre mouvement, le dernier jeudi soir de chaque mois, au 3 avenue de Corbera à Paris.

C’est deux heures d’échanges avec des acteurs du mouvement social, des intellectuels, des grands témoins pour questionner autrement des enjeux au cœur de l’actualité et de notre programme. C’est renouer avec un rendez-vous convivial et ouvert à tous, avec la possibilité de le suivre, en différé, via une captation vidéo. C’est surtout l’occasion de se retrouver pour renouer avec une « pensée en action », loin des dogmatismes et du prêt à penser médiatique ; pour un débat d’idées au service de l’engagement.

Depuis un an et demi, une envolée inquiétante des prix de l’électricité entraine une crise économique et sociale majeure avec des répercussions multiples sur les entreprises, les territoires, les collectivités et les usagers.

Cette augmentation n’est pas liée à une explosion des coûts de production de l’électricité en France mais au mode de fixation du prix qui relève du marché européen de l’énergie. Marché européen qui aligne le prix de l’électricité sur celui du gaz et met à mal la filière nucléaire française et qui s’avère surtout être est une impasse totale. Depuis plusieurs années, la GRS appelle à en sortir, comme l’Espagne et le Portugal.

Enjeu de pouvoir d’achat, enjeu de souveraineté et enjeu environnemental se recoupent dans ce débat central pour l’avenir de notre pays.

Comprendre comment nous nous retrouvons pris dans le piège de la libéralisation du secteur de l’énergie et tracer des perspectives alternatives, c’est le sujet de ce premier Jeudi de Corbera pour lequel Carole Condat, animatrice du pôle thématique « fonction publique et services publics » de la GRS accueillait :

➡️ Anne Debrégeas, Ingénieure- chercheuse sur le fonctionnement et l’économie du système électrique à EDF et économiste en électricité, Porte-parole du syndicat Sud Énergie.

➡️ Laurent Miermont, membre du pôle idées de la GRS, ancien adjoint au maire du 13ème arrondissement, assistant parlementaire européen.

Sûreté Nucléaire : là où il faut de la confiance, le gouvernement sème la confusion

L’augmentation des besoins en électricité pour décarboner les transports, le chauffage et l’économie apparaît plus que jamais comme une évidence pour espérer lutter au mieux contre le réchauffement climatique. Dans ce cadre, la production d’électricité nucléaire, énergie décarbonée et pilotable, est centrale, aux côtés des ENR (hydraulique, éolien, photovoltaïque…).

Au moment où le débat sur la relance du nucléaire s’engage en France – et au moment où le projet de loi relatif à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes est en cours d’examen par le parlement1 –, il est fondamental que les Français conservent une confiance éclairée sur la sûreté de nos centrales nucléaires actuelles et à venir et donc qu’ils aient confiance dans un système de contrôle qui garantisse un haut niveau de sécurité de nos installations.

On peut donc s’étonner à ce titre d’une décision brutale, rapide et non concertée visant à regrouper l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) et l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN).

Cela donne l’impression d’une « politique de gribouille ». Alors que le projet de loi a été déposé le 2 novembre 2022, qu’il a été débattu et voté par le Sénat le 24 janvier 2023, il a fallu attendre le 8 février pour que l’exécutif considère subitement nécessaire la fusion de l’ASN et l’IRSN et annonce en avoir pris la décision, sans que cela ne soit concerté avec les acteurs du secteur. Le gouvernement a ainsi déposé en catimini et fait adopter le 6 mars en commission à l’Assemblée Nationale un amendement à son propre texte pour rendre possible cette fusion… À nouveau, l’exécutif semble ne pas avoir de vision de long terme et improviser sur un dossier qui ne peut laisser de place aux brusqueries, à l’incertitude et à la confusion.

Le second risque est de donner à penser à nos concitoyens que le gouvernement est en train de réduire la transparence et l’accès aux informations dans ce secteur sensible. La méthode employée est déjà révélatrice du manque de concertation qui prévaut dans l’exécutif. De nombreux acteurs du secteur considèrent que nous perdons en pluralité et donc en crédibilité en réduisant nos outils à une seule structure pour la sûreté nucléaire ; ils s’émeuvent aujourd’hui d’une forme de passage en force, alors que la diversité d’approche leur paraît nécessaire pour éclairer les arbitrages politiques.

Les deux structures ont par ailleurs des statuts différents : l’ASN est une autorité administrative indépendante ; l’IRSN est un EPIC placée sous la tutelle directe du gouvernement. Or en regroupant toutes les missions dans une seule et unique autorité indépendante, on prive le parlement – donc nos concitoyens – de ses capacités de contrôle et d’information, puisque l’IRSN, qui peut aujourd’hui faire l’objet d’un contrôle parlementaire de l’action du gouvernement et sur l’évaluation des politiques publiques, disparaîtrait. Or le contrôle parlementaire est indispensable sur un sujet aussi sensible : il contribue à éclairer nos concitoyens sur les politiques publiques de développement du nucléaire civil, ce qui est indispensable pour garantir la confiance.

La Gauche Républicaine et Socialiste demande donc au gouvernement d’abandonner la précipitation comme modalité d’action, en retirant du débat parlementaire son amendement au projet de loi nucléaire pour avaliser la fusion entre l’ASN et l’IRSN. S’il existe des des raisons techniques et structurelles plaidant pour un regroupement entre ces deux structures, le gouvernement doit relancer une large concertation. Le travail de l’office parlementaire des choix scientifiques et technologiques (OPECST), qui a d’ailleurs rendu un avis balancé sur cette fusion2 (ci-dessous), pourrait servir de base à cet effet.Dans tous les cas, il faut tout à la fois satisfaire des objectifs d’efficacité mais aussi de transparence et de contrôle parlementaire, nécessaires à la confiance.

1http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl22-100.html

2https://www.vie-publique.fr/en-bref/288456-reforme-de-la-surete-nucleaire-les-recommandations-de-lopecst

Ne sacrifions pas EDF sur l’autel de la concurrence

Jeudi 13 novembre, la Ministre de l’environnement Mme Barbara Pompili a annoncé une sévère augmentation de la part de l’énergie nucléaire devant être vendue à prix cassés aux distributeurs privés.

La volonté forcenée de la commission européenne et du gouvernement Macron de livrer le secteur de l’énergie aux forces du marché se traduit par des absurdités comme seul le néolibéralisme des technocrates de la commission européenne et de Bercy en est capable. EDF va être contraint de vendre à 46,2€/MWh une part si importante de l’électricité qu’elle produit qu’elle n’en disposera plus suffisamment pour répondre aux demandes nées de ses contrats en tant que distributeur. Elle devra donc racheter sur le marché privé de l’électricité à 300€/MWh, la même qu’elle aura vendue plus de six fois moins cher.

La perte estimée pour 2022, plus de 8 milliards d’euros, n’est ni plus ni moins que du sabotage de service public. L’excuse donnée par le gouvernement, celle de contenir la hausse du prix de l’électricité, ne tient pas. Les causes de la hausse du prix de l’électricité ne se trouvent pas en France, mais dans nos pays voisins. La flambée du coût des matières premières, gaz comme pétrole, a sévèrement renchéri le prix de l’électricité dans les pays comme l’Allemagne qui utilisent ce mix énergétique. Le mix énergétique français, combinant renouvelable et nucléaire, est théoriquement épargné par la volatilité des prix des matières premières (le combustible nucléaire ne pesant que très peu dans le coût lié à la production d’électricité). Dans les faits cependant, du fait des interconnexions électriques avec les pays voisins, la hausse du coût de l’électricité chez eux se répercute par une hausse du prix chez nous.

Or, les hauts fonctionnaires européens et de Bercy voulant à tout prix introduire de force la concurrence dans le marché de l’électricité, ils ont contraint depuis des années EDF de céder à prix coûtant une partie de l’énergie qu’elle produit à ces distributeurs privés. Ces derniers bénéficient donc des mêmes conditions de vente qu’EDF, sans avoir à assumer les coûts liés aux investissements pour la produire. A la clef, aucune baisse de la facture pour les Français, mais des profits pour les actionnaires privés.

Le groupe EDF est le seul à assumer les risques industriels liés à la production d’électricité. Il se retrouve aussi le seul à devoir assumer les risques financiers, alors que les profits sont confisqués par des entités privées n’ayant aucune vocation de service public.

La production d’une électricité pilotable et décarbonée est un atout majeur de la France, que nous devons préserver. Dans le domaine énergétique, les sources d’approvisionnement fossiles posent de sérieux problèmes.

Or, le mot « pétrole » ne figurait même pas en avril 2021 dans la feuille de route de la Commissaire européenne à l’Énergie, alors qu’il s’agit de la première énergie consommée en Europe, et de la première source d’émission de dioxyde de carbone sur le continent ! C’est d’autant plus incroyable que nous sommes déjà en stress d’approvisionnement pétrolier et que ce stress va s’amplifier. Le Shift Project, groupe de réflexion fondé et présidé par Jean-Marc Jancovici, a accès à une base de données très précise de tous les gisements de pétrole dans le monde, et la conclusion tirée de ces chiffres est très claire : l’approvisionnement pétrolier de l’Europe va continuer à décliner à l’avenir, comme il le fait depuis 2006, et nous ne sommes pas du tout prêts à gérer cette situation.

Ce sera la même chose pour le gaz : alors que certains rêvent de remplacer le nucléaire par une combinaison d’énergies renouvelables et de centrales à gaz, nous ne sommes pas du tout sûrs de disposer des approvisionnements nécessaires en gaz.

Notre souveraineté en matière d’énergie renouvelable est très imparfaite. Avec le photovoltaïque et l’éolien, il y a eu la tentative de faire émerger des filières industrielles nouvelles, mais qui n’ont pas fonctionné. Actuellement, la quasi-totalité des panneaux solaires viennent de Chine, de même pour les éoliennes dont la production y a été délocalisée par les grands industriels européens.

La France avait un opérateur intégré efficace, de la construction des centrales à la distribution du courant, qui délivrait une électricité à bas prix, sans coupure de courant, et qui contribuait au solde exportateur de la France. Nous avons délibérément cassé cet outil au nom d’une concurrence vue comme l’alpha et l’oméga, quel que soit son secteur d’application. Malheureusement, il était prévisible que le découpage d’EDF aboutirait à l’exact inverse du résultat désiré : c’est lié à la nature particulière de l’électricité, et notamment son caractère non stockable.

S’est ajoutée à cela la pression antinucléaire allemande, qui s’est diffusée en Europe, et a débouché sur une pression « pro-énergies renouvelables électriques », qui explique le choix du photovoltaïque et de l’éolien. Mais il faut bien comprendre qu’en faisant cela, nous avons augmenté nos importations, puisque les composants de ces génératrices viennent de Chine. En France, nous avons dégradé notre balance commerciale au profit de la Chine sans procurer le moindre avantage pour les consommateurs et les citoyens français. Dans les pays qui économisent un peu de gaz et de charbon avec l’essor des énergies renouvelables, le déficit commercial reste une réalité, mais au moins ils limitent les émissions de dioxyde de carbone, ce qui n’est pas notre cas.

Le nucléaire est une filière de très long terme, ce qui veut dire que c’est un domaine étatique par construction. D’ailleurs, les nouveaux champions mondiaux du nucléaire sont des États forts : la Chine et la Russie. On ne fait pas de nucléaire de manière sérieuse dans un pays sans un État planificateur et constant. Le Royaume-Uni en a fait la démonstration magistrale par l’absurde : il a laissé le secteur privé gérer le système à ses frais et à ses risques et périls, avec concurrence partout et sans aucun cadre. Résultat : aucun renouvellement de centrale. Il a fallu que l’État intervienne de manière directe (avec des prix, du capital et des risques garantis) pour que le nucléaire redémarre.

La France prend malheureusement un chemin identique à celui des Britanniques. Notre « laisser faire » s’appelle le « stop and go », et la concurrence à l’aval raccourcit les horizons de temps. On ne décide pas d’une stratégie nucléaire, qui peut nous engager pour un siècle, sur la base des prix du marché de la semaine dernière ! En France, l’État a directement souhaité l’affaiblissement du nucléaire, d’une part en le présentant comme un ennemi dans nombre de discours de dirigeants politiques, et d’autre part en ne s’opposant pas aux lubies de la Commission européenne sur la concurrence dans le domaine électrique.

Si le gouvernement français avait mis son veto absolu au démantèlement d’EDF, la France aurait pu faire reculer Bruxelles. Mais les gouvernements français, qu’ils se prétendent de gauche ou assument être de droite, ont été intoxiqués par les économistes libéraux.

Continuer à découper EDF en entreprises concurrentes ou indépendantes les unes des autres engendre trois types de risques : un risque de raccourcissement des horizons de temps, parce que la planification est plus difficile pour un ensemble d’acteurs indépendants que pour un acteur intégré ; un risque de hausse des prix, parce que le découpage impose des coûts de transaction à toutes les étapes et renchérit le prix de l’électricité in fine ; et un risque de problèmes techniques, parce que l’expertise pointue ne se décentralise pas facilement.

Nous avons un besoin urgent de retrouver notre souveraineté énergétique. La hausse des prix chez nos voisins ne peut pas, ne doit pas avoir de conséquences sur la facture électrique de nos concitoyens. Notre mix énergétique décarboné doit aussi être défendu à tout prix. Enfin, les investissements massifs à réaliser dans le nucléaire et le renouvelable doivent être supportés par une seule entité monopolistique si l’on veut éviter la faillite ou l’explosion des prix. Tout cela implique la reconstitution d’un pôle public de l’énergie, entièrement nationalisé et administré. Les illusions des gourous du néolibéralisme et les inefficacités qu’elles entraînent sont trop graves pour que nous laissions faire.

Constitution du Collectif national « Pour un véritable service public de l’énergie ! »

Les organisations signataires de ce communiqué s’opposent au projet destructeur « Hercule » de scission du groupe EDF en 3 entités.

Le projet « Hercule », inspiré par des banques d’affaires, ne s’inscrit absolument pas dans une logique d’intérêt général mais dans une logique strictement financière. Logique initiée avec la déréglementation imposée par l’Union européenne et conduite par les gouvernements successifs : la facture des usagers a flambé, les investissements nécessaires sur l’outil productif ne sont plus assurés, la péréquation tarifaire est menacée alors que c’est un élément essentiel à notre démocratie.

Nous exigeons que soit effectué le bilan financier, humain, écologique des directives de déréglementation du secteur de l’énergie.

A l’unisson de l’ensemble des fédérations du secteur de l’énergie et des personnels du groupe EDF, ainsi que de plusieurs confédérations, nous demandons au Président de la République de renoncer au projet « Hercule ».

Puisque l’avenir énergétique du pays est intimement lié à celui d’EDF, il nous paraît indispensable que son avenir et sa mobilisation au service des enjeux énergétiques et climatiques du pays fassent l’objet d’un véritable débat social et démocratique avec l’ensemble des citoyens : que l’on soit usager, salarié du secteur ou élu, l’énergie est notre bien commun !

Toutes et tous doivent se mobiliser avec l’ensemble des organisations associatives, syndicales et politiques (aux niveaux national et local) pour la défense et le développement du service public et la promotion de ses valeurs.

Toutes et tous ont vocation à converger pour se mobiliser dans le cadre collectif créé ce jour : le Collectif national « Pour un véritable service public de l’énergie ! ».

Ce collectif a vocation à sensibiliser et mobiliser les usagers, les élus et les salariés du secteur en vue d’établir de fortes convergences.

La nécessaire transition énergétique et l’accès à tous de l’énergie, imposent de structurer les services d’efficacité et de performances énergétiques permettant de gérer collectivement nos ressources dans le seul souci de l’intérêt général et de la réponse aux besoins de nos concitoyens.

Le débat public, que nous demandons a vocation à dépasser le seul cadre du groupe EDF et à intégrer l’ensemble des filières du secteur de l’énergie, au-delà de la seule électricité, en vue de jeter les bases d’un véritable grand service public de l’énergie.

Un service public de l’énergie répondant, notamment :

  • • aux besoins de l’ensemble des usagers, en premier lieu les plus précaires, et des territoires, y compris les plus fragilisés ; le droit à l’énergie, droit fondamental et essentiel, doit devenir pleinement effectif pour toutes et tous, partout ; l’égalité de traitement des usagers, la péréquation tarifaire et la tarification réglementée doivent être pérennisées.
  • • aux défis de la précarité énergétique qui touche près de 5,5 millions de ménages (3 500 000 ménages déclarent souffrir du froid dans leur logement),
  • • aux besoins d’investissements considérables de l’indispensable transition énergétique et écologique,
  • • à la nécessité d’un développement durable : assurer notre indépendance énergétique, consolider et développer un modèle énergétique pilotable et respectueux de l’environnement, diversifier nos sources d’énergie en investissant dans la recherche et le déploiement d’énergies renouvelables, répondre aux enjeux du réchauffement climatique,
  • • aux attentes légitimes des personnels du secteur de l’énergie en matière de conditions de travail et d’exigence de qualité du service rendu aux usagers.

Pour atteindre ces objectifs, il faut renoncer aux politiques strictement financières de libéralisation et de privatisation mais, au contraire, faire le choix d’une maîtrise publique complète du secteur de l’énergie.

Convergence Services Publics – Droit à l’énergie SOS FUTUR – INDECOSA-
CGT – Fédération Nationale Mines Energie (FNME) CGT – Fédération des
syndicats SUD Energie – Union des familles laïques (UFAL) – ATTAC – CAP
A GAUCHE 19 – Parti communiste français (PCF) – Ensemble ! – Réseau
Education Populaire – SUD PTT – Ma Zone Contrôlée – Résistance Sociale
– Générations .s – Gauche démocratique & sociale (GDS) – République &
Socialisme – Emancipation collective – CV70-Comité de Vigilance pour le
Maintien des Services publics de proximité en Haute-Saône – SNUP Habitat

Comité National CGT des Travailleurs Privés d’Emploi et Précaires –
Collectif de Défense et Développement des Services Publics en Combrailles
– Convergence Nationale Rail – La France insoumise – PEPS (Pour une
écologie populaire et sociale) – Coordination des Gilets Jaunes de l’Isère –
Stop précarité – Les Économistes Atterrés – Union des syndicats CGT du
groupe Caisse des dépôts – Syndicat CGT de l’établissement public Caisse
des dépôts et consignations – Confédération Nationale du Logement (CNL)
– Syndicat CGT Banque de France – Collectif Ne nous laissons pas tondre
– Les Gilets Jaunes du 05 – CGT Fonction Publique – Syndicat National des
Certifiés et Agrégés (SNAC) e.i.L Convergence – Fédération des syndicats
e.i.L Convergence – Fondation Copernic – DAL (Droit au Logement) –
Collectif « Faisons barrage » – Collectif « Changer de cap » – Fédération
CGT Banques et Assurances (FSPBA-CGT) – AITEC – FSU – MNLE Réseau
Homme & Nature – Union syndicale Solidaires – Parti socialiste – Gauche
républicaine et socialiste (GRS) – Mouvement Républicain et Citoyen (MRC)
– Energie 2060 – CGT Enseignement Privé de Paris – RPS FIERS – Syndicat
CGT Cheminots du QNEMP (Quart Nord Est Midi-Pyrénées) – Confédération
Générale du Travail de la Réunion (CGTR) – Parti Radical de Gauche (PRG)
– Association des familles victimes du saturnisme (AFVS) – Génération
Ecologie – ENSEMBLE & SOLIDAIRES-UNRPA – GLOBAL LABOUR
INSTITUTE PARIS (GLI PARIS) – REACT

Démembrement d’EDF : un plan « Hercule » qui devrait s’appeler le plan « Judas ».

Le gouvernement et la direction d’EDF avancent un plan Hercule, prétendant ainsi améliorer l’efficacité énergétique du pays en séparant les activités historiques dites « bleues », notamment le nucléaire, des activités « vertes » comme les énergies renouvelables, et quelques autres structures encore. Ce plan ne donnera pas plus de force à EDF : il engage le démantèlement de l’opérateur public, sa privatisation partielle et met en danger notre capacité à impulser la transition écologique et à assurer notre indépendance énergétique.

I- Un secteur soumis aux règles européennes et à leurs dérives libérales

L’Union européenne est compétente en matière de réglementation de la production d’énergie, et en particulier d’électricité. En effet, L’Article 194 du Traité de Lisbonne (celui qui imposa les effets du projet de TCE malgré son rejet référendaire par les Français) a institutionnalisé les compétences de l’UE en matière énergétique :

« Dans le cadre de l’établissement ou du fonctionnement du marché intérieur et en tenant compte de l’exigence de préserver et d’améliorer l’environnement, la politique de l’Union dans le domaine de l’énergie vise, dans un esprit de solidarité entre les États membres :

  • à assurer le fonctionnement du marché de l’énergie ;
  • à assurer la sécurité de l’approvisionnement énergétique dans l’Union ;
  • à promouvoir l’efficacité énergétique et les économies d’énergie ainsi que le développement des énergies nouvelles et renouvelables ;
  • et à promouvoir l’interconnexion des réseaux énergétiques. »

Or un des principes fondamentaux de l’UE est la concurrence libre et non faussée. Elle applique donc ce principe à la production de l’électricité.

Pour la France, cela a deux conséquences majeures : la création d’un marché de l’énergie et le démantèlement d’EDF.

II- La création d’un marché de l’énergie

A la demande de la Commission européenne, la France a créé en 2010, l’Accès Régulé à l’Électricité Nucléaire Historique (ARENH). Il fut mis en œuvre en 2011. Ce marché régulé consiste en l’obligation qui est faite à EDF de fournir pour un volume global maximal de 100 TWh/an de l’électricité à un tarif réglementé qui est de 42 €/MWh.

Cela signifie que si le prix du marché est inférieur à 42 €/MWh, les opérateurs privés achètent leur électricité au prix du marché. En revanche, lorsque le prix du marché est supérieur à 42 €/MWh, les opérateurs privés l’achètent en dessous du prix du marché à EDF et la revendent au prix du marché à d’autres opérateurs. En réalité dans cette hypothèse, il ne s’agit plus d’un marché de l’énergie mais d’une rente de situation financière car ces opérateurs privés du marché de l’énergie, pour leur grande majorité, ne produisent pas d’électricité, ils se contentent de la commercialiser. Ainsi de 2011 à 2013, le prix moyen de gros de l’électricité était supérieur à 50 €/Mwh – ce qui était une situation de rente pure pour les opérateurs privés. De 2013 à 2015, le prix moyen de gros fluctuait autour de 42 €/MWh ce qui constituait une situation d’arbitrage pour les opérateurs privés en fonction du prix réel de l’achat. entre 2015 et 2017, le prix moyen de gros été inférieur à 40 €/MWh: situation dans laquelle les opérateurs privés n’achètent pas d’électricité au prix de l’ARENH. Or depuis 2018, le prix du marché est supérieur à 42 €/MWh, nous sommes donc à nouveau dans une situation de rente pure pour les opérateurs privés.

Cette obligation faite à EDF de vendre de l’électricité à un prix fixe à des opérateurs privés, handicape EDF lorsque le prix du marché est supérieur à celui auquel elle est obligée de vendre puisqu’elle ne peut pas bénéficier de cette augmentation de tarif. Depuis 2011, date de création de cette obligation, EDF s’est trouvée dans cette situation pendant six ans sur neuf ans.

Pire, selon EDF le prix de l’ARENH ne couvre pas ses frais de production. En effet EDF a demandé une réévaluation du prix afin qu’il passe de 42 € à 53€/MWh. Donc selon EDF, à chaque fois qu’un producteur privé achète de l’électricité à ce prix régulé, EDF perd de l’argent et voit ses capacités productives mises en péril. Il semblerait que la Commission de régulation de l’énergie (CRE) envisage d’augmenter l’ARENH à 48€/MWH mais ce prix est toujours inférieur au prix de revient déclaré par EDF.

Le principe de l’Union européenne de concurrence libre et non faussée conduit donc à la création d’un marché inégalitaire au bénéfice des opérateurs privés et au détriment d’EDF et cela est inacceptable !

III- Le plan « Hercule » un démembrement industriel d’EDF et un risque de disparition d’expertise technique

Le plan « hercule » est la réponse d’Emmanuel Macron et des Techno-Libéraux français à la demande de la Commission de réorganisation structurelle d’EDF afin d’empêcher que l’organisation interne d’EDF ne soit, selon la commission, un frein à la concurrence.

Ce plan a connu, pour l’instant, deux modalités et devrait être finalisé d’ici la fin de l’année.

1. Le projet Edouard Philippe :

– La première proposition du gouvernement Édouard Philippe en avril 2019 était de scinder le groupe EDF, de manière à écarter le nucléaire et ses risques financiers des autres secteurs. Dans les faits, création de deux entités, une société « Bleue »  et une société « verte », d’ici 2022. Ces deux entités étaient de droit public et pilotées par le groupe EDF qui restait lui aussi une entreprise publique.

La société « bleue », détenue par l’État, comprendrait le secteur du nucléaire existant. Ce secteur est soumis à l’Arenh et est le plus déficitaire. Il serait composé aussi des barrages hydroélectriques et du transport d’électricité (RTE).

L’État français devra investir 8 milliards d’euros pour racheter les actions EDF aux investisseurs privés.

Une autre société, « Verte », couvrirait les énergies renouvelables restantes, les réseaux (Enedis), les services énergétiques (transport, acheminement) et le commerce (EDF achète l’énergie comme les autres à l’Arenh). Cette seconde entité, propriété de la première, serait introduite en bourse, l’État conservant 65% du capital via la société Bleue avec une introduction en bourse à hauteur de 35% et comprendrait Enedis, EDF Renouvelables, Dalkia, la direction du commerce, les activités d’outre-mer et de la Corse d’EDF.

Cette réforme risque fort de faire porter le secteur le plus déficitaire — le nucléaire dit ancien — à l’État, donc au contribuable, tandis que les activités plus rentables — renouvelables et distribution — seraient privatisées. Il faut rappeler qu’ EDF a une dette de 41 milliard avec une menace de 20 milliards de plus sur ses produits financiers hybrides (dette transformable en action par les créanciers) en fin 2019.

Il faut cependant se rappeler aussi que les actifs positifs constitués par EDF et qui sont monnayables (actions, obligations) pour le démantèlement des réacteurs anciens et la fin de cycle des combustibles (par ex. Bure) représentent le même montant soit 41 milliards.

2. Le plan « hercule » modifié par la Commission européenne :

« La position de la Commission européenne consiste à privilégier une holding sans rôle opérationnel ni contrôle sur ses filiales et une indépendance entre celles-ci […] et ne percevant pas de dividendes, ceci étend versé directement aux actionnaires de la holding. […]  Cette position entraînerait l’impossibilité de maintenir un groupe intégré et irait au-delà des exigences posées par les textes européens » (note de l’agence des participations de l’État datée du 6 mai 2020).

Toujours selon l’agence, la Direction générale de la concurrence justifierait la désintégration juridique, financière, comptable et opérationnelle du groupe par « l’ampleur de l’aide qui serait octroyée à EDF du fait du SIEG (service d’intérêt économique général, le service public en droit européen) […] afin d’éviter que le soutien au nucléaire régulé ne profite d’une quelconque manière aux autres entités du groupe ». En définitive, si les demandes de l’Europe étaient acceptées par la France, il s’agirait d’un démantèlement pur et simple d’EDF.

Donc le plan de la Commission européenne est la mise en place d’au moins 4 structures différentes et autonomes : EDF-holding (droit privé), EDF bleue filiale autonome du secteur nucléaire (entreprise publique), société Azur (barrages hydroélectriques et statut juridique non défini) et EDF verte filiale autonome énergies renouvelable (société anonyme donc de droit privé).

Cette position de la Commission européenne interdit la mise en place d’une stratégie de groupe et de toute politique industrielle, et permet que les filiales de la holding EDF se fassent concurrence entre elles ! De plus, la commission demande la séparation juridique des activités nucléaires régulées et des activités de nouveau nucléaire interdisant que les bénéfices tirés des investissements déjà amortis ne puissent être réinvestis dans des activités nucléaires nouvelles. Cela impose aussi que les compétences et les expertises qui sont le fruit des activités nucléaires régulées ne puissent être utilisées pour la mise en place du nouveau nucléaire.

3. Le cas particulier des barrages hydroélectriques :

Il est à noter qu’en ce qui concerne les barrages hydroélectriques (société Azur), 150 contrats de concession arrivent à terme d’ici 2023 et donc devront éventuellement être concédés à nouveau selon des procédures d’appel d’offres et de mise en concurrence – ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent et représenterai un nouveau marché juteux puisque les investissements sont déjà amortis( les barrages sont construits depuis longtemps et rapportent 1,5 milliards d’€ par an !).

Cette demande de la commission européenne remonte à 2015 (mise en demeure par la commission) même si la droite avait commencé à anticiper cette demande dès 2010.

Les barrages hydroélectriques constituent la première source d’électricité renouvelable en France. Si l’État en est propriétaire, ce parc est aujourd’hui exploité à plus de 80 % par EDF – avec 433 barrages – via des contrats de concessions. Cependant la question de l’hydroélectrique n’est pas qu’une question de production d’électricité mais aussi touche à la sûreté, à la gestion de l’eau et des crues, sujets encore plus important désormais, du fait du réchauffement climatique. Par ailleurs, la production hydroélectrique permet de réguler les creux et les crêtes de production des autres sources d’énergie. Cette régulation ne peut être efficace que si la production hydroélectrique est intégrée à la production d’autres énergies – à défaut au moins régulée par la même entité. Cette ouverture à la concurrence remet en cause donc possiblement, des intérêts majeurs des populations.

* * * * *

Sur ce sujet majeur d’intérêt général qu’est la maîtrise de la production d’électricité, sa sécurisation et sa revente au prix le plus juste pour les consommateurs, le gouvernement a cédé aux demandes libérales et destructrices de l’Union européenne.

La GRS demande au contraire la création d’un service public de l’énergie qui puisse être contrôlé à la fois par les citoyens, les élus locaux et des représentants de l’État. Et si EDF doit changer ce n’est pas en la démembrant en des entités indépendantes et qui se feront la concurrence comme le veut l’Union européenne et le met en place le Gouvernement Castex mais en la démocratisant.

De plus, La GRS condamne cette privatisation rampante de pans entiers de l’activité d’EDF et en particulier des secteurs des énergies renouvelables  et du nucléaire nouveau (construction et exploitation de nouvelles centrales). Ces secteurs sont primordiaux pour entamer la transition énergétique et ce sujet d’intérêt général est trop important pour le laisser à la propriété privée et aux forces du marché. Les modalités de transition énergétique doivent être le fruit d’un débat national et ses instruments publics.

Enfin ce démembrement « Hercule » qui relève davantage du lit de Procuste que du combat contre l’hydre de Lerne interdira toute stratégie industrielle et tout patriotisme économique. En effet EDF n’est pas une entreprise seule mais participe d’un écosystème de filières, d’innovation et de recherche. Or c’est justement de politique de renforcement de filière et particulièrement de filières en France dont nous avons besoin pour relancer et renforcer notre économie- l’exact contraire de ce que fait le Gouvernement en accord avec l’Union européenne.

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